L. latine 299.  >
À Arnold Senguerdius,
le 4 juin 1664

[Ms BIU Santé no 2007, fo 170 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Senguerdius, professeur de philosophie, à Amsterdam.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je vous remercie pour votre dernière, ainsi que pour les salutations de notre ami le très distingué M. Plempius. [2] Il me semble n’avoir absolument aucune raison de craindre l’année climatérique : [3] la vieillesse en elle-même est certes une maladie incurable, mais, comme dit notre Lucien français, [4][5] c’est à cause des années qui ont passé, mais non à cause des années climatériques, dont la grande influence n’est qu’imaginaire : les anciens ne les connaissaient pas et n’en parlaient pas, elles ne tirent leur origine que du délire des platoniciens et des pythagoriciens. [6][7] Dieu fasse que ce très distingué personnage survive à celle qui vient, et en ait beaucoup d’autres qui la suivront. Voilà exactement ce que je pense, avec Louis Duret, [8] Claude Saumaise, [9] et d’autres auteurs très sérieux. [1] Vous avez ravivé mon chagrin, qui n’était pas encore éteint, pour la mort de deux professeurs de Leyde : elle m’a valu l’irréparable perte de deux hommes très remarquables, qui étaient fort mes amis ; l’Université de Leyde les pleurera en vain pour l’éternité. [2][10][11] Je n’ai encore rien entendu dire de cette comète dont vous parlez et je pense que c’est une légende : [12] si ce récit n’était pas inventé, j’en aurais sans doute vu ou entendu quelque chose ; et quand bien même elle existerait, je n’en craindrais rien, car je ne redoute en rien les menaces des astrologues : [13] A signis cœli nolite metuere, quæ timent Gentes[3][14] La seule chose que je craigne, c’est que le ciel ne nous tombe sur la tête et que n’en profitent de nombreux charlatans qui exercent notre métier pour le très grand malheur de quantité de gens. [15][16] Fouquet, [17] jadis notre surintendant des finances, gémit dans les fers, avec la crainte du bourreau, tout comme d’autres concussionnaires, ses congénères, de même aloi et même farine. Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, le 4e de juin 1664.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Arnold Senguerdius, ms BIU Santé no 2007, fo 170 vo.

1.

« Vieillesse sera incurable cette année à cause des années passées » : adage ironique de François Rabelais (v. note [6] du Borboniana 9 manuscrit), que Guy Patin aimait à surnommer le Lucien (de Samosate) français (v. note [14], lettre 41).

Né le 23 décembre 1601, Vopiscus Fortunatus Plempius était dans sa 63e année d’âge (comme était Patin, né le 31 août 1601), soit la dernière de son neuvième septénaire, celle qu’on tenait pour être la grande climatérique : la théorie pythagoricienne des nombres (reprise par les néoplatoniciens) fondait le renouvellement des parties du corps humain sur un cycle de sept ans, mais Claude ii Saumaise l’avait battue en brèche dans ses discussions de Annis climatericis… [sur les Années climatériques…] (Leyde, 1648, v. note [27], lettre 146).

Une longue critique de la grande climatérique occupe les pages 438‑439 des Hippocratis Magni Coacæ Prænotiones… [Prénotions coaques du grand Hippocrate…] de Louis Duret (Paris, 1588, v. note [10], lettre 11), avec ce préambule :

Quæ ratio si nota esset illis magistris qui profitentur scientiam climacterici anni, quem exigit atque percurrit sexagesimus tertius ; non tam ridicula essent illorum triscurria quibus vanitatem suam, impia superstitione fucatam, pro veritate ostentant.

[Des maîtres professent la science de l’année climatérique, celle que parcourt et conduit à son terme celui qui est dans sa soixante-troisième année ; mais s’ils connaissaient ce raisonnement, {a} on n’aurait pas tant à rire des bouffonneries qui leur servent à faire passer pour une vérité leur mensonge, qui est teinté de superstition impie].


  1. Sentence de Galien que commente Duret : Sane, non ut morborum causa est repentina : sic et generationis causa [En vérité, puisque l’origine des maladies n’est pas soudaine, il en va de même pour leur cause première].

2.

Morts à Leyde d’Adolf Vorst, le 8 octobre 1663, et de Johannes Antonides Vander Linden, le 5 mars 1664.

3.

Jérémie (v. note [2], lettre 302) :

Hæc dicit Dominus iuxta vias gentium nolite discere et a signis cæli nolite metuere quæ timent gentes.

[Le Seigneur dit ces mots : n’imitez pas la conduite des nations, ne soyez pas terrifiés par les signes du ciel, dont les nations ont peur].

V. note [12], lettre 804, pour cette comète qu’on observa bel et bien à Paris six mois plus tard, en décembre 1664.

Les propos de Guy Patin sur l’année climatérique puis sur la comète incitent à penser qu’Arnold Senguerdius l’avait échauffé avec des considérations crédules sur les symboles merveilleux attachés à des phénomènes naturels.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 170 vo.

Cl. viro D. Senguerdio, Philosophiæ Professori, Amstelodamum.

Pro ultima tua gratias ago, Vir Cl. ut et de salute Viri Cl. Plemplij nostri, qui
cur metuat annum climactericum, nihil prorsus causæ video : senectus ipsa, fateor,
est quidem morbus incurabilis, verùm, ut ait Lucianus noster Gallicus, propter annos
elapsos, sed non propter annos climactericos, quorum vis multa est nisi imagina-
ria, veterib. incognita et inaudita, quæ in solo Platonicorum et Pythagoræo-
rum delirio habet fundamentum : et utinam proximum superet, Vir Cl. aliósque
multos habeat qui sequantur. Sic fortiter sentio cum Lud. Dureto, Cl.
Salmasio,
et alijs viris gravissimis. Dolorem meum nondum extinctum
renovasti de duorum Professorum Leidensium obitu, in ex quo maximam feci
jacturam duorum præstantissimorum virorum mihi amicissimorum, quos in
æternum, sed frustra, lugebit Academia Leydensis Lugduna Batava. De tuo illo
Cometa nihil quidquam audivi, nec puto esse verum : si narratio illa non
esset fabulosa, haud dubiè aliquid de eo vidissem vel audivissem : et quamvis esset,
nihil inde metuerem : minas enim Astrologorum nihil pertimesco : A signis cœli
nolite metuere, quæ timent Gentes
 : hoc unum timeo, ne Cælum ruat, et
multi capiantur blandici agyrtæ, ^ qui Artem nostram exercent/ summo multorum incommodo. Fuquetus, olim Gazophylax, gemit in vinculis,
metu carnificis, ut et alij peculatores, ejus congreges, ejusdem commatis et
farinæ. Bene vale, Vir Cl. et me ama. Parisijs, 4. Iunij, 1664.

Tuus ex animo, Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Arnold Senguerdius, le 4 juin 1664

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(Consulté le 20/04/2024)

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