L. 1033.  >
À Hugues II de Salins,
les 25 et 31 janvier 1656

Monsieur, [a][1]

Pour réponse à la vôtre datée du 14 décembre, laquelle je n’ai reçue qu’un mois après, je vous dirai que nullum est in natura præsidium ad promovendam variolarum eruptionem ipsa phlebotomia nobilius, præsentius atque præstantius ; [1][2] et même encore après, si febris, dyspnœa, aut aliquid symptoma remaneat ab ipsa eruptione[2] Ce jeune malade qui est si heureusement réchappé de la petite vérole, après tant de saignées, s’appelle M. Daustri, fils d’un lieutenant général à Rodez en Rouergue ; il sera dans deux ans conseiller de la Cour.

Votre M. de La Curne [3] a grand tort de n’avoir point parlé à moi, étant ici, avant que d’aller aux eaux ; [4] il est trop mélancolique, et de la race de cet heautontimoroumenos de Plaute : seipsum excruciat atque conficit[3][5] Je ne suis pas marri qu’il ait pris un autre médecin que moi, car il a pris un très habile homme ; mais étant si éloigné de moi comme il est, je ne le puis guère secourir. J’ai reçu sa lettre, mais je ne lui écris point, faute de loisir. Je vous prie de lui en faire mes excuses et mes recommandations[4]

C’est Pline qui a donné le nom de stomacace et de scélotyrbe au scorbut : voyez son Hist. nat. lib. 25. cap. 3[5][6][7][8] Hipp. ejusmodi morbum agnovit sub magnis lienibus[6][9] Mais je ne vous en puis tant dire que vous en trouverez dans la Pratique de Sennertus, tomus 3[7][10] prenez la peine de le lire. En fait de crises, nous comptons les jours entiers depuis les 7 heures du matin dimanche jusqu’aux 7 heures du lundi, et ainsi de suite. Vide Laurentium de Crisibus[8][11] Quand le médicament est en bol, il faut prendre un bouillon simple ou laxatif un quart d’heure après, afin de le délayer et ut facilius deducatur in actum ; [9] mais quand le remède est liquide, melius est non bibere, ne forsan impediatur actio medicamenti, et avocetur natura, nisi urgente admodum siti ; sed assumpto cathartico qualecumque fuerit, statim licet superdormire, quidquid de ea re garriat et fabuletur pharmacopolorum vulgus[10][12][13] Voyez les Erreurs populaires de Joubert là-dessus : [11][14] ce livre est tout bon et fort gentil. Dans Pline, tout y est bon, ô le bel auteur ! mais surtout le 2e, le 7e, le 17e, le 26e, 27e, 28e, 29e, 30e, 35e et 37e, et tout ce qu’il y a de la médecine, çà et là. Il est un des quatre auteurs qui peuvent composer une bibliothèque : Aristote, Plutarque, Pline et Sénèque ; [15][16][17] si vous y ajoutez Cicéron et Tacite, [18][19] vous y tiendrez presque toute la science de l’Antiquité.

