L. latine 353.  >
À Vopiscus Fortunatus Plempius,
le 28 mai 1665

[Ms BIU Santé no 2007, fo 189 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Vopiscus Fortunatus Plempius, à Louvain.

Très distingué Monsieur, [a][1]

La phlébotomie qu’on m’a faite le 4e de septembre m’a heureusement rétabli et cet enrouement ne m’a procuré aucune autre gêne ; [2][3] il se reproduit presque chaque année, même pour une bagatelle, et la saignée m’en soulage rapidement. [1] J’ai aisément supporté tout cet hiver, qui fut bien long et difficile, et en ai patiemment triomphé ; jusqu’ici, j’ai donné sans aucune incommodité mes leçons aux jours habituels. [4] Vers la fin de l’hiver, j’ai pris soin de me faire à nouveau saigner, et m’en suis toujours bien porté. Je ne me soucie pas de l’année climatérique, [5] ni ne la crains : toute année peut être climatérique pour l’homme chrétien ; comme la majeure partie des mortels, nous cherchons vainement à connaître l’avenir, que Dieu seul connaît ; le destin, qui ne dépend jamais de notre pouvoir, en décide toujours. [6] Je me réjouis que vous vous remettiez d’un érysipèle malin : [7] je souhaite qu’il se dissipe entièrement et ne récidive jamais ; [2][8][9] j’espère que la phlébotomie y sera extrêmement utile, [10] suivie par une purgation douce [11] avec séné, [12] moelle de casse [13] et sirop de roses ; [14] cela fait, le bain d’eau tiède [15] parachèvera le traitement en restaurant l’équilibre des viscères. Mais je n’en dirai pas plus ne noctuas Athenas mittere videar[3] Dieu fasse que notre ami Senguerdius [16] vive et se porte bien, et demeure sain et sauf de toute décrépitude pendant de nombreuses années. Le livre de M. Bochart de Paradiso terrestri ne roule pas encore sous la presse, et il semble qu’il ne paraîtra pas de sitôt. [4][17] Je saluerai Pierre Petit de votre part quand il sera revenu à Paris : [18] il séjourne à la campagne pour améliorer sa santé, ce dont il a besoin étant donné sa faiblesse des parties thoraciques. Nous n’avons ici rien de nouveau, hormis un petit nombre d’ouvrages historiques imprimés en Hollande et introduits céans en cachette ; mais ces curiosités et secrets de la cour nihil faciunt προς τα αλφιτα. [5][19] Il y a peu de gens malades ici depuis deux ans, à tel point que se vérifient ces mots de Sidonius Apollinaris : Medici jacent, ægri deambulant[6][20] Nous attendons jour après jour l’aboutissement du différend entre les Anglais et les Hollandais, et de ces gigantesques préparatifs de guerre. [21] Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, le 28e de mai 1665.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Vopiscus Fortunatus Plempius, ms BIU Santé no 2007, fo 189 vo.

1.

Guy Patin avait fait part du même symptôme, traité de la même manière, au début de sa lettre du 4 septembre 1664 à Vopiscus Fortunatus Plempius.

Outre ces deux années, 1664 et 1665, Patin a dit avoir souffert de rhume ou de laryngite (raucité de la voix) en 1648, 1658, 1660 et 1670 (v. notre index aux mots « Rhume, laryngite »).

2.

Au chapitre iv (Les affections et éruptions bilieuses, qui paraissent au dehors), livre vii de sa Pathologie (traduction française de 1655, pages 547‑648), Jean Fernel (v. note [4], lettre 2) a distingué les différentes sortes d’érysipèles (v. note [16], lettre 41) :

« L’érysipèle est une ardeur véhémente épandue en la surface du corps. Il ne s’y fait point de tumeur manifeste, la partie n’en est ni plus élevée ni plus tendue, et le mal ne pénètre pas jusqu’à la chair qui est dessous, mais s’étend au long et au large, sans aucun amas qui soit borné. Il pique et brûle âprement toutes les parties qui en sont atteintes. Sa couleur est d’un rouge tirant sur le jaune, qui disparaît quand on la touche, puis revient aussitôt. {a} La douleur qu’il cause n’est point accompagnée de battement, ni beaucoup véhémente. Lorsque la fluxion se fait, le patient est surpris de frisson, et ensuite attaqué de fièvre ; et bien souvent, quand elle se jette sur les cuisses, elle commence par une tumeur de l’aine. {b} Cela se traîne comme une dartre vive, {c} et quittant sa première place, va gagnant peu à peu les parties voisines. Or, il y en a deux sortes : l’un que Celse {d} appelle érésypèle simple, lequel n’a que de la rougeur et de l’ardeur, sans aucune ulcération ; l’autre que ce même auteur appelle feu sacré, et c’est l’érésypèle ulcéré, dont il se trouve deux espèces, en l’une desquelles la peau est entamée et ulcérée superficiellement, sans pénétrer plus outre, et se dessèche en petites croûtes, qui tombent comme du son de farine ; l’ulcération de l’autre passe plus avant dans la peau, d’où, après que les pustules sont crevées, il sort une sanie purulente. » {e}


  1. En sémiologie plus moderne et pour une meilleure hygiène, on explore ce phénomène en appliquant sur la peau un verre de montre, au lieu d’un doigt, et on dit que l’érythème pâlit à la « vitropression ».

