L. latine 61.  >
À Vopiscus Fortunatus Plempius,
le 3 novembre 1656

[Ms BIU Santé no 2007, fo 47 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Vopiscus Fortunatus Plempius, docteur en médecine et professeur royal en l’Université de Louvain.

Très distingué Monsieur, [a][1]

J’ai reçu votre fort agréable lettre et vous en remercie beaucoup. Mon ami, l’excellent M. Vander Linden, [2] n’a pas ce Panegeryca de Freitag de pharmacopolorum officio[1][3][4] Je vous sais gré de m’avoir avisé qu’Erycius Puteanus ne s’est jamais attelé à ce viie livre de Pline, [5][6] comme l’avait pourtant indiqué {Valerius Andreas dans la Bibliotheca} Franz Sweerts dans son Athenæ Belgicæ, page 232. [2][7][8] Rien ne nous parviendra des travaux de Claude Saumaise sur Pline. [3][9] C’est pourquoi je pense sérieusement, l’an prochain, si Dieu m’en accorde la force, à commenter ce viie livre. [10] Je suis affligé et déplore de tout cœur que les enfants d’Erycius Puteanus endurent la pauvreté : ô que ce siècle est injuste et malheureux, où les guerriers, les comédiens et les dissipateurs s’enrichissent, et où les ventres paresseux de tant de moines se gavent du sang des miséreux et des sots, [11] tandis que les fils des savants ont froid et sont affamés ! Musæ sunt mulæ[4][12] assurément, ou du moins n’engendrent-elles rien d’autre que peine et misères diverses. Jadis, tandis que je faisais des recherches sur la patrie d’Avicenne, [13] qui me semblait douteuse, j’ai pris quelques notes dans divers auteurs ; si vous les voulez, si elles peuvent vous être utiles pour votre Præfatio, je vous les enverrai, ou du moins la liste que j’en ai dressée ; je n’en ai pourtant encore rien tiré d’assuré. Dans ses Analecta historico-theologica, page 294, un certain Hottinger, [14] savant Suisse et très connaisseur en affaires hébraïques, qui aujourd’hui vit et enseigne à Heidelberg, a fait mention de vous et de votre travail sur Avicenne. [5] Puisse-t-il vous procurer de la gloire, mais aussi, à nous et à toute la république des lettres, beaucoup d’utilité et bien du fruit. Il vous appartiendra pourtant de vous occuper de ceux qui ont écrit qu’il faut énergiquement mépriser Avicenne (peut-être pour l’imperfection des traducteurs), dont Manardi et Fuchs conduisent la famille. [6][15][16] Notre Fernel, au livre ii de sa Methodus medendi, chapitre xiii, l’a attaqué vivement et finement, comme à son habitude, mais légitimement, si les traducteurs ne se sont pas mépris, car il s’agit d’une erreur très funeste et de très grande conséquence pour le salut du genre humain. [7][17] Pour l’excuser, Gratiolus a énormément écrit, [8][18] mais en vain, car il semble ne pas avoir compris l’importance de saigner dans une maladie sans attendre qu’il y ait des signes patents de coction, etc. Oribase, que je sache, n’a écrit aucune Anatomie, hormis un opuscule in‑8o en grec publié à Paris en 1555 (notre Riolan, qui s’y connaît parfaitement en cette matière et que j’ai consulté là-dessus, n’en connaît pas d’autre). [9][19][20] On peut le lire en latin, traduit par Giovanni Battista Rasario, natif de Novara, dans les Medicinæ Principes, parmi les œuvres d’Oribase, page 522. [10][21] J’ai possédé ce texte grec in‑8o, mais l’ai récemment envoyé en Allemagne à M. Werner Rolfinck ; il me l’a réclamé à toute force parce qu’il en a besoin pour composer son nouvel ouvrage anatomique, dont le premier tome a déjà paru il y a un an ; [11][22] mais vous en trouverez la traduction latine dans le tome 2, page susdite, de ces Medicinæ Principes. Comme vous l’avez désiré, j’ai salué de votre part notre très distingué ancien, M. Riolan. Je n’ai pas pu saluer le très savant René Moreau [23] car l’heure fatale a sonné pour lui ; cet excellent et éminent homme, à compter au petit nombre des meilleurs, est parti dans l’au-delà le mardi 17e d’octobre 1656, âgé de 72 ans. Un autre l’a suivi trois jours après, c’est Charles Guillemeau, homme doté d’une grande intelligence, âgé de 68 ans ; à la cour, il avait longtemps servi le roi très-chrétien Louis xiii avec grande faveur et gratitude ; il avait été pour lui ce qu’on appelle le premier des médecins ordinaires, qui est distinct du titre exclusif de premier médecin du roi. [12][24][25][26] Et dans la même semaine, Libitina [27] a eu raison d’un autre troisième, dont le père était flamand, appelé Charles Le Clerc, homme savant et heureux praticien de notre art, âgé de 74 ans. [28] Dieu veuille qu’il ferme ici le cortège, et que la Mort elle-même mette fin à sa frénésie et permette à M. Riolan, notre très distingué ancien, [29] de vivre encore longtemps parmi nous, avec beaucoup d’autres hommes de bien. Mais vous, très distingué Monsieur, demeurez en vie, vale et aimez celui qui est en toute franchise votre entièrement dévoué Guy Patin.

