L. latine 229.  >
À Johannes Antonides Vander Linden,
le 24 février 1663

[Ms BIU Santé no 2007, fo 137 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johannes Antonides Vander Linden, à Leyde. [a][1]

Ne vous inquiétez pas, je vous prie, de l’intermittence de mes lettres : [1] cela vient de l’énorme masse de travail qui m’écrase presque, et du peu de choses qui sont dignes de vous être écrites. Notre ami Pierre Petit écrit de Lumine adversus Isaac Vossium ; [2][3] ensuite, il se remettra à son Arétée[2][4] La nouvelle édition du Cardan touche presque à sa fin : de ses dix tomes, il ne reste à imprimer que la préface et un index ; de nombreux exemplaires seront ensuite envoyés en cette ville, je vous en écrirai après que je les aurai vus. [3][5] Un libraire de Lyon, nommé M. Laurent Anisson (c’est celui qui a publié le Gassendi de Lyon), [4][6][7] est à Paris ; il me promet qu’aussitôt qu’il sera retourné dans sa ville (une fois terminé le procès pour lequel il séjourne ici), il éditera dans l’année les ouvrages manuscrits de Caspar Hofmann que j’ai entre les mains. [8] Par disposition testamentaire du très distingué auteur, tous m’ont été remis ; je les ai rachetés au prix fort pour éviter qu’ils ne se perdent ou ne tombent en d’autres mains ; je n’en réclame pourtant pas d’argent, afin que leur coût ne dissuade pas mon libraire. S’ils sont rapidement édités, je me contenterai de quelques exemplaires que je pourrai, comme je dois, offrir à mes amis ; mais à vous en tout premier, qui en menez la famille et qui êtes comme le chef qui en conduit la troupe. Dieu veuille que M. Anisson tienne ses promesses ; car grâce à lui, je me libérerai de mon engagement et m’en acquitterai envers la postérité, suivant la volonté de l’auteur, excellent écrivain qui y a consacré de nombreuses veilles et d’immenses efforts. On imprime ici le Hollierus de Morbis internis avec les commentaires et les annotations de Louis Duret et les exercitations d’Antoine Valet, médecins de Paris ; [5][9][10][11] cela avance pourtant lentement, mais ira plus vite à partir du mois prochain. [Ms BIU Santé no 2007, fo 138 ro | LAT | IMG] Pour éclairer et enrichir le tout, on ajoutera pour la première fois à cette édition du Hollierus les commentaires et les observations choisies d’un très brillant auteur de jadis, M. Jean Haultin, [12] docteur en médecine de Paris ; il mourut ici en l’an 1616 et tenait le premier rang chez nos praticiens, aux côtés de Jean Duret, [13] fils de Louis et homme de très grande expérience, et de Simon Piètre, [14] le meilleur et le tout premier des médecins, dont on n’a jamais assez chanté les louanges. Il était père de celui qui a reçu de vous votre portrait, [15] voici un an, pour qu’il me le remît, et je vous adresse de nouveau mes particuliers remerciements pour lui avoir fait bon accueil. [6][16] M. Merlet, [17] le plus ancien maître de notre Compagnie, est ici mort en sa 82e année d’âge, étouffé en deux jours par un catarrhe suffocant. [18] Il avait en mains des commentaires complets et achevés in Historias epidemicas d’Hippocrate. [19] Il a un fils, qui est notre collègue et qui prendra peut-être soin de les éditer. [7][20] On parle ici de faire la guerre en Italie, mais on ne sait contre qui : sera-ce contre le Jupiter capitolin[21][22] contre le roi d’Espagne, [23] ou pour assiéger Genève ? [24][25][26] C’est un mystère. M. Nicolas Fouquet, [27] jadis surintendant des finances, est encore emprisonné ; mais, hormis le roi, [28] nul ne sait pour combien de temps encore. Mes deux fils vous saluent. [29] Au printemps prochain, vous recevrez de Charles le Fulvius Ursinus de Familiis Romanis[30][31] J’ai ici l’exemplaire qu’il vous a destiné, avec sa lettre, et un autre pour le très distingué M. Reiner von Neuhaus, fils d’Edon, [32][33] jurisconsulte d’Alkmaar, [34] notre ami, dont une épigramme a été placée au début de cette édition du Fulvius Ursinus. Charles l’a dédiée à notre roi qui, l’ayant reçue, [35] l’a ouverte et est tombé sur la page où se lisent ces vers de Reiner von Neuhaus : le roi a demandé qui était ce Neuhaus ; Charles lui a répondu que c’est un jurisconsulte hollandais, très savant et ami particulier de son père. [8] Je salue vos très distingués collègues, et parmi eux surtout MM. Vorst, [36] van Horne, [37] Gronovius, [38] Stevartus [39] et Rompf. [40] On dit que M. Gronovius médite une nouvelle édition des Epistolæ de Joseph Scaliger et d’Isaac Casaubon ; [41][42] j’en ai quelques-unes de ces deux auteurs à portée de main, que je suis disposé à lui envoyer s’il songe sérieusement à les publier ; et Dieu fasse qu’il accomplisse cela, soit qu’il les réédite en y ajoutant un supplément, soit qu’il prépare quelque chose d’autre à la gloire de si grands hommes et au profit de la postérité. [9] Vale, cher ami, et continuez de m’aimer.

