L. latine 132.  >
À Johannes Antonides Vander Linden,
le 26 mars 1660

[Ms BIU Santé no 2007, fo 84 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johannes Antonides Vander Linden, docteur en médecine, à Leyde.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je dois réponse à vos deux lettres. J’ai reçu la première il y a six semaines ; mais la seconde m’est parvenue il n’y a que quelques jours, par votre parent. Vous n’aurez jamais à douter de mon amour pour vous. Chaque fois que vous enverrez votre fils en France, [2] faites en sorte qu’il vienne nous voir. Je l’accueillerai comme s’il était le mien, à table et maison ouvertes, et il jouira d’une chambre particulière, comme si elle était à lui. On avait ici l’espérance d’un jour de fête, vers le début du mois de juin, pour le retour de notre roi à Paris avec sa jeune épouse et toute la cour. [3][4] La ville la plus peuplée d’Europe les aurait reçus en grande pompe, avec vacarme et somptuosité immenses ; mais tout cela n’arrivera pas de sitôt car les intrigues de cour sont sujettes à divers changements. De fait, comme ce mariage royal semblait près de se faire, parce que le roi de Suède est passé de vie à trépas, [5] l’Espagnol a objecté un empêchement et tout retardé ; [6] il a prétexté son mauvais état de santé qui ne lui permet pas de sortir aussi tôt de son palais. On remet donc ce mariage à un autre mois, mais nul ne sait si ce sera l’un des prochains ou en automne. Quoi qu’il en advienne, chaque fois que vous voudrez envoyer votre fils à Paris, je le tiendrai ici pour plus que mon propre fils et le garderai aussi longtemps que vous voudrez. Quand il sera plus grand et d’âge plus avancé, je l’instruirai plus aisément, et il tirera grand profit de ce qu’il verra et entendra. Je vous offre l’Hippocrate de Calvus et vous l’enverrai quand vous voudrez ; il a été publié à Bâle chez Cratander en 1526, et je ne tarderai guère afin que vous n’en manquiez pas plus longtemps. [1][7][8][9] Je vous remercie pour votre Slendrius ; ici chez nous, plusieurs en sont les disciples et quelques-uns sont même pires, exerçant la médecine à la façon des Turcs, comme si notre métier était un traquenard ou quelque imposture conçue pour vider la cassette des malades. [2] J’ignore le nom de celui qui a écrit la préface du Cælius Aurelianus, et il n’est pas facile de le savoir car il n’a pas voulu qu’on le connaisse ; j’en reste donc là et ne tranche pas. [3][10][11] N’est-ce pas Jacques Goupil, médecin de Paris et professeur royal, qui, comme il était très savant homme, a procuré l’édition de nombreux livres ? [4][12] Votre parent, M. van Kinschot, m’est très hautement recommandé ; je lui ai offert toute sorte de services quand il m’a remis votre lettre. [5][13] Tandis que nous conversions ici à votre sujet dans ma bibliothèque, M. Rompf nous a interrompus et il est parti avec lui. [14][15] Ne doutez pas qu’il me sera très cher s’il me demande quelque chose ou s’il a besoin de mon aide. Qu’est-ce que vos imprimeurs nous préparent de nouveau ? Devons-nous espérer de nouvelles épîtres de Hugo Grotius ad Belgas et Germanos[6][16] du 3e tome de Rivet, de votre Wierus ? [7][17][18] Je salue MM. les très distingués Gronovius, van Horne, Vorst, et son très cher fils. [19][20][21][22] Quant à vous, très distingué Monsieur, vive et vale, et continuez de m’aimer comme vous faites.

De Paris, le 26e de mars 1660.

Votre Guy Patin de tout cœur.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johannes Antonides Vander Linden, ms BIU Santé no 2007, fo 84 vo.

1.
V. note [5], lettre latine 91, pour l’Hippocrate de Marcus Fabius Calvus (Bâle, 1526). Johannes Antonides Vander Linden travaillait alors à sa propre édition d’Hippocrate (v. note [11], lettre 726).