De Paris, ce vendredi 3e de novembre 1656.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Vopiscus Fortunatus Plempius, ms BIU Santé no 2007, fo 47 ro.

1.

V. note [12], lettre latine 43, pour le « Discours » de Johann Freitag « vantant la fonction des pharmaciens » (Groningue, 1633), que Guy Patin recherchait avec insistance auprès de presque tous ses correspondants étrangers.

2.

V. note [3], lettre 584, pour la Bibliotheca Belgica… [Bibliothèque belge…] (Louvain, 1623) de Valerius Andreas, que Guy Patin a d’abord citée, puis rayée {texte mis entre accolades} et remplacée par la bonne référence à l’Athenæ Belgicæ [Athènes belge] de Franz Sweerts (Anvers, 1628) : une Plinij lib. vii. Scholia [Scolie sur le livre vii de Pline] figure (page 232) parmi les Epistolæ attribuées à Erycius Puteanus (v. note [19], lettre 605).

Ce livre vii de L’Histoire naturelle est consacré à la génération des hommes, à leurs institutions et à l’invention des arts : dans notre édition, lui et le 29e sont les plus cités des 37.

3.
V. note [6], lettre 126, pour les études de Claude Saumaise sur l’Histoire naturelle de Pline, encore inédites en 1656.

4.

Sunt Musæ mulæ nostraque fama fames [Les Muses sont des mules (stériles) et notre renommée, de la voracité] : Euricius Cordus (Heinrich Ritze, humaniste allemand, 1486-1535), Épigrammes, livre ii, 28, Ad Othonem Begmannum [À Otto Begmann], vers 10 (page 42, édition de Berlin, 1892).

5.

V. note [11], lettre latine 56, pour la « Préface » de l’Avicenne de Vopiscus Fortunatus Plempius (Louvain, 1658), où il s’est bien servi de ce que lui écrivait Guy Patin, mais sans lui en donner crédit. Il le renvoyait ici aux :

Analecta historico-theologica sequentibus octo dissertationibus proposita. i. De Necessitate Reformationis superiori Seculo institutæ. ii. De Heptaplis Parisiensibus, seu Bibliis Regiis. iii. De Jubilæo Judaico, Christiano et Pontificio. iv. Judicia Hebræorum et Arabum de Terræ motibus. v. De usu Linguæ Hebrææ contra Pontificios et Anabaptistas. vi. De usu Linguæ Arabicæ in Theologia, Medicina, Jurisprudentia, Philosophia et Philologia. vii. Introductio ad Lectionem Patrum. viii. De usu Patrum : Accessit Appendix, de Cyrilli Patriarchæ Constantinopolitani, celeberrimi, et Martyris constantissimi Confessione, Scripturæ et Patrum testimonijs vestita ; Vita, Scriptis et Martyrio. Collecta et edita a Johanne Henrico Hottingero, Tigurino.

