[Ms BIU Santé no 2007, fo 167 ro | LAT | IMG]
Au très distingué M. Sebastian Scheffer, docteur en médecine à Francfort.
Très distingué Monsieur, [a][1]
Je viens de recevoir votre dernière, écrite le 20e de février, par l’intermédiaire de votre noble allemand, M. von Groschlag, homme remarquable, à qui je ne ferai pas défaut s’il peut avoir besoin de mes services. [1][2] Je vous remercie de tout cœur pour cette lettre et pour votre réédition des petits traités d’Hofmann, [3] que vous avez bien voulu me dédier ; j’attendrai patiemment leur première page, elle me manque encore car le frontispice gravé n’en est pas terminé ; vous me l’enverrez en temps voulu. J’ai depuis longtemps reçu son livre de Febribus, publié à Tübingen ; [2] il est vraiment excellent et tout à fait digne d’être lu. Je remercie votre Götze [4] d’avoir bien voulu m’envoyer le Collegium que vous a dédié Frans Sylvius de Le Boë ; [3][5] on me l’apportera peut-être par une autre voie, savoir de la Hollande. Je salue le très distingué M. Johann Daniel Horst, [6] ainsi que M. Lotich. [7] Pour les Viri illustres Boissardi, [8] si vous payez au graveur d’Heidelberg ce que je lui dois, j’aurai soin de vous en faire rembourser par M. Öchs [9] ou par Sebastian Switzer. [4][10] L’illustre M. von Groschlag a aujourd’hui assisté à ma leçon publique du Collège royal, en présence de presque 300 auditeurs. [11] Je salue de tout cœur monsieur votre père, [12] ce vénéré vieillard que je tiens pour un excellent et très honorable personnage, ainsi que votre excellente épouse ; [13] tout comme vous et M. von Vorburg. [14] Mes deux fils en font de même. [15][16] Nous n’avons ici rien de nouveau sur la paix, [5][17][18] le Turc, [19] Fouquet [20] et les autres concussionnaires ; notre guerre contre le pape est, dit-on, éteinte. Il n’y a rien de nouveau en librairie. Vale, très éminent Monsieur, et aimez-moi.
Écrit à la hâte, de Paris, ce 6e de mars 1664.
Votre Guy Patin de tout cœur. [6]
Comme je m’apprêtai à sceller ma lettre, M. Mocquillon [21] est revenu me voir et m’a dit que vous vouliez acheter un miroir pour madame votre épouse ; [22] ce qui peut aisément se faire. Écrivez-moi donc le prix que vous voulez y mettre, quelle taille vous souhaitez, et s’il doit être nu ou encadré et décoré d’une baguette ou d’un treillis. Dites-moi en outre par quelle voie on pourra vous l’envoyer pour qu’il vous soit remis intact, sans être du tout fêlé ni brisé. Autrement en effet, si nous ne trouvions pas de moyen sûr, je préférerais qu’il soit acheté à Lyon par notre ami Spon, [23] pour moins cher qu’ici, s’il se trouvait là-bas un porteur idoine. Pour les exemplaires du livre des petits traités du très distingué Hofmann, [2] j’en prendrai 50 si l’imprimeur en demande un prix modéré, s’il se veut contenter d’un prix raisonnable, qui devrait être d’environ 10 ou 12 écus, qui font 10 ou 12 reichsdaler, thaler ou impériaux, [24] pour ces 50 exemplaires.
Mort de M. Vander Linden, à Leyde. [7][25]
Le mardi 11e de mars 1664, j’ai reçu par M. Rompf [26] une lettre écrite par M. Vorst, [27] à Leyde, dans laquelle il me mande la mort de notre bon ami M. Vander Linden, professeur en médecine, laquelle est arrivée le 5e de mars. Je prie bien pour son âme car il fut un homme honnête et savant, à qui je suis redevable de m’avoir beaucoup aimé. Je m’en afflige donc. Il a provoqué lui-même sa mort prématurée et intempestive par son excessive application à l’étude et ses veilles perpétuelles. Immodicis brevis est ætas et rara senectus. [8][28][29][30][31]
Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Sebastian Scheffer, ms BIU Santé no 2007, fo 167 ro.
Les Groschlag von Dieburg étaient une ancienne et noble famille allemande de Hesse. Le visiteur de Guy Patin pouvait être le baron (Freiherr) Johann Philipp Groschlag.
