L. 1016.  >
À Charles Spon,
le 1er février 1672

Monsieur, [a][1]

Après vous avoir salué de toute mon affection, je vous dirai que je vous ai écrit le 23e d’octobre dernier pour vous prier de me renvoyer le paquet que vous avez à moi des œuvres de Thomas Erastus. [2] Hoc unum mihi satis erit si ad me revertantur[1] J’ai ici un homme en main qui me fait espérer d’en entreprendre l’édition quelque jour, si paulo meliora et mitiora nobis recurrant tempora[2] Pour le présent je ne m’en étonne point, dies enim mali sunt, et durissimi, quæque boni omnes experiuntur, per iniquitatem sæculi ; [3] on dit que c’est la Chambre de justice [3] qui en est cause. Pour le paquet de livres, vous prendrez et choisirez qui il vous plaira, savoir est le messager de Lyon, à qui on paiera le port, ou quelque libraire qui fît balle pour Paris ; en adressant le paquet à M. Jean Du Bray, marchand libraire, aux Espics meurs, rue Saint-Jacques[4][5] sans que j’y sois nommé en aucune façon. [4] Je pense que vous savez bien que M. le chancelier [6] est mort à Saint-Germain, [7] le jeudi 28e de janvier à neuf heures du soir, âgé de 84 ans, et près de 85 car il était du mois de mai. On parle de lui faire ici de grandes, pompeuses et précieuses funérailles qui coûteront, à ce que l’on dit déjà, plus de 60 000 écus ; sed hæc sunt vivorum solatia, non mortuorum subsidia[5] C’est en lui que les carabins qui sont sortis de la braguette du P. Ignace [8][9] ont fait la perte d’un grand patron et les jansénistes, [10] d’un grand et puissant persécuteur. Nous avons ici depuis peu de jours un ambassadeur d’Espagne, dit le comte de Molina. [11] Quid petat adhuc nescitur, sed hic fortiter agitur de bello in Batavos ; [6] et même, M. le prince de Condé [12] se dispose de partir bientôt pour commander une belle et grande armée en Allemagne. On dit que l’impératrice [13] est nouvellement accouchée d’un fils : voilà la Maison d’Autriche fortifiée d’une tête, modo superet atque perennet, nosti versiculum vulgarem : Bella gerant alii, tu, felix Austria, nube[7] Marie de Bourgogne [14] et Jeanne de Castille, [15] qui ont été deux riches héritières, ont heureusement enrichi des petits cadets de Frédéric iii[8][16] Plura mihi non suppetunt quæ scribam. Vale cum tuis, et me ama.

Tuus ex animo, Guido Patin[9]

1er février 1672.


a.

Ms BnF no 9357, fo 376, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon ». Au revers, de la main de Charles Spon : « 1672. Paris, 1er février. Lyon, 10 dudit, par M. Falconet. Risp. Adi 1er mars, ensemble le catalogue des livres d’Erastus. Par M. Falconet. »

1.

« Qu’ils me soient retournés est la seule chose qui me satisferait ». V. note [10], lettre 1011, pour le renvoi à Guy Patin des ouvrages de Thomas Lieber, dit Éraste.

2.

« si des temps un peu meilleurs et plus doux nous reviennent ». Rêvée par Guy Patin, une édition complète des œuvres d’Éraste ne vit jamais le jour.

3.

« ce sont en effet de mauvais jours, et extrêmement difficiles, tous les hommes de bien en ont fait quelque expérience, par l’injustice du siècle ».

4.

V. note [39], lettre 222, pour les Espics meurs [Épis mûrs], enseigne de la librairie de Jean Du Bray, rue Saint-Jacques à Paris. La bibliothèque de Guy Patin, son bien le plus adoré, était passée entièrement entre les mains de sa bru, Catherine Barré, veuve de Robert (v.  La bibliothèque de Guy Patin et sa dispersion). Tout ouvrage prêté qui était rendu à Patin, comme ses livres d’Erastus, était alors susceptible d’être immédiatement confisqué pour être remis à son abusif, mais légitime propriétaire.

5.

« mais ce sont des soulagements pour les vivants, et non des secours pour les morts ».

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome ii, page 624) :

« Le jeudi 28 janvier mourut à Saint-Germain, à sept heures du soir, M. Pierre Séguier, chancelier de France, après 39 ans de service dans cette charge, depuis le 10 février 1633, qu’il reçut les deux sceaux vacants par la disgrâce de M. de Châteauneuf ; et en 1635, il eut la dignité de chancelier de France par la mort de M. d’Aligre, décédé en sa terre de La Rivière. Depuis quelques années, ledit sieur Chancelier était fort déchu de la vigueur de son esprit, et sur la fin, il ne connaissait plus ceux qui l’abordaient et avait perdu la mémoire ; mais dans ses derniers jours, l’esprit lui était revenu entier, et il est mort avec beaucoup de piété et de connaissance. Sa famille avait reporté au roi les sceaux quelques jours auparavant. Le roi les avait reçus avec bien de l’honnêteté et avait dit qu’il ne les voulait garder qu’en dépôt, et pour les rendre à M. le Chancelier lorsqu’il serait revenu en santé. »

6.

« On ne sait ce qu’il cherchera encore à obtenir, mais il est ici fortement question de guerre contre les Hollandais ».

Le 24 janvier, le roi et la reine avaient accordé une audience au nouvel ambassadeur d’Espagne, Don Antonio Francisco Mesia de Tobar y Paz, comte de Molina. Né en 1617, il avait d’abord été page d’Isabelle de Bourbon, épouse du roi Philippe iv d’Espagne, puis veador (intendant) à Bruxelles ; devenu comte de Molina à la mort de son frère aîné en 1664, il avait été nommé la même année ambassadeur d’Espagne en Angleterre.

7.

« pourvu qu’elle prenne le dessus et dure, vous savez ce petit vers populaire : “ Que d’autres mènent les guerres, et marie-toi, heureuse Autriche ! ” » (v. note [4], lettre 869). Guy Patin saluait la naissance d’une princesse (et non d’un prince d’Empire), prénommée Maria Anna Antonie, qui mourut au berceau.

8.

Marie de Bourgogne (1457-1482, v. note [19], lettre 312), fille unique de Charles le Téméraire (v. note [5], lettre 869), était héritière de la Bourgogne, de la Franche-Comté et des Pays-Bas ; Jeanne de Castille, dite la Folle (1479-1555), fille du roi et de la reine catholiques, Ferdinand et Isabelle, l’était d’Aragon et de Castille.

Leurs unions successives avec les Habsbourg (v. notes [4], lettre 692, et [18][19] du Borboniana 8 manuscrit) assemblèrent l’immense empire dont hérita Charles Quint (1500-1558), arrière-petit-fils de l’empereur Frédéric iii dit le Pacifique (1415-1493, v. note [17] du Traité de la Conservation de santé, chapitre ii).

9.

« Je n’en ai pas plus à vous écrire. Vale, ainsi que les vôtres, et aimez-moi.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 1er février 1672

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(Consulté le 29/03/2024)

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