[Morceaux choisis historico-théologiques répartis en huit dissertations successives : i. Nécessité de la Réforme instituée au siècle dernier ; ii. Bible parisienne en sept langues, dite Bible royale ; iii. Jubilé des juifs, des chrétiens et des papistes ; iv. Jugements des Hébreux et des Arabes sur les mouvements de la terre ; v. Emploi de la langue hébraïque contre les papistes et les anabaptistes ; vi. Emploi de la langue arabe en théologie, en médecine, en droit, en philosophie et en philologie ; vii. Introduction à la lecture des Pères ; viii. Emploi des Pères ; avec un appendice sur la Confession de Cyril, très célèbre patriarche de Constantinople et inébranlable martyr, enrichie par les témoignages de l’Écriture et des Pères ; sur sa vie, ses écrits et son martyre.Johann Heinrich i Hottinger, {a} natif de Zurich les a recueillis et édités]. {b}


  1. V. note [3], lettre 413.

  2. Sans lieu [Zurich], Johannes Jacobus Bodmerus, 1652, in‑8o.

La page 294 (Dissertation vi) est une introduction à la liste des principaux médecins arabes. On y lit ces phrases concernant Plempius :

Interim non dubito, quin magnam Arabum Medicis conflârit invidiam magnúmque contemptum barbaries, ex scabro et insulso interpretum stylo nata, quâ fit, ut lectores nec elegantiam Arabismi, nec Emphasin, imò ne ipsam sæpe rem sint assecuti. Ubi accurata aliquando vel solius Avicennæ habebitur translatio, quam D. Plembium [sic], Medicinæ in Lovaniensi Academia Professorem ab aliquot annis meditari, fama fert.

[Je ne doute pas que, chez les médecins, la barbarie ait excité une grande haine et un grand mépris des Arabes, pour le style rugueux et insipide de leurs traducteurs ; cela fait que les lecteurs n’ont saisi ni l’élégance, ni l’emphase de la langue arabe, ni souvent même son sens. Un jour nous aurons peut-être la traduction exacte du seul Avicenne, que M. Plempius, professeur de médecine en l’Université de Louvain, prépare depuis quelques années, dit-on].

La notice sur Avicenne (v. note [7], lettre 6), qui suit immédiatement, commence par son lieu de naissance :

Non Cordubensis fuit, ut voluit Nonnius, sed Bocharensis, vel Bachorensis, urbe ad Euphratis fluvium, non longè ab Ostio sita, natus.

[Il n’est pas né à Cordoue, comme a voulu Nonnius, mais à Bochar ou Bachor, ville située sur le fleuve Euphrate, non loin de son embouchure]. {a}


  1. Ce qui indique avec certitude la ville de Bassorah (en Irak) et non celle de Bokhara (en Ouzbékistan, v. note [2] de la lettre de Vopiscus Fortunatus Plempius, datée du 13 décembre 1656), que Plempius (dans la préface de son Avicenne) et les biographes modernes ont retenue comme étant la véritable patrie du médecin persan.

6.

Giovanni Manardi (Jean Manard, mort en 1536, v. note [2], lettre 533) a médit d’Avicenne dans ses Epistolarum medicinalium libri xx [Vingt livres d’Épîtres médicales] (Bâle, 1536, v. notes [78], lettre latine 351) ; il suffit d’y lire les intitulés de l’index à l’entrée Auicenna :

Grand pourfendeur de la médecine arabe, Leonhard Fuchs (v. note [5], lettre 123) s’est notamment et nommément attaqué à Avicenne dans neuf Errores de ses Errata recentiorum medicorum, lx. numero, adiectis eorundem confutationibus, in Studiorum gratiam, iam primum ædita [Égarements des médecins modernes, au nombre de 60, avec leurs réfutations, pour le bénéfice des étudiants, ouvrage publié pour la première fois] (Haguenau, Johann Secerius, 1530, in‑4o de 158 pages) :

7.

