[Ms BIU Santé no 2007, fo 141 vo | LAT | IMG]
Au très distingué M. {Stephan} Sebastian Scheffer, [1] docteur en médecine à Francfort.
Très distingué Monsieur, [a][1]
Je vous ai récemment écrit, savoir le 8e de mars, par l’intermédiaire du jeune Öchs ; [2] mais aujourd’hui, je vous écris par celui de notre ami Sebastian. [2][3] Vous trouverez dans mon paquet deux de mes jetons d’argent, [4] frappés jadis durant mon décanat, [5] avec deux exemplaires de mon portrait. Usez et abusez de ces petits présents ; c’est que, si votre graveur joint les Illustrium virorum Elogia dans le livre qu’il songe à publier, j’enverrai aussi le mien afin qu’il ne perde pas son temps à me décrire ou n’y dise pas autre chose que ce que je voudrais ; mais je désirerais qu’on intitulât ainsi mon portrait : [6] Guido Patin, Bell. Doctor Med. Paris. et Professor regius ; [3] peu m’importe que ce soit en lettres majuscules ou minuscules. Pour la devise à placer au-dessous, je souhaiterais qu’on remplaçât ces mots, Spes mea Deus, [4][7][8] par ceux-ci : Felix qui potuit. [5][9][10] Sous le distique, on mettra ces lettres : I.D.N.B.D.S., pour Ioannes de Nulli, Bellovacus, Doctor Sorbonicus, [6][11][12] excellent et très savant homme qui est mort voilà peu. On ne parle plus ici d’une guerre à mener contre le pape, [13] mais bien de nombreuses alliances à établir et affermir entre divers princes. Je vous envoie une lettre pour M. Mocquillon. [14] Je n’ai pas encore reçu le paquet de Lyon qui contient l’Opus de Vorburg, [15] je l’attends cependant d’un jour à l’autre car la navigation vient d’être rétablie. [7] Je salue de tout cœur le très distingué M. Lotich. [16] Chaque fois que vous voudrez m’écrire, confiez vos lettres à M. Öchs [17] ou à Sebastian, [2] qui viennent [8] de temps en temps à Paris et auront soin de me les remettre. Je salue M. votre père, [18] ce vénérable vieillard, ainsi que votre très douce épouse. [19] Vale, très distingué Monsieur, et continuez de m’aimer comme vous faites.
De Paris, ce lundi 19e de mars 1663.
Votre Guy Patin de tout cœur.
1. |
Lapsus récurrent de Guy Patin (qui l’a lui-même corrigé) sur le prénom de Scheffer : Stephan (Steph., barré dans le manuscrit, ici mis entre accolades) pour Sebastian (v. note [1], lettre latine 139). |
2. |
Sebastian Switzer (v. note [8], lettre latine 131). Celle du 8 mars 1663 est la lettre latine 231 de notre édition. |
3. |
« Guy Patin, natif de Beauvaisis, docteur en médecine de Paris et professeur royal ». V. notes :
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4. |
« Dieu est mon espérance » : devise classique, utilisée par bien d’autres, dont Guy Patin avait orné ses armoiries en 1633.