  2. Adénopathie, ou gonflement inflammatoire d’un relais lymphatique (lymphonœud).

  3. V. la triade 74 du Borboniana manuscrit (notule {c}, note [39]), pour la distinction entre dartre (lichen) simple (miliaire) et vive (maligne).

  4. V. note [13], lettre 99.

  5. Ces deux variétés correspondent à l’érysipèle malin (malignum erysipelas), dont Vopiscus Fortunatus Plempius avait été affecté. V. note [11], lettre de François Rassyne, datée du 27 décembre 1656, pour la sanie.

Sans description plus détaillée, il est bien difficile de dire aujourd’hui ce dont souffrait Vopiscus Fortunatus Plemplius ; la mention des rechutes possibles pourrait orienter vers un diagnostic de zona (v. note [8], lettre de François Teveneau, datée du 25 février 1657) : brûlures vives, érythème, fièvre possible, vésicules dont la rupture provoque des ulcérations croûteuses.

3.

« pour ne pas paraître envoyer des chouettes à Athènes » : porter de l’eau à la rivière, dire à un médecin comment se soigner (v. note [6], lettre 167).

4.

Le court texte d’exégèse biblique de Samuel Bochart « sur le Paradis terreste », que Guy Patin attendait avec impatience, n’a paru que bien plus tard, dans les :

Samuelis Bocharti Opera omnia. Hoc est Phaleg, Canaan, et Hierozoicon. Quibus accessere variæ Dissertationes, hactenus fere ineditæ, in quibus multa Philologica, Geographica, Chronologica, Historica, etc. multaque Sacræ Scripturæ et meliorum omnis generis auctorum loca, eruditissime exponuntur, ut et Paradisi terrestris delineatio ad Bocharti mentem a Stephano Morino concinnata. Præmittitur Vita Cl. Auctoris ab eodem Morino litteris mandata cum variorum ejus Operum recensione ; imo et Paradisi Terrestris ad ejus mentem delineatione. Succedunt varii Indices, vel novi, vel longe quam antea auctiores et emendatiores ; passim denique Operi insertæ sunt Tabulæ Geographicæ prioribus et ampliores et luculentiores. Editio tertia : in qua locupletanda, exornanda, et corrigenda, singulare studium posuerunt Johannes Leusden, Ling. Sanct. in Acad. Traject. Prof. et Petrus de Villemandy, V.D.M. et Collegii Theol. Gallo-Belg. Lugd. Regens.

[Œuvres complètes de Samuel Bochart : Phaleg, Canaan, {a} et Hierozoicon ; {b} à quoi ont été ajoutées diverses Dissertations en grande partie inédites jusqu’ici, où sont très savamment exposés quantité de notions philologiques, géographiques, chronologiques, historiques, etc., et maints passages de la Sainte Écriture et des meilleurs auteurs en tout genre ; ainsi que la Description du Paradis terresre qu’Étienne Morin a composée selon l’esprit de l’auteur. {c} En introduction, ledit Morin a rédigé une vie de l’auteur, avec la liste de ses ouvrages et une dissertation sur le Paradis terrestre. {d} Suivent divers index, soit nouveaux soit beaucoup plus complets et bien mieux corrigés qu’auparavant ; enfin, l’ouvrage est partout illustré de cartes géographiques bien plus belles et détaillées que celles des précédentes. Troisième édition que Johannes Leusden, professeurs de langues sacrées eu l’Université d’Utrecht et Pierre de Villemandy, ministre de la Parole divine, régent de théologie du collège franco-belge de Leyde]. {e}


  1. V. note [34], lettre 237, pour Samuel Bochart et pour les deux volumes de sa Geographia sacra [Géographie sacrée] de Bochart, Phaleg et Canaan (Caen, 1646).

  2. « Bestiaire sacré », sur les animaux de la Sainte Écriture (Londres, 1663, v. note [14], lettre 585) ;

  3. Le théologien calviniste français et orientaliste érudit Étienne Morin (1625-1700) a travaillé avec Bochart à partir de 1664, et se réfugia aux Pays-Bas en 1685.

    Le titre latin du livre qualifie par erreur de delineatio [description] la Dissertatio de Paradiso terrestri [Dissertation sur le Paradis terreste] qu’il a écrite (pages 7‑28).

  4. Annoncée ici avec emphase, cette « Description » se limite aux pages 29‑30 : Paradisi terrestris situs juxta Sam. Bochartum, ex epistola quadam ad Lodovic. Capellum, S. Theol. in Academia Selmuriensi Professorem, exceptus [Localisation du Paradis terresyre selon Samuel Bochart, tirée d’une lettre écrite à Louis Capelle, professeur de théologie sacrée de l’Académie de Saumur].