V. note [9], lettre latine 125, pour la réédition par Sebastian Scheffer (Francfort, 1664) de trois traités de Caspar Hofmann, avec dédicace à Guy Patin.
Le frontispice de ce livre, qu’on n’avait alors pas fini de graver à Francfort, présente Hofmann en médaillon, flanqué de ses deux plantes favorites (giroflée et myrte sauvage, v. notule {i}, note [9], lettre latine 125) ; au-dessous, de part et d’autre du faux titre, sont dessinés deux personnages en pied, Galien à gauche et Aristote à droite. La facture en est bien moins soignée et élégante que celle des Institutiones medicæ [Institutions médicales] (Lyon, 1645, v. note [1], lettre 115).
V. note [4], lettre latine 283, pour le traité d’Hofmann « sur les Fièvres » (Tübingen, 1663).
Francisci de Le Boe Sylvii, Medicinæ Practicæ in Academia Lugduno-Batava Professoris, Collegium Medico-Practicum, dictatum anno 1660 [Collège médico-pratique de Franz Sylvius de Le Boë, professeur de médecine pratique en l’Université de Leyde, dicté en l’an 1660] (Francfort, Thomas Matthias Götze, 1664, in‑12) ; ouvrage dédié :
C’est un recueil de courtes dissertations sur des sujets médicaux divers et polémiques.
V. note [9], lettre latine 228, pour la Bibliotheca chalcographica [Bibliothèque gravée], qui était la mise à jour, en cours à Francfort et Heidelberg, des éloges d’« Hommes illustres » avec leurs portraits et les commentaires de Jean-Jacques Boissard. On n’y voit pas celui de Guy Patin, bien qu’il eût vainement fait tout le nécessaire pour y figurer.
V. notes [1], lettre 772, et [4], lettre latine 241, pour la paix de Pise, conclue le 7 février 1664 entre le Saint-Siège et la France.
Le bibliothécaire qui a collationné le ms BIU Santé no 2007 a pris le post-scriptum qui suit pour une lettre séparée (qu’il a numérotée 277).
Ce texte n’est pas une lettre, mais un court mémoire que Guy Patin a placé là dans ses brouillons pour garder la trace d’une nouvelle qui le frappait de stupeur et le peinait profondément.
Les passages en italique immédiatement plus haut et plus bas sont en français dans le manuscrit.
« Les êtres extraordinaires ont la vie brève et vieillissent rarement » (Martial, v. note [1], lettre 448).
Né en 1609, Johannes Antonides Vander Linden mourait dans sa 55e année d’âge.
Dans son Oratio in V. C. Johannis Antonidæ Vander Linden… funere… [Discours pour les funérailles de Johannes Antonides Vander Linden…] (pages 257‑258, v. note [4], lettre latine de Reiner von Neuhaus, datée du 15 mai 1664), Johannes Cocceius (v. note [58], lettre latine de Christiaen Utenbogard, datée du 21 août 1656), professeur de théologie sacrée à Leyde, a narré la mort de Linden :
Tertio et vicesimo superioris mensis ab amico rus prope Harlemum invitatus est, ut de valetudine Viri primarii cum eo consultaret. Ibi inter deambulandum frigore correptus est, et ex eo male habere cœpit. Postridie, qui erat Dominicus, binas conciones attente audivit : tertiam ne audiret, impeditus est. Die Lunæ officio faciendo vacavit, lectionem habuit, privatæ institutioni operam dedit, et ex Nosocomio, in quo Collegium auctoritate publica habere nuper admodum inceperat, reversus cum studioso, qui eum domum deduxerat, diu ante fores collocutus est, sui negligens. Die Martis decubuit, et remedia, quæ sibi probata, adhibere cœpit. Accurri, quum accepissem de morbo ejus, die Veneris. Intellexi, febri synocho putrida laborare. Significabat, se ei morbo non fidere. Mecum, ut et postridie cum Reverendo D. Heidano, de divina providentia, de vitæ hujus miseria, de hominis ουδενεια, de firmitate divinæ gratiæ, de spe Christianorum collocutus est. Interim, nulli sudores ex voto, nulli somni, etiam remedio quæsiti, donec vis morbi ingravescere eumque καρον conjicere, ex quo tamen subinde excitabatur, interdum turbata mente, sed non diu. Ante extrema enim apud se fuit, et accedentes agnovit, prudenter ad interrogata respondit, et, quamdiu potuit loqui, spem vitæ beatæ et voluntatem discedendi ad Dominum omnibus signis ostendit, atque ita instillatæ a parentibus, exemplis domesticis auctæ, Ecclesiasticis allocutionibus educatæ, et verbi divini quotidiana lectione et frequenti repetitione neque segni meditatione et in mysterium Dei inquisitione roboratæ pietatis fructum in terris percepit, ut in certitudine spei se abnegans, et Deum sanctum justificans ac bonum glorificans, animam suam, ut patri fidelissimo, commendaret. Spirare desiit die 5. Martii post meridiem circa horam tertiam. Memorablile est, quod inter assidentes lecto erat fœmina ex boreali Hollandiæ parte veris eum deflens lacrimis. Quam septennio cum remediis conflictatam, ut ipsa prædicabat, hac hiemo per gratiam Dei restituerat sanitati.
