L. latine 183.  >
À Christiaen Utenbogard,
le 14 mars 1662

[Ms BIU Santé no 2007, fo 130 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Christiaen Utenbogard, docteur en médecine à Utrecht.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je me réjouis extrêmement que vous ayez bien reçu les trois lettres que je vous ai écrites, et aussi que ma santé se rétablisse, ce pourquoi je reconnais debere gallum Æsculapio[1][2][3][4][5][6] Je salue de tout cœur votre compatriote M. Godin. [2][7] Je vous remercie d’avoir expédié mes lettres à M. Schoock. [8] S’il vous envoie quelque réponse à mon intention, adressez-la, s’il vous plaît, à Leyde, à notre ami M. Vander Linden ; [9] ou bien à Amsterdam, à un Parisien qui s’appelle Simon Moinet, demeurant chez Louis Elsevier ; il est son correcteur et dirige son imprimerie ; il écrit chaque semaine en cette ville à ce Louis Elsevier qui séjourne ici depuis quelques semaines. [10][11] Je vous saurai gré de m’acheter les livres et les opuscules de M. Schoock que je n’ai pas. Sachez que je possède ceux dont vous m’avez écrit, savoir la Dissertatio politica de bonis Ecclesiasticis, ainsi que l’Epistola ad Hornebeckium [12] avec ses Exercitationes sacræ et son Tractatus de Præcisitate. Le fait est que vous m’en aviez fait cadeau et que le frère de l’auteur [13] me les avait remis. Je vous en avais remercié par une lettre qui ne vous est peut-être pas parvenue, dont j’ignore si elle s’est perdue en chemin. [3] Écrivez-moi si vous savez ce que nous prépare maintenant notre Marten Schoock, et s’il a fait imprimer son livre de Fermentatione, ou quelque chose d’autre. Vous m’avez laissé dans le doute et l’incertitude pour le conseil que je vous ai précédemment demandé sur la manière dont je devrais agir pour exprimer ma gratitude envers ce très distingué Monsieur ; j’attends néanmoins d’avoir une occasion de m’en acquitter et délivrer. [4] Je ne me soucie plus guère et ne me soucierai pas de ce théologien de votre pays, qui est un homme violent et emporté, et d’esprit opiniâtre. [5][14] Puissent en effet les dieux vous protéger d’avoir chez vous, comme je vois, des simoniaques et des loyolites, [15][16] qui perturberont vos affaires tout autant que font ici les nôtres. Pour la nouvelle édition des Opera d’Érasme, [17] l’espoir ne fait qu’en luire, on dit en effet que l’impression n’en a pas même été commencée. [6] Quand notre ami Elsevier repartira dans son pays, j’apprêterai un paquet où vous trouverez Les Opérations de chirurgie de François Thévenin et l’Histoire de l’Église d’Antoine Godeau ; [7][18][19] je m’enquerrai des Dialogues d’Antoine Oudin et vous les enverrai si je les trouve, comme vous le souhaitez. [8][20] J’ai un plant de geranium noctu olens ; [9][21] celui qui me l’a donné m’en a promis des graines que je vous [Ms BIU Santé no 2007, fo 130 vo | LAT | IMG] enverrai avec quelques autres qu’on m’a données ; je les mettrai toutes dans une petite boîte, où vous trouverez ce que vous avez demandé. J’apprends que vit à Groningue un savant médecin, Anton Deusing, polygraphe et auteur de nombreux livres. [22][23] Si vous le connaissez et s’il est votre ami, je voudrais que vous le saluiez de ma part ; et si vous trouvez légitime que je sollicite son amitié, je lui écrirai afin de lui faire savoir que je l’honore et le respecte pour des raisons qui m’appartiennent. Je vous demande aussi la même chose au sujet d’un autre professeur hollandais (peut-être d’Alkmaar), [24] fils d’un très savant homme, dont je voudrais mériter la connaissance et l’amitié : il s’appelle von Neuhaus, fils d’Edon. [25][26] Vous déciderez et disposerez de cela selon votre jugement, et si vous parlez de moi à de ces deux personnages, je vous serai profondément reconnaissant. [10] Il n’y a ici rien de nouveau dans nos affaires publiques, mis à part l’extrême cherté de toutes les denrées, et du pain en particulier. [27] Nicolas Fouquet, naguère notre surintendant des finances, est en prison, et son procès encore en jugement ; [28] on dit néanmoins que notre roi veut que l’affaire soit terminée avant Pâques. On disait que le roi irait en Alsace en mai prochain, mais cette expédition a paraît-il été reportée à septembre. [29] On prétend que notre dessein d’acquérir le duché de Lorraine, par la force ou par l’argent, s’est assoupi. [30][31] Ceux qui écrivent de Constantinople annoncent que, par la fourberie et la rébellion des janissaires, on a étranglé les deux premiers princes de la cour du Turc, savoir le pape des turcs, qu’ils appellent mufti, et le grand vizir. [11][32][33][34][35] Dieu permettra peut-être qu’un si grand Empire s’en aille un jour dans les vicieux complots de ses soldats ; pour le bien du monde chrétien, puisse-t-il faire que cela arrive rapidement. Je n’écris rien de l’Angleterre, votre voisine ; on dit pourtant que la jeune Portugaise fera son entrée à Londres dans le mois qui vient. [12][36][37] Vale, très éminent Monsieur, et bien que je ne le mérite pas, continuez de m’aimer comme vous avez fait jusqu’ici, et vous exaucerez ainsi tous mes vœux.