Vina quo vetustiora, eo sunt robustiora : [12][20] cela est faux ; in vino novo calor est acrior atque validior ; [13][21] il a plus de vapeur, il s’étend et s’épand plus aisément ; quum desinit esse novum, habet acriorem calorem, in gradu intensivo[14] mais cela ne dure guère. La force du vin dépend du terroir, a solo et sole[15] et de la façon qu’on lui a donnée. Les urines des malades qu’on apporte aux médecins nil faciunt ad morbi dignotionem : [16][22] c’est un abus tout pur ; de fallaci et incerto urinarum judicio multi scripserunt, inter quos unus excellit Forestus ; [17][23] lisez le divin Fernel, de urinis, lib 3. Pathol., [18][24] il y en a là plus qu’il ne vous en faut. Il ne faut point juger des urines qu’elles n’aient reposé pour le moins deux heures ; et alia singula ex Fernelio repetenda ; [19] mais chez tous les malades, il faut toujours demander à les voir, quand ce ne serait que pour voir si elles passent bien, et si elles répondent en quantité au breuvage qu’ils ont pris. Syntaxis Medicinæ Iac. Veckeri [20][25] n’est pas assez bon pour mériter l’emploi de votre temps, lisez-en de meilleurs. Je vous envoie les deux thèses de mon deuxième fils, [21][26] et les 2e et 3e réponses de M. Guillemeau à Courtaud de Montpellier, qui en a la gueule cassée et qui ne jappe plus. [22][27][28] Quand votre chirurgien viendra céans, je lui délivrerai tout cela, et un petit écrit de M. Merlet contra stibium, avec son livre et celui de M. Perreau contre l’antimoine. [23][29][30][31] Aracanum Regis non licet scrutari [24] est infailliblement de la Bible ; si rimeris frustra erit [25][32] vaut tout autant que ces mots de Tacite en parlant du secret du cabinet des princes : nec ideo assequare. Ce passage de Tacite est dans le 6e de ses Annales, dans la harangue que fait M. Terentius, par laquelle il se défend d’avoir autrefois été l’ami de Séjan : Arduos principis sensus, et si quid occultius parat, exquirere illicitum, anceps : nec ideo assequare[26][33][34][35] Tacite est un auteur plein d’esprit et de finesses ; vous n’emploierez jamais mal votre temps à le lire, il est bon à tout le monde, nec legisse pœnitebit[27] Tâchez pourtant de ne le lire qu’en latin, qui n’est pas toujours fort bon, mais on parlait ainsi de son temps à Rome. Balzac l’a appelé l’original des finesses modernes ; [36] le feu cardinal de Richelieu s’en est heureusement servi. [28][37] Tacite est un excellent livre pour un courtisan, à faire fortune ; mais dangereux pour un roi, de peur que de cette lecture il ne devienne tyran. [29] Ce qu’a fait Gilb. Jacchæus est bon, mais cela est bien court. [30][38]

Je baise les mains à mademoiselle votre femme, à Messieurs vos père et frère. [39][40][41] Le roi, la reine et toute la cour sont ici. [42][43] Le duc de Modène s’en retourne en son pays chargé de deux millions, après avoir fait ici grande chère. [31][44] On dit que nous ferons l’été prochain grosse guerre en Italie. Le prince de Conti est en Languedoc, avec sa femme grosse ; [45][46] il ne veut pas retourner en Catalogne. La reine de Suède est accouchée d’un garçon vivant, et la reine d’Espagne, d’une fille morte. [32][47][48][49] La reine Christine [50] est à Rome, entre les mains du pape, des Espagnols et des jésuites : ô les bonnes gens ! Le roi d’Angleterre est à Cologne, où il a fait donner un coup de mousquet dans la tête à un grand seigneur anglais qui était près de lui et qui le trompait, en tant qu’espion de Cromwell. [33][51][52] On parle ici d’un nouvel édit des monnaies que le roi veut faire, qui fait peur à bien du monde. [34][53] On envoie force troupes du côté d’Italie. Le roi de Suède est toujours fort puissant dans la Pologne et se prépare pour entrer en Allemagne le printemps prochain ; ce que l’empereur se dispose d’empêcher. [54][55] Le mois d’octobre dernier, nous avons en une même semaine perdu deux de nos compagnons, savoir MM. Des François et Chasles ; [56][57] comme M. Gassendi. [58] On imprime un bel Hippocrate de Foesius à Genève ; on imprime aussi à Lyon, en 2 vol. in fol., le Ciaconius de vitis Pontificum[35][59][60][61] Le bonhomme M. Riolan vivit et valet ; et aliquid semper meditatur quantum licet per valetudinem[36][62]

