L. latine 213.  >
À Reiner von Neuhaus,
le 10 octobre 1662

[Ms BIU Santé no 2007, fo 115 ro | LAT | IMG]

Au très distingué Reiner von Neuhaus, jurisconsulte à Alkmaar.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je vous écris pour que vous n’alliez pas croire que je vous ai oublié et pour vous remercier de votre poème reçu, destiné à la nouvelle édition du Fulvio Orsini de Familiis Romanis[1][2][3] Si je ne vous ai pas répondu plus tôt, ce n’a pas été par offense d’un esprit ingrat ; loin de moi un tel crime ! J’attendais de jour en jour la fin de l’impression, qui est enfin achevée. Vous en recevrez un exemplaire, avec le Quinte-Curce dans la version toute nouvelle et très estimée qu’en a donnée M. de Vaugelas, très célèbre et très docte traducteur. [2][4][5] D’autres se sont autrefois attelés au même ouvrage, mais lui seul a ravi la palme à tous ceux-là. Je vous prie d’accepter ces deux livres avec reconnaissance. Si vous désirez autre chose venant de notre France, faites-le-moi savoir, je suis disposé à vous l’envoyer aussitôt qu’une occasion commode s’en sera présentée. J’espère que vous recevrez bientôt ce premier paquet que nous vous envoyons par notre grand ami, le très distingué M. Johannes Antonides Vander Linden, [6] docteur et professeur de médecine à l’Université de Leyde. Dans ce livre de Fulvio Orsini, vous trouverez aussi une lettre de mon Carolus, pour vous remercier de votre épigramme[3] Le roi en personne l’a lue et s’est enquis de vous, [7] demandant si vous étiez français ; à quoi mon fils a répondu que vous étiez hollandais, très savant jurisconsulte et fort mon ami.

[Ms BIU Santé no 2007, fo 115 vo | LAT | IMG] Recevez favorablement, je vous prie, une réponse que je n’ai pas préméditée et in arena capto ; [4][8][9] acceptez-la avec bienveillance, et trouvez-la bonne. Quand d’autres centuries de vos Epistolæ paraîtront-elles ? Je n’en ai ici que cinq en ma possession. [5] Notre différend avec le Jupiter capitolin [10][11] s’embrase de jour en jour : l’histoire du combat qui s’est engagé nous montre clairement que ce pape n’est pas infaillibile ; [12] je redoute même beaucoup que le saint esprit des canonistes italiens (espèce d’hommes qui dirige la troupe des flatteurs et des parasites pontificaux dans la ville de Rome) ne soit mal logé dans la tête d’Alexandre vii, qu’on appelle vulgairement le pape. J’ignore pourtant ce qu’il adviendra de cette affaire, tout en sachant parfaitement que notre roi très-chrétien et tout-puissant, extrêmement irrité, pense à entrer en guerre et s’ouvrira ou se trouvera un chemin pour envahir l’Italie, à moins que le pape ne s’incline et n’apaise la colère de notre souverain. [13] Beaucoup de moines, [14] surtout des jésuites, [15] par les divers autres artifices qui les font plus puissants que le commun des mortels, se sont appliqués à caresser et à adoucir le roi, mais il n’a pas voulu les écouter et les a écartés loin de lui ; tout comme l’ambassadeur de Venise, sur la même affaire, qu’il a immédiatement éconduit et à qui il a ordonné de se taire. [6][16] Deus ipse viderit[7][17] Vale, très éminent Monsieur, et continuez dorénavant à nous aimer, nous qui vénérons très humblement votre renom et votre famille ; et en tout premier celui qui est en toute franchise votre Guy Patin.

De Paris, le 10e d’octobre 1662.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a envoyée à Reiner von Neuhaus, ms BIU Santé no 2007, fo 115 ro ; imprimée dans Neuhaus, lettre xxii, pages 32‑33 ; de très substantielles variantes de forme (sans modification du sens, v. infra note [5]) vont jusqu’à faire penser que la lettre a été entièrement réécrite (par Patin, ou plutôt par Neuhaus, car on y trouve des tournures qui ne sont pas courantes sous la plume de Patin).

1.