[Le 23e du mois dernier, un ami l’avait invité à lui rendre visite dans une campagne proche d’Haarlem, {a} pour consulter avec lui sur la santé d’un homme de premier rang. En se promenant là-bas, il avait été saisi par le froid, et avait commencé à mal s’en ressentir. Le lendemain, qui était un dimanche, il est allé au temple écouter les deux prêches avec attention, mais sans être capable d’entendre le troisième. Le lundi, n’ayant pas d’engagements particuliers, il a lu et s’est consacré à ses affaires privées ; le Collège de l’hôpital l’avait tout récemment admis, par décision publique ; en en revenant, il a longtemps parlé devant sa porte avec un étudiant qui l’avait raccompagné chez lui, sans souci de sa propre personne. Le mardi, il est resté au lit et a commencé à prendre plusieurs remèdes sur sa propre prescription. Le vendredi, j’accourus dès que j’eus la nouvelle de sa maladie. Je compris qu’il souffrait de fièvre synoque putride ; {b} il expliquait ne pas croire en ce diagnostic. Il s’est entretenu avec moi, tout comme le lendemain avec le révérend M. Heidanus, {c} de la divine providence, des misères de la vie ici-bas, du néant de l’homme, de la fermeté de la grâce divine, de l’espérance des chrétiens. Tous ces jours se sont passés sans suées, contrairement au souhait qu’on en avait, mais aussi sans sommeil, en dépit les médicaments pour l’induire ; et puis la vigueur de la maladie s’est accrue et l’a jeté dans un profond assoupissement ; il en sortait pourtant de temps en temps, parfois avec l’esprit confus, mais par courtes périodes. Il est en effet resté maître de lui jusqu’à la dernière heure, reconnaissant ses visiteurs et répondant sensément aux questions. Aussi longtemps qu’il a pu parler, il a fait voir en tout point la volonté de s’en aller vers le Seigneur, dans l’espérance d’une vie heureuse. Ayant si bien perçu sur terre le fruit de la piété inculquée par ses parents, augmentée par l’exemple de son entourage, exhaussée par les sermons ecclésiastiques, et affermie par la lecture quotidienne et la fréquente récitation de la parole divine, ainsi que par la méditation assidue et la recherche du mystère de Dieu, se refusant à l’espérance de la certitude, et justifiant la sainteté de Dieu et glorifiant sa bonté, il lui a recommandé son âme en absolue confiance, comme à un père. Il a poussé son dernier souffle le 5e de mars vers trois heures de l’après-midi. Il est digne de mémoire que, parmi ceux qui se tenaient alors à son chevet, il y avait une femme venue du nord de la Hollande qui le pleurait à chaudes larmes : par la grâce de Dieu, cet hiver, comme elle l’avait elle-même prédit, il lui avait rendu la santé, après qu’elle eut résisté sept années durant aux remèdes].
- Les dates sont grégoriennes (nouveau style) : le 23 février 1664 (année bissextile) était un samedi. Haarlem (v. note [15], lettre 1040) est à une trentaine de kilomètres au nord-est de Leyde.
