L. latine 246.  >
À Adolf Vorst,
le 24 mai 1663

[Ms BIU Santé no 2007, fo 147 ro | LAT | IMG]

Au très distingué Adolf Vorst, docteur et professeur de médecine à Leyde.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je vous écris ce peu de mots pour vous dire que je suis en vie et en bonne santé, me souvenant de vous et demeurant entièrement à votre service. Nous attendons ici de jour à autre le Cardan complet, de la nouvelle édition de Lyon, en 10 tomes in‑fo[2] et le Sam. Bochartus de Animantibus sacræ Scripturæ[3] que suivra de peu le Diogenes Laertius de Vitis philosophorum, avec les commentaires de divers auteurs. [1][4] Si vous en désirez, voici des nouvelles de nos affaires. La reine mère souffre encore de double tierce ; [5][6] pour l’en débarrasser, un certain médicastre aulique[7] du nom de François Guénault, [8] a voulu lui faire boire du vin d’antimoine, [9] qu’on appelle communément émétique (on ferait mieux de dire énétique, étant donné les milliers d’hommes qu’il a tués et massacrés), mais elle a prudemment refusé, [10] répondant comme le rusé renard au lion malade : « Pour chasser ma fièvre, abstenez-vous de votre vin indéniablement empoisonné, dont tant de gens ont même tout récemment péri, nam me vestigia terrent ; [2][11] je ne veux pas devoir ma guérison à un poison, etc. » Aujourd’hui, les paroxysmes sont plus doux et j’espère qu’elle se rétablira sans ce venin chimystique. Fouquet, [12] jadis notre surintendant des finances, [Ms BIU Santé no 2007, fo 147 vo | LAT | IMG] est encore aux fers, avec trois trésoriers royaux et d’autres pilleurs, concussionnaires et partisans ; mais qu’adviendra-t-il de ces minables individus, fraterculi gigantum [3][13] et sangsues du peuple français ? C’est un mystère, que je pense nul ne connaît, hormis le roi lui-même. [14] Son épouse, notre jeune reine Marie-Thérèse, [15] a souffert de la rougeole, [16] par inflammation bilieuse du sang ; [17][18] elle en a heureusement guéri après trois saignées. [4][19] Notre différend avec le pape n’a pas encore pu être résolu. [20][21] Vale et aimez-moi.

De Paris, ce 24e de mai 1663.

Votre Guy Patin de tout cœur.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Adolf Vorst, ms BIU Santé no 2007, fo 147 ro et vo.

1.

V. notes :

2.

« car les traces qu’il laisse m’épouvantent » : paroles du renard rusé au lion malade dans Horace (v. note [11], lettre 782).

Quoique probablement imaginé par Guy Patin, ce propos de la reine (traduit du latin manuscrit et mis entre guillemets) reflète la vérité : en mai-juin 1663, Anne d’Autriche ne se résolut à prendre l’antimoine qu’après l’avoir longtemps refusé (v. note [20], lettre 748).

3.

« petits frères des géants » : c’est-à-dire des inconnus de basse extraction (Juvénal, v. note [6], lettre latine 239).

4.

Maladie contagieuse éruptive accompagnée d’atteintes viscérales diverses et parfois mortelles (pneumonie), la rougeole (morbilli, v. note [2], lettre 153) était alors tenue pour un empoisonnement (ou fermentation) particulier (ici bilieux) du sang ; la saignée en était donc le traitement logique. Le roi fut aussi frappé par cette maladie à la même époque (v. note [6], lettre 751).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 147 ro.

Cl. Viro D. Adolpho Vorstio, Med. Doct. et Prof. Leidam.

Pauca hæc ad Te scribo, Vir Cl. vivo et valeo : Tui memor et obsequen-
tissimus. Hîc in dies expectamus totum Cardanum novæ editionis Lugdunensis, x.
tomis in folio : et Sam. Bochartum, de Animantib. sacræ Scripturæ. Postea brevi
sequetur Diogenes Laertius de vitis Philosophorum, cum Comment. variorum. De rerum
nostrarum statu si cupias nosse aliquid, hoc habeto. Regina Parens hactenus
duplici tertiana laboravit : ad cujus profligationem, Aulicus quidam medicaster,
dictus Fr. Guenaut, vinum ex stibio medicatum, quod vulgo vocant emeticum,
(melius diceretur eneticum, quippe quod tot hominum millia necavit et jugulavit)
ei propinare voluit, sed illa prudenter renuit : et quod vulpes ægroto cauta leoni
respondit : absit ab isto tuo vino planè venenato utar ad febris meæ depul-
sionem, à quo tam multi vel nuperrimè perierunt : nam me vestigia terrent :
nolo sanitatem meam debere veneno etc.
Hodie sunt leniores paroxysmi, et absque
tali veneno Chymistico spero convalituram. Gazophylax olim noster Fuquetus,

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 147 vo.

adhuc est in vinculis, cum trib. Quæstoribus regijs, et alijs prædonibus,
peculatoribus, publicanis. Sed quid fiet istis homunculis, fraterculis
Gigantum, Gallicanæ plebis hirudinibus ? Mysterium est, quod neminem
mortalium nosse puto præter Regem ipsum. Regina nostra junior
Maria Teresa, Regis uxor, ex sanguinis bilioso fervore, morbillis labo-
ravit : à quib. feliciter convalescit, post triplicem venæ sectionem. Dissidium
nostrum cum Papa nondum potuit componi. Vale, et me ama. Parisijs,
die 24. Maij, 1663. Tuus ex animo Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Adolf Vorst, le 24 mai 1663

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(Consulté le 18/04/2024)

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