L. latine 198.  >
À Christiaen Utenbogard,
le 6 juin 1662

[Ms BIU Santé no 2007, fo 108 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Christiaen Utenbogard, docteur en médecine à Utrecht.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je n’ai aucun doute sur la force et la constance de votre affection pour moi, non plus que sur votre fidélité ; mais je me demande si vous avez bien reçu toutes mes lettres, ainsi que le petit présent de six pistoles d’Espagne à l’intention du très distingué M. Marten Schoock, notre bon ami ; [2] je désire vivement votre réponse sur ces deux sujets. Chaque fois que vous voudrez m’écrire ou m’envoyer des opuscules, expédiez tout ce que vous aurez à Amsterdam, à Simon Moinet qui réside dans l’imprimerie des Elsevier. [3] Quand le nouveau livre de M. Marten Schoock de Fermentatione nous parviendra-t-il ? [1] En un même jour, ce 27e de mai, nous avons ici perdu deux de nos vieux collègues, Robert Tullouë, âgé de presque 80 ans, [4] et Jean de Bourges, presque septuagénaire. [5] Il y en a encore quinze devant moi, que je précéderai peut-être, si la mort s’en mêle ; Sortes meæ in manibus Domini[2][6] Il faut supporter avec gratitude et accepter avec le sourire ce qui ne peut être évité. Heureux, je me dirigerai donc quo pius Æneas, quo Tullus dives, et Ancus antehac penetrarunt : lege positum est, atque constat, ut constet genitum nihil : pulvis et umbra sumus[3][7][8]

[Ms BIU Santé no 2007, fo 108 vo | LAT | IMG] Notre roi se divertit et triomphe, [9] à moins qu’il ne se moque : tandis que la nouvelle Chambre de justice, [10] qu’il a lui-même instituée, s’occupe chaque jour à instruire le procès de Nicolas Fouquet et des nombreux partisans qu’on a emprisonnés, d’où couleront bien des larmes dans bien des familles, [11] on prépare dans le même temps des jeux équestres qu’on exécutera sous peu en grande pompe, aux grands frais du roi, des princes et des autres nobles ; [4][12] sans tenir compte de la cherté des denrées, qui est ici extrême, pour les immenses douleurs et incommodité de beaucoup de gens. [13] Ainsi va la vie des rois et des mendiants. Assurément pourtant, res est non satis sobria, lascivire devorato orbe terrarum[5][14] et épuisée par des impôts excessifs, [15] quand tant de chrétiens meurent si misérablement de faim. Je continuerais à écrire si la souffrance du peuple ne m’en empêchait et si les calamités publiques ne m’affectaient, pour ne pas dire ne m’affligeaient personnellement ou, du moins, ne me détournaient honteusement d’une bonne disposition d’esprit et du cours tranquille de mes affaires. Vale et vive, très éminent Monsieur, soyez-moi favorable et continuez de m’aimer comme vous faites.

De Paris, ce mardi 6e de juin 1662.

Votre Guy Patin de tout cœur.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a envoyée à Christiaen Utenbogard, ms BIU Santé no 2007, fo 108 ro et vo, lettre entièrement de la plume de Guy Patin, imprimée dans Brant, Epistola lxviii (pages 217‑219).

1.

V. note [3], lettre 723, pour le livre de Marten Schoock « sur la Fermentation » (Groningue, 1663).

2.

« Mon sort est entre les mains du Seigneur » (Psaumes, v. note [1], lettre 371).

Les décès de Robert Tullouë (reçu docteur en 1618, v. note [7], lettre 418) et de Jean i de Bourges (1620, v. note [26], lettre 237) avaient fait avancer Guy Patin (1627) de la 18e à la 16e place sur le tableau des docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris, rangés par ordre d’ancienneté.

3.

« là où le patriarche Énée, là où Tullus et l’opulent Ancus m’ont devancé ; la loi éternelle a établi, et il est certain que rien de ce qui a été engendré ne subsistera : nous ne sommes qu’ombre et poussière » ; mélange de deux sources :

Le second passage est une citation de Boèce, homme politique et philosophe romain du vie s., tirée de sa Consolation de philosophie, livre iii, chapitre intitulé Omnia mundana esse instabilia [Tout ce qui existe au monde est instable]. V. notes [29] et [30] du Faux Patiniana II‑2 pour une curieuse lettre que le roi Théodoric le Grand a écrite à Boèce.

4.

V. note [5], lettre 727, pour le carrousel royal qui eut lieu aux Tuileries les 5 et 8 juin 1662.

5.

« c’est manquer de décence que s’égayer ainsi, quand la terre entière est engloutie dans l’abîme » (reproche adressé à Ovide par Sénèque le Jeune, Les Questions naturelles, livre iii, chapitre xxvii).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 108 ro.

Vir Cl. De amore in me tuo forti et constanti, ut et de fide tua nullus
dubito : dubius tamen sum an acceperis omnes meas Epistolas, ut et munusculum
pro singulari Amico, et viro Cl. D. Mart. Schoockio, sex pistolarum Hispani-
carum : super quib. singulis responsum tuum valdè exopto. Quotiescumque
voles ad me scribere, aut libellos aliquos mittere, tutò mitte quidquid habebis
Amstelodamum, ad Sim. Moinet, in Typographio Elseviriorum commorantem.
Quandonam veniet liber novus D. Mart. Schoockij, de Fermentatione ?
Hîc et eodem die, duos ex seniorib. nostris Collegis amisimus, nempe 27.
Maij, Rob. Tulloüe, prope annorum 80 : alterum, Io. de Bourges, penè
septuagenarium : quindecim adhuc me præcedunt, quos forsan posthac præ-
cedam, si Mors intervenerit : Sortes meæ in manib. Domini. Grato animo ferendum
est, et jucundè accipiendum quod evitari non potest. Lætus ergo pergam quò
pius Æneas, quò Tullus dives, et Ancus
antehac penetrarunt : æternam
lege positum est, atque constat, ut constet genitum nihil
 : pulvis enim et
umbra sumus.

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 108 vo.

Rex noster ridet ac exultat, nec nisi ludit, dum novum Tribunal ab ipso
institutum quotidie versatur instruenda lite Nic.Fouquet, et multorum
publicanorum incarceratorum : unde manabunt multæ lacrymæ, in pluribus
familijs : interea v. magnis sumptib. Regis, Principum et aliorum Procerum,
instituuntur equestres ludi, statim magna pompa celebrandi : nulla
habita ratione caritatis annonæ, quæ hîc maxima est, summo multorum dolore
atque incommodo. Sic vita truditur Regum et mendicorum. Sed profectò, res
est non satis sobria, lascivire devorato orbe terrarum
, ac exhausto per vecti-
galia immodica, dum tot Christiani mala miseráque fame et misere miserrimè pereunt. Plura scriberem
nisi publicus dolor vetaret, et calamitates publicæ me privatim afficerent ;
ne dicam interficerent, aut saltem à bona mente et quieto rerum mearum
statu turpiter averterent. Vale, vir præstantissime, vive, fave, ac
me quod facis, amare perge. Parisijs, die Martis, 6. Iunij, 1662.

Tuus ex animo Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Christiaen Utenbogard, le 6 juin 1662

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1231

(Consulté le 16/04/2024)

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