L. latine 41.  >
À Thomas Bartholin,
le 12 septembre 1655

[Ms BIU Santé no 2007, fo 36 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Thomas Bartholin. [a][1]

Voici bien longtemps que je n’ai rien appris à votre sujet, faute de lettre reçue de vous ; je n’ai non plus rien ouï dire, hormis cette unique nouvelle que vous avez quitté Copenhague à cause de la peste qui, l’an dernier, nous a enlevé, ainsi qu’au monde des lettres tout entier, l’excellent M. Olaüs Wormius. [1][2][3] J’ignore absolument ce que vous aurez fait depuis lors ; pourtant, je ne doute pas que vous ayez travaillé et rédigé. Écrivez-moi donc pour que je le sache ; et même, si faire se peut, envoyez-moi aussi ce que vous avez publié. La controverse sur les veines lactées du thorax et la fonction du foie continue de fleurir entre Pecquet et notre Riolan, [2][4][5][6][7] lequel est en vie et se porte bien. Par l’entremise de M. Garmers, docteur en médecine à Hambourg, [8] je vous envoie maintenant le nouveau livre qu’il a tout dernièrement écrit contre Pecquet et deux docteurs pecquétiens de Paris, Mentel et Mersenne ; [3][9][10] il y a dédaigné et réfuté quantité d’invectives et d’insultes injurieuses qu’un certain parabates qui s’est donné le nom d’Alethophilus a insolemment et témérairement proférées. [4][11] J’ai joint un autre petit livre, publié à Rouen, et dédié à Mentel ; Riolan l’a méprisé comme étant quelque chose de ridicule ; mais il a remué la bile de Pecquet et on dit qu’il va écrire contre lui. Riolan et Pecquet font de Mentel son auteur caché, ce qui les met tous deux en colère contre lui : Riolan en raison du tas d’invectives, et Pecquet parce qu’il y voit qu’on lui ôte la gloire d’avoir découvert les vaisseaux < du chyle > pour, suprême injure, la reporter sur Mentel. [5][12][13] Charles Le Noble, médecin de Rouen, se remue aussi sur cette même controverse comme il apparaît dans une lettre que Riolan m’a montrée. [6][14] Voilà où en est la dispute, dont tant d’hommes s’occupent sérieusement à débattre aujourd’hui. Pour moi, je me suis placé hors des camps, je me borne à entendre le fracas des canons, sans inquiétude quant à l’issue d’une si grande guerre. [15] Dans les heures que j’ai de reste, je compose des leçons médicales que je pourrai réciter à mes auditeurs l’hiver prochain dans le Collège royal de Cambrai, à la place de M. Riolan qui m’a confié cette charge avec l’accord du roi. [16][17][18] Notre Gassendi, qui a écrit la vie de votre grand héros national (j’entends Tycho Brahe), se porte ici très mal en raison d’une inflammation de poumon ; [19] elle le laisse en grand péril car il a une profonde aversion pour la saignée, remède qui doit tenir le premier rang dans le traitement d’une si grave maladie, et dont il a absolument besoin. Dieu veuille qu’il se fortifie à la fin, pour que le système philosophique complet, qu’il a en mains presque achevé, puisse être publié, avec d’autres opuscules, observations et lettres. [7][20][21][22][23] Mais pour lui, je ne crains rien tant que l’immense faiblesse d’un petit corps, touchant particulièrement le foie et les poumons. [8] On entreprend ici la nouvelle édition de l’Encheiridium anatomicum et pathologicum de M. Riolan, in‑8o, augmenté d’une quatrième partie et enrichi de nombreuses additions. [9][24] De votre frère Érasme, qui voyage en Italie, je n’ai rien ouï dire depuis quatre mois, sinon qu’il est parvenu à Florence. [25] Puisse-t-il vivre et se bien porter, tout comme vous, mon très cher Bartholin. Vale et aimez-moi.

Vôtre pour l’éternité, Guy Patin, natif de Beauvaisis, docteur en médecine de Paris et professeur royal.

De Paris, le 12e de septembre 1655.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a envoyée à Thomas Bartholin, ms BIU Santé no 2007, fo 36 ro ; lettre imprimée dans Bartholin a, Centuria ii, Epistola lxvii (pages 618‑620), Controversiæ Gallorum de Lacteis Thoracicis [Controverses des Français à propos des veines lactées thoraciques], avec des variantes que j’ai signalées dans les notes.

1.

Olaüs Wormius, oncle maternel de Thomas Bartholin (v. notes [6], lettre latine 11, et [4], lettre latine 24), était mort le 31 août 1654 à Copenhague.

2.

Dans la lettre imprimée, hepatis funeratione [les funérailles du foie] (organe dont Thomas Bartholin avait écrit l’ironique épitaphe en 1653, v. note [19], lettre 322), a remplacé hepatis functione [la fonction du foie], qui est indiscutablement dans le brouillon manuscrit.

3.

V. note [1], lettre 414, pour les Responsiones duæ [Deux réponses] de Jean ii Riolan (Paris, septembre 1655), contre Jean Pecquet et ses zélateurs, les deux docteurs pecquétiens Jacques Mentel et Pierre de Mersenne.

4.

Parabates est un hellénisme (παραβατης, contempteur) qui a été remplacé par desertore (apostat) dans la lettre latine imprimée, où s’ajoute cette phrase d’explication sur l’Aléthophile :

Is est Samuel Sorberius, olim Calvinista, tum Medicus, postea Gymnasiarcha, tandem Eleemosynarius Episcopi Agathensis.

