L. latine 343.  >
À Johann Daniel Horst,
le 4 mars 1665

[Ms BIU Santé no 2007, fo 186 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johann Daniel Horst, docteur en médecine, à Francfort.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Nous avons enfin obtenu le privilège que vous convoitiez et attendiez : je l’ai entre les mains et sous les yeux ; je le confierai à Sebastian Switzer, [2] quand il quittera cette ville pour rentrer dans votre pays.

Ce 1er de mars. Il m’a été remis hier, je l’ai reçu de M. Longuet, grand audiencier[3] qui a diligemment fait avancer notre requête et a obtenu, par un seul et même brevet royal, l’autorisation d’imprimer deux livres ; ce que j’ai sciemment demandé pour que l’affaire tarde moins. Il vous appartiendra de scinder ce double privilège et de placer chacun d’eux à la place qui lui revient. Je ne vous écris rien du montant des frais car je l’ignore encore. J’irai voir M. Longuet pour le remercier et régler sa dépense. M. le chancelier Pierre Séguier [4] a inscrit de sa propre main la durée du privilège, qui est de sept années ; mais il n’a pas concédé cela sans en avoir été prié par M. Longuet, parce que, chez ces messieurs, la coutume est de n’accorder de privilège qu’à un seul livre à la fois. Mon fils Robert s’est engagé, [5] auprès de M. Longuet et du secrétaire du roi qui a rédigé et présenté le brevet, à remettre cinq exemplaires de l’ouvrage, savoir deux pour la Bibliothèque royale, [6] deux pour M. le chancelier, et un pour le roi très-chrétien et pour son cabinet qui est au Louvre[1][7] Je vous écris certes tout cela par anticipation ; je vous en reparlerai si nécessaire.

La reine mère, Anne d’Autriche, se porte ici très mal, en raison de son cancer du sein ; res ejus devenit ad triarios[2][8] pour ne pas dire pis. [9] Hormis des soins palliatifs, [10] nos médecins n’ont rien voulu tenter ni entreprendre ; voici son traitement remis et, pour ainsi dire, abandonné aux empiriques, [11] et aux prêtres, [12] qui mordent à tout et ne réussissent à rien. Les douleurs de la partie affectée sont très aiguës et très rudes, les évanouissements fréquents, l’épuisement du corps patent, les nuits sans sommeil, etc. Voilà bien les marches qui conduisent au repos éternel ; s’il est vrai que les princes y trouvent le repos, quand ils ne l’ont presque jamais connu ici-bas. On prépare à Lyon sur la Saône une nouvelle édition des Opera omnia de Daniel Sennert, [13] qui contiendra pour la première fois des Epistolæ Medicinales Sennerti et Döringii[3][14] Je vous envoie notre Hollierus[15] j’espère qu’il vous plaira ; du moins contient-il beaucoup de bonnes choses. Avec l’Hollierus et le privilège royal, vous trouverez ce que j’y ai joint pour notre ami Sebastian Scheffer, [4][16] docteur en médecine, que je salue très obligeamment, tout comme le vénérable vieillard qu’est son très distingué père. [17] Vale, très éminent Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, le 4e de mars 1665.

Vôtre de tout cœur, G.P. [5][18]


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Daniel Horst, ms BIU Santé no 2007, fo 186 ro.

1.

L’italique est en français dans le manuscrit.

Tous ces détails concernaient le privilège requis pour la réédition (Francfort, 1665) des sept livres d’Observationum medicarum rariorum [Observations médicales plus que rares] de Johann Schenck (v. note [6], lettre 72). La note de la lettre latine 355 en donne le titre complet avec la transcription du privilège.

Ce brevet couvre en effet à la fois deux ouvrages, sous une dénomination double et aberrante (v. la notule {a} de la susdite note [2]) : les Observationes de Schenck et les cinq centuries des Observationes et curationes chirurgicæ de Fabricius de Hilden (v. note [7], lettre 62), livres qui avaient été précédemment publiés à Lyon par Jean-Antoine i Huguetan (en 1644 pour le premier, et 1641 pour le second). Les observations de Fabricius n’ayant pas été réimprimées au xviie s., leur privilège n’a pas été exploité.

La chancellerie n’y avait apparemment vu que du feu, mais je trouve obscure la raison pour laquelle Guy Patin (avec la complicité de son fils aîné Robert) s’y était pris de la sorte. Peut-être voulait-il ainsi désarmer le libraire lyonnais Jean-Antoine ii Huguetan, fils et héritier de Jean-Antoine i, en lui ôtant la possibilité de revendiquer ses droits sur le titre saugrenu qui était inscrit dans le privilège de la réédition ; mais c’est une pure spéculation malveillante de ma part.

2.

