L. latine 240.  >
À Franz Johann Wolfgang von Vorburg,
le 20 avril 1663

[Ms BIU Santé no 2007, fo 144 ro | LAT | IMG]

Au très noble M. Johann Franz Wolfgang von Vorburg, etc. à Francfort.

Très noble Monsieur, [a][1]

Je serais le plus ingrat des mortels si je ne vous remerciais pas, tant que je puis, pour ce remarquable présent que je dois à votre générosité, sur la recommandation de notre ami M. Sebastian Scheffer, docteur en médecine. [2] Je vous rends donc grâces pour un si volumineux cadeau et souhaite pouvoir vous rendre un jour pareil honneur. [1] Vous n’avez rien à espérer ou à attendre de nos libraires parisiens pour le commerce de livres venant de votre pays. La raison en est la profonde dureté des temps à laquelle nous a réduits l’excessive faveur de deux cardinaux, savoir Armand Jean de Richelieu [3] et Jules Mazarin, [4] qui n’a pas été fort éloignée de la tyrannie : elle a dépossédé notre France de nombreux avantages et obligé presque tout le monde à la mendicité publique, surtout les artisans et les marchands ; chez nous, moines, [5] évêques et quelques partisans sont presque les seuls à se réjouir de leur bonne fortune ; tous les gens des campagnes survivent moins qu’ils ne se languissent horriblement et meurent misérablement de faim, par la cherté des denrées et par le nombre insupportable et presque infini des impôts, [6][7] qui presse à outrance villes et cités, même les plus puissantes, sans pourtant les étouffer encore tout à fait. Que notre France a donc jadis été fortunée sous de très grands rois, Louis xii [8] et Henri iv[9] excellents princes, très cléments et de très pieuse mémoire ! Felicia dicas sæcula [2][10] qui ont porté de si grands héros, si bienveillants et si miséricordieux envers le peuple français ! Seul subsiste pour nous l’espoir d’une situation plus douce et fortunée qui nous viendra de la bonté de notre roi pour les misérables peuples qui sont si soumis et démunis ; [11][12] Dieu fasse que cela se produise bientôt ! Je connais un libraire de Lyon nommé Laurent Anisson [13] : c’est celui qui a imprimé les Opera omnia de Gassendi en six tomes in‑fo[14] et qui est maintenant à Paris pour un procès. [3] Je veux être votre garant auprès de lui et lui inspirer un conseil très salutaire : quand il ira à la foire de Francfort, [15] qu’il vous rachète, soit en argent, soit en livres qu’il a imprimés et possède en grande abondance, de nombreux exemplaires de votre grand ouvrage historique, [1] et les envoie à Paris ; en sorte qu’il devienne dorénavant connu et que ceux qui ont de très grandes bibliothèques, nobles, confréries de moines ou collèges, puissent l’acheter ; c’est ainsi, en effet, qu’on le verra et qu’il attirera l’attention de nombreuses gens. J’ai eu l’occasion de recommander une si grande œuvre à M. de Nesmond, évêque de Bayeux, docteur de Sorbonne, [16][17][18] et à son oncle, M. Guillaume de Lamoignon, premier président du Parlement de Paris, [19] homme remarquable, fort ami des belles-lettres et des savants, que je vais voir et avec qui je m’entretiens très souvent. [4]

[Ms BIU Santé no 2007, fo 144 vo | LAT | IMG] J’en ferai aussi la louange auprès d’autres grands personnages, qui nous feront espérer quelque chose, étant donné leur opulence ; mais n’attendez rien de tel venant des libraires, [20] hommes avares ou mendiants qui ont à peine de quoi s’acheter ce qui est nécessaire pour vivre, jusqu’à ce que nous arrivent les temps plus heureux et plus doux que tous les Français souhaitent très vivement. Mais en attendant, vive, vale et soyez-nous favorable, très noble Monsieur, et continuez de m’aimer comme vous faites.

De Paris, le 20e d’avril 1663.

Votre Guy Patin de tout cœur. [5]


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Franz Johann Wolfgang von Vorburg, ms BIU Santé no 2007, fo 144 ro et vo.

1.

Guy Patin avait enfin reçu les 12 tomes in‑fo des Histoires de Johann Philipp von Vorburg (v. note [3], lettre latine 206) que lui offrait son neveu, Johann Franz Wolfgang, et dont Sebastian Scheffer avait annoncé l’expédition en juillet-août 1662, par l’intermédiaire des frères de Tournes, libraires de Genève.

L’intention de Vorburg était de favoriser la promotion à Paris du volumineux ouvrage de son oncle (mort en 1660).

2.

« Heureux, dirais-tu, les siècles » ; Juvénal (Satire iii, vers 312‑314) :

Felices proavorum atavos, felicia dicas
sæcula quæ quondam sub regibus atque tribunis
viderunt uno contentam carcere Romam
.