Le duc de Modène partit hier d’ici pour s’en retourner en Italie. On dit que le prince Thomas est mort à Turin, [63] de quo nuntio pauci dolebunt : nec uxor, nec soror, neque Rex noster. Vale cum tua, atque tuis, et me quod facis, amare perge[37] Je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce mardi 25e de janvier 1656. [38]

J’attends toujours que votre chirurgien vienne quérir la présente ; et en attendant qu’il viendra, je vous dirai que le Parlement ayant voulu parler touchant un nouvel édit des monnaies, qui fait ici trembler tout le monde, on a exilé cinq conseillers fort honnêtes gens, savoir MM. Gaudart de Petit-Marais, Le Cocq de Corbeville, Machault, de Pontcarré et de Villemontée. [39][64][65][66][67][68]

On a imprimé en Hollande un petit in‑4o en latin intitulé Calvidii Læti Callipædia, seu de pulchræ prolis habendæ ratione. Il y a là-dedans plusieurs mots âcres et piquants contre le Mazarin ; cela a été découvert et porté jusqu’à lui ; l’auteur en a été recherché : c’est un nommé M. Quillet, [69] secrétaire ou intendant du maréchal d’Estrée ; lequel s’est sauvé en Hollande. On dit que son maître fera sa paix, et adhuc sub judice lis est. Melius ei fuisset di nil scripsisset. Nocuit semperque nocebit Signatum præsente nota producere nomen[40][70] Il est vrai que son nom n’y était point, mais il s’en est vanté à plusieurs trop imprudemment.

Les médecins de Turin pensaient faire un grand coup de donner de leur vin émétique à M. le prince Thomas, qui est mort le lendemain. Le Gazetier même s’est vanté que l’antimoine l’avait guéri, combien qu’il en soit mort ; [41][71][72] mais il est guéri à la mode de Paracelse, [73] la maladie s’en est allée et le malade est mort ; et vous voyez par là combien l’antimoine préparé est bon aux princes. Je voudrais qu’il eût coupé la gorge au dernier de ceux qui sont cause de tous nos malheurs publics et particuliers : j’entends Cromwell, le Grand Turc, [74] le général des jésuites, [75] le roi d’Espagne, [76] et autres brouillons de nature humaine.

Je baise les mains à mademoiselle votre femme, à monsieur votre père, monsieur votre frère, et singulis illis qui rebus nostris favent. Vale[42]

De Paris, ce mardi dernier jour de janvier 1656. [43]

Je ne pensais pas que votre M. de La Curne fût du genre de ceux qui veulent être trompés ; mais néanmoins il est mélancolique ; parent de ceux dont a fait mention Aristote, 7. Ethicor., cap. ult. Qui sunt natura melancholici, semper appetunt medicationes, quia eorum corpus intemperatum semper irritatur et quasi mordetur ad alia et alia, et quæ irritati appetunt, illud vehementer appetunt[44][77][78] Retenez ce beau passage, il est admirable et vous servira souvent, au rencontre de tels animaux.


a.

Manuscrit autographe dont Mme Elma Brenner, bibliothécaire à la Wellcome Library de Londres, nous a aimablement communiqué une copie (non disponible en ligne), grâce au zèle inépuisable de M. Guy Cobolet, directeur de la BIU Santé. Conservée sous la cote ms. 7384/3, elle est adressée « À Monsieur/ Monsieur [Hugues ii] de Salins le puîné,/ docteur en médecine,/ À Beaune », avec cette annotation dans le coin supérieur gauche de la feuille : « Des 25. et dernier/ Janvier 1656 ».

1.

« pour favoriser l’éruption de la variole, il n’y a dans la nature aucun remède qui soit plus réputé, efficace et éminent que la phlébotomie ».

2.

« si, à distance de l’éruption, il subsite une fièvre, une dyspnée [gêne respiratoire] ou quelque autre symptôme. »

3.