Jean-François Vincent, l’inlassable rédacteur en chef de notre édition, a découvert une thèse médicale ornée des armes de Guy Patin (v. note [45], lettre 288) et de sa devise, avec cette inscription : « G.P. 1633 ». Disputée la même année à Reims par un bachelier nommé Petrus Marius Torinyensis (Pierre Marius, natif de Thorigny-sur-Marne, en Brie, 28 kilomètres à l’est de Paris), elle est intitulée :
La thèse est précédée de cette dédicace : Clarissimo et Ornatissimo Viro Dom. D. Guidoni Patin, Facultatis Medicæ Parisiensis Doctori eximio, et primario Chirurgiæ Professori ordinario, S.P.D. [Mes plus respectueuses salutations au très distingué et très honoré M. Guy Patin, éminent docteur en médecine de Paris et premier professeur de chirurgie]. {a} Suit cette épître :
Ce panégyrique surprend par sa date : en juin 1633, moins de six ans après avoir été reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, Guy Patin avait pour tout mérite académique d’y avoir été nommé régent d’anatomie en 1631-1632 (v. note [10], lettre 8) ; il avait certes publié son Traité de la Conservation de santé (1632), mais sa fameuse querelle contre Théophraste Renaudot n’allait ouvertement s’engager qu’en 1638. Il jouissait pourtant d’un tel prestige qu’il avait déjà fait graver son portrait en grande tenue de docteur régent (1631-1632, v. note [4], lettre latine 234), orné de ses armoiries et de sa devise, et qu’il pouvait s’enorgueillir d’une dédicace fort flatteuse en tête d’une thèse disputée à Reims. L’explication la plus plausible, à mes yeux, tient à la présence de La Framboisière, professeur de Reims, dans le jury de la thèse. Dans sa lettre du 10 février 1633 Patin écrivait à Johann Caspar i Bauhin (v. sa note [4]) : adhuc vivit Frambesarius, etsi plusquam septuaginarius, in urbe Rhemensis, a quo frequenter accipio literas [même s’il est plus que septuagénaire, La Framboisière est toujours en vie à Reims, d’où je reçois fréquemment de ses lettres] ; mais aucun échantillon de cette correspondance ne nous est parvenu. Mon hypothèse est que : 1. Marius avait eu Guy Patin comme régent d’anatomie à Paris avant d’aller à Reims pour y obtenir son baccalauréat puis y disputer ses thèses ; 2. Patin avait dû recommander Marius à son ami La Framboisière, qui l’avait encouragé à dédicacer sa cardinale à son jeune maître parisien ; 3. le bachelier poussa le zèle jusqu’à orner sa thèse du blason de Patin ; daté de 1633, il est ici beaucoup plus finement gravé que celui du portrait exécuté l’année précédente, et en diffère par de nombreux détails (disposition des feuillages, dessin des deux étoiles, addition d’un soleil, etc.). Si tout cela était vrai, on pourrait en déduire que le goût de sa propre gloire a été fort précoce chez Patin et que la modestie ne l’étouffa jamais. La seule certitude est qu’en sa 32e année d’âge, Patin était déjà solidement ancré dans ses certitudes dogmatiques, contre la médecine des Arabes et contre les audaces de Paracelse. |
5. |
Devise chérie de Guy Patin, qui l’avait fait graver sur son jeton décanal (v. supra note [3]) ; elle abrège un vers de Virgile : Felix qui potuit rerum cognoscere causas [Heureux qui a pu connaître les causes des choses] (v. note [6], lettre 438). |
6. |
« Jean de Nully, natif de Beauvais, docteur de Sorbonne » : v. note [2], lettre latine 231, pour le distique de Nully qui ornait le portrait de Guy Patin gravé en 1631-1632, qui était donc celui qu’il expédiait à Scheffer ; mais en lui demandant d’y mettre à jour la signature des deux vers, en remplaçant I.D.N.T.B.B. [Iohannes De Nully, Theologiæ Baccalaureus, Bellovacus (Jean de Nully, bachelier de théologie, natif de Beauvais)] par I.D.N.B.D.S. Dans sa lettre du 6 mai 1663 (note [4]), Patin, jamais à court de lauriers, a demandé à Scheffer d’y ajouter un autre, écrit par Adrien de Valois. |
7. |
Le dégel de mars avait rétabli la navigation sur la Seine entre Rouen et Paris. V. note [3], lettre latine 206, pour les 12 tomes de l’« Ouvrage » historique de Johann Philipp von Vorburg. |
8. |
J’ai corrigé un lapsus calami de Guy Patin : scribunt [écrivent] pour veniunt [viennent]. |
a. |
Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Sebastian Scheffer, ms BIU Santé no 2007, fo 141 vo. |
s. |
Ms BIU Santé no 2007, fo 141 vo. Clarissimo viro D. Nuper ad Te scripsi, Vir. Cl. nempe 8. Martij, per Ochsium juniorem, |