L. latine 124.  >
À Johannes Antonides Vander Linden,
le 30 mai 1659

[Ms BIU Santé no 2007, fo 81 ro | LAT | IMG]

Au même. [1]

Très distingué Monsieur, [a][1]

J’ai lu votre dernière lettre, que vous aviez envoyée à M. Bigot (je pense qu’il n’est pas encore abbé ; en attendant, je lui souhaite pourtant quelque opulente et excellente abbaye, ce qui peut difficilement s’obtenir en France puisqu’on y vit maintenant à crédit). [2][2] Je me réjouis que vous vous portiez mieux, mais attachez-vous à raffermir et renforcer votre santé de jour en jour, afin que nous nous réjouissions alors pour de bon de votre rétablissement. Je vous remercie pour Simon Moinet, [3] je connais l’oiseau depuis longtemps, puisse-t-il devenir plus raisonnable désormais ; le fait est qu’il a une mère obstinée et impie, mais impotente et plus que septuagénaire : dabit Deus his quoque finem[3][4] Je ne sais rien de neuf sur Johannes Rhodius ; [5] j’ai cependant écrit à son sujet à un ami de Venise, [6][7] pour qu’il nous avertisse ou de sa mort, ou de son rétablissement. [4] J’attendrai de vous ces deux opuscules dont vous m’écrivez, de ætate Mundi, d’Isaac Vossius et Georg Horn. [5][8][9][10] Il a été dernièrement question de ces deux petits livres et de la dispute dont ils traitent un après-dîner chez M. de Lamoignon, premier président du Parlement de Paris, homme savant et protecteur des savants, que je vais voir une fois chaque semaine pour dîner avec lui ; [11] mais c’est comme Pétrone, l’Arbitre des élégances, en avait coutume avec ses amis, erudito luxu[6][12][13] Là-dessus, comme il me demandait ce que je pensais, j’ai répondu, en prenant saint Thomas d’Aquin à témoin, [14] que la question ne doit pas être écartée sur la seule autorité de la Sainte Écriture, quæ si non esset, certe Mundus ipse longe senior deprehenderetur quam vulgo putatur[7][15] comme le très grand Galileo Galilei avait coutume de dire en privé à ses amis. [16] Le premier président a souri de ma réponse et imposé qu’on mît fin à cette discussion, certes curieuse mais un peu oiseuse. J’ai souvent loué Johann Wier et même publiquement, et me réjouis, non sans gourmandise, [8][17] qu’on imprime ses œuvres réunies ; j’attends donc cela, de même que l’Historia Indica de Willem Piso, etc. [9][18] Comment M. Gronovius se porte-t-il et à quoi s’occupe-t-il ? [19] Si Elsevier a imprimé un livre français sous ce titre, Le Cabinet de la Maison d’Autriche[10][20][21] envoyez-m’en, je vous prie, un exemplaire, avec les autres que contiendra votre paquet. J’ai remis votre lettre au très distingué M. Rompf. [11][22] Tulpius ne songe-t-il pas à une nouvelle édition de ses Observationes ? Je souhaite qu’il la fasse. [12][23] Vale et aimez-moi.

De Paris, ce vendredi 30e de mai 1659.

Tout à vous, Guy Patin.

[Ms BIU Santé no 2007, fo 81 vo | LAT | IMG]

Petrus Bertius a jadis vécu ici chez nous ; avant de changer de religion, il avait habité et enseigné à Leyde. [24][25] Je me souviens l’avoir vu ici en 1620 et il m’avait recommandé de lire les Colloques et les Epistolæ d’Érasme, [13][26][27] écrivain qu’il louait très hautement et que, pour son immense mérite, il plaçait au-dessus de presque tous les autres. Il fut ici professeur royal de géographie en notre Collège de France, et il mourut en 1629 d’une dysenterie atrabilaire et fort âgé. [14][28][29] Il a laissé de nombreux fils, dont presque tous ont été moines dans l’Ordre des carmes déchaussés, selon la réforme de la bienheureuse Thérèse, femme d’Espagne. [30][31] Je voudrais savoir de vous si certains de ses fils vivent encore en Hollande, en particulier celui qui s’appelle Franciscus : est-il mort, quand et où ? Enquerrez-vous s’il vous plaît de ce Franciscus auprès de vos amis, ou interrogez vos anciens, et écrivez-m’en quand il vous plaira. [15] Vale.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johannes Antonides Vander Linden, ms BIU Santé no 2007, fo 81 ro et vo.