« il se torture et s’accable lui-même ». V. note [1], lettre 56, pour l’Héautontimorouménos [Le Bourreau de soi-même], pièce latine de Térence (et non de Plaute).

4.

Après avoir été soigné à Paris par Guy Patin (v. lettre du 13 juillet 1655 à Hugues ii de Salins), l’avocat Edme de La Curne s’en était retourné dans son pays de Beaune. Patin nous laisse deviner qu’il s’y était choisi de Salins pour médecin traitant.

5.

Sur le scorbut, Guy Patin voulait citer le chapitre vi (et non iii) du livre xxv de l’Histoire naturelle de Pline (Littré Pli, volume 2, page 168), qui en procure une description (partielle mais exacte) et un remède végétal :

In Germania trans Rhenum castris a Germanico Cæsare promotis, maritimo tractu fons erat aquæ dulcis solus, qua pota intra biennium dentes deciderent, compagesque in genibus solverentur. Stomacacen medici vocabant, et sceletyrben, ea mala. Reperta auxilio est herba, quæ vocatur Britannica, non nervis modo et oris malis salutaris, sed contra anginas quoque, et contra serprentes.

« En Germanie, Germanicus César {a} avait porté son camp au delà du Rhin ; et là, dans la partie maritime, il ne se trouvait qu’une seule source d’eau douce. En deux ans, l’usage de cette eau fit tomber les dents et causa un relâchement de l’articulation du genou. Les médecins donnaient à ces affections les noms de stomacace et de scélotyrbe. {b} On en trouva le remède dans la plante appelée Britannica, {c} qui est bonne non seulement pour les maladies des nerfs et de la bouche, mais aussi pour les angines et les morsures des serpents. »


  1. Caius Julius Cæsar (15 av. J.‑C.-19 apr. J.‑C.), dit Germanicus pour ses victoires contre les Germains, était l’héritier présomptif de l’empereur Tibère, mais mourut avant lui. Époux d’Agrippine l’Aînée, Germanicus fut père de l’empereur Caligula.

  2. V. note [5], lettre 427, pour la stomacace (mal de bouche) et le scélotyrbe (mal de jambe) qui sont des symptômes caractéristiques du scorbut.

  3. Rumex aquaticus (pour Littré), grande parelle ou patience aquatique ; inula Britannica (pour Lamarck), inule britannique ou inule des fleuves.

6.

« Hippocrate a reconnu cette maladie parmi les grandes affections de la rate » : v. note [5], lettre 427, pour la description qu’Hippocrate a donnée du scorbut au livre vii des Épidémies.

7.

V. note [6], lettre 427, pour Daniel Sennert sur « les noms et la nature du scorbut ».

8.

André i Du Laurens {a} a écrit trois livres « Des Crises », {b} publiés pour la première fois à Francfort en 1596. On les trouve en français dans la seconde partie, pages 1‑90 des :

Œuvres de Me André Du Laurens, sieur de Ferrières, conseiller et premier Médecin du Très-Chrétien Roi de France et de Navarre, Henri le Grand, et son Chancelier en l’Université de Montpellier. Traduites de latin en français par Me Théophile Gelée, Médecin ordinaire de la ville de Dieppe {c}. Revues, corrigées et augmentées en cette dernière édition ; par G. Sauvageon, {d} D.M. Agrégé au Collège des Médecins de Lyon. {e}


  1. Mort en 1609, v. note [3], lettre 13.

  2. V. note [3], lettre 228.

  3. V. note [1], lettre latine 341.

  4. Guillaume Sauvageon, v. note [2], lettre 36.

  5. Paris, Pierre Billaine, 1639, in‑fo ; première édition à Rouen, 1613, v. note [8] de Guy Patin éditeur des Opera omnia de Du Laurens en 1628.

9.

« et de faciliter son action ». Le bol était la forme solide d’un médicament, comprimé sous forme de cachet.

10.