De Paris, le 24e de février 1663.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johannes Antonides Vander Linden, ms BIU Santé no 2007, fos 137 vo‑138 ro.

1.

La précédente lettre de Guy Patin à Johannes Antonides Vander Linden dont on a le brouillon était datée du 19 septembre 1662.

2.

V. notes :

3.

V. note [8], lettre 749, pour les Opera omnia de Jérôme Cardan (Lyon, 1663).

4.

V. note [19], lettre 442, pour les Œuvres complètes de Pierre Gassendi (Lyon, 1658).

5.

V. note [14], lettre 738, pour la réédition (Paris, 1664), dédiée à Guy Patin (et due à ses soins), de « [Jacques] Houllier sur les Maladies internes » avec ses propres commentaires, et ceux de Louis Duret, Antoine Valet et Jean Haultin.

6.

Julien Piètre, trésorier du roi à Amiens, v. note [1], lettre latine 173.

7.

Roland Merlet, fils de Jean, n’a pas publié les commentaires sur les « Histoires épidémiques » (ou Épidémies) d’Hippocrate, que son père avait laissés en mourant (v. note [3], lettre latine 128).

8.

V. notes :

9.

Ce projet qu’avait Johann Friedrich Gronovius (mort en 1671, v. note [5], lettre 97) de réunir les « Lettres » qu’ont échangées Joseph Scaliger et Isaac Casaubon n’a pas abouti. Il n’existe que des publications séparées de celles de Scaliger (vBibliographie) et de Casaubon (dont la première édition donnée par Gronovius, La Haye, 1638, v. note [7], lettre 36), qui contiennent toutes deux de nombreux courriers qu’ils ont échangés.

Patin était en train de lire les Epistolæ selectiores [Lettres choisies] de Georg Richter (Nuremberg, 1662, v. note [2], lettre 734). Je n’ose pourtant croire que ce qu’il disait ici pût être une interprétation erronée de la lettre que Gronovius a écrite à Richter, de La Haye le 9 mai 1638, page 233 :

Epistolæ Casauboni tandem respiciunt finem, ac fortassis post mensem συν Θεω ειπειν erunt absolutæ. Earum curabo, simul prodierint, exemplaria habeatis. Elzevirii parant alteram editionem Epistolarum Scaligeri. Vidi hisce oculis apud Cl. Rittershusium plusculas ad Parentem ejus ab illustri illo Viro scriptas : Vix una edita est. Quod si eadem comitate, qua fecit in Casaubonianis, illas descriptas huc mittere volet, curabo, ut illud augmentum eximio nunc operi addatur.

[Les Lettres de Casaubon voient enfin arriver leur terme : Dieu aidant, elles seront peut-être terminées dans un mois. Dès qu’elles paraîtront, je veillerai à vous en procurer un exemplaire. Les Elsevier préparent une seconde édition des Lettres de Scaliger. {a} Chez le très distingué Rittershusius, j’ai vu de mes propres yeux un bon nombre lettres que cet illustre personnage a écrites à son père, dont presque aucune n’a encore été imprimée. Comptant sur la bienveillance qu’il m’a montrée pour les épîtres de Casaubon, je le prierai de bien vouloir m’envoyer celles-là ici, afin d’en augmenter ce remarquable ouvrage]. {b}


  1. Les Elsevier n’ont pas réédité les Epistolæ de Scaliger qu’ils avaient imprimées à Leyde en 1627 (Ép. lat de notre édition).

  2. Le philologue Conradus Rittershusius (Conrad Rittershausen, 1560-1613) était professeur de droit à Altdorf.

    Les Epistolæ de Casaubon parues en 1709 (Rotterdam, v. dernière notule {a}, note [16] du Borboniana 1 manuscrit) contiennent 24 lettres qu’il lui a écrites, et la Correspondence de Scaliger (Genève, 2012) en contient 14 qu’il a échangées avec lui (qui sont sans doute celles dont Gronovius parlait ici).


Je n’ai pas su découvrir si les lettres de ces deux grands érudits que Guy Patin disait avoir « à portée de main », ad manum, sont passées à la postérité.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 137 vo.

Cl. viro D. Io. Ant. Vander Linden, Leidam.

