Je vous envoie un catalogue des fautes que j’ai trouvées en l’Histoire de M. de Thou, [2] qu’il faut tâcher de faire corriger en l’impression française qui se doit faire bientôt. [1]
Quand M. le président de Thou parle d’une certaine conspiration de Bayonne, [3] il en fait coupable un certain médecin nommé Blampignon et dit qu’il fut exécuté à mort ; ce qui est faux, vu que ce Blampignon, [4] natif de Troyes en Champagne, [5] est mort depuis cinq ans à Bayonne, âgé de plus de quatre-vingts ans et que de mémoire d’homme, il n’y a eu que lui de ce nom dans Bayonne. C’est en la page 238, en l’année 1592. [2]
Quand il parle des médecins qui visitèrent Marthe Brossier [6][7] qui prétendait être démoniaque, pour Jean Duret, [8] il y met Louis Duret [9] qui mourut dès l’an 1586. C’est en la page 869 de l’an 1599. [3]
Quand il parle du voyage de M. le président Miron [10] à Metz, [11] il se trompe, disant que le président Jeannin [12] y fut envoyé le premier ; ce que je sais du sieur président Miron. C’est en la page 1046 de l’an 1603, où il faut remarquer une autre faute, car ce premier voyage se fit l’an 1601, et le second voyage où fut pareillement le roi en 1603 pour l’affaire de Sobole, [13] que M. de Thou a confondu avec le premier, et n’en a fait qu’un de deux, qui doivent être décrits en divers temps. [4]
Quand il parle de Charpentier, [14] il nomme son compagnon Cruceius, duquel le propre surnom était Des Loges, fils d’un avocat de ce nom. C’est en la page 745 de l’année 1597, où il l’appelle aussi Iuvenis Bellovacensis, [5] quoiqu’il fût natif de Paris, rue Saint-Antoine, [15] paroisse de Saint-Paul, [16] ce que m’a raconté mon père [17] même qui en l’an 1586 était pensionnaire chez le père de ce Des Loges, lequel père était de Beauvais. [18]
Toutes les fois que M. de Thou parle de M. de Villers-Houdan, il l’appelle Louis de Monceaux, où il y a faute, d’autant qu’il s’appelait François et non Louis. C’est en la page 53, sous Henri iv. [6]
Sous Henri iii, partie i, page 210, lettre D, où il parle de la mort de P. Danesius, [19] il dit qu’il est mort dans le monastère des Bernardins, ce qui n’est pas car il mourut dans Saint-Germain-des-Prés [20] où il s’était retiré. [7]
Lib. 2 de Vita sua pag. 35, parlant des médecins qui traitèrent Monsieur son père [21] en la maladie dont il mourut, il en nomme mal trois de ceux-là, car il faut dire Antoine Du Val, Nicolas Le Grand, [22] et Simon Piètre. [8][23]
Vous pourrez donner avis de ces fautes à celui qui aura soin de l’impression, afin qu’on les corrige.
De Paris, le 4e de février 1672.
Lettres choisies de feu M. Guy Patin, docteur en médecine de la Faculté de Paris, et professeur au Collège royal, dans lesquelles sont contenues plusieurs particularités historiques sur la vie et la mort des savants de ce siècle, sur leurs écrits, et sur beaucoup d’autres choses curieuses depuis l’an 1645 jusques en 1672 (Rotterdam, Reinier Leers, 1689, in‑12), lettre cxcvii (pages 450‑452), à Monsieur G.D.M. Le contenu de la lettre n’aide pas à identifier ce probable docteur en médecine (D.M.) : s’il était lyonnais, ce pourrait être Pierre Garnier, Henri Gras étant mort en 1664.
Les trois premiers volumes de l’Histoire de Monsieur de Thou… (allant de 1505 à 1574), traduits Pierre Du Ryer (mort en 1658), avaient paru à Paris en 1659 (chez Augustin Courbé, v. note [9], lettre 441). Il devait alors être question de publier la suite, couvrant la période 1574-1607 (complétée par Nicolas Rigault pour la période 1607-1610, v. note [13], lettre 86), sur laquelle portaient toutes les remarques de Guy Patin dans cette curieuse dernière lettre imprimée qu’on ait de lui.
