L. 1032.  >
À Christiaen Utenbogard,
le 24 octobre 1668

Monsieur mon très cher ami, [a][1]

Je vous salue de tout mon cœur et de toutes les forces de mon âme. Vous trouverez ici une lettre latine que je vous avais écrite ante plures menses[1] laquelle m’a été rendue depuis 8 jours par celui même à qui je l’avais baillée et qui vous la devait délivrer lui-même en passant à Utrecht, où il m’avait promis d’aller tout exprès pour avoir l’honneur de vous voir. Une maladie qui le surprit à Rouen dès le mois de juin l’empêcha de passer outre. Ideoque nec transfretavit, nec Te salutavit, quam tamen grato animo accipias enixe rogo[2] Je sais bien que vous avez été voir mon C. [2] à Heidelberg et à Francfort ; [3][3][4] je vous en remercie de toute mon affection, c’est une marque toute particulière de votre bienveillance. M. Rompf, frère du médecin de La Haye, qui est ici secrétaire de votre ambassadeur, [4][5][6] s’est chargé de vous faire tenir un beau livre dont je vous fais présent, qui est un bel ouvrage Physiologicum et Pathologicum Casp. Hofmanni, Viri clarissimi[5][7][8] que j’ai fait imprimer à Lyon, n’ayant pu en venir à bout à Paris, adeo magna est, ne dicam pudenda et infamis, nostrorum socordia[6] Je vous supplie de l’accepter d’aussi bon cœur que je vous le présente. J’espère que vous trouverez là-dedans de fort bonnes choses, principalement dans la Pathologie, in distinctione causarum morbificarum[7] Nous avons ici pour nouvelle que M. Colbert, qui est le Tapanta Iovis nostri[8][9] a fait mener par le prévôt de l’île, [10] dans la Bastille, [11] un de ses principaux commis, nommé M. Deschiens, [12] auquel on fait le procès pour quelques malversations dont il est accusé. Je vois bien ici des gens qui ont mauvaise opinion de l’événement de cette affaire, et qui metuunt sed fortiter pro incarcerato[9] C’est une dangereuse chose que le maniement des finances si la pureté n’y est tout entière, des mains et de l’esprit ; et même quand cela se rencontre, elles sont encore dangereuses. Vale, Vir Cl., et me ama. Parisiis, 24. Oct. 1668.

Tuus ex animo, Guido Patin[10]

Celui qui vous rendra la présente est un fort honnête homme nommé M. Tronchin, natif de Genève, qui a désiré de s’en charger et de vous saluer en passant à Utrecht, avant que de se rendre à Franeker, où il est professeur. [11][13][14]


a.

Original autographe conservé par l’Universiteit Leiden Bibliotheken (v. note [a], lettre 680) : « À Monsieur/ M. Christian Utenbogard,/ Docteur en Médecine,/ À Utrecht », sans annotation du destinataire.

1.

« voilà plusieurs mois » : lettre latine du 6 juin 1668.

2.

« Il n’a donc pas accompli la traversée {a} et ne vous a pas salué. Je vous prie pourtant instamment de faire bon accueil à cette lettre. »


  1. Par mer, de Rouen en Hollande, sans pouvoir identifier le porteur de cette lettre latine qui revint à son expéditeur.

3.

« C. » est Charles Patin, dont son père ne voulait pas écrire entièrement le nom, de peur que sa lettre ne tombât entre les mains de la police, lancée sur les traces du fuyard.

V. les lettres à André Falconet du 13 septembre 1668, du 26 avril 1669, etc. pour d’autres mentions de la pérégrination de Charles en Allemagne et dans les pays voisins (détaillée dans son Autobiographie, v. ses notes [32][50]). Près de 500 kilomètres séparent Utrecht de Francfort et Heidelberg.

4.

Petrus Augustinus Rompf a correspondu avec Guy Patin. Il était le frère aîné de Christiaen Constantijn, alors secrétaire de l’ambassade des Provinces-Unies à Paris (v. note [2], lettre 827).

5.

« physiologique et pathologique du très distingué Caspar Hofmann » : v. note [1], lettre 929, pour les Chrestomathies (Apologiæ pro Galeno libri tres… [Trois livres d’Apologie pour Galien…]) dont Guy Patin avait acquis le manuscrit en 1649, et dont il avait fini par obtenir l’impression à Lyon en 1668, après de tenaces et patients efforts.

6.

« tant la fainéantise de ceux d’ici est grande, pour ne pas dire honteuse et infâme. »

7.

« dans la distinction des causes morbifiques. »

8.
« le factotum de notre Jupiter ». Notre Jupiter était Louis xiv ; v. note [4], lettre 149, pour tapanta (que Guy Patin a ici orthographié tapanda). Guy Patin tenait Colbert pour le principal responsable de l’arrestation de son Carolus.

9.

« et qui craignent très grandement pour ce prisonnier. » V. note [3], lettre 946, pour Pierre Deschiens, principal commis de Colbert, et l’issue clémente de son procès.

10.

« Portez-vous bien, excellent homme, et aimez-moi. De Paris, le 24 octobre 1668.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin. »

11.

Franeker, en Frise, était le siège de la seconde plus grande université des Pays-Bas. Créée en 1585, on y enseignait la théologie, le droit, la médecine, la philosophie, les mathématiques et la physique.

Membre d’une célèbre famille genevoise, Jean-Antoine Tronchin (mort en 1688), était professeur de langue française à Franeker ; il a publié quelques livres dont :

C’est sur la demande insistante de Tronchin que Guy Patin lui a remis sa lettre latine du même jour que celle-ci à l’intention de Philippus Mathhæus, professeur de médecine à Franeker.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Christiaen Utenbogard, le 24 octobre 1668

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1032

(Consulté le 18/04/2024)

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