[Il s’agit de Samuel Sorbière, {a} jadis médecin calviniste, puis principal de collège, et enfin aumônier de l’évêque d’Agde]. {b}


  1. La notice biographique de Samuel Sorbière date de 1653 son veuvage, qui fut rapidement suivi de sa conversion et de son ordination à la prêtrise.

    V. note [5], lettre 390, pour sa lettre signée Sebastianus Alethophilus (Sébastien l’Aléthophile [celui qui aime la vérité, alêtheia en grec]) et adressée à Jean Pecquet « très ingénieux inventeur des lactifères thoraciques » (1654).

  2. François ii Fouquet (v. note [52], lettre 280), dont Pecquet était le médecin.

5.

V. notes :

6.

V. note [30], lettre 398, pour les Caroli Le Noble… Observationes raræ et novæ de venis lacteis mesentericis et thoracicis… [Observations nouvelles et rares de Charles Le Noble… sur les veines lactées mésentériques et thoraciques…] (Paris, 1655), en faveur de Jean ii Riolan et de sa conception rétrograde des mouvements du chyle.

Quant à lui, Thomas Bartholin, grand admirateur de Jean Pecquet et dans son sillage, avait publié trois livres sur le sujet, sans ménager Riolan :

7.

V. note [29], lettre 211, pour la Vita de l’astronome danois Tycho Brahe par Pierre Gassendi (Paris, 1654) ; ses autres écrits, que Guy Patin annonçait ici, ne furent imprimés qu’après sa mort (le 24 octobre 1655), avec ses Opera omnia [Œuvres complètes] (Lyon, 1658, v. note [19], lettre 442).

8.

Ces deux phrases du brouillon ne figurent pas dans la lettre imprimée.

9.

V. notes [37], lettre 514, pour la quatrième édition posthume du « Manuel anatomique et pathologique » de Jean ii Riolan (Paris, 1658), et [5], lettre latine 37, pour ses additions.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 36 ro.

Clarissimo D. Th.
Bartholino.

Iamdudum est ex quo de Te nihil didici, nec quidquam accepi
literarum : imò nequidem audivi, præter hoc unum Te nempe propter pesti-
lentiam, Hafniam reliquisse, quæ vobis totique Orbi literato virum optimum
rapuit D. Olaum Wormium, anno superiori. Quid egeris ab illo tempore, planè
nescio : nec tamen dubito Te aliquid egisse et scripsisse : scribe ergo ut sciam, imò si
fieri possit, etiam mitte quod scripsisti. De venis lacteis thoracicis, et hepatis
functione, inter Pecquetum et Riolanum adhuc viget controversia : Riolanus
noster vivit et valet : ecce ad Te mitto per D. Garmers, Doctorem Medicum
Hamburgensem, ejus librum quem novissimè scripsit adversus Pecquetum et
duos Pecquetianos Doctores Parisienses, Mentellum et Mersennum : neglec-
glectis atque spretis tot convitijs et contumeliosis injurijs, à quodam parabate
qui se Alethophilum nuncupavit, 2 temere et 1 insolenter pronuntiatis. Libellum
alterum adjunxi, Rothomagi editum, et Mantello dicatum : quem tanquam
ineptum sprevit Riolanus : qui tamen Pecqueti bilem commovit, et adversus quem
scripturus dicitur : ejus authorem tacitum faciunt Mentellum Riolanus et Pec-
quetus, uterque Mentello iratus : Riolanus nempe propter tot convitia :
Pecquetus vero quod videat in illo sibi detrahi gloriam inventorum vasorum, ut
in Mentellum summa injuria transferatur. De eadem controversia etiam
adhuc aliquid agitare Carolum le Noble, Medicum Rothomagensem, certò mihi
constat ex epistola quam mihi dicavit exhibuit Riolanus. Hic est status controversiæ,
in qua discutienda tot viri hodie non perfunctoriè occupantur. Ego vero extra
castra positus, tormentorum bellicorum fragores dumtaxat audio, securus
de tanti belli eventu. Horis meis subsecivis Prælectiones Medicas compono,
quas possim hyeme proxima recitare meis Auditoribus, in aula Camera-
censi regia, loco D. Riolan, qui volente Rege, provinciam illam mihi
commisit. Gassendus noster, qui summi herois vestratis vitam descripsit, (Tycho-
nem Brahe intelligo,) hîc pessime habet ex inflammatione pulmonis, ex
eàque in majore periculo versatur, quod abhorreat a sanguinis missione, quæ
in tanti morbi curatione principem locum tenere debet, ac apprime requiritur.
Utinam tandem convalescat, ut philosophicum Systema integrum quod prope
affectum et ad umbilicum perductum in manibus habet, possit in lucem emittere,
cum alijs Opusculis, Observationibus et Epistolis. Sed de illo nihil non metuo, propter summam
corpusculi et viscerum imbecillitatem, præsertim hepatis et pulmonis. Hîc inchoatur nova
editio Enchiridij Anat. et Pathol. D. Riolani, quarta parte adaucti, et multis
locis locupletati, in forma 8. De fratre Erasmo per Italiam peregrinante, nihil
à 4. mensibus aliud audivi quàm quod Florentiam pervenisset. Utinam vivat
et valeat, tu quoque, mî carissime Bartholine. Vale et me ama.

Tuus in æternum Guido Patin, Bellovacus,
Doctor Med. Paris. et Prof. regius.

Parisijs, 12. Sept. 1655.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Thomas Bartholin, le 12 septembre 1655

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(Consulté le 25/04/2024)

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