Édition du livre « des familles romaines » de Fulvio Orsini, revue et augmentée par Charles Patin (Paris, 1663, achevé d’imprimer le 7 septembre 1662 ; v. note [11], lettre 736), accompagnée d’un poème laudatif de Reiner von Neuhaus (v. note [5], lettre latine 199).

2.

V. note [41], lettre 286, pour le livre de Quinte-Curce De la Vie et des actions d’Alexandre le Grand traduit par Claude Favre, seigneur de Vaugelas (Paris, 1653).

3.

Billet de Charles Patin pour remercier Reiner von Neuhaus de son ode aux deux Patin (v. note [5], lettre latine 199), imprimé dans Neuhaus (Epistola xxiv, page 34) :

Viro Clarissimo Reinero Neuhusio J.C. Carolus Patin S.P.D.

Versiculorum tuorum, quos admiratus sum, redhostimentum ad Te mitto. Hunc librum, quem eodem animo accipias, quæso, quo datur. Utinam ! ubi opus videris, ne laudum carum pœniteat, quos mihi tribuisti : illud saltem habeo polliceri, nusquam Tibi gravem nostram amicitiam, et, si potero, utilem etiam futuram. Vale.

Lutetiæ Parisorum
Prid. Kal. Decemb. m.d.c.lxii.

[Charles Patin adresse ses profonds saluts au très distingué M. Reiner von Neuhaus, jurisconsulte.

Je vous envoie les arrérages de votre petit poème qui m’a plongé dans l’admiration. Je vous demande de recevoir ce livre avec le même cœur que celui qui vous l’offre. Quand vous verrez l’ouvrage, Dieu fasse que vous ne regrettiez pas les précieuses louanges dont vous m’avez couvert. Au moins ai-je à vous promettre que jamais notre amitié ne vous sera pesante, et qu’elle nous sera même utile. Adieu.

De Paris, le 30 novembre 1662]. {a}


  1. Rédaction ou expédition postérieure de quarante jours (en se référant au calendrier julien) à celle de l’envoi de ce billet par Guy Patin.

4.

« et écrite à l’improviste » ; v. note [13], lettre 287, pour l’adage antique Gladiator in arena consilium capit [Le gladiateur prend sa décision dans l’arène] qu’Érasme a commenté.

5.

V. note [3], lettre latine 194, pour les précédentes centuries d’« Épîtres » familières de Reiner von Neuhaus, publiées en 1639 et 1651. Elles ont été suivies des Reineri Neuhusii, J. Cti, Epistolarum familiarum Centuria iv. et v. Cum Libello adoptivo Epistolarum, et Manipulo Poëtico. Editio prima [ive et ve Centurie d’Épîtres familières de Reiner von Neuhaus, jurisconsulte. Avec en outre un Opuscule adoptif d’Épîtres (empruntées à d’autres) et un Bouquet poétique. Première édition] (Amsterdam, Jansson, 1662, in‑12) et de quatre nouvelles autres centuries en 1678 (vBibliographie) qui contiennent des lettres qu’il a échangées avec Guy Patin (dont celle-ci).

À partir d’ici, le texte du brouillon manuscrit et de la lettre imprimée divergent beaucoup dans la forme et sur le fond (v. supra note [a]) :

Propera nobis exspectatam illam messem. Nec patere elabi vitæ tuæ dies meliores. Annos jam quinquaginta post terga relinquis. Et morosa senectus brevi aderit, quando vigor et virtus illa industria incipiet languescere. Hodierno manum injice. Dissidium illud cum Iove Capitolino in dies exardescit. Apprime novimus, Regem nostrum Christianissimum aque Potentissimum exinde acerbissime irritatum, ac jam de bello cogitare, nisi Papa fasces submiserit ac iratum Regis animum prudenter placaverit.

