L. 1026.  >
À Johann Caspar I Bauhin,
le 17 octobre 1650

Monsieur, [a][1]

La présente est pour vous assurer de mon très humble service, et vous prier de m’excuser si je ne vous ai fait réponse à celle que me fîtes l’honneur de m’écrire le 13e de juin dernier. Ce n’a point été faute de bonne volonté, ni par gloire, ni par vanité, mais seulement faute de loisir, comme monsieur votre fils [2] peut bien vous en rendre certain et fidèle témoignage. Il me fait l’honneur de me venir voir quelquefois et prends grand contentement de l’entretien, tant je le trouve sage et discret. Il sait déjà beaucoup et est si curieux d’apprendre que je ne saurais manquer de vous assurer qu’il sera bientôt un des plus savants hommes de l’Europe s’il continue comme je sais qu’il fera, si ejus indolem bene novi ; [1] mais encore faut-il y mettre quelque petit ordre, modum aliquem adhiberet necesse est[2] Il est fort studieux et fort capable pour son âge ; il m’emprunte divers livres qui sont tout bons, et reconnais bien par son entretien qu’il en profite. Je l’ai exhorté d’y aller tout doucement, et habeat honorem corpori suo, ex præcepto Paulino[3][3] Je vous prie de l’en avertir et surtout, qu’il dorme hardiment huit heures pour le moins ; ce qui lui restera de la journée lui suffira pour son fait, vu principalement qu’il est sage et qu’il sait bien employer son temps. Nous n’avons rien de nouveau de deçà que je vous puisse mander, hormis la guerre, qui n’y est pas nouvelle ; non plus que tous les malheurs qu’elle y attire. Il ne s’imprime ici aucun livre de médecine, mais seulement des romans, et Monachalia quædam[4][4] Je ne m’attends point d’y voir de changement si Dieu ne nous donne la paix, laquelle est fort désirée de tous les gens de bien, mais que nous ne devons, avec apparence, espérer qu’après la majorité du roi, qui ne peut être que dans un an. [5][5] Interea vero justi multi patientur[6] Nous avons ici nouvelles que le grand M. de Saumaise est arrivé en Suède, où il a été reçu avec de grands honneurs par la reine, quæ viros eruditos magnifacit[7][6][7] Je vous supplie de me conserver en vos bonnes grâces et de croire que je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 17e d’octobre 1650.

Je vous prie de présenter mes très humbles baisemains à M. Platter, [8] votre collègue, mon ancien ami, et à M. Chenaure le marchand. [8][9]


a.

Universitätsbibliothek Basel, cote Handschriften. SIGN.: G2 I 9:Bl. 68 (v. note [a], lettre 1020) : autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite « À Monsieur/ Monsieur [Johann Caspar i] Bauhin,/ Docteur et Professeur/ en Médecine,/ À Bâle » ; avec annotation au-dessous de l’adresse, dans le coin de la feuille, « Monsieur Patin/ Resp. octob. 30 » [Ai répondu le 30 octobre (calendrier julien ou « ancien style »)/ 9 novembre (calendrier grégorien ou « nouveau style », v. note [12], lettre 440)].

1.

« si j’ai bien discerné son talent ».

2.

« il est nécessaire qu’il acquière quelque modération. »

3.

« et qu’il rende honneur à son propre corps, suivant le précepte de Paul. » Guy Patin renvoyait sans doute à ce propos de saint Paul contre les rites de mortification (Épître aux Colossiens, 2:23) :

Quæ sunt rationem quidem habentia sapientiæ in superstitione et humilitate et ad non parcendum corpori non in honore aliquo ad saturitatem carnis.

[Ces sortes de règles peuvent certes faire figure de sagesse par leur affectation de zèle religieux et d’humilité ; mais ne sont pas à tenir pour honorables car elles ne ménagent pas le corps, et ne font qu’épuiser la chair]. {a}


  1. Traduction non canonique, adaptée au contexte.

4.

« et quelques ouvrages de la moinaille. »

5.

La majorité du roi serait fêtée le 6 septembre 1651, le lendemain de son treizième anniversaire ; mais au fond, contrairement à ce qu’en espérait Guy Patin, elle attisa plutôt qu’elle n’apaisa les feux de la Fronde.

6.

« Mais en attendant, beaucoup de justes souffriront » : v. note [44], lettre 176.

7.

« qui fait grand cas des savants hommes. »

8.

Dans ses lettres latines échangées avec ceux de Bâle, Guy Patin a quelquefois mentionné ce M. Chenaure (prénom inconnu), marchand en cette ville, qui venait fréquemment à Paris pour affaires. Dans sa lettre latine du 10 novembre 1666 (v. sa note [2]), Guy Patin a dit à Johann Caspar Fausius que M. Chenaure était le beau-père du médecin bâlois Johannes Rodolphus Burcardus.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Caspar I Bauhin, le 17 octobre 1650

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(Consulté le 19/04/2024)

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