L. latine 230.  >
À Johann Georg Volckamer,
le 27 février 1663

[Ms BIU Santé no 2007, fo 138 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johann Georg Volckamer, docteur en médecine, à Nuremberg. [a][1]

J’aurais dû répondre plus vite à la dernière lettre que vous m’avez écrite le 24e de novembre ; j’ai jusqu’ici remis cela à plus tard, ayant en tête le second paquet que vous m’y promettiez. Je n’ai pourtant pas voulu différer plus longtemps ma réponse, prévenu par M. Picques [2] que ce colis tarderait à arriver chez nous à cause de la difficulté et de la longueur des chemins, et des gelées hivernales. En attendant qu’il me parvienne, je voudrais donc vous avertir que le paquet de livres que j’ai envoyé voici quelques jours est à Lyon sur la Saône, pour être délivré à notre ami M. Charles Spon ; [3] il contient un livre bien relié où il y a plus de 300 portraits d’hommes illustres en notre royaume de France. Mais, me direz-vous, je ne recherchais pas tant ces hommes célèbres que les nombreux savants dont abonde votre pays ; à quoi je répondrai : de fait, il y a eu beaucoup de savants en notre France, dont les portraits se trouvent [Ms BIU Santé no 2007, fo 138 vo | LAT | IMG] sous une forme ou une autre chez divers libraires, ou chez leurs descendants, de qui on ne les obtient qu’à grand’peine, et nous nous y acharnons ; j’en ai déjà quelques-uns en ma possession et vous les enverrai aussitôt que j’en aurai augmenté le nombre. J’attendrai patiemment le paquet que vous m’avez promis, en espérant qu’il m’arrivera au printemps prochain, avec la thèse de M. Conring de Scorbuto[1][4][5] et les autres choses dont vous m’avez écrit, ainsi que le catalogue des œuvres du très distingué M. Felwinger, [6] que je salue très obligeamment ; tout comme le très distingué M. Dilherr, [7] à qui j’adresse tous les remerciements dont je suis capable pour le livre des Electi qu’il vous a remis pour me l’envoyer. [2] Dernièrement est mort le plus ancien maître de notre École, Jean Merlet, [8] praticien très célèbre et fort expérimenté, qu’un catarrhe suffocant a étouffé en deux jours en la 82e année de son âge. [9] On parle ici d’une guerre à mener en Italie dans deux mois, mais on ne sait guère contre qui. Sera-ce contre le pape ? [10] Beaucoup le nient. Sera-ce pour prendre Genève [11][12][13] ou pour récupérer le duché de Milan ? [14] Certains le subodorent, mais nul ne sait. Pour la somme que je vous dois en remboursement des livres que vous m’avez achetés, j’en ai remis le montant exact à M. Picques, savoir 7 thalers et 14 kreuzers, [3][15][16] qui font chez nous 21 livres tournois et neuf sols ; je vous remercie beaucoup pour cet argent que vous avez avancé et pour les peines que vous vous êtes données. Nicolas Fouquet, [17] naguère notre surintendant des finances, est toujours détenu dans les prisons du roi avec quelques partisans ; mais hormis le roi, [18] nul mortel ne connaît le sort qui leur sera réservé. J’ai un autre livre, mais en blanc, sur l’entrée de notre roi dans la ville de Paris, aussitôt après la célébration de ses noces, en l’an 1660, et avec pompe solennelle et vraiment royale ; [4][19][20] je vous l’enverrai prochainement et vous en ferai cadeau, tout comme du recueil de portraits relié [1] que je vous ai déjà expédié, et des autres portraits qui suivront ; je vous prie instamment de recevoir ces présents de bonne grâce. Vale, très éminent Monsieur, et de continuer à m’aimer comme vous faites.

De Paris, le 27e de février 1663.

Votre Guy Patin de tout cœur.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Georg Volckamer, ms BIU Santé no 2007, fo 138 ro et vo.

1.

V. notes :

2.

Joh. Mich. Dilherri, Fr. Libri iii. Electorum ; in quibus rituum, tam sacrorum, quam secularium, farrago continetur, multa S. Scripturae, et variorum Autorum loca depromuntur, et linguarum usus ostenditur [Trois livres de Morceaux choisis de Johann Michael Dilherr, natif de Franconie, qui contiennent une compilation des rites, tant sacrés que séculiers, en recourant à de nombreux passages de la Sainte Écriture et d’auteurs divers, et en montrant l’emploi des langages] (Nuremberg, Wolfgang Endter, 1644, in‑8o de 677 pages ; les deux premiers livres avaient déjà été publiés à Iéna en 1633). C’est un recueil de citations savamment commentées, tirées des Saintes Écritures et de textes latins profanes, antiques et modernes.

Le frontispice, à la gloire de Dilherr, est accompagné de cette légende :

Explicatio figuræ æneæ.

Heus, Viator !
sta lubens ; et hocce limen adspice !
Nympha
dædala Coronam plectilem
nectit manu,
multiformes et striatos
arctat orbe flosculos :
Musa solers
æmulatur hic Apes thymilegas,
mella convasare doctas.
Nostin ?
est industria.
Hæc
eruditionis orbem
versat arte plurima.
Ecce !
Phœbus has coronas
eligit
præ Laurea.

Georg-Philippus
Harsdörfferus pos
.

[Explication de la gravure.