« sauf en cas de soif pressante, il est préférable de ne pas boire après, pour éviter d’empêcher l’action du médicament et d’en détourner la nature ; mais quand le malade a pris un cathartique, quel qu’il soit, il est autorisé de se rendormir aussitôt, quoi que dégoise et raconte le commun des apothicaires sur ce sujet. »

11.

V. note [8], lettre 137, pour Laurent Joubert et ses Erreurs populaires au fait de la médecine et régime de santé (Rouen, 1601). Guy Patin renvoyait au chapitre xvii de la 2e partie (pages 77‑87) :

Comment il se faut gouverner le jour qu’on prend médecine : si on peut dormir après ; de l’heure du bouillon laxatif ; des repas qui conviennent à ce jour-là ; et pourquoi on ne doit sortir de la chambre.

12.

« Les vins sont d’autant plus forts qu’ils sont vieux ».

13.

« dans le vin nouveau, la chaleur est plus âcre et plus robuste ».

14.

« quand le vin cesse d’être nouveau, il prend une chaleur plus âcre, à vitesse soutenue ».

15.

« par le sol et l’ensoleillement ».

16.

« ne contribuent en rien au diagnostic de la maladie ».

17.

« De nombreux auteurs ont écrit sur le jugement trompeur et incertain qu’on tire des urines, mais Forestus est le seul à y avoir excellé » :

De incerto, fallaci, Urinarum Iudicio, quo uromantes, ad perniciem multorum ægrotantium, utuntur : et qualia illi sint observanda, tum præstanda, qui recte de Urinis sic iudicaturus, Libri tres, per Dialogismum contra Uroscopos empiricos concinnati : D. Petro Foresto Alcmariano, Medico, Auctore.

[Trois livres sur le Jugement trompeur et incertain que les uromanciens {a} utilisent pour le malheur de nombreux malades, et sur ce que devraient observer et garantir celui qui fondera ainsi son jugement. M. Petrus Forestus, {b} médecin natif d’Alkmaar, les a conçus sous forme de dialogues contre les uroscopistes empiriques]. {c}


  1. L’uromancie était l’art prétendu de deviner les maladies par l’inspection des urines (uroscopie). Les uromanciens étaient aussi appelés mireurs d’urine.

  2. Peter Van Foreest, v. note [13], lettre 401. Éloy dit de son livre qu’il « prouve très bien qu’il est impossible de connaître les maladies, leurs causes et leurs suites, par la seule inspection de l’urine ; parce que la variété des causes morbifiques capables de produire le même mal et le changement de l’urine dans le cours de la même maladie rendent ce jugement incertain. » On dirait aujourd’hui que l’uroscopie manque de spécificité et de sensibilité.

  3. Leyde, Librairie Plantin Franciscus Raphelengius, 1589, in‑4o de 316 pages.

18.

Jean Fernel a consacré les chapitres viii à xviii du 3e livre de sa Pathologie à l’examen des urines. Le dernier est intitulé Exercitation (Essai) du jugement des urines. Fernel mirait lui-même beaucoup les urines et loin de condamner l’uroscopie, il invitait là simplement à en éviter les abus et à ne l’utiliser que comme un signe qu’il convient d’intégrer à l’examen soigneux et complet du patient, en s’abstenant d’abuser sa confiance (pages 211‑214, traduction en français de 1655) :