Ce projet n’aboutit pas dans l’immédiat : une version tout à fait complète de l’Histoire universelle de Jacques-Auguste de Thou, depuis 1543 jusques en 1607. Traduite sur l’édition latine de Londres par J.‑B. Le Mascrier, Ch. Lebeau, l’abbé Desfontaines… ne parut qu’en 1734 (Londres, sans nom, 16 volumes in‑4o, abondamment citée dans notre édition sous le nom de Thou b).
Dans ses annotations Patin se référait ici à l’édition latine des I.‑A. Thuani historiarum sui temporis… {a} qu’il avait en sa possession. Ses remarques ne sont pas passées inaperçues, puisqu’il est cité dans le titre de la dernière édition jamais publiée de l’ouvrage qu’il chérissait :
Histoire universelle de Jaques-Auguste de Thou, avec la suite par Nicolas Rigault, les mémoires de la vie de l’auteur, un recueil de pièces concernant sa personne et ses ouvrages, y comprises les notes et principales variantes, corrections et restitutions qui se trouvent dans les manuscrits de la Bibliothèque du roi de France, de Messieurs Dupuy, Rigault et de Sainte-Marthe. Le tout traduit sur la nouvelle édition latine de Londres, et augmenté de remarques historiques et critiques de Casaubon, de Duplessis Mornay, G. Laurent, Ch. de L’Écluse, Guy Patin, P. Bayle, J. Le Duchat, et autres… {b}
- Genève, 1620-1621, v. note [4], lettre 13.
- La Haye, Henri Scheurleer, ou Bâle, Jean-Louis Brandmuller, 1740 ou 1742, 11 volumes in‑4o.
Les notes qui suivent reprennent chacun des passages commentés par Patin.
is eum urbis medico Blancopineo nomine familiaritatem colebat, et interventu cuiusdam Hispani […] unaque cum medico publice capitali supplicio affectus est.
« La guerre ne se fit pas avec beaucoup de vigueur cette année dans la Guyenne. On découvrit au mois d’août une conspiration formée par le gouverneur de Fontarabie pour livrer aux Espagnols Bayonne, ville considérable sur la frontière. Ce gouverneur entretenait commerce avec un médecin de Bayonne nommé Blancpignon, {a} par le moyen d’un Espagnol qui demeurait depuis longtemps dans cette ville. Il offrit à cet homme avare de grandes sommes d’argent pour l’engager à commettre cette trahison. Ce détestable complot se découvrit par des lettres interceptées, où Blancpignon disait, en termes de médecine, qu’il était nécessaire de faire promptement une saignée abondante pour la guérison de la maladie dont il parlait. Le porteur de ces lettres ayant été saisi, avoua quelque chose de la conspiration, dont on tira le reste de la bouche du médecin et de l’Espagnol, qu’on avait arrêtés sur-le-champ et mis à la question. {b} […] Le médecin et lui {c} furent exécutés dans la place publique. »
- Sic pour Blampignon.
- V. seconde notule {d}, note [2] du Borboniana 10 manuscrit.
- L’Espagnol.