La « Méthode pour remédier » de Jean Fernel est sa Therapeutices universalis seu medendi rationis libri septem [Thérapeutique universelle, ou sept livres de la manière de remédier] (Genève, Jacobus Chouët, 1627, in‑8o), dont le chapitre xiii du livre ii (pages 58‑62) porte sur le temps opportun pour la saignée, avec ce paragraphe Adversus Auicennam non nisi post concoctionem phlebotomiam admittente [Contre Avicenne, qui n’admet la phlébotomie qu’après la concoction] (page 59) :

Præcepit quidem Auicennas in morborum principiis phlebotomiam prorsus omittere et concoctionem expectare, dum morbus principium statumque præterierit : atque tum demum solum illam conferre asseuerat. Idque non de solis partium morbis quos ante percensuerat, audiendum putat, quum et mox idipsum de febribus omnibus præcipiat, maximeque de sanguinea, in qua quum aderit concoctio, iubet danguinem profluenter educere. Quia vero ista mirabiliter dissentanea videntur, perpendendum quibus illa rationibus suadere contendat, ut controuersia ad unguem discussa, veritas ipsa clarius eluceat. Inquit igitur per initia incisam venam noxios humores extenuare, et per corpus quoquouersum impellere, sanguineque puto et syncero permiscere ; nonnunquam etiam nos expectatione nostra adeo decipi, ut cum salubri nihil prorsus vitiosi humoris educatur. Ex animi vero sententia atque voto omnia succedere, si expectata concoctione quum iam morbus principium et statum præterierit, sanguinem detrahamus. Sed minime tam inconsiderata eius ferenda est sententia : neque audiendi illius explanatores, quorum dicta quotidie re et euentis refelluntur.

« Il est vrai qu’Avicenne a été d’avis qu’on oubliât tout à fait la saignée dans les commencements des maladies, et qu’on attendît la coction, lorsque la maladie aurait passé son commencement et son état, {a} et que la saignée ne profitait que sur la fin seulement ; ce qu’il n’a pas seulement entendu touchant les affections des parties, desquelles il avait auparavant fait le dénombrement, puisque, incontinent après, il conseille le même, touchant toute sorte de fièvres, et surtout celle qui vient du sang, dans laquelle il ordonne d’en tirer copieusement lorsque la coction sera faite. Or d’autant que ces choses semblent contraires au dernier point, il faut examiner par quelles raisons il prétend les persuader, {b} afin que la question étant parfaitement bien débattue, la vérité se rende plus claire et plus manifeste. Il dit donc que la saignée étant faite dans le commencement exténue les humeurs nuisibles, les pousse çà et là par tout le corps, et les mêle avec le sang qui est pur et sincère ; que nous sommes quelquefois tellement frustrés de notre attente qu’avec les bonnes humeurs, il n’en sort rien des mauvaises ; et que tout réussit suivant nos désirs si nous attendons la concoction pour tirer du sang, lorsque la maladie a déjà passé son commencement et son état. Mais certes, il ne faut pas souscrire à son opinion, puisqu’elle est si peu raisonnable, ni écouter non plus ses interprètes, {c} dont les discours sont tous les jours réfutés par l’expérience et par les événements. » {d}


  1. Les dogmatiques distinguaient trois phases de la maladie : crudité, coction (ou concoction) et crise. Fernel ajoutait ici une phase d’état (stabilité), intermédiaire aux deux première.

  2. « nous en persuader ».

  3. Ses traducteurs et commentateurs (explanatores).

  4. Traduction française de Du Teil (1655, v. note [1], lettre 36), pages 114‑115.

8.

