L. latine 34.  >
À Johann Georg Volckamer,
le 12 mars 1655

[Ms BIU Santé no 2007, fo 32 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johann Georg Volckamer, docteur en médecine de Nuremberg.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Voilà huit jours que je vous ai écrit ; [1] je le fais à nouveau aujourd’hui pour vous prier de m’acheter et envoyer le livre du très savant M. Hermann Conring, [2] de Civili prudentia[2] ainsi que son de Hermetica veteri Ægyptiorum et Paracelsicorum nova Medicina[3][3] Je n’ai jamais vu le premier et un voleur m’a subrepticement dérobé le second. J’en ai pourtant besoin car j’en fais grand cas : c’est un ouvrage véritablement digne de la palme contre le troupeau infâme et agité des paracelsistes ; se réjouissant et abusant de l’impunité du siècle, ils assassinent ici tant de monde avec leur antimoine mortifère et leurs poudres chimiques, que tous les gens de bien considèrent ces remèdes comme absolument odieux ; [4][5] à tel point que ceux qui en tirent tant soit peu de gloire ont partout mauvaise réputation. L’édition du Lexicon philologicum etymologicum et sacrum de Matthias Martini, qu’on préparait l’an passé à Francfort, n’est-elle pas achevée ? [4][6] Si elle a paru, pouvez-vous m’en envoyer un exemplaire ? M. Picques vous remboursera le prix de tous ces livres. [7] Vous vous rappellerez aussi que je cherche ceux de Bruno Seidel, de Morbis incurabilibus,  et de Johann Wier, de Præstigiis Dæmonum, in‑4o[5][8][9] Quelles nouvelles de vos archiatres, MM. Conring, Schelhammer et Rolfinck ? [6][10][11] Notre Riolan vit et se porte comme il peut. [12] Je salue de tout cœur vos collègues Nicolaï et Hoffmann. [13][14] Cela dit, il ne me reste rien à vous écrire, hormis une seule chose : je suis tout à fait disposé à vous rendre service et vous obéirai entièrement toute ma vie, ainsi que mon fils aîné, Robert, qui vous remercie infiniment pour le compliment que vous lui avez si souvent répété et ressassé. [15] Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi. Voici une nouvelle rumeur qui se répand par notre ville : on excite à Londres de nouveaux troubles en faveur du roi, contre Cromwell. [7][16][17]

Tout à vous, Guy Patin, docteur en médecine et professeur royal.

De Paris, ce vendredi 12e de mars 1655. [8][18]

[Ms BIU Santé no 2007, fo 32 vo | FRA | IMG]

Monsieur,

J’ai enfin eu les feuilles aujourd’hui à trois heures après midi, et n’ai pu les avoir plus tôt, quelque diligence que j’y aie pu apporter. Cette dame est fine et adroite, et crois qu’elle ne manque pas de dessein. Elle m’a dit qu’outre les six pistoles qu’elle avait reçues, il lui fallait encore 27 livres tournois, que je lui ai données (nous avions compté 31 livres tournois, je vous rendrai compte de votre argent), et lui ai aussi donné 30 sols pour ses compagnons, et 10 sols pour les crocheteurs[9] Aussitôt, j’ai envoyé quérir le relieur, à qui j’en ai donné deux cents, pour lesquels il est allé travailler. Il tâchera de m’en rendre demain après-midi six-vingt, [10] sur lesquels nous travaillons céans à les corriger ; ce qui se fera plus aisément, d’autant qu’ils seront secs. En voilà un que je vous envoie, où j’ai corrigé les fautes que vous m’aviez marquées. Dès que les 120 seront corrigés, je vous les enverrai, afin que vous en donniez 109 au bedeau, [19] pour les faire vitement distribuer ; il espère me rendre les autres samedi, jusques au nombre de 200 ; et puis après je lui en donnerai 200 autres à relier, que nous corrigerons pareillement, et vous les enverrai afin d’en donner par ville à tous vos amis. Elle dit qu’elle vous ira voir lundi prochain, pour recevoir de vous quelque récompense que vous lui avez promise : sur quoi vous aviserez.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Georg Volckamer, ms BIU Santé no 2007, fo 32 ro.

Patin a écrit ce brouillon et celui de la précédente lettre (de même date, à Christian Buncken) au verso d’un billet autographe en français (fo 32 vo) que j’ai aussi transcrit (v. infra note [8]).