« M. de Thou a tiré ce fait ex Actis publicatis, des Mém. de la Ligue, tome v page 167 de l’édit. de 1598. Mais ces Mémoires l’auront trompé, si, comme l’a prétendu Guy Patin dans une lettre écrite en 1672, le médecin Blancpignon natif de Troyes en Champagne était mort à Bayonne depuis cinq ans seulement, âgé de plus de quatre-vingts ans, et que, de mémoire d’homme, il n’y avait eu que lui de ce nom dans Bayonne. Ce n’est pas qu’en 1592 il n’y ait eu à Bayonne un médecin d’exécuté au sujet de la conjuration dont parle ici M. de Thou, mais, selon Mézerai, il se nommait Rossius et non pas Blancpignon. Si l’on demande ce qui peut avoir trompé le compilateur des Mémoires de la Ligue sur le nom du médecin complice de la conjuration dont il s’agit, voici ma pensée là-dessus : le médecin Blancpignon, jeune encore, s’était apparemment fait catholique, ou à Troyes même, ou à Bayonne ; or, comme parmi les huguenots on ne savait qu’en gros qu’en 1592 un médecin de Bayonne y avait passé le pas pour conspiration, il est probable que celui qui a recueilli les Mémoires de la Ligue, bon huguenot, a supposé que ce médecin de Bayonne, traître à l’État, n’était autre que ce même Blancpignon qui avait déjà trahi sa conscience en changeant de religion. D’Aubigné tome iii livre 3 chapitre 24 parle de Jean Spondé, autre nouveau converti, lequel ayant tramé une nouvelle entreprise sur la même ville, se démêla de ses compagnons qui furent roués. Le Duchat. »
Henricus Gondius urbis episcopus partes suas interposuit, et ut negotium ordine procederet, Michaëlem Marescotum, Nicolaum Ellianum, Iohannem Altinum, Io. Riolanum, Ludovicum Duretum celeberrimos Academiæ Parisiensis medicos accersi iussit.
[Henri de Gondi, {a} évêque de la ville, intervint {b} et pour procéder dans les règles, il ordonna qu’on fît comparaître Michel i Marescot, {c} Nicolas Ellain, {d} Jean Haultin, {e} Jean i Riolan, {f} Louis Duret, {g} très célèbres médecins de la Faculté de Paris].
- Henri de Gondi (Paris 1572-Béziers 1622), évêque de Paris en 1598, cardinal en 1618, oncle de Jean-François-Paul, cardinal de Retz en 1652.
- Dans l’affaire de Marthe Brossier (v. note [104], lettre 37).
- V. note [14], lettre 98.
- V. note [10], lettre 467.
- V. note [19], lettre 181.
- V. note [9], lettre 22.
- V. note [4], lettre 11, père de Jean (v. note [3], lettre 149).
« Pour procéder dans les règles, il {a} fit venir cinq des plus célèbres médecins de l’Université de Paris, Michel Marescot, Nicolas Ellain, Jean Haultin, Jean Riolan, et Louis Duret. »
- Henri de Gondi
in eos severe admodum actum, nec servato iudiciario ordine, plerique crudeliter torti, ita ut Petro Ianino primum, dein Roberto Myrone eo missis vix tandem Rex violentiæ eorum coercuerit, res tandem ad Parisiensem Senatum remissa, qui de ea diligenter ac summa sollicitudine cognovit, et quamvis debiles admodum atque adeo suspectæ probationes essent.
« Raimond {a} les traita {b} avec beaucoup de rigueur et sans aucune forme de procès, en fit mettre plusieurs à la question {c} avec tant d’inhumanité que le roi y envoya d’abord le président Jeannin, {d} ensuite Robert Miron, {e} qui eurent beaucoup de peine à arrêter la violence des deux frères. {f} L’affaire ayant été renvoyée au Parlement, y fut examinée avec l’exactitude la plus rigoureuse ; et quoique les preuves fussent très faibles, et par conséquent très suspectes, la Cour, après avoir entendu les accusés, ayant jugé l’affaire trop importante pour les absoudre absolument, se contenta d’ordonner qu’il en serait plus amplement informé. »
- Raimond de Comminges, sieur de Sobole, gouverneur de Metz.
- Les bourgeois accusés de comploter avec ceux de Thionville et de Luxembourg.
- V. seconde notule {d}, note [2] du Borboniana 10 manuscrit.
- Pierre Jeannin, v. note [7], lettre 441.
- Robert i Miron (v. note [20], lettre 180).
- Sobole et son frère qui l’incitait à être sans pitié.
« M. de Thou confond ensemble deux affaires de Metz. Cette prétendue conjuration des principaux habitants de la ville, et intelligence avec le comte de Mansfeld, gouverneur de Luxembourg, fut découverte l’an 1601, et M. le président Miron y fut envoyé pour ce sujet. L’an 1603, la mauvaise intelligence continuant entre le sieur de Sobole et les habitants, le roi fut obligé d’y faire un voyage, où il ôta ledit sieur de Sobole, comme il est ici marqué. Dupuy ».