Principis Avicennæ liber primus. De universalibus Medicæ scientiæ præceptis. Andrea Gratiolo Salodiano interprete. Adiectis utilissimis eiusdem interpretis scholijs Hippocratis, et Galeni præcipuè loca commonstrantibus…

[Premier livre du Canon d’Avicenne. Préceptes universels de la science médicale. Traduction d’Andreas Gratiolus. {a} Avec les très utiles annotations du dit traducteur indiquant principalement les passages d’Hippocrate et de Galien…] {b}


  1. Andrea Grazioli, docteur en médecine de Padoue, mort en 1580, ami de Fracastor (v. note [2], lettre 6).

  2. Venise, Franciscus Zilettus, 1580, in‑4o.

9.

Guy Patin (ou Jean ii Riolan) se trompait d’une année sur cette édition du livre anatomique d’Oribase de Sardes (médecin grec du ive s. de notre ère) : {a}

Τα των Οριβασιου ιατρικων συναγωγων εκ τες Γαληνου, ανατομικα. Oribasii Collectaneorum Artis Medicæ liber, quo totius corporis humani sectio explicatur, ex Galeni Commentariis.

[Livre des Mélanges de l’Art médical d’Oribase, où est expliquée la dissection du corps humain tout entier, d’après les Commentaires de Galien]. {b}


  1. Charles Daremberg et Ulco Cats Bussemaker ont donné une précieuse édition grecque et française des Œuvres d’Oribase (Paris, Imprimerie nationale, 1851 et 1854, 2 tomes in‑8o), avec cette intéressante notice historique (page xxxiii du Plan de la collection des médecins grecs et latins) :

    « oribase (vers 360 ap. J. C.)

    L’auteur le plus important après Galien est sans contredit Oribase, médecin et ami de l’empereur Julien. {i} Il avait, par ordre de son illustre patron, publié en lxx livres, et sous le titre de Ιατρικαι Συναγωγαι (Collectanea medicinalia), une espèce d’encyclopédie, comprenant, dans un ordre systématique, toutes les connaissances médicales d’alors. Le grand mérite de cette encyclopédie, c’est d’être exclusivement formée d’extraits textuels de Galien {ii} et des autres médecins ou chirurgiens les plus renommés. Malheureusement, plus de la moitié de cet ouvrage, qui devait jeter une si vive lumière sur l’histoire de la médecine antique, est perdue. Cette perte est à jamais déplorable, car les livres qui nous manquent contiennent précisément la partie la plus étendue et la plus intéressante de la chirurgie et surtout la médecine. »

    1. Julien dit l’Apostat a régné sur l’Empire romain de 361 à 363 (v. note [15], lettre 300).

    2. Oribase serait donc, me semble-t-il, le premier commentateur connu de textes de Galien, mais l’historien Vivian Nutton (v. note [6], lettre 6) ne le cite pas et attribue la première mention écrite (débattue) de Galien à Cassius Felix au ve s.

      Le tome 2 (1854, livres viixvi d’Oribase) contient une imposante Indication des livres et des chapitres de Galien auxquels correspondent les extraits d’Oribase (pages viixii).

  2. Paris, Guil. Morelius, 1556, in‑8o, en grec.

Alessia Guardasole, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique, directrice adjointe de l’unité mixte de recherche Orient et Méditerranée (CNRS, UMR 8167), directrice de l’équipe Médecine grecque et littérature technique, à la Sorbonne, a publié sur le site de la BIU Santé une courte mais fort instructive introduction à la lecture d’Oribase, qui commente les liens entre ses écrits et ceux de Galien. Mme Guardasole a très aimablement répondu au courrier que je lui ai adressé en mai 2021 pour savoir où en étaient les choses depuis la rédaction de sa synthèse (au tout début des années 2000). Les historiens continuent à étudier avec ardeur les sources des textes médicaux antiques, grecs et latins, qui ont résisté au temps, comme en atteste notamment le thème du colloque international réuni à Lausanne les 23‑25 septembre 2019 : « Écriture, réécriture ou citation : les procédés de composition des textes médicaux antiques ». Les premiers paragraphes de l’introduction au riche programme résument ce fascinant sujet : {a}

