L. latine 226.  >
À Christiaen Utenbogard,
le 6 janvier 1663

[Ms BIU Santé no 2007, fo 122 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Christiaen Utenbogard, à Utrecht. [a][1]

Je réponds brièvement à votre très plaisante lettre du 12e de décembre. J’ai écrit à Jan van Heurne, votre neveu, [2] et l’ai avisé que, pour s’acquitter de la médecine et de la pharmacopée, il s’en remette à l’avis de M. Louis Ferrant, docteur en médecine et mon grand ami ; [3] à qui j’ai donc aussi écrit pour qu’il arrange cette affaire et y mette un terme, ce qui est de première importance. Vous n’aurez pas à vous en inquiéter plus longtemps. Vous trouverez sous ce pli deux graines, l’une d’aconit et l’autre de sensitive de Malte. [1][4][5] D’autres curiosités se présenteront plus tard, que je vous enverrai : certains des nôtres se livrent de nouveau à l’étude de la botanique et j’obtiendrai facilement d’eux tout ce qu’ils auront de remarquable ; écrivez-moi donc ce que vous recherchez désormais. Je vous ai envoyé il y a peu une liste des livres et opuscules que je voudrais acquérir à prix raisonnable ; et en voici d’autres qui suivent, pour lesquels je vous demande la même faveur. Vous verrez leurs titres dans l’indicule ci-joint, [2] je vous en rembourserai le prix sans difficulté. De tous ceux que vous aurez recueillis, vous ferez un paquet à m’envoyer par la voie que je vous désignerai et indiquerai le moment venu. Comment notre ami M. Marten Schoock se porte-t-il ? [6] Dois-je espérer qu’il nous envoie son fils ? [7] Je tiendrai mes promesses si telle est sa volonté. Son livre de Fermentatione n’est-il pas achevé, ainsi que la réédition de son livre de Cervisia ? [3][8] C’est un sujet sur lequel un autre a écrit, savoir M. Meibomius, médecin de Lübeck [Ms BIU Santé no 2007, fo 122 vo | LAT | IMG] et très savant homme ; le même qui nous a donné une très docte étude in Jusjurandum Hippocratis[4][9][10][11] Ce Meibomius s’en est allé dans l’au-delà, mais il a laissé un fils très savant, que j’ai vu ici et dont on peut véritablement dire qu’il est docti patris docta proles : [5][12][13] l’an prochain, il sera professeur de médecine théorique à Helmstedt, en cette même Université où le très distingué Hermann Conring a jusqu’alors enseigné la médecine aux gages du duc de Brunswick et Lunebourg. [6][14][15][16] La petite fille de notre roi est ici morte en son 40e jour de vie. [17] Tout est encore incertain pour la guerre qui doit être menée en Italie au printemps prochain : ceux qui sont du parti du pape promettent une paix, en faveur de laquelle il n’y a rien d’établi, [7][18][19] tout comme pour l’affaire de Nicolas Fouquet, naguère notre surintendant des finances, [20] tant toutes ces choses sont obscures ; mais je m’arrête là et vous présente mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année. Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi donc. Confiez la liste de livres ci-jointe à quelque libraire qui les cherchera et à qui j’en rembourserai le prix. [8]

De Paris, ce 6e de janvier 1663.

Votre Guy Patin de tout cœur.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Christiaen Utenbogard, ms BIU Santé no 2007, fo 122 ro et vo.

1.

V. note [1], lettre 680, pour Jan iii van Heurne et ses liens de parenté. Il souhaitait se faire graduer en médecine à Bourges, plus rapidement et à moindres frais qu’à Paris.

L’aconit est une plante fort vénéneuse de la famille des renonculacées. « Les Anciens n’ont pas laissé de la faire servir de médecine contre la piqûre du scorpion, lequel s’amortit [s’engourdit] dès lors qu’il touche seulement l’aconit ; et qui au contraire, en touchant l’ellébore, reprend sa première vigueur. L’aconit ne fait pas mourir quand il trouve quelque autre poison dans le corps, parce qu’alors il<s> se combat<tent>. La marque de ce poison est de faire venir les larmes aux yeux, de causer une grande pesanteur d’estomac et de faire péter souvent. Théophraste dit qu’on le prépare en sorte qu’il fait mourir seulement au bout d’un an ou de deux. Les flèches trempées dans son jus font des plaies mortelles » (Furetière).

La sensitive (Mimosa pudica, mimosa pudique) doit son nom au fait qu’elle se referme la nuit et quand on la touche. Frédéric Blanchard (v. notule {f}, note [33] de la Leçon sur le Laudanum et l’opium) m’a fourni ce précieux complément d’information sur son espèce botanique :

« Les sensitives (Mimosa spp.) sont originaires d’Amérique tropicale. Elles doivent leur nom au fait qu’elles peuvent replier leurs folioles à la moindre stimulation physique en une fraction de seconde. {a} Une des espèces les plus communes est la sensitive pudique (Mimosa sensitiva L.) {b} qui a maintenant envahi de nombreux espaces tropicaux en Afrique et en Asie. Il existe aussi une espèce asiatique thigmonaste {a} d’un autre genre (Biophytum sp.), observée dès la fin du xvie s., qui a amené beaucoup de confusions dans l’interprétation des textes du xviie s. où ces espèces portent assez souvent le nom d’herba viva. » {c}


  1. Mécanisme dénommé thigmonastie, du grec θιγγανω (thigganô), « je touche ».

  2. V. note [2], lettre latine 193.

  3. « herbe animée », biophuton en néo-grec.