De Paris, ce 14e de mars 1662.

Votre Guy Patin de tout cœur.


a.

Brouillon manuscrit d’une lettre que Guy Patin, encore affaibli (v. infra note [2]), a dictée à l’intention de Christiaen Utenbogard, ms BIU Santé no 2007, fo 130 ro et vo, seules la subscription et deux additions sont de la plume de Guy Patin ; imprimée sans différences significatives dans Brant, Epistola lxvii (pages 213‑216), où elle est précédée par la lettre en français du 10 mars 1661.

1.

« devoir un coq à Esculape » : v. notes [12], lettre 698, pour le sacrifice à Esculape en remerciement d’une guérison, et [2], lettre d’Adolf Vorst, datée du 4 novembre 1661, pour la possible typhoïde qui avait rudement affecté Guy Patin en octobre 1661 (v. note [1], lettre 717) et dont il endurait encore les séquelles.

Notre édition ne contient que deux des trois lettres que Patin disait ici avoir envoyées à Christiaen Utenbogard : écrites en français, elles sont datées des 19 janvier et 8 février 1662.

2.

Ce personnage pouvait être Jean-Louis Godin, heer van Maarssenbroek, mort en 1688, qui fut en 1672, « député de la part des États de la province d’Utrecht à Sa Majesté Royale, Louis xiv roi de France et de Navarre, etc. » (Abraham de Wicquefort [v. note [19], lettre 402], Avis fidèle aux véritables Hollandais, touchant ce qui s’est passé dans les villages de Bodegrave et Swammerdam, et les cruautés inouïes que les Français y ont exercées. Avec un Mémoire de la dernière marche de l’armée du roi de France en Brabant et en Flandre, sans lieu ni nom, 1673, in‑4o, page 112).

3.

Ces ouvrages de controverse religieuse, que Marten Schoock a publiés à Groningue, sont référencés dans les notes :

Au début de sa lettre latine du 2 février 1657 (v. sa note [2]), qui n’était jamais parvenue à Christiaen Untenbogard, Guy Patin l’avait remercié pour des « opuscules de l’excellent M. Schoock » ; mais, étant donné leurs dates de parution, il ne pouvait pas s’agir des deux derniers cités ci-dessus. Cette lettre et ces livres avaient été remis à Patin par Antonis Schoock, avocat à Utrecht et frère de Marten (v. note [6], lettre latine 107 du 3 septembre 1658).

V. infra note [4], pour l’autre colis de livres gracieusement envoyés par Schoock à Patin, qui les avait reçus en janvier 1662.

4.

V. note [3], lettre 723, pour le livre de Marten Schoock « sur la Fermentation » (Groningue, 1663).

Au début de sa lettre française du 19 janvier 1662, Guy Patin avait interrogé Christiaen Utenbogard sur la manière de remercier Schoock pour les dix livres qu’il lui avait envoyés, recensés dans la note [2], lettre ladite lettre. Il opta pour un envoi de 6 pistoles, soit 66 livres tournois (v. note [2], lettre latine 190).

5.

Ce théologien était Gisbertus Voetius (Ghys Voet), dont le rigorisme terrifiait Christiaen Utenbogard (v. sa lettre datée du 21 août 1656).

6.

V. note [4], lettre latine 166, pour le projet de rééditer à Rotterdam les œuvres complètes d’Érasme.

7.