1.

Lettre du 5 mars 1655.

2.

Theses Miscellaneæ excerptæ ex cap. v libri de Civili Prudentia Viri Clarissimi et Amplissimi Hermanni Conringii…

[Thèses mêlées {a} tirées du chapitre v du livre sur la Compétence civique du très brillant et éminent Hermann Conring…] {a}


  1. Réduites à 71 brefs articles.

  2. Helmstedt, Henningus Mullerus, 1651, une feuille in‑4o.

    Ce titre me laisse perplexe car (comme en convenait Guy Patin juste après) je n’ai trouvé aucune édition antérieure à 1662 (Helmstedt, Henning Müller, 1662, in‑4o) du :

    Hermanni Conringii de civili Prudentia liber unus. Quo prudentiæ politicæ, cum universalis philosophicæ, tum singularis pragmaticæ, omnis propædia acroamatice traditur.

    [Livre unique de Hermann Conring sur la Compétence civique, où est exposé tout l’enseignement qui prépare à la compétence politique, tant philosophique en général que pragmatique en particulier].

    Son chapitre v, Politicen proprie ita dictum versari circa omnes omnino civitates sive republicas, et quæ ad eas primo ac per sese pertinent [La politique est ainsi proprement dite parce qu’elle s’occupe entièrement de toutes les cités ou républiques, et aux affaires qui les concernent par elles-mêmes] correspond au sujet de la thèse, qui commence par cet article i : Perambiguæ sunt significationis voces civilis prudentiæ et politicæ [Les vocables de compétence civile et politique sont de signification fort ambiguë].


3.

Hermanni Conringii De Hermetica Ægyptiorum vetere et Paracelsicorum nova medicina liber unus. Quo simul in Hermetis Trismegisti omnia, ac universam cum Ægyptiorum tum Chemicorum doctrinam animadvertitur.

[Livre unique d’Hermann Conring sur l’ancienne médecine hermétique des Égyptiens et la nouvelle des paracelsistes. Où on critique à la fois tout ce qu’a fait Hermès Trismégiste {a} et la doctrine universelle, tant des Égyptiens que des chimistes]. {b}


  1. V. note [9], lettre de Thomas Bartholin, datée du 18 octobre 1662.

  2. Helmstedt, Martin Richter, 1648, in‑4o ; avec étourderie de Guy Patin qui a distinctement écrit veteri (datif) pour vetere (justifié par la préposition de qui commande l’ablatif).

4.

V. note [2], lettre 408, pour cette réédition du « Lexique philologique, étymologique et sacré » de Matthias Martini (Francfort, 1655 ; première édition en 1623).

5.

Pour ces deux livres que Guy Patin demandait à Johann Georg Volckamer de lui fournir, v. notes :

6.

Christoph Schelhammer, né à Hambourg en 1620, était élève et cousin germain de Werner Rolfinck. Il avait obtenu son doctorat en médecine à Bâle en 1643, puis été aussitôt nommé professeur d’anatomie et de chirurgie à Iéna, et plus tard, directeur du jardin des plantes de cette université. Les biographes datent sa mort de 1651 ou 1652 (mais Guy Patin ignorait qu’il n’était alors plus en vie).

7.

V. note [40], lettre 395, pour les conjurations royalistes contre le Lord Protector, Oliver Cromwell.

8.

La suite, au verso de la feuille (v. supra note [a]), n’est pas un post-scriptum, mais un billet autographe écrit en français (ici transcrit en italique) et barré de deux traits diagonaux croisés. Sans doute un brouillon, son destinataire était sans doute un collègue de Guy Patin, mais aucun indice ne permet de l’identifier avec assurance.

Il s’agissait, dans une certaine urgence et sans trop barguigner, de faire imprimer un opuscule par une dame libraire fort âpre au gain, puis d’en corriger les exemplaires à la main (faute d’avoir eu le temps de travailler sur une épreuve), avant de les faire distribuer par le bedeau de la Faculté de médecine de Paris (v. note [1] des Actes de 1650‑1651 dans les Commentaires de la Faculté de médecine de Paris) aux 109 docteurs régents de la Compagnie. Ce pouvait être un des pamphlets de François Blondel contre l’antimoine (v. note [11], lettre 342), ou de Charles Guillemeau contre Siméon Courtaud, doyen de Montpellier (v. note [3], lettre 390). Hormis sa compétence en matière d’imprimerie, je ne sais expliquer l’intervention de Patin comme intermédiaire : la transaction n’était pas anonyme puisque la libraire était en relation avec l’auteur du livre.

