L. latine 237.  >
À Johann Georg Volckamer,
le 6 avril 1663

[Ms BIU Santé no 2007, fo 142 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johann Georg Volckamer, docteur en médecine de Nuremberg.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Voici que me parvient votre fort agréable dernière par notre ami Nicolas Picques, [2] qui vous remercie pour votre compliment ; tout comme je le fais pour tant de bienfaits et de services que vous m’avez prodigués jusqu’ici. Je vous supplie de les renouveler à l’avenir, pour que continue et se tienne bien au chaud notre très innocent commerce de lettres, sans fraude ni déguisement, à la manière des Anciens. Je suis content que vous ayez reçu le remboursement du prix de vos livres ; Dieu veuille qu’ils m’arrivent enfin. J’ai remercié aussi fort que j’ai pu le très distingué M. Johann Georg Richter [3] pour le livre des Epistolæ de son très distingué père, [4] qu’il vous a remis à mon intention. J’ai ici de lui deux decades Orationum ; je n’ai pas encore vu ses Epistolæ, j’en ai seulement entendu parler par les lettres de notre ami Spon. [1][5] De fait, presque aucun livre ne nous parvient de votre Allemagne à cause de la paresseuse négligence de nos libraires, tant sont grandes leur insouciance et leur honteuse philargyrie[6] Je vous remercie aussi pour les lettres de Thomas Reinesius que vous y avez jointes. [2][7] Le très distingué M. Claude Sarrau, conseiller au Parlement de Paris, que je connus jadis et qui fut mon ami, mourut ici en l’an 1651, [3][8] le jour même de la Pentecôte, [9] après deux doses de vin d’antimoine [10][11] que deux médicastres et vauriens cacochymistes lui avaient malencontreusement administrées. [12] C’était un excellent personnage, très savant et fort aimable ; mais étant obèse et ayant le cou étroit, un tel poison et médicament délétère ne lui convenait absolument pas. Depuis quelques années, il a misérablement tué bien des milliers d’hommes, et ce assurément par l’excessive indulgence de la sainte Thémis. [13] Dieu fasse que vous receviez le mois prochain le Livre de portraits que je vous ai destiné et envoyé à notre ami Spon. [4] Je possède ici d’autres portraits de savants, je vous en enverrai un recueil augmenté, mais par une autre voie, à la fois plus sûre et plus rapide. J’y joindrai aussi deux exemplaires de mon propre portrait, [14] ainsi que de mon fils Charles, [15] pour satisfaire votre curiosité aussi bien que je pourrai. On dit ici qu’il n’y aura aucune guerre avec le pape, [16] ni avec l’empereur.[17] Une suspicion de guerre préoccupe seulement ceux qui conjecturent ou méditent une telle conséquence de la mort imminente, disent-ils, de Philippe iv, roi des Espagnes. [18] J’embrasse et salue de tout cœur le très distingué M. Dilherr, [19] ainsi que M. Felwinger. [20] Après que j’aurai trouvé une voie sûre et commode, je leur enverrai, ainsi qu’à vous et à M. Richter, des jetons d’argent à mon effigie, [21] qui a été gravée par ordre de notre Compagnie, durant mon décanat il y a dix ans. [22] Nous devons avoir le Cardan complet le mois prochain. [23] Nous attendons d’Angleterre le livre de Samuel Bochart de Animantibus sacræ Scripturæ[24] ainsi que le Diogenes Laertius avec les annotations de divers auteurs. [5][25] Si vous les trouvez, je vous demande de m’acheter les œuvres du très distingué M. Michael Dilherr qui suivent : voyez la petite liste jointe. [6] Ce Français, qu’on a rangé parmi les satiriques mineurs, en raison de son de Lite, a été un très grand homme : il s’agit de Michel de L’Hospital, chancelier de France ; [26] ce poème se lit parmi ses Epistolæ, jadis publiées à Paris en 1588, in‑fo, page 78, et ensuite à Genève, in‑8o ; [7] il a trompé le savant Caspar Barthius, [27] qui l’a attribué à un inconnu dans ses Adversaria, page 344 ; [8] Marcus Zuerius Boxhorn a commis la même erreur dans ses Satyrici minores de corrupto Reipublicæ statu, page 16. [9][28] Vale et aimez-moi.

De Paris, le 6e d’avril 1663.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Georg Volckamer, ms BIU Santé no 2007, fo 142 vo.

1.

