L. latine 318.  >
À Christiaen Utenbogard,
le 4 octobre 1664

[Ms BIU Santé no 2007, fo 177 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Christiaen Utenbogard, docteur en médecine, à Utrecht.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Pardonnez à mon affection et souffrez que je vous parle ainsi : si vales, bene est, ego valeo ; [1] mais je me préoccupe de vous, ce qui n’a rien d’étonnant car Res est solliciti plena timoris amor[2][2] À ce que j’apprends, la peste vous assiège et vous encercle de toutes parts. [3][4] En vertu de sa particulière bienveillance, puisse Dieu tout-puissant vous protéger de cette furie. Nous avons à Paris un air bien différent du vôtre : cette fièvre pestilentielle [5] vous menace de ruine et a déjà tué beaucoup de gens en divers lieux de votre Hollande ; mais il en va tout autrement pour nous car, pour parler comme Sidonius Apollinaris, Hic medici jacent, ægri ambulant[3][6] Il n’y a chez nous vraiment aucun malade, je n’en ai jamais si peu vu depuis 40 ans ; aucun, vous dis-je, hormis quelques quartanaires que la poudre du Pérou n’a pas soulagés. [7][8] Cette poudre est l’invention de certaines gens qui s’échinent plus que de raison à gagner de l’argent, et qui ont trompé quantité de gens. [9] Il est vrai qu’elle éteint parfois la fièvre, mais peu de jours après, elle revient dans le même apparat ; chez d’autres elle devient continue, ou engendre l’hydropisie. [10] Nos deux nobles Français, [11][12] que vous avez si splendidement accueillis l’an passé, vous saluent, ils vous rendront la pareille si vous venez à Paris. Recevez aussi le bon souvenir de Magdelaine, la fille de M. Leschassier, qui est une vierge plus que mûre, car elle a le mariage en horreur ; son père l’a même engagée à prendre un excellent parti, mais elle est très pieuse et se consacre seulement à Dieu. [4][13] Elle menace de vous conduire à la messe et espère qu’elle y parviendra, ayant même le dessein que par ses prières vous deviendrez papiste ; bon Dieu, quel bonheur pour vous ! Et pourtant, si je vous connais bien, vous ne bougerez pas un orteil dans ce sens car un si grand accomplissement dépasse la capacité humaine, nec est volentis neque currentis, sed Dei miserentis[5][14][15] J’ai reçu deux lettres de M. Marten Schoock, [16] auxquelles je répondrai bientôt ; il m’y disait se préparer à partir en Allemagne, pour se rendre aussitôt auprès de l’électeur de Brandebourg, [17] qui l’avait invité à très grands frais, et auprès de qui il exercera une charge de bibliothécaire. [6] Je souhaite à notre ami, et aussi à ce grand prince, qu’il y rencontre le succès ; et que Dieu protège celui qui honore si splendidement et avec une si grande affection les belles-lettres et ceux qui les cultivent. Vale et aimez-moi.

De Paris, le 4e d’octobre 1664.

Votre G. Patin de tout cœur.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Christiaen Utenbogard, ms BIU Santé no 2007, fo 177 ro.

1.

« Si vous vous portez bien, tant mieux ; moi aussi je me porte bien » : banalité cicéronienne (S.V.B.E.E.V., v. note [12], lettre 504), dont Guy Patin demandait à Christiaen Utenbogard de bien vouloir lui excuser la familiarité et la facilité.

2.

« L’amour s’inquiète et craint sans cesse » (Ovide, v. note [13], lettre de Charles Spon, datée du 28 août 1657).

3.

« Ici les médecins se reposent, tandis que les malades se promènent » (v. note [10], lettre 821).

4.

Magdelaine ou Madeleine Leschassier, fille de Christophe et sœur de Robert, mourut sans alliance (Popoff). En 1648, avec Jean-Jacques Olier, curé de Saint-Sulpice (v. note [6], lettre 318), elle avait fondé la Congrégation de la Mère de Dieu, vouée à la formation catholique et à l’instruction des orphelines.

5.

« et il n’est pas question de l’homme qui veut ou qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde » : citation de saint Paul (v. note [49], lettre 395) qui peut être vue comme une simple expression du fatalisme de Guy Patin, ou comme une adhésion ingénue à la prédestination calviniste (et janséniste).

6.