Andreas Cratander (Strasbourg vers 1485-Bâle vers 1540) avait ouvert son imprimerie à Bâle en 1518. Concurrent de Johann Froben (v. note [142] des Déboires de Carolus), il a surtout publié les classiques grecs et latins dans leur langue d’origine.

2.

Johannes Antonides Vander Linden avait répondu sur le sens du mot Slendrianus (ici Slendrius) qu’il avait employé dans ses Selecta medica… [Morceaux médicaux choisis…] (Leyde, 1656, v. note [10], lettre latine 130). Nous n’avons pas cette explication : sans doute ne se référait-elle pas à un personnage, mais à une latinisation du verbe et du substantif flamands slenderen et slender qui signifient respectivement aller lentement et routine (train-train ou ronron en langue moins soutenue, tran-tran au xviie s.) ; du moins, ce sens s’accorde-t-il avec le commentaire de Guy Patin, qui blâmait les imitateurs dénués de tout sens critique.

3.

V. note [3], lettre latine 71, pour Cælius Aurelianus, médecin latin du ve s., et ses deux traités consacrés aux maladies aiguës et chroniques, publiés ensemble à Lyon en 1567 : v. dernière notule {b}, note [2], lettre latine 44 ; mon analyse de sa préface anonyme (Lectori S. [Salut au lecteur]) n’en a pas identifié l’auteur, mais conclut qu’elle doit être attribuée à Nicolas de Nancel (v. note [10], lettre 488).

Les deux livres de Scriptis medicis [des Écrits médicaux] de Johannes Antonides Vander Linden (Amsterdam, 1662, pages 102‑103) n’en a pas identifié la plume, mais cite une autre édition :

Ad fidem exemplaris manuscripti castigati, et Annotationinus Iac. Dalechampii illustrati. Londini, 1579, in 8.

[Sur la foi d’un exemplaire manuscrit qui a été corrigé et enrichi par les annotations de Jacques Daléchamps. {a} Londres, 1579, in‑8o]. {b}


  1. Selon certaines sources, Jacques Daléchamps (v. note [2], lettre 71) aurait aussi établi l’édition de Lyon, 1567.

  2. Je n’ai pas trouvé à cette édition dans les catalogues que j’ai consultés, mais Johannes Albertus Fabricius l’a citée à la page 151 Bibliotheca Latina sive Notitia Autorum Veterum Latinorum quorumcunque Scripta ad nos pervenerunt… [Bibliothèque latine ou Répertoire de tous les auteurs latins dont les écrits nous sont parvenus…] (Hambourg, Beniamin Schiller, 1697, in‑8o) en termes un peu différents :

    Utrumque Cælii opus ad fidem MSti emendatum et notis illustratum nomine suo suppresso, Lugduni (non Londini ut legitur apud Merklinum p. 135) edidit Jacobus Dalechampius A. 1579 8.

    [Jacques Daléchamps a édité à Lyon (et non à Londres, comme on lit dans Merklinus, page 135), in‑8o, les deux ouvrages de Cælius corrigés sur la foi d’un manuscrit et illustrés de notes, en taisant le nom de leur auteur].

    Cette remarque incite à penser qu’il s’agissait d’une réédition de celle de 1567.


4.

Jacques Goupil, natif de Luçon, mort en 1568, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1546 ou 1547, avait été nommé professeur de médecine au Collège de France en 1555. Il a donné des commentaires de Rhazès, de Paul Éginère, de Dioscoride et de Johannes Actuarius.

5.

Un Nicolaas van Kinschot (1585-1660) a été pensionnaire (ministre de la régence) de Delft en 1638 ; il pouvait s’agir de lui ou plutôt de l’un de ses enfants. C’est celui que Guy Patin avait mentionné au début de sa lettre comme porteur d’une de celles que lui avait écrites Johannes Antonides Vander Linden.

