L. latine 211.  >
À Thomas Bartholin,
le 20 septembre 1662

[Ms BIU Santé no 2007, fo 114 ro | LAT | IMG]

Au même Thomas Bartholin, à Copenhague. [a][1]

Je vous ai tout récemment écrit, ce 14e de septembre, [1] et pourtant je reprends la plume, vous priant de me faire savoir s’il nous reste quelque espoir de voir le Celse de Johannes Rhodius : [2][3] pouvons-nous en attendre une nouvelle édition venant de chez vous, ne pensez-vous pas qu’un excellent homme a mis la dernière main à l’ouvrage de cet auteur, qui est mort fort prématurément, pour le plus grand malheur de la république des lettres ? [2] Je voudrais savoir ce que vos imprimeurs nous préparent. Ceux de chez nous sont assurément fort engourdis, tant en raison de la guerre qu’on a récemment achevée et de la cherté des denrées qui s’est ensuivie, [4][5] laquelle sévit encore, qu’en raison du prix déraisonnable du papier ; ce qui affame totalement les libraires, par les très lourdes taxes qu’ont imposées sur toute sorte de papier ces deux vauriens empourprés qui ont depuis 30 ans misérablement dévasté et tondu notre France. [6][7][8]

Ce 16e de septembre, votre compatriote, M. Flescher, se portait un peu mieux : [9][10] ses déjections sont fort louables et se rapprochent heureusement de ce que la nature ordonne ; elles sont moins sanglantes, moins douloureuses et tormineuses ; [3][11] la fièvre s’est presque entièrement éteinte ; le sommeil est revenu avec un appétit honorable. En somme, la remarquable régression de tous les symptômes nous promet une guérison prochaine. Vous savez fort bien, très distingué Monsieur, que cette maladie se termine ordinairement soit par une gangrène des intestins, [12] soit par une atonie du foie, qui dégénère en flux hépatique, absolument et tout à fait incurable en soi, étant donné qu’elle dépend d’une pure et simple suppression. [13] Je craignais ici l’une et l’autre, ou du moins l’une des deux ; mais par une singulière faveur de Dieu, aucune n’est survenue ; ce dont je me réjouis profondément. Quand vos Epistolæ medicæ paraîtront-elles ? Je n’ai pas trouvé dans votre paquet vos Paralytici N.T., et ne sais pas où je puis me les procurer ; [4] vous vous en souviendrez donc, s’il vous plaît, quand vous m’enverrez quelque chose ; il en va de même pour l’opuscule du Vénitien Cornaro [14] de Vita sobria, de vos Epigrammata, et pour vos Disputationes medicæ de Pleuritide, Variolis, Secundinis, etc., in‑4o[5][15][16][17][18] Notre roi, [19] fort en colère et irrité contre le pape, [20] a ordonné que le légat pontifical quitte notre pays sans délai ; [21] lequel a immédiatement obéi et, sur ordre du roi, 50 soldats de la garde l’ont escorté hors des limites du royaume. Certains en attendent une guerre, d’autres la redoutent seulement. Dieu seul sait ce qu’il adviendra finalement de toute cette affaire. M. de Créqui a quitté Rome et s’en est allé à Sienne, [21] où il attend les ordres du roi. [6][23] L’état de M. Flescher s’améliore de jour en jour : il souffre moins, il a moins de fièvre, ses déjections sont à peine sanguinolentes ; mais il exonère avec bonheur et se libère d’une grande quantité d’excréments de divers aspects et couleurs ; issue que je penserais venir du fait que la chaleur native était presque étouffée, gémissant misérablement sous le poids d’une matière si maligne. Et pour les évacuer entièrement, quand il aura récupéré des forces, on le purgera [24] de temps en temps avec moelle de casse, [25] séné en petite quantité, [26] composition de chicorée et de rhubarbe. [27][28] J’espère qu’à la fin il guérira. Vale et aimez-moi.

Votre Guy Patin de tout cœur.

De Paris, le 20e de septembre 1662.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a envoyée à Thomas Bartholin, ms BIU Santé no 2007, fo 114 ro ; lettre imprimée dans Bartholin c, Epistola xxxiii, De Dysenteriæ effectu vario [Du résultat variable de la dysenterie] (pages 148‑150).

1.

Lettre latine 209.

2.

V. note [2], lettre latine 127, pour le Celse de Johannes Rhodius (mort à Padoue le 14 février 1659, âgé de 72 ans) qui est resté inédit, malgré les efforts de Thomas Bartholin pour le faire paraître, mais l’incendie de sa bibliothèque anéantit tout ce travail.

3.

« Douleurs tormineuses, celles qui s’interrompent et se renouvellent en prenant le caractère de tranchées » (Littré DLF). Les tranchées (tormina) sont des douleurs abdominales (communément appelées coliques, v. note [2], lettre 267).

4.

V. note [4], lettre latine 197, pour le traité de Thomas Bartholin sur les « Paralytiques du Nouveau Testament » (Copenhague, 1653, et Bâle, 1662), et notre Bibliographie (Bartholin a) pour ses deux premières centuries de « Lettres médicales » (Copenhague, 1663), dont il a paru un total de quatre.

5.

V. note [17], lettre de Thomas Bartholin datée du 18 octobre 1662, pour l’édition de la Cornari Vita sobria ad usum vulgarem accommodata [Vie sobre de Cornaro (v. note [18], lettre 294)] qu’il avait publiée en danois (Copenhague, 1657).