1.

La précédente lettre du ms BIU Santé no 2007 (8 mai 1659) était adressée à Johannes Antonides Vander Linden.

2.

V. note [5], lettre 483, pour Émery Bigot, érudit bibliophile et voyageur, qui ne fut ni prêtre, ni abbé.

3.

« à nos présents maux, Dieu aussi mettra un terme » (Virgile, Énéide, chant i, vers 199).

On suppute ici que la mère de Simon Moinet (v. note [13] de la Lettre inédite de Guy Patin venue de Russie) se plaignait de n’avoir pas régulièrement des nouvelles de son fils qui travaillait alors en Hollande chez les Elsevier.

4.

Lettre du 11 octobre 1658 à Florio Bernardi.

5.

En 1659, au moins quatre ouvrages ont développé la controverse qui a succédé à la parution de la Georgii Hornii Dissertatio de vera ætate mundi, qua sententia illorum refellitur qui statuunt natale mundi tempus annis minimum 1440, vulgarem aeram anticipare [Dissertation de Georg Horn {a} sur l’âge véritable du monde, où sont réfutés ceux qui décrètent que l’origine du monde date d’au moins 1 440 ans avant notre ère] : {b}

6.

« en expert en volupté » : portrait de Pétrone par Tacite (v. note [2], lettre 877).

7.

« car si elle [la Sainte Écriture] n’existait pas, on découvrirait que le monde est bien plus ancien qu’on ne le pense communément » : référence à un propos privé de Galilée (v. note [19], lettre 226), mais sans source identifiée, et dans le ton du scepticisme (« libertinage érudit ») que Guy Patin se plaisait à cultiver en compagnie de Guillaume de Lamoignon.

Le témoignage de Thomas d’Aquin (v. note [24], lettre 345) est son traité de Æternitate mundi [sur l’Éternité du monde], écrit vers 1270, qui débute sur ce constat :

De aeternitate mundi Supposito, secundum fidem Catholicam, quod mundus durationis initium habuit, dubitatio mota est, utrum potuerit semper fuisse.

[Pour l’éternité supposée du monde, on a mis en doute le fait que, selon la foi catholique, il ait eu un commencement, en se demandant s’il n’a pas pu exister de tout temps].

V. note [48] du Borboniana 1 manuscrit (et ses liens) pour divers points de vue sur l’âge du monde.

8.

Pour la vraisemblance de la pensée, j’ai ici introduit une négation que Guy Patin avait sans doute omise (non sine gula au lieu de sine gula), car il ne pouvait être que fort amateur des Opera omnia [Œuvres complètes] de Johann Wier (Amsterdam, 1660, v. note [4], lettre 574) ; recueil qui commence par un jugement de Marten Schoock sur les œuvres de Wier.

9.

V. note [6], lettre 543, pour les 14 livres de l’« Histoire des Indes » par Willem Piso (Amsterdam, 1658).

10.

V. note [5], lettre 566, pour ce livre d’Antoine Varillas (Paris, 1658, avec contrefaçon à Leyde la même année).

11.

Des deux frères Rompf, celui qui se trouvait alors à Paris devait être le cadet, Christiaen Constantijn, diplomate et médecin hollandais (v. note [2], lettre 827).

12.

V. note [3], lettre latine 118, pour les « Observations » de Nicolaus Tulpius (Amsterdam, 1652, pour la 2e de nombreuses éditions).

13.

Reçu maître ès arts en 1619, Guy Patin avait vraisemblablement pris sa première inscription à la Faculté de médecine en octobre 1620.

V. notes [8], lettre 73, pour les « Colloques » d’Érasme, et [4], lettre 71, pour ses « Épîtres ».

14.
V. note [38], lettre 348, pour Petrus Bertius (Pierre Bert), sa conversion au catholicisme, en raison de son attachement au libre arbitre, et la chaire royale de mathématiques que lui confia Louis xiii en 1622. L’erreur de Guy Patin sur la destination de cette chaire est sans doute liée au titre de sa leçon inaugurale :

P. Bertii de Geographia oratio, habita in Collegio Cameracensi, 11. kal. Julii, quo die professionem regiam auspicatus est.

[Discours de P. Bertius sur la Géographie, {a} prononcé dans le Collège de Cambrai le 22 juillet, jour où il a été intronisé professeur royal]. {b}


  1. La géographie n’était pas étrangère aux mathématiques car elle utilisait ses méthodes pour décrire la Terre.

  2. Paris, Mathurin Hénault, 1622, in‑4o de 23 pages, discours daté du 21 juin 1622.

V. note [6], lettre 584, pour la dysenterie atrabilaire qui emporta Bertius.

15.