Georgii Richteri JC. eiusque familiarium Epistolæ selectiores… [Lettres choisies de Georg Richter, jurisconsulte (v. note [2], lettre 734), et de ses familiers…] (Nuremberg, 1662, v. Bibliographie), éditées par Johann Georg Richter, fils de Georg.

Trois Georgii Richteri… Orationum decades [Décades des Discours de Georg Richter…] avaient alors paru (Nuremberg, Endter, 1638, 1644 et 1651, in‑8o).

2.

V. note [4], lettre 557, pour les Thomas Reinesii Epistolæ (Leipzig, 1660), notamment échangées avec Caspar Hofmann.

3.

V. note [14], lettre 201, pour Claude Sarrau, que Guy Patin disait ici être mort à Paris le dimanche de Pentecôte 1651 (19 mai, mais le 30 pour Michaud, sans doute moins digne de foi). J’ai corrigé l’étourderie de Patin sur le millésime, qui a ici écrit 1652 (v. note [10], lettre latine 19).

4.

V. note [5], lettre latine 157, pour le recueil contenant les portraits d’illustres personnages français, princes et nobles (Paris, vers 1661).

5.

V. notes :

6.

Liste non conservée dans le ms BIU Santé no 2007.

7.

V. note [8], lettre 102, pour les six livres des Epistolarum seu Sermonum [Épîtres ou Discours] de Michel de L’Hospital (Paris, 1585, et non 1588, in‑fo), qui ont été réédités à Lyon en 1592 (v. note [23] du Borboniana 4 mnuscrit), mais sans édition genevoise in‑8o que j’aie su trouver.

Guy Patin appelait de Lite [du Procès] le poème intitulé Litium execratio [L’Exécration des procès], adressé à Iacobr. Fabr. (sic), président des Enquêtes au Parlement de Paris. Ouvrant le livre ii, il occupe les livre ii, pages 78‑82 et commence par ces vers :

O Diræ lites, ô iurgia sæva reorum !
O furijs, Ereboque satæ, mortalia semper
Continuo diræ laniatu corda secantes !
Queis neque deterius potuit, neque tristius ullum
Iuppiter terris immittere monstrum
.

[Ô terribles procès, ô furieuses empoignades des parties ! Ô imprécations engendrées par les Furies et par Érèbe {a} pour mordre et déchirer, toujours et sans répit, les cœurs des hommes ! Jupiter n’a par pu envoyer sur terre de monstre plus méchant et plus affligeant que tout cela].


  1. V. notes [8], lettre de Reiner von Neuhaus, datée du 1er août 1669, pour les trois Furies, et [9], lettre du même datée du 1er juin 1673, pour Érèbe.

8.

Caspar Barthius a transcrit le poème de Michel de L’Hospital dans le livre vii, chapitre xvii (colonnes 344‑346), de ses Adversariorum commentariorum libri lx [Soixante livres de commentaires critiques], {a} sous ce titre :

Satira vetusti cujuspiam scriptoris, modo non sit fuco sublita. De Lite, ab Henrico Stephano et semel modo edita, promulgatur.

[Du Procès, satire de quelque ancien auteur, à moins qu’elle n’ait été cachée sous un faux nom ; Henri Estienne {b} ne l’a publiée qu’une fois et l’a fait connaître].


  1. Francfort 1648, v. note [6], lettre 610.

  2. V. note [31], lettre 406.

9.

Poetæ Satyrici minores, de corrupto Reipublicæ statu. Marcus Zuerius Boxhornius recensuit, et commentariis illustravit. Accedit ejusdem Oratio de Eversionibus Rerumpub.

[Poètes satiriques mineurs sur l’état corrompu de la république. Marck Zuerius Boxhorn {a} les a recensés et éclairés de commentaires. Avec le discours du même auteur sur les renversements des républiques]. {b}


  1. V. note [20], lettre de Samuel Sorbière au début 1651.

  2. Leyde, Isaacus Commelinus, 1633, in‑8o.

Le poème de Michel de L’Hospital est transcrit pages 16‑22, intitulé Anonymi Auctores (sic pour Auctoris) Franci Satyra de Lite [Satire du Procès d’un auteur anonyme français], avec un commentaire critique (pages 107‑110) où Boxhorn ne spécule pas sur le nom de l’auteur, mais dit (à mon avis) injustement des premier vers (cités dans la note [7] supra) :

Non respondent profecto ista, cum consequentium venustate. Quis ferre illud postest ? […] Proin puto versus istos omnes aut mutilos esse, aut turbatos, aut corruptos.