De intermissa mea ad Te scribendi consuetudine, quæso ne angaris : fecit
hoc negotium moles ingens, quib. fere obruor : et paucitas eorum quæ digna
sint ut ad Te scribantur. Petrus Petitus noster scribit adversus Is. Vossium,
de Luce :
postea reversurus ad suum Aretæum. Nova Cardani editio penè ad finem
pervenit : ex decem tomis sola restat edenda Præfatio, cum Indice quodam :
postea in hanc Urbem Exemplaria multa mittentur : de quib. postquam à me
conspecta fuerint, ad Te scribam. Hîc habemus Bibliopolam quendam dictum D.
Laur. Anisson, Lugdunensem, (ille est qui edidit Gassendum Lugduni) Ille mihi
pollicetur se quamprimum, (terminanta lite propter quam hîc moratur,) in suam Civi-
tatem reversurum, ibiq. Cl. viri, Casp. Hofmanni omnia Opera MS. quæ hîc penes
me habeo, intra annum editurum. Singula illa, Cl. Authoris testamento,
fidei meæ commissi sunt, nec vili pretio, ne perirent, aut in alienam manum
transirent, à me redempta : pro quib. tamen nihil pecuniarum repeto, ne Bibliopo-
lam meum ipso pretio deteream : unica re me contentum fore professus, si
citò edantur ; nempe aliquot Exemplarium numero, quæ possim Amicis meis offere,
ut debeo, Tibi v. imprimis, qui inter eos familiam ducis, et tanquam dux regis
examen. Utinam dictus D. Anisson stet promisijs, quorum ope fidem meam liberem,
et posteritati reddam ex mente Authoris, quæ Author optimus, post multas
vigilias et immensos labores illi consecravit. Hîc currit sub prælo, lentè tamen, sed
proximo mense fortiùs curret, Hollerius de morbis internis, cum Enarrationibus
et Annotationib. Lud. Dureti, ac Exercitationib. Ant. Valetij
, Medicorum Paris.

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 138 ro.

Quibus illustrandis ac locupletandis singulis, hac Editione primùm accedent per in ipsum
Hollerium, Commentarij et Observationes selectæ D viri olim ClarissimiD. Io. Hautin,
Doct. Med. Paris. qui hîc obijt anno 1616. quiq. ante obitum primas tenebat in praxi
Lutetiana, cum Io. Dureto, Lud. filio, viro peritissimo ; et Opt. Max. Medicorum
principe, numquam satis laudato, Sim. Pietreo ; illius Patre qui Iconem tuam à Te
accepit, ante annum mihi reddendam : pro qua feliciter accepta iterum Tibi gratias
ago singulares. Hîc nempe obijt M. Io. Merlet, nostri Ordinis Antiquior Magister, quem
catarrhus præfocans in biduo oppressit anno æt. 82. Habebat Commentaria affecta
et perfecta in Historias Epidemicas Hipp. Filium habet Collegam nostrum, qui forsan
curabit eorum editionem. Hîc agitur de bello in Italia gerendo : sed contra quem nescitur
an adversus Iovem Capitolinum ? an Hispaniæ regem ? an G ad obsidendam Genevam
Allobrogum
 ? mysterium est. D. Nic Fouquet, olim regiæ Gazæ præfectus, adhuc
latet in carcere ; sed quamdiu, præter Regem nemo novit. Ambo Filij mei Te
salutant. Proximo vere à Carolo meo accipies Fulvium Ursinum, de Familijs
Romanis,
cujus hîc habeo Exemplar Tibi destinatum, cum ejus Epistola : et unum
aliud pro Cl. viro D. Rein. Neuhusio, Edonis filio, ICto Alcmarino, amico
nostro, et cujus Epigramma præfixum fuit ipsi novæ Editioni Fulvij Ursini.
Librum ipsum dicavit Carolus meus Regi nostro, qui acceptum librum aperuit, et
incidit in paginam in qua legitur epigramma R. Neuhusij : quæsivit Rex quis ille esset
ille esset : Neuhusius : respondit Carolus : eum esse Ille est ICtums Hollandums, eúmq. isque virum eruditissimums,
Amicum meum mei Parentis Amicus singularis. Clarissimos tuos Collegas saluto,
ex ijs præsertim D.D. Vorstium, Van Horne, Gronovium, Stevartum, Romphium.
Dicitur Dominus Gronovius meditari novam Editionem Epistolarum Ios. Scaligerij et Is.
Casauboni :
Utriusq. Authoris aliquas habeo ad manum, quas illi mittere paratus sum,
si de illis edendis seriò cogitet : et hoc utinam perficiat, sive novam editionem renovet,
ei supplementum addendo, sive quid aliud moliatur in tantorum virorum laudem,
et posterorum commodum. Vale carum caput, et me ama perge. Scriptum
Parisijs, 24. Febr. 1663.

Tuus es animo, Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johannes Antonides Vander Linden, le 24 février 1663

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(Consulté le 24/04/2024)

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