V. notes :

8.

Dialogues fort récréatifs composés en espagnol, et nouvellement mis en italien, allemand, et français, avec des observations pour l’accord et la propriété des quatre langues. Par Antoine Oudin, secrétaire, interprète de Sa Majesté (Paris, Antoine de Sommaville, 1650, in‑8o).

Linguiste polyglotte, Antoine Oudin (1595-1653), fils de César Oudin, interprète de Henri iv, devint lui-même interprète de Louis xiii et donna des leçons d’italien à Louis xiv.

9.

V. note [1], lettre latine 77, pour le « géranium qui sent bon la nuit », que Christian Utenbogard désirait faire pousser à Utrecht depuis cinq ans.

10.

Guy Patin a correspondu avec ces deux savants hollandais.

11.

L’expédition de Louis xiv en Alsace n’eut même pas lieu du tout (v. note [2], lettre latine 180).

Les nouvelles de Constantinople étaient douteuses : le grand vizir du sultan Mehmed iv (v. note [12], lettre 184), Mehmed Pashha Köprülü (v. note [4], lettre 539), était mort de sa bonne mort le 31 octobre 1661 ; son fils, Fazil Ahmed Pashha Köprülü lui avait succédé et a conservé sa charge jusqu’à son décès en 1676.

Histoire de l’Empire ottoman… de Joseph von Hammer, traduit de l’allemand par J.J. Hellert (Paris, Bellizard, Barthès, Dufour et Lowell, 1838, in‑8o), tome onzième, livre liv, Entrée aux affaires de Koprülü Ahmed, pages 116‑117 :

« Ses premiers actes {a} témoignèrent bientôt qu’il était résolu à maintenir une justice sévère, et à n’abandonner aucune de ses prérogatives. […] Le mufti Esir {b} Mohammed-Effendi de Brousa, celui-là même qui seize ans auparavant avait été fait prisonnier par les Vénitiens à bord du vaisseau de l’eunuque Sünbülaga, et depuis avait recouvré sa liberté, s’était permis, en présence du sultan et de Koprülü Ahmed, quelques observations sur l’extrême sévérité du dernier grand vizir et avait parlé de sang injustement répandu. Le grand vizir dit au mufti ; “ Si mon père a signé des arrêts de mort, il l’a fait en vertu de ton fetwa. ” {c} Ce dernier répondit : “ Si j’ai délivré des fetwas, c’est parce que je redoutais pour moi-même les effets de sa cruauté. ” – “ Effendi ! répliqua le grand vizir, est-ce à toi, qui es instruit dans la loi du Prophète, à craindre Dieu moins que sa créature ? ” Le mufti garda le silence ; mais cet entretien lui valut sa destination et son exil à Rhodes, et sa place fut donnée à Sanizadé. La première condamnation à mort, régulirement prononcée par fetwa, atteignit un renégat grec, ex-métropolitain de Rhodes […]. »


  1. Fazil Ahmed Pashha Köprülü avait été nommé grand vizir le lendemain de la mort de son père.

  2. Mufti : « chef de la religion mahométane, résident à Constantinople. La puissance du mufti est souvent redoutable au Grand Seigneur. Le mufti est le souverain interprète de l’Alcoran, qui décide les questions de la Loi » (Furetière) ; Papa Turcorum, « le pape des turcs » dans l’imagination de Guy Patin.

  3. Synonyme masculin de fatwa (substantif féminin) : avis juridique prononcé par un représentant de la loi islamique.

12.

V. note [7], lettre 694, pour le mariage de Charles ii, roi de Grande-Bretagne, avec Catherine de Bragance, fille du roi Jean iv de Portugal.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 130 ro.

Cl. viro D. Chr. Utenbogardo, Med. Doctori, Ultrajectum.