« Le savoir médical des Anciens, depuis l’âge grec classique jusqu’à l’Antiquité tardive et au delà, nous a principalement été transmis sous la forme d’importants corpus de textes (Collection hippocratique, traités galéniques) {b} ou de sommes écrites en latin ou en grec, comme la Médecine de Celse, {c} les Collections médicales d’Oribase, ou les traités d’Aétius d’Amide, {d} d’Alexandre de Tralles {e} ou encore de Paul d’Égine. {f}

Or nombreux sont les textes qui, au sein de ces vastes ensembles, se répondent, dans un même traité (“ rédactions parallèles ”) ou à différentes époques, qu’ils soient parfaitement identiques, qu’ils divergent seulement de quelques mots, ou que l’un apparaisse l’abrégé, l’amplification ou la traduction de l’autre.

La première question qui se pose alors généralement est de savoir si le texte le plus récent est issu du plus ancien, ou si les deux dérivent d’un ou de plusieurs textes antérieurs. Cependant, nombre de recherches récentes ont montré que la composition des textes médicaux fait appel à une grande diversité de sources : si l’importance des textes des prédécesseurs ne peut être négligée, comme l’illustre l’activité philologique d’un Galien par exemple, l’expérience personnelle, la transmission orale des savoirs théoriques et pratiques ainsi que la médecine dite “ populaire ” sont tout aussi essentielles. D’autre part, l’intérêt des chercheurs pour les sources les plus anciennes laisse peu à peu également une place à l’étude de l’originalité propre de chaque somme médicale : chacune d’entre elles est en effet irréductible à une simple collection de témoignages de textes plus anciens par ailleurs perdus, et n’est pas dissociable du contexte historique et épistémologique dans lequel elle a été conçue. » {g}


  1. Questions auxquelles est confronté tout lecteur moderne de la littérature médicale antique, et qu’a effleurées Guy Patin quand il a contesté l’authenticité des traités de Galien sur la thériaque (v. note [6], lettre latine 129).

  2. Respectivement datés du ve s. av. J.‑C. et du iie s. après, v. note [6], lettre 6.

  3. Au ier s. de l’ère chrétienne, v. note [13], lettre 99.

  4. Au ve s. de l’ère chrétienne, v. note [4], lettre de Charles Spon datée du 21 novembre 1656.

  5. Au vie s. de l’ère chrétienne, v. première notule {a}, note [10], lettre 488.

  6. Au viie s. de l’ère chrétienne, v. note [13], lettre 153.

  7. La question de la chronologie et de l’authenticité des sources devient encore plus ardue quand on y ajoute les auteurs arabes qui ont grandement contribué à préserver l’Antiquité médicale gréco-latine, en l’enrichissant de leurs propres commentaires et additions (v. note [4], lettre 5).

10.

Medicæ artis principes ; post Hippocratem et Galenum. Græci Latinitate donati, Aretæus, Rufus Ephesius, Oribasius, Paulus AEgineta, Aëtius, Alex. Trallianus, Actuarius, Nic. Myrepsus. Latini, Corn. Celsus, Scrib. Largus, Marcell. Empiricus. Aliique præterea, quorum unius nomen ignoratur. Index non solùm copiosus, sed etiam ordine artificioso omnia digesta habens. Hippocr. aliquot loci cum Corn. Celsi interpretatione. Henr. Stephani de hac sua editione tetrastichon.

Quærere quos ægri per compita multa solebant,
Hospita nunc per me est omnibus una domus.
Prima salutiferæ medicorum gratia dextræ :
Sistenti medicos nónne secunda mihi ?

