L. 1009.  >
À André Falconet,
le 23 octobre 1671

Monsieur, [a][1]

Le roi de Danemark [2] a fait publier dans tous ses états une liberté de conscience. [1] N’est-ce point qu’il veut augmenter le nombre de ses sujets en quelque façon ? S’il veut des moines, [3] il n’en manquera point, pourvu qu’il leur donne bien à dîner et de l’argent de reste, pour ne pas dire autre chose ; mais laissons-les faire, ils en trouveront bien. On parle ici d’une grande révolte des Arabes contre le Turc, [4] on dit que ces Arabes ont pillé et brûlé La Mecque [5] et qu’ils ont fait un butin de plus de 50 millions ; je crois que c’est une fable pour amuser le peuple. [2] Il court un bruit que le roi [6] fait venir d’Afrique un régiment de cavalerie de Nègres pour être employés dans son armée. [3][7] Cela sera bon contre les Hollandais quand nous commencerons la guerre contre eux, ils se connaissent déjà. M. Colbert, [8] qui était intendant de justice en Alsace, a été fait par le roi président de Metz, [9] et M. Colbert, évêque de Luçon, est évêque d’Auxerre ; [10][11] celui-ci est frère du grand Colbert, surintendant des finances et secrétaire d’État[4][12][13]

On ne parle ici que du mariage de M. le duc d’Orléans [14] avec la fille [15] de M. l’électeur palatin [16] et des présents qu’on lui envoie de deçà, tant de la part du duc, son futur mari, que du roi même. Mme la Palatine, [17] tante de cette princesse nubile, est allée au-devant d’elle. [5] Le premier aumônier de M. le duc d’Orléans, qui est M. l’abbé de Montagu, [18] a promis à M. de Robineau, notre très cher ami et allié, de s’employer après ce mariage pour le retour de mon cher fils Carolus, [19] et j’espère que cela nous aidera ; mais auparavant, il faudrait savoir à qui nous avons affaire. Il n’y a que la bonté de Dieu et la justice du roi en qui je me fie : in filios hominum non est salus[6][20]

On dit ici tout haut que la reine [21] est grosse. [7][22][23] Plût à Dieu qu’elle nous donnât un petit roi qui vaille quelque jour saint Louis [24] ou le bon roi Louis xii[25] ou tout au moins Henri iv [26] qui délivra la France en son temps de la tyrannie des Espagnols et de la Ligue, [27] aussi bien que de la malice de nos mauvais voisins, et surtout des huguenots. [28] Vous trouverez ici une lettre pour notre bon ami M. Spon, je vous prie de faire en sorte qu’elle lui soit rendue avec toute assurance, à cause d’un papier qui est dedans et qui importe fort aux affaires de mon Carolus. Quand le verrai-je, quand le roi aura-t-il le loisir d’y songer ? Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 23e d’octobre 1671.


a.

Bulderen, no dliii (tome iii, pages 436‑438) ; Reveillé-Parise, no dcccxxxii (tome iii, pages 790‑791).

1.

Christian v (v. note [13], lettre 748), fils de Frédéric iii, avait pris en 1670 la succession de son père sur le trône de Danemark et de Norvège. Le protestantisme luthérien était devenu religion d’État au Danemark en 1536.

2.

La Mecque, première ville sainte de l’Islam, était alors un chérifat d’Arabie placé sous la tutelle des Turcs depuis le début du xvie s. La Gazette a relaté ces événements.

3.

La Gazette (ordinaire du 17 octobre 1671, no 124, page 1004) n’annonce pas cette arrivée, mais dit seulement que :

« Les directeurs généraux de la Compagnie des Indes Occidentales ont eu avis que trois navires de ladite Compagnie sont arrivés depuis quelques jours : deux, nommés le Florissant et l’Harmonie, dans le port de Honfleur, et un autre appelé la Bergère, en celui de Dieppe, venant du Sénégal et du Cap Vert, en Afrique, chargés de cuirs, gomme, ivoire, plumes d’autruche, cire, poudre d’or, et ambre gris et noir, avec d’autres marchandises, estimées plus de cent mille écus ».

4.

V. note [7], lettre 600, pour Charles Colbert marquis de Croissy, frère cadet de Jean-Baptiste, le ministre, nommé président au parlement de Metz.

Son frère puîné, Nicolas Colbert (Reims 1628-Auxerre 1676), était évêque de Luçon depuis 1661 (celui qu’avait en son temps occupé Richelieu) et avait été promu au siège d’Auxerre le 16 juillet 1671 (Gallia Christiana). Il avait été nommé garde de la Bibliothèque royale en 1656 et conserva cette charge jusqu’à sa mort.

5.

Mme la Palatine était Anne de Gonzague de Clèves (v. note [10], lettre 533), épouse d’Édouard de Bavière, frère cadet de l’électeur palatin, Karl Ludwig, père de la prochaine Madame palatine (v. note [5], lettre 1005), Élisabeth-Charlotte, alors âgée de 19 ans.

6.

Psaumes (145:3) :

Nolite fidere in principes, et in filios hominum quibus non est salus.

[Ne mettez pas votre foi dans les princes, ni dans les fils des hommes, car en eux il n’y a point de salut].

Guy Patin espérait que ce remariage de Monsieur allait éteindre le ressentiment du prince contre Charles Patin, durement condamné pour avoir trahi la confiance de feu Madame, Henriette-Anne d’Angleterre (v. les Déboires de Carolus).

7.

Annonce de la naissance du sixième et dernier enfant du couple royal, Louis-François, duc d’Anjou (14 juin‑4 novembre 1672).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 23 octobre 1671

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1009

(Consulté le 26/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.