[Ces vers jurent avec la beauté de ceux qui les suivent. Qui peut supporter cela ? (…) Je pense donc qu’ils ont tous été soit mutilés, soit embrouillés, soit corrompus].

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 142 vo.

Clariss. viro D. Io. Georgio Volcamero, Med. Doctori, Noribergam.

Ecce postremam tuam accipio, mihi jucundissimam, Vir Cl. per amicum
nostrum Nic. Picques, qui pro tua salutatione gratias agit : ut et ago Tibi pro
tot beneficijs et officijs hactenus à Te mihi collatis : quorum tamen prorogationem in
posterum supplex à Te peto, ut innocentissimum illud literarum mutuum commercium
inter nos, absque fraude et fuco, more majorum, foveatur atque conservetur.
Gaudeo quod librorum tuorum pretium acceperis, qui tandem utinam ad nos veniant.
Cl. viro D. Io. Georgio Richtero gratias ago quam possum maximas pro Clariss. sui
Parentis Epistolarum libro Tibi tradito et mihi destinato. Duas Decades Orationum ejus
hîc habeo : Epistolas non habeo, nec adhuc vidi, sed dumtaxat de illis audivi per
literas Sponij nostri : nulli enim penè libri ad nos devehuntur ex vestra Germania,
propter Bibliopolarum nostrorum supinam negligentiam, tanta est eorum socordia et
turpis φιλαργυρια. Gratias etiam ago pro literis Thomæ Reinesij à Te superadditis.
Vir Cl. Claudius Sarravius, Senator Parisiensis, olim mihi notus et amicus, hîc
obijt anno 1652. ipso die Pentecostes, ex duplici dosi vini stibiati infeliciter ei
per duos medicastros et nebulones caco-Chymicos exhibiti. Erat vir optimus,
doctissimus et humanissimus, obeso corpore, et angustæ cervicis, cuiq. ideo
tale venenum et deleterium medicamentum nullatenus conveniebat : ex quod ab ali-
quot annis multa hominum millia hîc miserè jugulavit, nimiâ profectò sacræ
Themidis indulgentiâ. Librum Iconum Tibi destinatum, et ad Sponium nostrum
transmissum, utinam accipias mense proximo : alias Icones eruditorum hîc habeo
apud me, quarum Syllogem adauctam ad Te mittam per aliam viam, et tutiorem, et
breviorem. Meæ quoq. effigiei, et Caroli mei Iconum duo Exemplaria adjun-
gam ut quantum in me erit, curiositati tuæ faciam satis. Nullum dicitur hîc
futurum bellum cum Papa, ut neque cum Cæsare : quædam dumtaxat belli
suspicio eos occupat, qui tale quid opinantur aut cogitant de imminente, ut
ajunt, obitu Philippi 4. regis Hispaniarum. Cl. virum D. Dilherum toto corde
amplector et saluto : ut et D. Felwingerum. Postquam viam tutam et
commodam nactus fuero, Tibi et illis, ut et D. Richtero, mittam argenteos
calculos meos, i. in quib. habetur effigies mea, quæ sculpta fuit ex jussu
Collegij nostri, ante annos decem, in meo Decanatu. Cardanum totum pro-
ximo mense sumus habituri. Ex Anglia Sam. Bocharti librum expectamus,
de Animantib. sacræ Scripturæ : ut et Diogenem Laertium, cum Notis variorum.
Ex Operib. Mich. Dilheri, Viri Cl. sequentia, mihi redimi postulo, si occurrant. Vide
Indiculum. Francus ille, quem reposuit inter Satyricos minores, de Lite, fuit vir
maximus, Michael Hospitalius, Gall. Cancellarius, cujus Poema legitur inter ejus Epistolas, Parisijs
olim editas, pag. 78. in fol. anno 1588. et postea Genevæ, in 8. Istud Poema decepit virum
eruditum Casp. Barthium, qui in Adversarijs suis, pag. 344. illud tribuit viro
ignoto. Eumdem errorem erravit Marcus Zuerius Boxhornius, in suis Satyricis
minorib. de corrupto Reip. statu, pag. 16.
Vale, et me ama. Parisijs, 6. Aprilis, 1663.

Tuus ex animo, Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Georg Volckamer, le 6 avril 1663

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(Consulté le 19/04/2024)

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