9.

Six pistoles d’acompte et 27 livres tournois totalisaient 97 livres. Les 40 sols de libéralités y ajoutaient deux livres. Guy Patin devait rendre deux livres tournois à son correspondant.

10.

Cent-vingt : il s’agissait d’exemplaires imprimés (et non de livres tournois).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 32 ro.

Clarissimo viro D. Io. G.
Volcamero, Doct.
Med. Noribergensi.

Ante dies octo, vir clarissime, ad Te scripsi ; et iterum hodie scribo, rogóque
ut mihi emas mittásque doctissimi viri D. Herm. Conringij librum de civili
prudentia
 : ut et de 2 veteri 1 hermetica Ægyptiorum, et Paracelsicorum
nova Medicina
 : illum nunquam vidi : alterum fur aliquis mihi clam subripuit :
quo tamen indigeo, quia eum magnifacio : et revera opus est palmarium ad-
versus male feriatum et infamum Paracelsistarum gregem, qui hîc im-
punitate sæculi gaudentes et abutentes, mortifero suo stibio, Chymicisque
pulveribus tam multos jugularunt, ut omnibus bonis supra modum odiosa
facta sit illa, adeo ut apud omnes malè audiant qui de ea tantisper
gloriantur. Estne ad umbilicum preducta editio Lexici 2 Etymologici
1 Philologici sacri Matthiæ Martini ?
quæ adornabatur Francofurti,
anno superiore ? Si in lucem prodierit, posses ne exemplar unum ad me
mittere ? Singulorum pretium Tibi refundet D. Piques. Memineris
etiam quæso Brun. Seidelij de morbis incurabilibus et Wieri de præstigijs
Dæmonorum, in 4
. Quid novi verstrates Archiatri, D.D. Conringius, Sche-
lammer et Rolfinckius ? Riolanus noster vivit, et quodammodo valet. Collegas
tuos D.D. Nicolaum et Hofmannum ex animo saluto. Præterea nihil mihi
superest quod scribam, præter hoc unum, me Tibi addictissimum vivere,
totáque vita me Tibi obsequentissimum futurum, cum filio majore
natu, Roberto, qui Tibi gratias agit amplissimas pro toties inculcata
et repetita salute. Vale, vir clarissime, et me ama. Ecce novus rumor ^
per Urbem nostram/ spargitur, novas esse/ Londini turbas excitatas/ pro Rege adversus Crom-/wellum.

Totus tuus Guido Patin,
Doctor Med. et Prof. regius.

Dabam Parisijs, die Venereis,
12. Martij, 1655.

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 32 vo.

Monsieur,

J’ay enfin eu les fueilles auj. à trois heures apres midi, et
n’ay pû les avoir plustost, quelque diligence que j’y aye pû apporter.
Cette Dame est fine et adroite, et croy qu’elle ne manque pas de dessein.
Elle m’a dit qu’outre les six pistoles qu’elle avoit receu, il lui falloit
encore 27 lt. que je lui ay données : (nous avions compté 31 lt. je vous
rendray compte de vostre argent) et luy ay aussi donné 30. sols pour ses
Compagnons, et dix sols pour les crocheteurs. Aussitost j’ay envoyé
querir le Relieur, à qui j’en ay donnée deux cens, pour lesquels il est allé
travailler : il taschera de m’en rendre demain apres midi six vingt, sur
lesquels nous travaillons ceans à les corriger : ce qui se fera plus aisément,
d’autant qu’ils seront secs : en voila un que je vous envoye où j’ay corrigé
les fautes que vous m’aviez marquées. Dès que les 120. seront corrigez,
je vous les envoieray, afin que vous en donniez 109. au Bedeau, pour les
faire vistement distribuer : il espere me rendre les autres samedi, jus-
ques au nombre de 200 : et puis apres je lui en donneray deux cens au-
tres à relier, que nous corrigerons pareillement, et vous les envoyerai
afin d’en donner par ville à tous vos amis. Elle dit qu’elle vous ira voir
Lundi prochain, pour recevoir de vous quelque recompense que vous
lui avez promise : sur quoi vous adviserez.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Georg Volckamer, le 12 mars 1655

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(Consulté le 24/04/2024)

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