  5. Leyde, Cornelius Boutesteyn et Jordanus Luchtsman, et Utrecht Guilielmus vande Water, 1692, in‑4o, avec un frontispice représentant Adam entouré des animaux terrestres, et un portrait de Bochart, orné de ces vers :

    Neustria se tanti matrem miratur alumni,
    Quem stupet ut rarum Numinis orbis opus.
    Quidquid Arabs, Phœnix, Graius, docuitque Latinus
    Inclusum vasto pectore solu habet :

    P. du Bosc, Ao 1663.

    [La Neustrie {i} s’émerveille d’être la mère d’un si grand enfant, elle admire que la Divinité ait produit un si rare personnage. Seul il possède, inclus en son vaste cœur, tout ce qu’il a enseigné en arabe, en phénicien, {ii} en grec et en latin.

    P. du Bosc, 1663]. {iii}

    1. L’ancien royaume franc de Neustrie incluait la Normandie : Bochart était natif de Rouen.

    2. Langue de Chanaan, dont a dérivé l’hébreu.

    3. Pierre Du Bosc (Bayeux 1623-Rotterdam 1692), théologien et prédicateur calviniste français, avait été nommé adjoint de Bochart, dans le temple de Caen, en 1645.

5.

« ne font rien pour la farine » : traduction littérale d’une expression que j’entends comme voulant ici dire « ne rapportent rien d’utile ». Érasme l’a employée en plusieurs endroits, comme ce passage de L’Éloge de la folie, dans l’épître adressée à Thomas More :

Quo magis admiror his temporibus aurium delicias quæ nihil iam fere nisi solemnes titulos ferre possunt. Porro nonnullos adeo præpostere religiosos videas, ut vel gravissima in Christum convicia ferant citius quam pontificem aut principem levissimo ioco aspergi, præsertim si quid προς τα αλφιτα, id est ad quæstum, attinet.

« J’admire donc fort la délicatesse des oreilles aujourd’hui, qui n’admettent presque plus rien que de pompeuses flatteries. À tel point que tu vois quelques religieux si pervertis qu’ils s’offusquent moins des plus gros blasphèmes proférés contre le Christ, que de la plus légère plaisanterie sur un pape ou sur un prince, surtout si cela si cela porte atteinte à leur farine, c’est-à-dire à leur intérêt. » {a}


  1. Traduction de Pierre de Nolhac (1927).

6.

« les malades se promènent, tandis que les médecins se reposent » (v. note [10], lettre 821).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 189 vo.

Cl. viro D. V. Fort. Plempio, Lovanium.

Per venam sectam 4. Sept. feliciter convalui, Vir Cl. nec aliud
ullum incommodum mihi intulit illa raucedo, quæ pene singulis annis, etiam
levi de causa recurrit, et à venæ sectione facilè citò desinit. Totam hyemem,
bene longam atque difficilem facilè toleravi, atque patienter superavi :
et diebus solitis prælectiones meas hactenus habui absque ullo incommodo. Sub finem
hyemis iterum mihi sanguinem detrahi curavi, et inde bene semper habui.
Climatericum annum nec curo moror nec metuo : omnis annus homini Christiano climactericus
esse potest : maxima pars hominum frustra inquirimus in futurum, quod soli Deo
notum est, nostræ potestatis numquam, à fato semper. Seriò lætor quod
melius Tibi sit à maligno erysipelate : utinam omnino evanescat, nec unquam
revertatur : ad quod maximè profuturam spero venæ sectionem, et postea
blandam catharsim ex folijs Orient. med. cassiæ et syr. diarhodon : quib.
peractis rem conficiet blaneum ex aqua tepida, ad contemperationem
viscerum. Verùm ne noctuas Athenas mittere videar, plura non addam.
Senguerdius noster utinam vivat et valeat, et ab omni labe salvus et incolu-
mis perennet in multos annos. Liber D. Bochart, de paradiso terrestri,
nondum currit sub prælo : nec tam citò proditurus videtur. Petrum Petitum
tuo nomine salutabo, postquam in Urbem reversus fuerit : nunc enim rusti-
catur, melioris valetudinis gratia, qua indiget, ob infirmitatem partium
thoracicarum. Nihil hîc habemus novi præter pauca historica, quæ in
Hollandia typis mandantur, et clanculum huc adferuntur : sed ista curiosa
et aulica Principum arcana nihil faciunt προς τα αλφιτα. Hîc à biennio,
pauci sunt ægroti : adeo verum illud Sidonij Apollinaris : Medici jacent, ægri
deambulant.
De Anglorum cum Hollandis dissidio, et ingenti illo apparatu
bellico in dies expectamus eventum. Vale, Vir Cl. et me ama. Parisijs, 28.
Maij, 1665.

Tuus ex animo, Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Vopiscus Fortunatus Plempius, le 28 mai 1665

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(Consulté le 25/04/2024)

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