Les Mémoires pour servir à l’Histoire littéraire des dix-sept Provinces… (Louvain, Imprimerie académique, 1764, tome troisième, pages 308‑309) ont donné le motif peu glorieux de cet exil de Marten Schoock (Schockius) :

« Schockius […] perdit sa femme, Angélique van Merck, fille d’un riche marchand d’Utrecht, qu’il avait épousée le 21 avril 1639 et dont il eut sept fils et une fille ; peu après, il se remaria avec une veuve qu’il croyait fort aisée et qui, de son côté, s’imaginait qu’elle ferait la fortune en l’épousant ; mais ils se trompèrent l’un l’autre et Schockius, ayant peu à peu contracté des dettes, se vit inquiété par ses créanciers ; pour éviter leurs poursuites, il se retira en Allemagne, après avoir jeté le bruit qu’il en reviendrait au bout de quelques semaines ; mais quand il y fut arrivé, il déclara qu’il n’en sortirait point. Il alla d’abord à Berlin pour s’y employer à écrire l’histoire de Brandebourg, ou la vie de l’électeur Frédéric Guillaume, {a} en qualité de son conseiller-historiographe ; ensuite, il accepta une chaire d’histoire qu’on lui offrit à Francfort-sur-l’Oder. Il est mort dans cet emploi l’an 1669, âgé de 55 ans. »


V. note [10], lettre 150.

En 1664, l’installation définitive de Schoock en Allemagne fut probablement immédiate, même si dans notre édition, la dernière lettre que Guy Patin lui ait écrite est datée 29 octobre 1665 et encore adressée à Groningue ; mais elle répondait à un courrier que lui avait remis un porteur brandebourgeois (v. note [1] de cette lettre).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 177 ro.

Clarissimo viro D. Christiano Utenbogardo, Med. Doctori, Ultrajectum.

Vir Cl. Da veniam amori meo, et patere, ut Te sic alloquar. Si vales,
bene est, ego quidem valeo : sed de Te sum anxius, neq. est quod mireris : Res est
solliciti plena timoris amor
. Undequaque vos obsident atque circumdant, ut
audio, morbi pestilentes, à quorum sævitia utinam singulari sua bonitate
vos tueatur Deus Opt. Max. Vestro cælo planè dispar habemus nostrum
Parisinum : febris illa pestilens perniciem vobis minatur, et varijs in locis
vestræ Bataviæ jam multis detrusit ad Orcum : nos v. longè aliter habemus, hîc enim nam
ut loquar cum Sidonio Apollinari, Hîc Medici jacent, ægri ambulant : nulli planè
apud nos sunt ægri, nec tam paucos vidi ab annis 40. Nullos dico præter quartanarios
quosdam, eósq. paucos qui à pulvere Peruviano non levantur. Pulvis ille est
figmentum quorundam hominum plus æquo rebus suis studentium, à quo multi fuerunt
decepti : revera febrem aliquando extinxit, sed paucos post dies eadem pompa
recurrit : in alijs etiam versa est in assiduam, aut hydropem provocavit. Salutant
Te nobiles nostri duo Galli, quos anno superiore tam splendidè excepisti : si venires
Lutetiam, paria tecum facerent, Te in proprijs ædibus exciperent, et quantum possent
diu retinerent : imò, filia D. Lesch. Magdalena, virgo plusquam nubilis, quæ
tamen abhorret à nuptijs, quas etiam optimas valere jussit, sed pijssima, et soli
Deo consecrata, minatur se ad Missam Te ducturum, sperátque se effecturam, ut
suis precibus etiam fias Papista : bone Deus, ô quantam felicitatem tuam ! et tamen
si bene Te novi, nec ideo pedem movebis : neq. enim tantum opus est humanæ virtutis,
nec est volentis neque currentis, sed Dei miserentis. Binas accepi à D. Martino
Schoockio,
quibus posthac respondebo : scribebat sese accingere ad profectionem Germa-
nicam, et proximè iturum ad Electorem Brandeburgensem, à quo amplissimis præ-
mijs fuerat invitatus, apud quem Bibliothecarij munere defungetur : quod utinam
succedat Amico nostro, imò et tanto Principi, quem Deus servet, qui tanto amore
bonas literas et earum cultores tam splendidè prosequitur. Vale, et me ama.

Tuus ex animo G. Patin.

Parisijs, 9. Oct.
1664.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Christiaen Utenbogard, le 4 octobre 1664

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(Consulté le 09/11/2024)

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