« Or d’autant que c’est maintenant une coutume que plusieurs se mêlent de deviner beaucoup de choses touchant l’état du malade absent, à la seule vue de l’urine, celui qui voudra s’étudier à faire de même à dessein d’en acquérir de la louange doit en premier faire un recueil de tout ce qu’il aura remarqué dans l’urine ; car l’esprit des simples s’empêtre facilement dans l’ambage des paroles. […] Or le vulgaire ignorant compte d’ordinaire pour parties du corps seulement celles-ci : savoir est la tête, le côté depuis le bout de l’épaule jusqu’à la cuisse, l’estomac depuis les clavicules jusqu’au nombril, le ventre, le dos, les bras et les jambes. Lors donc qu’on aura reconnu quelle partie c’est qui fait mal (car la douleur, comme grandement importune et incommode, est d’abord connue de tous), on racontera tous les symptômes qui sont survenus à cette partie puis aussitôt, on ordonnera prudemment les remèdes convenables. Celui {a} ne remportera qu’un profit incertain et le plus souvent fort douteux, qui essaiera de faire deviner les médecins, comme s’ils étaient des prophètes ; mais celui qui consulte prudemment et fidèlement, remportera le fruit d’un bon conseil. »


  1. Le malade.

19.

« et il faut reprendre tout ce qu’a préconisé Fernel » ; renvoi aux méticuleuses prescriptions de Fernel dans le chapitre ix, 3e livre de sa Pathologie, intitulé Ce qu’il faut observer avant que juger des urines (traduction en français de 1655) :

« Il faut prendre l’urine que l’on a rendue la première après le sommeil, la digestion des viandes étant entièrement achevée ; et la réserver toute, parce qu’une partie d’icelles ne pourrait pas bien exprimer toutes les marques. Que l’urinal soit clair et transparent, tel qu’est le verre ; qu’il soit longuet, à ce qu’il ne représente point l’hypostase {a} divisée ; et soit assez grand pour tenir toute l’urine. < Que > ce vaisseau soit tenu couvert hors du soleil, du froid et du vent, afin que l’urine ne se trouble ou s’épaississe ; l’urine soit ainsi laissée reposer sans agitation, jusqu’à temps qu’elle soit peu à peu refroidie. Il ne la faut pas néanmoins garder plus de six heures, de peur qu’elle ne vienne à se corrompre. Si d’aventure elle s’est épaissie ou troublée par le froid ou de soi-même, il la faut doucement faire dissoudre auprès du feu, mais sans l’agiter, crainte que l’hypostase ne se dissipe ; laquelle toutefois souffre bien le feu qui d’ordinaire, ne l’exténue ni liquéfie. […]

Pour considérer l’urine, il faut être en lieu qui ne soit ni obscur ni trop clair, où les rais du soleil ne donnent point, et que le jour donne plutôt au-dessus de l’urinal, que par le côté. […]

Il faut donc que l’urine, pour bien servir à l’indication des maladies, ne soit brouillée d’aucun mélange de choses externes, et soit entièrement exempte de leurs qualités. Voire même s’il y a quelque ulcère ou abcès aux reins, ou en la vessie, ou aux uretères, ou bien au conduit des parties honteuses, {b} l’urine en deviendra plus épaisse et plus trouble, et de couleur blanche, s’il y a du pus parmi ; {c} mais si elle est mêlée de sang, elle sera rouge. Il s’y retrouve aussi souventes fois du sable ou quelques filaments. Et ces vices des reins et de la vessie causent souvent en l’urine un notable changement. Quant à celle qui n’est imbue d’aucune qualité des choses externes, ni entachée d’aucune infection des reins ou de la vessie, elle démontre plus assurément quelles sont les affections des veines et du reste du corps. Il faut donc bien prendre garde que les choses externes ou les reins ne vous trompent. » {d}


  1. Le sédiment.

  2. L’urètre.

  3. Au milieu.

  4. Nulle part le grand Fernel ne recommande de goûter les urines : v. notule {h}, note [27] de Diafoirus et sa thèse.

20.

