L. latine 79.  >
À Thomas Bartholin,
le 23 mars 1657

[Ms BIU Santé no 2007, fo 56 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Thomas Bartholin, très célèbre docteur en médecine et professeur royal d’anatomie en l’Université d’Amsterdam, à Amsterdam.

Très éminent et très aimant Monsieur, [a][1]

Me voilà depuis fort longtemps sans nouvelles de vous et de vos travaux ; mais tandis que j’attends vos lettres de jour à autre, je vous annonce une nouvelle, bien qu’elle ne soit inattendue à propos d’aucun mortel, puisqu’il s’agit d’un décès ; mais de qui donc, me demanderez-vous ? Le défunt est Jean Riolan, professeur royal et le plus ancien maître de notre École, [2] qu’une rétention d’urine avec fièvre continue a envoyé dans l’au-delà ce lundi 19e de février 1657, âgé de 77 ans moins cinq heures. [1][3][4][5][6] Depuis quatre mois, soit depuis octobre dernier, trois autres de nos collègues ont suivi le même chemin, à savoir MM. René Moreau, jadis mon maître, homme très sage et professeur royal, [7] Charles Guillemeau, médecin du roi, [8] et Charles Le Clerc, Poliater experimetissimus ; [2][9] Libitina [10] les a inscrits sur son registre en l’espace de six jours. Ainsi serons-nous tous emportés vers le séjour des morts, et serius aut ocyus metam properamus ad unam : [3][11]

Omnia transibunt, nos ibimus, ibitis, ibunt,
Ignari, gnari, conditione pari
[4]

Et pourtant cent neuf médecins parisiens de notre Compagnie sont encore en vie, dont votre Guy est le numéro vingt-cinq, avec ses deux fils, Robert et Charles, [12][13][14] qui vous sont entièrement dévoués et affectionnés. Si des gens de votre Danemark viennent à Paris, écrivez-moi, je vous prie, ce que vous voudrez, mais que j’aie des nouvelles de vous et de vos affaires ; et envoyez, s’il vous plaît, votre Spicilegium[5][15] et même tout ce que vous pourrez avoir écrit depuis tout ce temps. Ici, la tyrannie incessante de la guerre met presque tout le monde en état de torpeur, d’une manière ou d’une autre et, dirais-je même, misérablement, et l’opiniâtreté des gouvernants ne laisse briller aucun espoir de paix prochaine. Je salue Messieurs tous vos très illustres frères, [16] mais vous en tout premier. Vale et continuez de m’aimer comme vous avez fait jusqu’à présent.

Votre Guy Patin de toute son âme, docteur en médecine de Paris, originaire du Beauvaisis et professeur royal.

De Paris, ce vendredi 23e de mars 1657.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Thomas Bartholin, ms BIU Santé no 2007, fo 56 ro.

1.

V. note [1], lettre latine 76, pour l’insistance et la précision de Guy Patin sur l’âge de Jean ii Riolan au moment de sa mort.

2.

« praticien fort expérimenté de Paris », où poliater est un hellénisme combinant médecin (iatros) et ville (polis), qui qualifiait (surtout en Allemagne) le premier médecin d’une cité (impériale).

3.

« ainsi nous hâtons-nous tôt ou tard vers un seul et même séjour » (Ovide, v. note [3], lettre 569, avec ocyus au lieu de citius [même sens]).

4.

« Toutes choses trépassent, nous passerons, vous passerez, ils passeront ; inconnus comme célèbres, tous égaux de condition » (v. note [3], lettre 140).

5.

V. note [1], lettre latine 48, pour le premier « Spicilège » de Thomas Bartholin sur les vaisseaux lymphatiques (Amsterdam, 1655).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 56 ro.

Clarissimo viro D. Thomæ Bartholino, Doctori Medico celeberrimo
et in Academia Hafniensi rei Anatomicæ Professori regio. Hafniam.

Iampridem de Te studijsque tuis nihil audivi, vir præstantissime,
et amicissime : dum v. literas tuas in dies expecto, ecce Tibi scribo rem novam,
quamvis nulli mortalium inexpectatam, nimirum mortem : sed cujus ?
inquies : Io. Riolani, Antiquioris Scholæ nostræ Magistri, et Professoris
regij, qui ex urinæ suppressione cum febre continua hinc ad plures pene-
travit, die Lunæ, 19. Febr. 1657. anno ætatis 77. si quinque horas
addideris. Quatuor antè mensibus, nempe Octobri postremo, tres alij
Collegæ nostri eamdem viam ingressi fuerant, nempe D. Renatus Moreau,
Præceptor olim meus, vir sapientissimus, et Professor regius : Carolus
Guillemeau
, Medicus regius : et Carolus le Clerc, Poliater experientissimus,
qui sex dierum spatio in libitinæ censum venerunt : sic omnes ad locum illum
communem rapimur, et serius aut ocyus metam properamus ad unam :

Omnia transibunt, nos ibimus, ibitis, ibunt,
Ignari, gnari, conditione pari.

Et tamen adhuc ex Ordine nostro Medic. Paris. superstites vivunt centum
et novem Doctores, ex quorum numero vigesimus quintus est Guido tuus, cum duobus
filijs Roberto et Carolo, tibi devotissimis et amantissimis. Si qui ex
Dania vestra veniant Parisios, scribe quæso quid velis ut de Te sciam,
rebúsq. tuis : et mitte si placet Spicilegium tuum, imò et aliud quidquid
scripsisti ab illis temporibus. Hîc omnes penè quodammodo, ne dicam miserè
languent, propter belli continuitatem tyrannicam : nec ulla spes affuturæ
pacis adfulget, per των μεδοντων improbitatem pervicaciam. Dominos fratres tuos omnes
viros illustrissimos saluto : Te v. imprimis. Vale, et me quod hactenus fecisti,
amare perge.

Tuus ex animo Guido Patin, Bell. Doctor Med.
Paris. et Professor regius.

Parisijs, die Veneris,
23. Martij, 1657.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Thomas Bartholin, le 23 mars 1657

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(Consulté le 26/04/2024)

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