Holà, voyageur, arrête-toi sans crainte et contemple ce seuil ! De son habile main, la Nymphe tresse une couronne, elle forme un cercle de fleurs diverses et dentelées : {a} la Muse ingénieuse imite ici les abeilles cueilleuses de parfums, savantes à élaborer le miel. {b} Sais-tu qui elle est ? c’est l’industrie. Avec un art consommé, elle fait tourner l’orbe de l’érudition. Voilà pourquoi Phébus {c} préfère ces couronnes aux lauriers !

Georg Philpp Harsdörffer {d} a composé ces lignes].


  1. Dans le jardin d’un palais champêtre, représenté en arrière-plan, une jeune femme est assise à droite, au pied d’un arbre. Sa robe porte le mot industria [industrie], elle est occupée à tresser une couronne de fleurs qui porte l’inscription eruditio [érudition].

  2. Une ruche, à gauche, est posée sur un socle où est écrit le titre abrégé du livre, Io. Mich. Dilherri electorum libb. iii.

    Ma traduction de l’adjectif inusité thymilegas se fonde sur une étymologie grecque supposée du mot : thymiama (parfum) et legein (cueillir).

  3. Apollon, dieu des arts et des sciences, v. note [8], lettre 997.

  4. Poète et érudit allemand (1607-1658).

3.

Un thaler (équivalent d’un écu français, v. note [1], lettre latine 17) comptait deux florins, soit 120 kreuzers.

V. note [6], lettre 739, pour le différend entre la Couronne de France et la République de Genève après la destruction des temples calvinistes du Pays de Gex en 1662 sur édit de Louis xiv.

4.

Les ouvrages les plus détaillés sur cet événement fastueux (le 26 août 1660, v. notes [3] et [8], lettre 632) sont ceux de François Colletet (1628-vers 1680, fils de Guillaume, v. note [5], lettre latine 12), publiés à Paris chez Jean-Baptiste Loyson (1660, in‑4o) :

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 138 ro.

Cl. viro D. Io. Georgio Volcamero, Medicinæ Doctori, Noribergam.

Epistolæ tuæ postremæ, 24. Novembris à Te scriptæ, citiùs respondissem ; quod tamen
hactenus distuli, dum cogitantem de altero fasciculo quem in ea mihi polliceris.
Sed nolui responsum istud diutius differe monitus à D. Nic Picques, propter
difficultatem et longinquitatem itinerum, hybernùmque gelu, non tam citò ad
nos perventurum. Illum itaque expectando, donec nobis reddatur, Te monitum
velim, à paucis diebus, fasciculum librorum à me missum esse Lugdunum ad
Ararim
, reddendum Amico nostro Domino Car. Sponio, in quo continetur liber bene
compactus, habens in se non minus quam 40. supra 300. Icones virorum Illustrium regni
nostri Gallicani. Sed dices : Illustres illos nobiles non tam quærebam quàm
eruditos multos, quib. abundat vestra Gallia.
Ad hoc respondeo : revera
fuerunt in Gallia nostra multi eruditi, quorum aliquot Icones quodammodo

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 138 vo.

habentur apud varios Bibliopolas, aut eorum hæredes, à quib. nonnisi
difficulter avelluntur : ideóq. in hanc curam incumbimus, ut à varijs illis quod
habent obtineamus : ex quib. jam aliquot hîc penes me habeo, quas ad Te
2 mittam 1 statim, adaucto earum numero. Promissum fasciculum patienter expectabo,
quem proximo Vere ad me deventurum spero, cum Thesi D. Conringij de Scorbuto,
et alijs quæ scripsisti : ut et Syllabum Operum Cl. viri D. Felwingeri, quem officio-
sissimè saluto ; ut et Cl. virum, D. Dilherum, cui gratias ago quàm possum
maximas pro libro Electorum, quem mihi mittendum Tibi tradidit. Hîc nuper
obijt Antiquior Scholæ nostræ Magister, Io. Merlet, celeberrimus, idemque
peritissimus Practicus, quem catarrhus suffocans in biduo oppressit anno ætatis
82. Hîc agitur de bello in Italia gerendo, intra duos menses : sed contra quem,
vix scitur : an adversus Papam ? multi negant : an pro capienda Geneva, vel
recuperando Ducatu Mediolanensi ? quidam suspicantur ; verum nemo novit.
Pro summa debita librorum à Te emprorum, tradidi D. Nic. Picques, eandem ipsam
summam Tibi reddendam, nempe 7. Thaleros, et Crucig. 14. qui faciunt hîc
apud nos, 7. Turonenses libellas 21. cum novem assibus : pro qua summa tuisq. laboribus gratias
ago amplissimas. Nic. Fouquet, Gazophylax olim noster, adhuc regio carcere
detinetur, cum aliquot publicanis : sed quænam sit futura eorum fortuna,
præter ipsum Regem, nemo mortalium novit. Alterum habeo librum, sed non
compactum, de ingressu Regis nostri in Civitatem Parisiensem, statim post
nuptias ejus celebratus, anno 1660. in pompa maxima, et verè regia :
quem proximè mittam, quemq. Tibi offero, cum alio Iconum compacto jam misso,
et alijs Iconib. quæ sequentur : quæ quidem munuscula grato animo accipias
enixè rogo. Vale vir præstantissime, meq. quod facis, amare perge.
Scriptum Parisijs, 27. Febr. 1663. Tuus ex animo Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Georg Volckamer, le 27 février 1663

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(Consulté le 19/04/2024)

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