[Les Princes de l’art médical qui sont venus après Hippocrate et Galien : Arétée, Rufus d’Éphèse, Oribase, Paul Éginète, Aëtius, Alexandre de Tralles, Actuarius et Nicolas Pyrepse pour les Grecs traduits en latin ; Celse, Scribonius Largus, Marcellus Empiricus pour les Latins ; outre d’autres, dont le nom n’est pas connu. L’index est non seulement copieux, mais contient toutes choses classées en un ordre ingénieux. On trouve aussi quelques passages d’Hippocrate avec l’interprétation de Celse. Henri Estienne {a} a écrit ce quatrain sur son édition :

« J’ai maintenant réuni en une seule maison tout ce que les malades avaient coutume de rechercher par quantité de détours. D’abord destinée à prêter une salutaire main droite aux médecins, n’est-elle pas aussi pour moi un moyen de les y retenir avec la gauche ? »] {b}


  1. Henri ii Estienne, v. note [31], lettre 406.

  2. Sans lieu [Genève ou Paris], Henri Estienne, imprimeur de l’illustre Huldrichus Fuggerus, 1567, 2 volumes in‑fo.

Dans un fâcheux désordre de pagination, les œuvres d’Oribase forment la dernière partie du premier des deux volumes, Oribasii Sardiani Medici longe excellentissimi opera, tribus tomis digesta, Joanne Baptista Rasario interprete [Œuvres d’Oribase de Sardes, de loin le plus excellent des médecins, réparties en trois tomes, dans la traduction de Giovanni Battista Rasario (1517-1578, médecin italien et professeur de grec et de rhétorique à Padoue et Pavie)] :

11.

V. note [2], lettre latine 52, pour les Dissertationes anatomicæ de Werner Rolfinck (Nuremberg, 1656), qui n’en publia qu’un seul tome.

12.

Charles Bouvard avait été ce premier médecin (archiatre) de Louis xiii de 1628 à 1643 (précédé par Jean Héroard, de 1610 à 1628). Guy Patin expliquait utilement la nuance entre ce grade suprême de primarius medicus et celui, moins prestigieux, de primus ordinarium medicorum, « premier des médecins ordinaires » du roi, qui consistaient en quatre médecins par quartier (trimestre) et en un nombre variable de médecins servant toute l’année.

Charles Guillemeau (v. note [5], lettre 3) avait eu une carrière plus tourmentée à la cour de France : chirurgien de Henri iv puis de Louis xiii (et plus tard un de ses médecins), il s’était attaché à la personne de Marie de Médicis et avait suivi la reine mère dans sa disgrâce fatale de 1630. « Courtisan autant que pas un » (lettre du 26 décembre 1656 à Charles Spon, note [18]), Guillemeau était parvenu à retrouver de l’emploi auprès du roi. Les pamphlétaires de Montpellier n’ont pas manqué de dénigrer sa carrière aulique : vLes deux Vies latines de Jean Héroard (grand rival aulique de Guillemeau).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 47 ro.

Clarissimo viro D. Vop. Fortunato Plempio, Medicæ Doctori et Professori
regio in Academia Lovaniensi.