« sa situation en est arrivée aux troisièmes lignes ». Res ad triarios rediit [On en vint aux troisièmes lignes] est un adage latin qu’Érasme a commenté (no 23) :

« Nous pourrons l’utiliser quand nous voudrons signifier que la situation est devenue à ce point dangereuse qu’il faut, pour une ultime tentative, engager toutes ses forces et se résoudre aux dernières extrémités, car, si cela n’était d’aucun secours, il semblerait qu’il ne resterait plus rien dont on puisse attendre assistance. […] L’adage est né de la façon d’organiser l’armée romaine. »

V. note [3], lettre 806, pour le cancer mammaire d’Anne d’Autriche, alorsaux mains du prêtre-chirurgien François Gendron.

3.

V. note [3], lettre 819, pour le cinquiième et dernier tome des « Œuvres complètes » de Daniel Sennert (Lyon, 1666), qui contient les Epistolarum medicinalium, una cum responsoriis D. Michaelis Döringii, centuriæ duæ [Deux centuries de lettres médicales, avec les réponses de M. Michael Döring].

4.

V. note [14], lettre 738, pour la réédition du livre de Jacques Houllier « sur les Maladies internes » (Paris, 1664), dédiée à Guy Patin (qui y avait prêté son concours) et enrichie d’abondants commentaires.

Ce que Patin disait avoir « joint pour notre ami Sebastian Scheffer » avait pour lui la valeur d’un véritable diamant : c’étaient ses trois précieux traités manuscrits de Caspar Hofmann, dont il espérait et allait enfin obtenir la publication grâce à son ami de Francfort (v. note [1] de la lettre latine suivante).

5.

La lettre se termine sans que Guy Patin, tout à sa joie et à sa fierté d’avoir habilement obtenu le privilège du Schenckius (v. supra note [1]), ait écrit à Johann Daniel Horst un mot au sujet de son fils Georg, qui séjournait alors à Paris pour se perfectionner en chirurgie (v. note [3], lettre latine 98). Au début de sa lettre suivante à Horst (9 mars 1665), Patin a néanmoins dit avoir remis la présente à Georg.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 186 ro.

Cl. viro Io. Dan. Horstio, Medicinæ Doctori, Francofurtum.

Privilegium à Te expetitum, Vir Cl. et hactenus expectatum, tandem
obtinuimus : ecce illud habeo in manibus, et ante oculos : illud vobis præferendum
tradam Seb. Switzero, quando ex hac urbe ad vos revertetur : i. Martij. heri illud ad
me transmissum accepi à D. Longuet, magno Audientiario, qui rem istam
accuratè promovit, et hoc præstitit, ut uno ac eodem diplomate regio,
duorum librorum typis mandandorum venia concederetur : quod ex industria
postulavi, ut minus constaret : vestrum erit duplex istud privilegium sejungere,
et illud separatum suo loco reponere. De pretio nihil scribo, quia necdum
scio : accedam ad D. Longuet pro debita gratiarum actione, et impensam
pecuniam repræsentabo. Spatium temporis propria manu apposuit D. Petrus
Seguier, Cancellarius
, idque septem annorum : verùm nisi rogatus à D.
Longuet,
non concessit, quoniam apud eos moris est pro unoquoque libro certum
unicum privilegium concedere. Obstrinxit se Filius meus Robertus apud D.
Longuet,
et apud Secretarium regium, qui diploma construxit et exhibuit, pro quinque Exemplaribus, duob.
nimirum pro Bibliotheca regia, duob. pro Domino Cancellario, et uno pro
Rege Christanissimo, et ejus Musæo, i. pour son Cabinet qui est au
Louvre.
Quæ quidem singula in antecessum ad Te scribo : plura posthac
scripturus si suppetant. Regina Mater Anna Austriaca hîc pessimè habet,
à cancro in mamma : res ejus devenit ad triarios, ne dicam pejus : Medici
nostri præter curationem palliativam, nihil quidquam voluerunt ten-
tare, nec aggredi : ideo commissa est, et ut ita dicam, devoluta ejus cura
quibusdam Empiricis et sacrificulis, qui omnia attingunt et nihil perficiunt :
sunt acutissimi et acerrimi in parte affecta dolores, frequens est animi
deliquium, præsens est corporis extenuatio, noctes insomnes, etc. quibus
singulis itur in requiem sempiternam : si verum sit quod Principes illic
quiescant, qui vix unquam hîc quieverunt. Nova paratur Lugduni ad
Ararim editio omnium Operum D. Sennerti, quæ de novo habebit quasdam
Epistolas Medicinales Sennerti et Döringij. Ecce Tibi mitto Hollerium nostrum, qui
utinam placeat : saltem bona multa continet. Cum Hollerio et Privilegio regio, ad-
junctum quid reperies, tradendum Amico nostro Seb. Scheffero, Medicinæ Doctori, quem
cum Cl. Parente, Venerando Sene, officiosissimè saluto. Vale, Vir Præstantis-
simme, et me ama. Parisijs, 4. Martij, 1665.

Tuus ex animo, G.P.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Daniel Horst, le 4 mars 1665

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(Consulté le 28/03/2024)

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