[Préparez-nous cette moisson attendue, et ne souffrez pas que se dissipent les meilleurs jours de votre vie. Vous laissez déjà cinquante années derrière vous, {a} et bientôt viendra la pénible vieillesse, quand la vigueur et cette vertu d’entreprendre commenceront à faiblir. Mettez-y la main dès aujourd’hui. Ce différend avec le Jupiter capitolin s’embrase de jour en jour. {b} Nous savons parfaitement que notre roi très-chrétien et tout-puissant en est extrêmement irrité, et pense déjà à entrer en guerre, à moins que le pape ne s’incline et n’apaise prudemment la colère du roi]. {c}


  1. Né en 1608, Neuhaus avait alors 53 ou 54 ans.

  2. Disparition de l’allusion aux différends sur l’infaillibilité pontificale et des médisances sur la curie romaine.

  3. La fin est à peu près conforme au manuscrit.

6.

Le 25 septembre, au Louvre, Louis xiv avait donné audience à Alvise Grimani, ambassadeur de la République de Venise à Paris (1660-1664), qui intercédait en faveur du pape Alexandre vii pour apaiser la querelle allumée par l’affaire des gardes corses (v. note [1], lettre 735).

7.

« Dieu seul sait ce qu’il en adviendra » (Cicéron, v. note [9], lettre 66).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 115 ro.

Cl. Viro D. Rein. Neuhusio, IC. Alcmariam.

Ne me putes Tui immemorem, Vir Cl., ad Te scribo, ut gratias agam pro acceptis
tuis Carminibus, in novam Editionem Fulvij Ursini, de familijs Romanis.
Si citiùs Tibi non respondero, ingrati animi vitium non fuit ; absit à me tantum crimen :
in dies expectabam finem Editionis, quæ tandem ad umbilicum perducta est. Unum
ejus Exemplar accipies, cum Quinto Curtio, novissimæ et laudatissimæ versio-
nis, quæ est D. de Vaugelas, nobilissimi atque eruditissimi Interpretis. Idem hoc
Opus alij pridem tentarunt, sed unus ipse alijs omnibus palmam præripuit. Utrumque
precor accipias grato animo : si quid aliud ex Gallia nostra cupias, fac ut intelligam,
quod oblata occasione commoda statim mittere paratus sum. Primum huncce
fasciculum nostrum spero Te accepturum per Cl. virum, et Amicum nostrum
singularem, D. Io. Ant. Vander Linden, Medicinæ nostræ Doctorem et Professorem
in Academia Lugduno-Batava. In eodem ipso libro Fulvij Ursini, Epistolam quoque
reperies Caroli mei, per quam Tibi gratias agit pro eximio tuo Epigrammate, ab ipso
Rege perlecto, quum ei liber oblatus fuit, et de Te inquisivit, an Gallus esses : cui
respondit Filius, Te Batavum esse, ICtum et virum doctissimum, mihiq. amicissimum.

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 115 vo.

Fave quæso, responso impræmeditato, et in arena capto, illudq. grato ac
æquo animo accipe, et boni consule. Epistolarum tuarum aliæ Centuriæ quandonam prodibunt ? ex
illis quinque dumtaxat penes me hîc habeo. Dissidium nostrum cum Iove
Capitolino
in dies exardescit : rei gestæ historia nobis planè declarat istum Papam
infallibilitatis vitio non carere : imò plurimum metuo, ne spiritus sanctus
Italorum Canonistarum (hominum genus quod familiam ducit in urbe Romæ
inter palpones et gnatones Pontificios,) malè habitet in mente Alexandri 7.
qui vulgo Papa vocatur. Quid tandem futurum sit nescio, de isto negotio : verum
apprime novi, Regem nostrum Christianissimum atque potentissimum, summopere
irritatum, de bello cogitare, et viam s[ibi] facturum aut inventurum in Italiam,
nisi Papa fasces submiserit, ac iratum Regis animum placaverit. Multi Monachi,
præsertim Loyolitæ, varijs alijs artibus queis pollent, supra cæteros mortales,
Regem ipsum demulcere ac delinire studuerunt, sed Rex eos audire noluit,
et à se procul amandavit ; ut et super eadem re Legatum Venetorum, quem
statim rejecit, eiq. silentium imposuit. De futuro Deus ipse viderit. Vale, vir
præstantissime, et porro nos amare perge, tui nominis tuæq. familiæ cultores
humillimos, eum præsertim qui tuus est ære libráq. totus, Guido Patinus.

Parisijs, x. Oct. 1662.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Reiner von Neuhaus, le 10 octobre 1662

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(Consulté le 20/04/2024)

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