Je n’ai pas trouvé les références exactes de ses thèses « sur la pleurésie » et « sur la variole » ; mais seulement sa De secundinarum retentione, Dissertatio inauguralis præs. Thomas Bartholino [Dissertation inaugurale sur la rétention des secondines (v. note [2], lettre de François Rassyne, datée du 27 décembre 1656), sous la présidence de Thomas Bartholin] (Copenhague, 1657, in‑4o).

Bartholin a volontiers laissé chanter sa Muse latine, mais je n’ai trouvé aucun recueil de ses poèmes. Ce que Guy Patin appelait ses Epigramma {a} pouvait être celles de son père :

Casp. Bartholini Epigrammata extemporanea quæ juvenis inter peregrinandum fudit. Cum intermixtis pauculis, quot quidem haberi potuerunt, quæ ætas maturior deproperavit, nonnullisque Anagrammatismis et Logogriphis. Ex autoris dispersis chartis collecta a M. Christ. Pet. Rerum contentarum classes pagina versa exhibet.

[Épigrammes improvisées de Caspar i Bartholin, {b} qu’il a répandues au cours de ses voyages de jeunesse. Y est mêlé tout ce qu’on a pu recueillir du petit nombre de celles qu’il a écrites à la hâte en son âge mûr, avec quelques anagrammes et logogriphes. {c} M. Christ. Pet. {d} les a recueillies dans les papiers épars de l’auteur. La liste des chapitres est fournie au verso de cette page].


  1. Expression maintenue dans la version imprimée de la lettre : tuorum Epigrammatum

  2. V. note [1], lettre 306.

  3. Logogriphe : « petite énigme qu’on propose à deviner à des écoliers pour leur réveiller l’esprit. Il consiste en quelque allusion équivoque, ou mutilation de mots, qui fait que le sens littéral diffère de la chose signifiée ; en sorte qu’il tient le milieu entre le rébus et la vraie énigme, ou l’emblème » (Trévoux).

  4. La préface (datée de Copenhague le 1er mars 1621) est signée Christianus Petr. Tidstadius [Christian Peter Thisted, ou natif de Thisted (Jutland)].

  5. Copenhague, Henricus Waldkirchius, 1621, in‑12o.

6.

V. notes [1], lettre 735, pour l’affaire des gardes corses qui provoqua un grave différend entre le Saint-Siège et la France, et [2], lettre latine 208, pour l’expulsion du nonce apostolique, Celio Piccolomini.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 114 ro.

Eidem Th. Bartholino, Hafniam.

Nuper ad Te scripsi, nempe 14. Sept. et tamen iterum scribo : rogóq. ut per Te intelligam
quid nobis sperandum supersit de Corn. Celso Io. Rhodij : possumúsne novam ejus
editionem à Vobis expectare ? supremámne manum isti Scriptori putas imposuisse
virum optimum ? qui pessimo Reip. literariæ fato nimis immaturè diem suum obijt.
Quid novi moliuntur vestrates Typographi, scire velim : certè nostri admodum fri-
gent, tam ob bellum nuper pacatum, et subsequentam annonæ caritatem, quæ
adhuc viget ; quàm ob immodicum chartæ pretium, ex quo Typographi egregiè
fament, propter vectigalia durissima omnigenæ chartæ imposita per duos illos nebu-
lones purpuratos qui ab annis 30. Galliam nostram miserè devastarunt ac
expilarunt. 16. Sept. Dominus Flechem, popularis vester, paulo melius habet : dejectiones
ejus sunt magis laudabiles, et ad naturæ legem facilè accedunt : minus sunt cruentæ :
minus dolorificæ atque torminosæ : febris extincta, vel penè nulla : somnus recur-
rit cum appetentia laudabili : omnium denique symptomatum insignis remissio pro-
ximam salutem nobis pollicetur. Optimè nosti, Vir Cl. in hoc affectu familiare
esse, ut desinat vel in gangrænosim intestinorum, vel in ατονιαν hepatis, qui
degenerat in fluxum hepaticum, natura sua planè et prorsus ανιατον, quippe qui
pendeat à pura meráq. privatione : hîc utrumque metuebam, aut saltem unum ex
duobus, neutrum tamen singulari Dei beneficio contigit : de quo valde lætor. Epistolæ tuæ
Medicæ
quandonam prodibunt ? Paralyticos illos tuos N.T. in Fasciculo tuo non depre-
hendi, nec unde possim eos habere novi : eorum itaque memento sodes, si aliquid mittas in
posterum : ut et libelli Cornari Veneti, de vita sobria : et tuorum Epigrammatum : ut et
Disputationum Medicarum de Pleuritide, Variolis, secundinis, etc. 4. Rex noster contra
Papam iratus ac irritatus, Legatum Pontificium regno suo statim excedere jussit, qui
illico paruit, et à 50. militib. præsidiarijs, jussu Regis, ultra regni fines abductus est :
quidam inde bellum sperant, alij metuunt : de quo toto negotio quid tandem continget,
solus Deus novit. Dominus de Crequi Romam reliquit, et Senas abijt, ubi Regis
mandata expectat. In dies benè procedit negotium D. Flechem : minus dolet, minus
febricitat, vix cruentæ sunt ejus dejectiones : sed alvus feliciter depletur, et libera-
tur multis excrementis varij generis atque coloris, quorum proventu sensim facto penè
obruebatur calor nativus, qui miserè gemebat sub pondere tam malignæ materiæ,
et ad cujus coeffusionem, dum vires sanaverit, interdum repurgatur ex med. cassiæ, paucis
folijs, et syr. de cichorio comp. cum rheo. Spero eum tandem convaliturum. Vale, et
me ama.

Tuus ex animo Guido Patin.

Parisijs, 20. Sept.
1662.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Thomas Bartholin, le 20 septembre 1662

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(Consulté le 25/04/2024)

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