Medicinæ utriusque syntaxes, ex Græcorum, Latinorum, Arabumque thesauris per Io. Iacobum Vveckerum Bas. Reipublicæ Colmariensis Physicum, singulari fide, methodo ac industria collectæ et concinnatæ. Accessit index locupletiss.,

[Tableaux synoptiques des deux médecines {a} tirées des recueils des Grecs, des Latins et des Arabes, préparées avec particulière fidélité, méthode et application, par Io. Iacobus Weckerus, natif de Bâle, médecin de la République de Colmar. {b} Avec un très riche index]. {c}


  1. Ancienne, hippocrato-galénique, et moderne, paracelsiste.

  2. Johann Jakob Wecker (1528-1586). Colmar, en Haute-Alsace, fut ville impériale jusqu’à son intégration au royaume de France lors de la paix de Westphalie (1648).

  3. Bâle, Sebastianus Hericpetri, 1601, in‑fo de 752 pages ; entièrement présenté sous la forme de tableaux synoptiques parfaitement indigestes ; première édition en 1562.

21.

V. note [1], lettre 393, et [7], lettre 396, pour les deux thèses quodlibétaires (An actio a forma ? [L’action vient-elle de la forme ?] et An pestilenti febri sudorifica ? [Faut-il employer les sudorifiques dans la peste ?]), et pour la cardinale (Estne nutricis subfuscæ lac salubrius ? [Le lait d’une nourrice à peau brune est-il plus salubre ?]) que Charles Patin avait disputées en 1654 et 1655.

Guy Patin avait déjà expédié à Hugues ii de Salins la première quodlibétaire et la cardinale (avec sa lettre du 6 mars 1655) ; il lui envoyait donc ici la deuxième quodlibétaire et lui renvoyait l’une des deux autres.

22.

V. note [3], lettre 390, pour la Defensio altera… et la Margarita scilicet…, pamphlets de Charles Guillemeau (tous deux parus en 1655) contre Siméon Courtaud, doyen de Montpellier qu’on aimait dénigrer à Paris en le comparant à son homonyme (un courtaud était un chien dont on a coupé la queue).

23.

V. notes :

24.

« Il n’est pas permis de mettre le nez dans le secret du roi » ; libre interprétation de la Vulgate (v. note [6], lettre 183) sur Tobie ou Tobit (12:7) :

Sacramentum regis abscondere bonum est, opera autem Dei revelare et confiteri honorificum est.

[Il convient de celer le secret du roi, mais il y a grand honneur à révéler et publier les œuvres de Dieu].

25.

« si vous fouillez, ce sera en vain ».

26.

Tout ce développement est une reprise d’un paragraphe de la lettre du 25 novembre 1655, où Guy Patin parlait des conciliabules secrets qui se tenaient à la cour (v. sa note [22]).

Patin revenait ici sur un passage des Annales de Tacite (livre vi, chapitre viii), en y remplaçant abditos sensus [pensées secrètes] par arduos sensus [pensées difficiles] : « Il est illicite et dangereux de fouiller les secrètes pensées du prince et ce qu’il trame dans l’ombre ; d’ailleurs on n’y parviendrait pas. »

V. notes [21], lettre 417, pour Séjan, et [4], lettre 559, pour son fidèle ami, le chevalier romain Marcus Terentius.

27.

« et on ne regrettera jamais de l’avoir lu. »

28.

Jugement de Jean-Louis Guez de Balzac et remarque sur Richelieu que Guy Patin a repris dans le premier paragraphe de sa lettre du 26 août 1660 à André Falconet, et que Bayle a cités dans son article sur Tacite (note F).

29.

Guy Patin a écrit cette longue digression sur Tacite au bas de la page, avec une marque (⸓) pour situer l’endroit de son insertion dans la lettre.

30.

Gilbertus Jacchæus (Gilbert Jack, Aberdeen vers 1578-1628), philosophe aristotélicien écossais, avait été nommé professeur de philosophie et de physique à Leyde en 1605.

31.

Faire grande chère : vivre fastueusement en dépensant beaucoup d’argent.

V. note [3], lettre 429, pour la venue en France du duc de Modène, François ier d’Este.

32.

V. note [9], lettre 432, pour ces deux naissances royales.

33.

V. note [19], lettre 432.

34.