2.

Le ms BIU Santé no 2007 ne conserve pas cette liste.

3.

Le livre de Marten Schoock « sur la Fermentation » (v. note [3], lettre 723) a paru à Groningue en 1663 ; son traité « sur la Bière » (Groningue, 1661, v. note [1], lettre 719) n’a pas été réédité.

4.

V. notes [14], lettre 760, pour le commentaire de Johann Heinrich Meibomius (mort en 1655) sur les bières (Helmstedt, 1668), et [8], lettre 660, pour son livre sur le « Serment d’Hippocrate » (Leyde, 1643).

5.

« la docte postérité d’un docte père » : remplacement de parentis par patris dans un vers de Scévole i de Sainte-Marthe (v. note [15], lettre 9).

Guy Patin a correspondu avec Heinrich Meibomius, fils de Johann Heinrich.

6.

Guy Patin a écrit stipendiis duorum Ducum, Brunsvicensis et Lunæburgensis [aux gages de deux ducs, de Brunswick et de Lunebourg], mais il s’agissait d’un seul et même personnage, le duc Auguste de Brunswick-Wolfenbüttel (1579-1666, v. note [1], lettre 428) ; j’ai corrigé en conséquence.

Hermann Conring était professeur de médecine pratique à l’Academia Julia (l’Université d’Helmstedt) depuis 1636 ; il demeura titulaire de cette chaire (et de plusieurs autres) jusqu’à sa mort, survenue en 1681, à l’âge de 75 ans.

7.

V. notes [14], lettre 736, pour la naissance et la vie éphémère d’Anne-Élisabeth, second enfant du couple royal de France, et [1], lettre 735, pour l’affaire des gardes corses qui opposait alors Louis xiv au pape Alexandre vii.

8.

Cette liste n’est pas dans le ms BIU Santé no 2007 (v. supra note [2]). Guy Patin l’avait pourtant conservée dans ses brouillons : inquiet de n’en avoir reçu aucune nouvelle, il y est revenu dans sa lettre du 20 décembre 1663 à Christiaen Utenbogard (v. sa note [2]) en donnant le début de son contenu (v. sa note [3]).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 122 ro.

Cl. viro D. Christ. Utenbogardo, Ultrajectum.

Suavissimæ tuæ 12. Dec. scriptæ breviter respondeo. Ad Io. Heurnium, nepotem tuum
scripsi, monuique ut in persolvendo Medico et pharmacopæo, utatur consilio D. Lud.
Ferrand
, Medicinæ Doctoris et amici mei singularis, ad quem ideo quoque scripsi, ut
rem ipsam componat, et ipsi negotio finem imponat, quod est exigui momenti : nec est
quod de ea re diutius angaris. Hîc invenies duo semina, unum Aconiti, alterum sensitivæ
Melitensis
 : et alia curiosa occurrent posthac, quæ ad Te mittam : hîc denuo excolitur
studium Botanicum à quibusdam è nostris, à quib. facilè obtinebo quidquid habe-
bunt eximium : idcirco scribe quid requiras in posterum. Antehac ad Te misi Indicem
quorundam librorum et libellorum, quos mihi honesto pretio vellem redimi : et alij ecce
sequuntur, pro quib. eamdem gratiam à Te postulo : Eorum nomina Tibi patebunt ex
Indiculo quem hîc reperies : et eorum pretium facilè refundam. Ex utrisq. collectis
fiet fasciculus, ad me mittendus per viam quam tunc temporis designabo et indicabo.
Quî se habet D. Mart. Schoockius, amicus noster ? quidvis ut sperem de ejus
filio ad nos mittendo ? stabo promissis si voluerit. Annon ad finem editionis
pervenit ejus liber de Fermentatione ? ut et altera editio libri sui de Cervisia ?
de qua [re] al[terum] scripsisse, nempe D. Meibomium, Medicum Lubecensem, virum

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 122 vo.

eruditissimum. Ille ipse est cujus habemus doctissimum elucubrationem in
Iusjurandum Hippocratis. Abijt ad plures ille Meibomius, sed filium reliquit
doctissimum, quem hîc vidi, et de quo verè dici potest, Docti patris docta proles : qui
proximo anno futurus est Medicinæ Theoricæ Professor Helmestadij, in illa ipsa
Academia in qua Medicinam hactenus docuit Vir Cl. Herm. Conringius, stipendijs
duorum Ducum, Brunsvicensis et Lunæburgensis. Filiola Regis nostri dierum 40. hîc
obijt. De bello in Italia gerendo vere proximo, sunt adhuc incerta omnia : qui stant à
partibus Papæ, pacem pollicentur, de qua nihil constat : ut neq. de negotio Nic.
Fouquet
, Gazophylacis olim nostri : adeo sunt obscura omnia. Sed desino, et hoc
anno novo salutem optimam Tibi voveo. Vale igitur, Vir Cl. et me ama. Indi-
culum librorum quem hîc habes, trade alicui Bibliopolæ, qui in eos inquirat, et totum
pretium refundam. Parisijs, die 6. Ianu. 1663. Tuus ex animo Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Christiaen Utenbogard, le 6 janvier 1663

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(Consulté le 19/04/2024)

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