[Ms BIU Santé no 2007, fo 120 ro | LAT | IMG]
Au très distingué M. Christiaen Utenbogard, à Utrecht.
Très distingué Monsieur, [a][1]
J’ai reçu votre dernière le jour même où j’avais confié à Johann Droüard, chirurgien de votre pays, [2] mes lettres à vous remettre ; il s’y en trouvait une pour notre ami M. Marten Schoock ; [3] je ne doute absolument pas que vous les ayez reçues. [1] Pour en venir aux vôtres, j’ai exactement et parfaitement exécuté ce que vous y avez prescrit : j’ai aussitôt écrit une lettre de consolation et l’ai envoyée à Bourges, à Jan van Heurne, le fils de votre sœur ; [2][4][5] et, s’il veut être fait docteur de cette Université, je lui ai donné avis de rendre immédiatement visite à M. Louis Ferrant, [6][7] célèbre docteur en médecine de cette ville et un de mes anciens amis, pour parler avec lui de son doctorat. Sinon, il s’en retournera à Paris et, après qu’il aura étudié ici pendant quelques mois, nous discuterons ensemble et déciderons du lieu où il recevra le bonnet ; et tout cela en accord avec votre volonté. S’il revient chez nous, je prendrai soin de ses études et y tiendrai ma part ; ce que je vous promets très fidèlement, ainsi qu’à son père, [8] que je salue de tout cœur. Dieu veuille que je puisse lui être utile en quelque façon, tant pour lui et pour vous, que pour Jan van Heurne, votre Hippocrate hollandais, qui mourut le jour-même de ma naissance, ce qui m’a lié à lui par un degré d’affinité. [3][9][10] Je vous remerciede toutes mes forces pour les livres que vous m’avez envoyés ; je vous rembourserai ce qu’ils vous ont coûté, comme je ferai de ceux qui suivront. M. Guillaume de Lamoignon, premier président du Parlement de Paris, a gardé pour lui mon exemplaire de la Fabula Hamelensis et le tient pour extrêmement précieux. [4][11] J’ai dîné avec lui hier, comme cela arrive très souvent, et parmi divers propos sur la littérature, dont il se délecte au plus haut point, j’ai même fait mention de M. Marten Schoock ; ce que j’espère refaire, et non sans quelque fruit. Si vous voulez savoir ce qu’est cette charge de chef ou premier président du Parlement de Paris, et quelle est son importance, je vous répondrai en peu de mots : c’est exactement la même chose qu’être un petit roi en France. Notre roi très-chrétien, Louis le xive, que Dieu le protège pendant de nombreuses années, a quitté cette ville hier (dernier de novembre), en grande hâte, pour se rendre à Dunkerque, que l’Anglais nous a restituée au prix fort. [5][12][13][14] Dieu fasse qu’il nous revienne sain et sauf, en ayant conclu sûrement l’affaire et garanti notre frontière contre les embûches de nos voisins. À Londres, on a récemment découvert une conjuration dangereuse et tout à fait diabolique contre le roi d’Angleterre ; perituros audio multos, comme a jadis écrit Juvénal (Satire x) en parlant de Séjan, magna enim est fornacula. [6][15][16] Ce royaume n’est pas bien uni, quoiqu’il soit entouré par le flux et le reflux de l’océan, en raison de son excessive diversité et mélange de religions. Ajoutez à cela l’instinct naturel des Anglais : c’est une race d’hommes qui se comportent en loups, avec assurément beaucoup de cruauté et de violence, car plus que les autres peuples, ils sont farouches, féroces et sauvages. [17] Le pape n’a pas encore retrouvé grâce auprès de notre roi ; [18][19] certains en attendent une guerre au printemps prochain, ce que je ne crois pas : impar congressus Achilli ; [7][20][21] si ce Jupiter capitolin est sage, il n’entrera pas en guerre cum ipso imperatore, qui habet plusquam 30 legiones. [8][22][23] Je salue votre excellente sœur, que je considère comme la mienne. Vale, très éminent Monsieur, vous qui êtes si cordial et si brillant, et continuez de m’aimer comme vous faites.
De Paris, le 1er décembre 1662.