Passage du livre cxviii (édition 1620-1621, tome iv, Henri iv, 1597) :
Cruceius iuvenis Bellovacensis, qui in Belgio Henoticis operam navabat, in Samarobriga capienda cum seu comes furtivæ expeditionis sive ab initio ad conatum ordiendum explorator fuisset.
Édition 1740-1742 (tome ix, page 97) :
« Quelque temps après, on découvrit les projets et les intrigues du duc de Mercœur par des lettres qu’on intercepta, et on connut combien il était lié avec les ennemis de la France. Un jeune homme de Beauvais, nommé La Croix, dévoué à la Ligue et qui résidait dans la Flandre pour y soutenir les intérêts de son parti, avait eu quelque part à la surprise d’Amiens. » {a}
« Son vrai nom était Des Loges, mais pour se déguiser, il portait le nom de La Croix. Il n’était pas de Beauvais, mais son père était né dans cette ville. Guy Patin ».
Passage du livre xcviii (édition 1620-1621, tome iv, Henri iv, 1590) :
Ludovicum Mocellum Villarium Udencum.
« Le 10e de mars, il {a} arriva à Dammartin, et ce jour-là même le comte d’Egmond passa la rivière de l’Eure, qui, venant de Chartres, va couler au pied des murs de Dreux. De là le duc détacha Jean de Saulx vicomte de Tavannes, maréchal de camp, Louis de Montceaux de Villars-Houdan […] » {b}
- Le duc de Mayenne (v. note [6], lettre 455).
- La remarque de Guy Patin est intégralement donnée en note de bas de page.
Eodem tempore Petrus Danesius Lutetiæ Parisiorum natus in Bernardinorum ædib. Lutetiæ, ubi decrepitæ senectutis et ad munia publica iam inutilis nidum profuerat, debitum naturæ persolvit octogenario maior, peritissimus Græcæ linguæ, cuius Francisco i Rege proessor fuerat, postea erudiendæ Francisci ii Henrici ii F. {a} pueritiæ admotus.
- Filii.
« Dans ce même temps-là, Pierre Danès de Paris mourut à l’âge de plus de quatre-vingts ans au Collège des Bernardins où il avait choisi une retraite depuis que son extrême vieillesse l’avait rendu inutile à la société. Il savait parfaitement le grec, qu’il enseigna sous François ier. Il fut fait ensuite précepteur de François ii, fils de Henri ii. »
Passage du livre ii des Commentarium de vita sua libri vi [Six livres de commentaires sur sa vie] (sans lieu, 1621, page 35, année 1582, v. note [27] du Borboniana 10 manuscrit) :
Petrus Valla præstantissimus medicus, quem Thuanus quondam in Burgundia schola, uti supra dictum est, audiverat, cum Ioanne Magno, Iacobo Petræo, Leonardo Botallo, aliis, Christophoro ægroto et cum cadaver secaretur, astiterat, nam ut servaretur ita factum opportuit.
« Pierre Du Val fameux médecin, dont on a parlé au premier livre de ces mémoires, avait traité le premier président dans sa maladie, avec Jean le Grand, Jacques Piètre, Léonard Botal, et d’autres. Après sa mort il avait assisté à l’ouverture du corps, qu’il avait fallu faire pour l’embaumer. »
« Antoine Du Val, {a} fameux médecin que de Thou {b} avait un jour écouté au Collège de Bourgogne, comme on l’a dit précédemment, avait assisté Christophe {c} malade, avec Nicolas Le Grand, {d} Simon i Piètre, {e} Leonardo Botallo {f} et d’autres, et quand on avait dû lui ouvrir le corps pour le conserver. »
- Le catalogue des docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris, établi par Baron, ne contient pas d’Antoine Du Val ; on y trouve seulement un Jacques Duval, natif d’Évreux, licencié en 1544, et un Simon Du Val, natif de Rouen, licencié en 1550.
- Jacques-Auguste i de Thou, auteur des Histoires de mon temps.
- Le premier président Christophe de Thou, père de Jacques-Auguste (v. note [6], lettre 922).
- V. note [7], lettre 550.
- V. note [5], lettre 15.
- Botal, v. note [47], lettre 104.