[Heureux les trisaïeuls de nos bisaïeuls, heureux, dirais-tu, les siècles qui, jadis sous les rois comme sous les tribuns, ont vu Rome se contenter d’une seule prison].

3.

V. notes [28], lettre 155, pour Laurent Anisson, libraire-imprimeur lyonnais, et [19], lettre 442, pour les « Œuvres complètes » de Pierre Gassendi qu’il avait publiées en 1658.

4.

François de Nesmond (1629-1715) avait été nommé évêque de Bayeux en 1661 et le demeura jusqu’à sa mort, survenue 54 ans plus tard. Il était le fils puîné de François-Théodore de Nesmond, président à mortier du Parlement de Paris (v. note [15], lettre 180), et d’Anne de Lamoignon, sœur de Guillaume, premier président du Parlement depuis 1658 (v. note [43], lettre 488).

5.

Ainsi s’achève la seule lettre qu’on ait de Guy Patin à Franz Johann Wolfgang von Vorburg. Son ton poli mais décourageant dut terminer là leur correspondance. En se contentant de renvoyer la balle à Laurent Anisson (v. supra note [3]), notre professeur royal voulait peut-être signifier qu’il n’appréciait guère d’être pris pour un vulgaire débiteur de livres.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 144 ro.

Nobilissimo Viro D. Io. Fr. Wolfgang à Vorburg, etc. Francofurtum.

Vir nobilissime, Ingratissimus essem mortalium, nisi
Tibi gratias agerem, quantas possum maximas, pro egregi insigni illo munere quod
à liberalitate tua accepi, per commendationem Amici nostri D. Seb. Schefferi,
Med.Doctoris. Ago igitur gratias pro tanto dono, et utinam possim referre
in posterum pro rei dignitate. Quod spectat ad Bibliopolas nostros Parisienses,
non est quod quidquam ab illis speres aut expectes pro emptione librorum vestrorum :
summa illa temporum difficultas ad quam nos reduxit duorum cardinalium, nempe
Io. Armandi Richelij, et Iulij Mazarini nimia illa gratia, quod non longè
abfuit à tyrannide, Galliam nostram spoliavit multis commodis, ac penè
publicam paupertatem invexit apud omnes, præsertim apud artifices et mercatores :
penè soli de bona fortuna gaudent apud nos Monachi, Episcopi, et aliquot
publicani : rusticani omnes non tam vivunt quàm fœdè languent et misera
fame moriuntur, ab annonæ caritatem, et vectigalium intolerandum ac penè
infinitum munerum, qui potentissimas etiam civitates et urbes supra modum
deprimit, et tamen non opprimit : O fortunatam nostram Galliam sub maximis
olim regibus, Lud. XII. 12. et Henrico 4. optimis, clementissimis ac pijssimis
Principibus : felicia dicas sæcula, quæ tantos heroes, tam benignos et erga
populum Gallicanum tam misericordes protulerunt. Sola spes nobis superest
mitioris atque melioris status in posterum, ex egregia Regis nostri in tot ac tam
miseros subditos egenósq. populos clementia : quod utinam brevi contingat. Novi
Lugdunensem quendam Bibliopolam, dictum Laur. Anisson (ille est qui typis
mandavit Opera omnia Gassendi, sex tomis in folio : et nunc est Parisijs pro
quadam lite :) author illi esse volo, et consilium suggeram saluberrimum, ut
quum ibit ad nundinas Francofurtenses, à Te redimat, tum pretio, tum
libris, quos habet à se editos in maxima copia, multa tui magni Operis
historici Exemplaria,
eáque Parisios mittat, ut postea hîc innotescant, et
à Magnatib. aut Sodalitatibus Monachorum, vel Collegijs, quæ habent
maximas Bibliothecas, redimi possint : sic enim videbitur, et in multorum
notitiam deveniet : tantum Opus occasione data commendavi Doctori Sorbonico,
Episcopo Bajocensi, Domino de Nesmond, ac ejus Avunculo, Domino Gulielmo de
Lamoignon,
Senatus Parisiensis Principi, viro eximio, et bonarum literarum
atque literatorum virorum amantissimo, quem sæpius alloquor et convenio :

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 144 vo.

Apud alios Magnates etiam laudabo, à quib. tanquam opulentis, nobis
aliquid sperandum venit : nihil a. à Bibliopolis, avaris aut mendicis hominibus,
qui vix habent ex quo emant ad vitæ conservationem necessaria, quousque
veniant feliciores et mitiora tempora, ab omnibus Gallis optatissima. Interea
v. vive, vale, atque fave, vir Nobilissime, nosq. quod facis, amare perge.

Parisijs, 20. Aprilis 1663. Tuus ex animo Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Franz Johann Wolfgang von Vorburg, le 20 avril 1663

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(Consulté le 25/04/2024)

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