Votre Guy Patin de tout cœur.
N’avez-vous pas encore vu le livre du très savant M. Samuel Bochart, pasteur de Caen, publié en Angleterre, de Animantibus sacræ Scripturæ ? [9][24] Aucun exemplaire n’en est encore parvenu à Paris, mais les gens lettrés l’espèrent de jour à autre. [Brant, page 224 | LAT | IMG] Cet auteur est un grand homme, et son livre est fort attendu car il sera utile, pour ne pas dire indispensable, à quantité de personnes. Comment votre virago, Mme Maria von Schurman, se porte-t-elle ? [25] Complet silence sur Nicolas Fouquet, toujours incarcéré. [26] Vale, excellent Monsieur, et aimez-moi,
Votre Patin en toute loyauté.
1. |
Guy Patin anticipait la bonne réception à Utrecht de ses lettres du 25 novembre à Christiaen Utenbogard, et du 27 novembre 1662 à Marten Schoock. |
2. |
Aucune lettre de notre édition n’en a dit plus sur la raison du deuil qui affligeait les familles van Heurne et Utenbogard. |
3. |
Jan i van Heurne (v. note [3], lettre 139) était mort à Leyde le 11 août 1601 (ancien style, julien, v. note [12], lettre 440), ce qui correspond au 21 août du calendrier grégorien (nouveau style) ; Guy Patin était né dix jours plus tard, le 31 août 1601. Les affinités que créent les dates des événements appartiennent au domaine de l’astrologie zodiacale et Patin surprend ici en s’y référant, car ça n’était pas sa lubie ordinaire. Père de Jan iii (l’étudiant en médecine dont Patin évoquait ici le futur doctorat) et petit-fils de Jan i, Jan ii van Heurne, mari de Margaretha Utenbogard, était avocat à Utrecht (v. note [1], lettre 680). |
4. |
V. 8e référence de la note [2], lettre de Marten Schoock, datée du 12 août 1656, pour son livre sur la « Fable de Hamelin ». |
5. |
V. notes [11], lettre 735, pour le rachat de Dunkerque aux Anglais, et [1], lettre 737, pour le voyage éclair du roi dans cette ville. |
6. |
Juvénal (Satire x, vers 72‑82), sur la folie du peuple et de ses gouvernants :
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7. |
« le combat est inégal avec Achille » (Virgile, v. note [26], lettre 477). V. note [1], lettre 735, pour l’affaire des gardes corses qui engendrait une dangereuse querelle entre Louis xiv et le pape Alexandre vii. |
8. |
« avec le chef en personne, qui a plus de 30 légions », paroles de Jésus à un de ses compagnons qui dégainait son glaive pour empêcher son arrestation par le serviteur du Grand Prêtre (Matthieu, 26:53, avec exagération de Guy Patin sur le nombre des légions) : An putas quia non possum rogare Patrem meum et exhibebit mihi modo plus quam duodecim legiones angelorum ? |
9. |
V. note [14], lettre 585, pour le livre de Samuel Bochart « sur les Animaux de la Sainte Écriture » (Hierozoïcon, Londres, 1663). |
a. |
Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a envoyée à Christiaen Utenbogard, ms BIU Santé no 2007, fo 120 ro ; imprimée dans Brant, Epistola lxx (pages 221‑224), Clarissimo Viro, D.D. Christ. Utenbogardo, Sanctioris Medicinæ Doctori eximio, Utrajectum [Au très distingué M. Christiaen Utenbogard, éminent docteur en la très sainte médecine, à Utrecht]. |
s. |
Ms BIU Santé no 2007, fo 120 ro. Cl. viro D. Christiano Utenbogardo, Ultrajectum. Postremam tuam accepi, Vir Cl. eodem die quo Io. Droüart, populari vestro Chirurgo, Tuus [ex animo,] Guido Patin. Nonne adhuc vidisti librum viri doctissimi, D. Samuelis Bochart, Ecclesiastæ Cadomensis, editum in Anglia, de Animantibus sacræ Scripturæ : nullum |
t. |
Brant page 224. Author ipse vir magnus est, et Tuum es asse Patinum. |