- V. note [3], lettre latine 104, pour cette fièvre particulière qu’on tenait pour une manifestation de la peste dite septicémique (v. note [1], lettre 5), maladie qui sévissait alors dans la région d’Amsterdam :
- « La peste est cessée à Amsterdam » (lettre du 5 février 1664 à André Falconet) ;
- « La peste recommence à Amsterdam » (lettre du 30 mai 1664 à Charles Spon).
- Abraham Heidanus (van Heyden, 1597-1678), professeur de théologie à Leyde, s’était engagé pour Descartes, contre Gisbertus Voetius, dans la querelle d’Utrecht (1643-1649, v. note [22], lettre latine d’Utenbogard, datée du 21 août 1656).
Ms BIU Santé no 2007, fo 167 ro.
Cl. viro D. Seb. Scheffero, Med. Doct. Francof.
Postremam tuam 20. Febr. scriptam ecce accipio, Vir Cl. per nobilem tuum
Germanum, D. à Groschlag, virum egregium, et cui haud dubiè non deero, si forsan
officijs meis indigeat. Pro illa tua, et Hofmanni Opusculis novæ Editionis, quæ Nomini
meo inscribere voluisti, gratias ago quam maximas : primam illam paginam quæ
deest ob æneum frontispicium, patienter expectabo, quam suo tempore mittes. Iam-
dudum accepi librum de Febribus, Tubingæ editum, optimum sanè, ac lectu dignissi-
mum. Gotzio vestro gratias ago, quod voluerit mittere Collegium istud à Franc.
Sylvio dictatum : ad me forsan per aliam viam deferetur, nempe ex Hollandia.
Cl. Virum saluto D. Io. D. Horstium, ut et D. Lotichium. Pro Viris illustribus
Boissardi si per Te accipiat Chalcographus Heidelbergensis quod debetur, et quod illud Tibi
restitui curabo per D. Ochs, aut per Seb. Svitzerum. Vir illustris Dominus à
Groschlag hodie interfuit præ lectioni meæ publicæ, in Schola regia, ubi aderant
pene 300. Auditores. Venerandum Senem D. Parentem tuum, tanquam virum exi-
mium et mihi colendissimum ex animo saluto, ut et optimam Uxorem tuam : Tu v. et
D. Vorburg saluto, ut et ambo Filij mei. Nihil hîc habemus novi de Pace, de Turca, de Fuqueto,
et alijs peculatoribus : bellum nostrum adversus Papam dicitur extinctum : de libris
nihil quidquam novi. Vale, vir præstantissime, et me ama. Raptim
scriptum Parisijs, die 6. Martij, 1664. Tuus ex animo Guido Patin.
Dum cogitarem de obsignanda Epistola, ad me reversus est D. Moquillon, qui
retulit Te speculum habere velle pro Domina Uxore : quod facilè fieri potest :
scribe igitur cujus pretij vis illud esse, et cujus magnitudinis : an nudum,
vel qua tabula quo quadro assulari aut cancello cinctum et ornatum : indica præterea per quam viam mitti poterit, ut
integrum, nullo modo fractum aut contusumquassatum Tibi reddatur : aliàs enim nisi
viam tutam nanciscamur, mallem ut Lugduni emeretur per Sponium
nostrum, viliori quam hîc pretio, si Lugduni occurrat vector idoneus.
Quod spectat ad Exemplaria libri recens editi, Opusculorum Cl. Hofmanni,
30. vel 40. 50. ex ijs accipiam, si pretium moderatum Typographus pro ijs requirat :
s’il se veut contenter d’un prix raisonnable : qui devroit estre d’environ dix
ou 12. escus, ad summum : hoc est decem vel 12. reischdales, thaleros vel Imperiales, pro
illis 50. Exemplaribus.
Mort de Monsieur Vander
Linden, à Leiden.
Le Mardi xi. de Mars, 1664. j’ay receu par M. Romph, une lettre escripte
par M. de Vorst, à Leiden, dans laquelle il me mande la mort de nostre bon
ami, Monsieur Vander Lind, Professeur en Medecine, laquelle est arrivée le
v. de Mars. Ejus manibus bene precor, fuit enim vir bonus ac eruditus : cujus
in me amori non parum debeo : ejus itaque vicem doleo : qui ex
nimia studiorum contentione jugibúsque vigilijs mortem immaturam et
planè intempestivam sibi provocavit. Immodicis brevis est ætas et rara senectus.