6.

« aux Belges et aux Allemands » ; v. note [19], lettre 352, pour ce recueil dont l’érudit hollandais Isaak Gruter avait annoncé la parution, mais qui n’a jamais vu le jour.

7.

V. notes [27], lettre latine 88, pour les deux ouvrages d’André Rivet sur L’Exode et Le Décalogue (Leyde, 1634 et 1637), qui n’eurent pas de suite, et [5], lettre 574, pour les Opera omnia [Œuvres complètes] de Johann Wier (Amsterdam, 1660).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 84 vo.

Clarissimo viro D.D. Io. Ant. Vander Linden, Medicinæ Doctoris, Leidam.

Duab. tuis responsum debeo, Vir Cl. quarum priorem ante sex septimanas accepi : posteriorem
v. per Cognatum tuum, à paucis diebus. De meo in Te amore numquam erit quod dubites.
Filium tuum quotiescumque miseris in Galliam, fac ad nos veniat, eum tanquam meum
excipiam, communi mensa et foco ; et ac cubiculo privato utetur tanquam suo. Hîc festivus dies
sperabatur circa initium Iunij, pro Rege nostro Lutetiam reversuro, cum nova sua
uxore, et tota Aula ; quem Urbs populosissima magnâ pompâ excepisset maximo
strepitu et magnis sumptibus : sed hæc omnia non tam citò evenient ; aulica negotia
magnis varijs sunt obnoxia mutationibus etenim ex quo Suecorum rex vitam cum morte
commutavit, regio isti conjugio proximè ut videbatur futuro, impedimentum objecit
et moras attulit Hispanus, infaustam valetudinem causatus, per quam ei non licet
tam citò ex sua regia discedere : in alium idcirco mensem differtur istud conjugium, sed
nemo scit an in proximè sequentem, an in autumnum. Sed ut ut sit, quandocumq.
Filium tuum mittere voles Parisios, eum plusquam meum hîc habebo, et quamdiu
volueris detinebo : si adultior ac ætate proventior fuerit, facilius discet, ac ex ijs quæ
videbit et audiet, amplius magis proficiet. Hippocratem Calvi Tibi offero, et quando volueris
mittam : editus est Basileæ apud Cratandrum, anno 1526. nec morabor, ne diutius indigeas.
Gratias ago pro vestro Slendrio : et hîc apud nos plures sunt Slendriani : imò deteriores non-
nulli, qui Medicinam faciunt ac si Turcæ essent : quasi Ars nostra decipula esset vel impos-
tura quædam, exhauriendis ægrorum loculis excogitata. Ejus qui præfatus est ad Cælium
Aurelianum, nomen nescio, nec scire facile est, quum Ille sciri noluerit : ideóq. επεχω,
και ουδεν οριξω. Annon fuit Iac. Goupilus, Med. Paris. et Prof. regius, qui cùm esset
vir doctissimus, multorum librorum editionem promovit ? Cognatus tuus D. Kinschotius
est mihi commendatissimus : omne officiorum genus illi obtuli, quum tuam mihi reddidit. Dum
hîc de Te confabularemur in Bibliotheca, D. Rompfius intervenit, cum quo abijt. Ne
dubita illum mihi fore carissimum, si quid à me requirat, et vel ope mea indigeat. Quid
apud vos moliuntur novi vestrates Typographi ? Quid nobis sperandum de novis epistolis
Hug. Grotij ad Belgas et Germanos ? quid de tomo 3. Riveti ? quid de Wiero tuo ? Viros
clarissimos saluto, D.D. Gronovium, Van-Horne, Vorstium et Filium carissimum. Tu v.
Vir Cl. vive, vale, et me quod facis, amare perge. Datum Lutetiæ, 26. Martij, 1660.

Tuus ex animo Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johannes Antonides Vander Linden, le 26 mars 1660

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(Consulté le 29/03/2024)

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