Les biographes de Pierre Bert lui ont attribué quatre fils, dont trois devinrent carmes déchaussés (v. note [22], lettre 198), prénommés Abraham (puis Pierre 1610-1683), Wenceslas (1612-1643) et Jean (en religion Césaire ou César de saint Bonaventure, 1605 ou 1615-1662) ; le quatrième devint bénédictin et portait curieusement aussi le prénom de Jean. Je n’ai pas trouvé trace d’un François ou Franciscus.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 81 ro.

Eidem.

Postremam tuam accepi, Vir Cl. quam miseras ad D. Bigot : (puto
illum nondum esse Abbatem, interea tamen pinguem et opimam aliquam Abbatiam
illi exopto, quæ vix haberi potest in Gallia, ut nunc vivitur absque nummis
præsentibus ;) gaudeo quod melius Tibi sit : sed da operam ut in dies recurrat
firmior et fortior tua valetudo, tum postea seriò gaudebimus περι του
ραισμου. De Sim. Moineto gratias ago : jamdudum novi hominem : utinam sapiat
in posterum : revera matrem habet cervicosam et impiam, sed infirmam et plusquam
septuagenariam : dabit Deus his quoque finem. Nihil habeo novi de Iano Rhodio ;
scripsi tamen Venetias ad amicum, super illo Viro, qui nos moneat de ejus vel obitu vel
convalescentia. Libellos illos duos de ætate Mundi, de quib. scribis, Is. Vossij et Georg. Hornij,
à Te expectabo. De quib. libellis, ut et de intricata quæstione qui in illis continetur
nuper actum est post cœnam, apud D. de Lamoignon, Paris. Senatus principem, virum erudi-
tum, ac eruditorum fautorem, quem singulis hebdomadis semel inviso, et cum eo cœno :
sed ut solebat Petronius Arbiter cum amicis, erudito luxu. De tali quæstione cùm peteret
Ille quid sentirem, respondi ex authoritate Divi Thomæ Aquinatis, tale quid in quæstionem
revocari non debere, propter authoritatem sacræ Scripturæ : quæ si non esset, certè Mundus ipse
longè senior deprehenderetur quàm vulgò putatur
 ; ut privatis amicis referre solebat
vir summus Galilæus Galilæi : ex quo responso meo Ille subrisit, et finem imposuit curiosæ quidem, sed parum
fructuosæ disputationi. Io. Wierum sæpius laudavi, etiam publicè ; gaudeóq. quod sine
gula ejus Opera simul excudantur : eum itaq. expecto, cum Gul. Pisonis Indica Historia, etc.
Dominus Gronovius
quî se habet ? quid novi molitur ? Si Elsevirius typis mandaverit librum Gallicum,
sub hoc lemnate, Le Cabinet de la maison d’Austriche, mitte quæso exemplar, cum alijs in
fasciculo reconditis. Cl. D. Rompfio, auditori meo frequenti, tuam reddidi. Cogitàtne
Tulpius de nova editione suarum Observationum ? utinam fiat. Vale, et me ama.
Datum Parisijs, die Ven. 30. Maij, 1659. Tuus totus Guido Patin.

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 81 vo.

Hîc olim vixit apud nos, Petrus Bertius, qui antequam religionem
mutasset, Leidæ vixerat atque docuerat : memini me illum hîc vidisse anno
1620. mihique commendasse lectionem Colloquiorum et Epistolarum Erasmi,
quem apprime laudabat, et summo suo merito supra omnes pene scriptores
collocabat. Hîc fuit in regio nostro Collegio Geographiæ professor
regius
 : obijtq. anno 1629. ex dysenteria atrabilaria, valde senex. Multos
reliquit filios, quorum aliqui, et penè omnes fuerunt Monachi, ex ordine
Carmelitarum discalceatorum, ex reformatione B. Teresæ, mulieris
Hispanæ. Ex Te scire velim, an aliqui sint ejus filij superstites in Hollandia,
præsertim aliquis Franciscus dictus : an obierit, quando, et ubinam ? In-
quire si placet ab Amicis, vel interroga seniores tuos, de illo Francisco,
et scribe quando libuerit. Vale.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johannes Antonides Vander Linden, le 30 mai 1659

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(Consulté le 24/04/2024)

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