V. note [31], lettre 432, pour l’édit des lis d’or et d’argent.

35.

V. notes [6], lettre 68, pour le projet avorté de rééditer à Lyon l’Hippocrate d’Anuce Foës, et [2], lettre 304, pour le livre d’Alfonso Chacon « sur les vies des pontifes romains » (Rome, 1601), dont le projet d’édition lyonnaise échoua aussi.

36.

« est en vie et se porte bien ; il médite toujours quelque chose, dans la mesure où sa santé le lui permet. »

37.

« nouvelle dont peu de gens auront de la peine : ni sa femme, ni sa sœur, ni notre roi. Vale, comme votre épouse et ceux de votre famille, et continuez de m’aimer comme vous faites. »

V. note [9], lettre 433, pour la mort du prince Thomas le 22 janvier 1656.

38.

Le premier post-scriptum qui suit, daté du 31 janvier, est écrit au verso de la première feuille de la lettre (qui en compte deux). Guy Patin a écrit le second, non daté, sur un billet séparé qu’il a glissé dans sa lettre.

39.

V. note [5], lettre 433, pour ces cinq exilés du Parlement qui contestaient l’édit des lis d’or et d’argent.

40.

« mais le procès est encore devant le juge. On a toujours pâti et on pâtira toujours de mettre en circulation un vocable portant la marque de l’époque présente » ; imitation d’Horace (L’Art poétique, vers 55‑59) :

                          Ego cur, adquirere pauca
si possum, invideor, cum lingua Catonis et Enni
sermonem patrium ditaverit et nova rerum
nomina protulerit ?
Licuit semperque licebit
signatum præsente nota producere nomen.

[Pourquoi me blâmer d’avoir pu inventer quelques mots, quand Caton et Ennius ont enrichi la langue nationale et donné de nouveaux noms aux choses ? On a toujours eu et on aura toujours la liberté {a} de mettre en circulation un vocable postant la marque de l’époque présente].


  1. Guy Patin a remplacé Licuit semperque licebit [On a toujours eu et on aura toujours la liberté] par Nocuit semperque nocebit [On a toujours pâti et on pâtira toujours]. Il passait en effet des néologismes que se permettait le poète au pseudonyme politique de l’abbé Claude Quillet (v. note [28], lettre 421) : Lætus Calvidius et sa « Callipédie, ou l’Art d’avoir de beaux enfants » (Leyde, 1655), qui contenait des passages contre Mazarin, que leur auteur eut à se faire pardonner (v. note [6], lettre 433).

41.

V. note [8], lettre 433, pour la Gazette sur la maladie du prince Thomas.

42.

« et à tous ceux qui voient nos affaires d’un œil favorable. Vale. »

43.

Étourderie de Guy Patin, qui a écrit mardi pour lundi. Ici se termine le premier des deux post-scriptum.

44.

« au livre vii de l’Éthique, {a} dernier chapitre. Ceux qui sont de nature mélancolique ont toujours faim de remèdes, car leur corps mal tempéré est toujours irrité contre une chose ou une autre, et comme disposé à la mordre ; et ce de quoi les gens irrités ont faim, ils l’ont avec impétuosité. » {b}


  1. Éthique à Nicomaque.

  2. La traduction académique et complète de ce passage est :

    « Mais les hommes d’un tempérament mélancolique sont comme dans un état de maladie, qui exige, pour ainsi dire, des remèdes ; car la nature et l’âcreté de leurs humeurs entretiennent dans leur corps une irritation continuelle, et ils sont toujours en proie à des désirs violents. Or, le plaisir dissipe leurs peines, s’il y est contraire, et même quel qu’il soit, pourvu qu’il soit très vif ; et voilà pourquoi ils deviennent souvent débauchés et vicieux. »



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Hugues II de Salins, les 25 et 31 janvier 1656

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1033

(Consulté le 25/04/2024)

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