Vir Cl. Quod tres meas antehac ad Te scriptas feliciter acceperis, apprime
gaudeo, ut et de restituta mea valetudine, pro qua me debere fateor gallum
E
Æsculapio. Popularem Tuum D. Godin ex animo saluto. qQuod meas ad
D. Schoockium literas miseris, gratias ago. Si responsum aliquod
ad Te mittat pro me, mittes si volueris, Leidam ad amicum nostrum
D. Vander lLinden : vel Amstelodamum ad quemdam Parisinum
qui vocatur Simon Moynet, habitantem apud Ludov. Elzsevirium,
ejus Typographæi directorem et Emendatorem, qui singulis
septimanis scribit in hanc Urbem ad Lud. illum Elsevirium,
qui hîc degit ab aliquot septimanis. De libris M. Schoockij,
sive libellis quos non habeo, gratum facies si mihi redemeris :
illos habere me fateor quos scripsisti, nempe Dissertationem
Politicam de bonis Ecclesiasticis :
ut et Epistolam ad Hornebeckium,
cum e
Exercitationibus sacris, et de pPræcisitate, quos revera accepi,
munere tuo, per Fratrem Authoris, et pro ijs gratias egi per
Epistolam, quæ fortasse tibi reddita non fuit, nescio an per viam
perierit. Nunc verò quid novi moliatur noster M. Schoocckius, et an
suum de Fermentatione librum prælo sujecerit, aut quid aliud,
scribe si nosti. d
De Cconsilio quod antéhac à Te postulavi, quî nimirum
cum Cl. viro me gerer deberem, ut gratias illi agerem, dubium
et incertum me reliquisti : faciam tamen et rem ipsam perficiam
atque expediam, datâ aliquâ occasione quam expecto. Vestratem
illum Theologum, virum trucem et cerebrosum, atque pervicacis
ingenij, non amplius moror, nec in posterum morabor. Dij meliora
habetis enim apud vos ut video, Simones quosdam et Loiolitas, qui res
vestras non minus turbant quàm nostri nostras. De nova editione
Operum Erasmi,
spes tantum affulget, nec enim tantum Opus dicitur adhuc inchoatum[.]
Fasciculum adornabo priusquam noster Elsevirius in Patriam nostram suam
revertatur, in quo reperies Fr. Tevenin Operationes Chirurgicas : cum
historia Ecclesiastica Ant. Godeau : de Colloquijs Ant. Oudin, inquiram,
et, si prostent, mittam ut requiris. Geranij Noctu olentis plantam habeo :
qui plantam illam mihi dedit, ejusdem semen mihi promisit, quod ad Te

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 130 vo.

mittam qu cum aliquot seminibus, mihi traditis, quæ singula includam
in aliqua pyxidula : et mittam : in ea deprehendes quæ petijsti. Audio
Groningæ vivere Medicum quendam eruditum, Ant. Deusingium,
Polygraphum, et multorum librorum Authorem : si eum nosti, et
amicus tibi fuerit, velim salutes meo Nomine : et, si æquum judicias eris,
ut in amicitiam ejus penetrem, ad eum scribam, ut intelligat seipsum
à me coli et honorari, cujus causas penes me habeo. Idem quoque à
Te postulo pro alio Professore Batavo (fortassis Alcmariano) eruditissimi
viri filio, et ipso eruditissimo, cujus notitiam et amicitiam demereri
vellem :
^ Neuhusius vocatum,/ Edonis filius. Isthæc pro judicio tuo reges atque temperabis : etsi utriusque
viri memineris, gratissimum mihi facies. De rebus
nostris publicis nihil hîc habemus novi, præter omnigenæ
annonæ, et præsertim panis nimiam caritatem. Nic. Fouquet,
antehac Ærarij præfectus, in carcere detinetur, et adhuc sub judice
lis est : nihilominus tamen dicitur Rex Noster tale negotium
terminari velle intra Paschalia. Dicebatur Rex iturus in
Alsatiam proximo mense Maio : sed rejecta dicitur isthæc
expeditio in Septembrem. De nobis comparando, vel vi, vel pretio,
Ducatu Lotharingiæ, dicitur consopitum negotium. Qui
Byzantio scribunt nuntiant Janissarionum fraude et rebellione
strangulatos esse duos ex aula Turcica primarios viros, nempe
Papam Turcorum, quem Muphti nuncupant, et magnum
Vizirium : Deus forsan aliquando permittet ut tantum Imperium
pravis ejusmodi militum artibus pereat ; quod utinam citò contingat
in Orbis Christiani commodum. De Anglia vobis vicina nihil scribo,
dicitur tamen Lusitanica Virgo Londinum intra mensem
ingressura. Vale, Vir præstantissime, meque quod hactenus fecisti,
licet immerentem, amare perge, et me magno voto damnabis.
Datum Lutetiæ Parisiorum, die 14. Martij 1662.

Tuus ex animo Guido Patin


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Christiaen Utenbogard, le 14 mars 1662

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(Consulté le 19/04/2024)

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