Suavissimam tuam accepi, vir Clar. pro qua gratias ago amplissimas. Orationem
illam panegyricam Freitagij de pharmacopolorum officio, non habet vir optimus
mihique amicisimus D. Vander Linden. De 7. illo Plinij libro quem Er. Puteanus
numquam aggressus est, quod tamen mihi indicaverat Val. Andreas in Bibliotheca Fr Sweertius in Athenis
sua Belgicis, pag. 232. eruditissimis gratias ago : de Cl. Salmasij laboribus in Plinium nihil ad nos
depluet ; itaque de 7. illo libro anno explanando, sequenti anno, si Deus dederit, seriò cogitabo. Quod Er.
Puteani liberi pauperiem patiantur, ægrè fero, et ex animo doleo : ô iniquum et infelix
sæculum ! quo bellatores, histriones et comedi locupletantur, et quorum pigri tot Monachorum ventres
miserorum ac stultorum sanguine farciuntur, dum frigent et famem ac esuriunt eruditorum filii :
certè Musæ sunt mulæ, aut saltem nihil pariunt præter laborem et ærumnas varias.
Dum olim inquirebamrem in patriam Abensinæ, quæ mihi dubia videbatur, ex varijs
Authorìb. pauca annotavi, quæ si volueris mittam, aut saltem Indicem illorum apud
si forsàn utilia Tibi esse possint pro tua Præfatione : nec tamen de ea quidquam adhuc mihi constat.
Eruditus quidam vir Hottingerus, Helvetius, Hebraïcarum rerum peritissimus, qui
hodie vivit ac docet Heidelbergæ, in suis Analectis Historico-Theologicis, pag. 294.
Tui meminit, tuìq. in Abensinam laboris ; qui utinam Tibi gloriam pariat, nobis v.
totìq. literariæ reipublicæ fructum et utilitatem multiplicem : sed tuum erit videre
de illis qui tam fortiter spernendum esse Abensinam scripserunt, (vitio forsan Inter-
pretum) in quìb. familiam ducunt Manardus et Fuchsius. In eum quidem strenuè et
eleganter invehitur, more suo, noster Fernelius, lib. 2 Meth. med. cap. 13. nec injuriâ,
nisi erraverint Interpretes ; est enim perniciosissimus ille error, et summi ad humani generis
salutem momenti, pro quo excusando frustra scripsit nimis multa Gratiolus, qui
videtur tantæ rei dignitatem nullo modo assequutus, de vena in morbis non secanda nisi
apparentibus signis coctionis, etc. Oribasius nulla, quod sciam, Anatomica scripsit,
(nec alia novit quem ideo consului Riolanus noster in talibus discernendis peritissimus) præter libellum
Parisijs Græcè editum, in 8. anno 1555. qui Latinè legitur à Io. Bapt. Rasario Nova-
riensi conversus, et editus inter Medicinæ principes : ac inter Oribasij opera repositus, pag. 522.
Græcum illum textum habui in 8. quem nuper in Germaniam misi ad D. Guernerum Rolfinck,
ab eo enixè rogatus, utpote qui eo indiget ad novi Operis Anatomici confectionem, cujus
tomus prior jam prostat, ab anno : Latinum v. versionem reperies in illis Medicinæ Principibus,
tom. 2 pag. dicta. Claris. virum Seniorem nostrum D. Io. Riolanum nomine tuo
salutavi, ut volueras : doctiss. virum Ren. Moreau salutare non potui, fatalem
enim horam expertus est, et abijt ad plures, die Martis, 17. Oct. 1656. anno æt. 72.
vir eximius, egregius, inter paucos numerandus : alter ei post triduum successit vir
ingeniosissimus magna mente præditus, Carolus Guillemeau, ann. æt. 68. qui Christianisimo Regi Lud. 13.
obsequium in Aula diu præstiterit, multa cum gratia et favore, eìq. fuerat Ordina-
riorum Medicorum quod vocant primus, ab ipso primario Regis Medico unico gradu distinctus :
eadémq. septimana in Libitinæ rationem venit tertius alter, cujus pater Belga fuerat,
dictus Carolis le Clerc, vir eruditus, et feliciter in Artis operibus versatus, anno æt.
74. Utinam hîc gradum sistat, et furorem deponat Mors ipsa : diúq. Seniorem nostrum
inter nos perennare sinat Clar. Riolanum, cum multis alijs viris bonis : Tu v.
vir clariss. vive, vale, et me ama, qui sum

Totus tuus ære et libra Guido Patinus.

[Lutetiæ P]arisiorum,
Die Veneris, 3. Nov.
1656.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Vopiscus Fortunatus Plempius, le 3 novembre 1656

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(Consulté le 25/04/2024)

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