L. latine 361.  >
À Bernhard Verzascha,
le 18 juillet 1665

[Ms BIU Santé no 2007, fo 193 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Bernhard Verzascha, docteur en médecine à Bâle.

Très éminent Monsieur, [a][1]

J’ai reçu votre lettre par l’intermédiaire du très distingué M. Buxtorf qui, tant en son nom propre qu’à cause de vous, me sera toujours hautement recommandé. [2] Il est affligé d’une entérocèle, [3] ce qui ne lui fera jamais courir aucun danger s’il se sert diligemment d’un bandage, d’un brayer d’acier[1][4] confectionné à la manière de ceux qu’utilisent ici les gens, tant malades qu’en bonne santé. J’en emploie moi-même un, pour mon très grand profit et sans nulle incommodité ; [5] ce que je lui ai avoué et prouvé, et il a parfaitement compris le procédé. Il est même allé voir et a rencontré le fabricant ingénieux et très expérimenté de cette sorte de bandage, dont j’emploie les services pour mes malades. J’espère qu’avec son aide il se mettra dorénavant à l’abri de tout danger de prolapsus et de strangulation ; [6] de la sorte, s’il me croit, il n’aura jamais besoin d’aucune opération chirurgicale. Je m’estimerai fort satisfait si notre Hollierus vous a plu. [2][7] Si vous désirez quelque chose d’autre venant de notre ville, je vous l’offre, si vous me faites savoir ce que c’est. {Vale. De Paris, le 20e de juillet 1665.} [3] J’en profite pour vous tirer l’oreille au sujet du nouveau recueil de vos thèses médicales que vous devez préparer et embellir : par le soin que vous y mettrez, ce sera un ouvrage qui méritera la haute estime qu’y portera la postérité, comme en jouissent déjà, dans les cabinets des hommes studieux et savants, ces sept Decades que Genath a réunies. [8][9] Occupez-vous donc de cela avec diligence, de façon à vous bien gagner les louanges de vos petits-fils, et de toute la postérité qui étudiera les belles pratiques. [4][10] Vale et continuez de m’aimer comme vous faites.

De Paris, ce samedi 18e de juillet 1665.

Vôtre de tout cœur, G.P.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Bernhard Verzascha, ms BIU Santé no 2007, fo 193 vo.

1.

L’italique est en français dans le manuscrit. Un brayer est (Furetière) :

un « bandage fait d’acier, que ceux qui sont sujets aux hernies et descentes sont obligés de porter. Il y a aux Grands-Augustins {a} une fondation pour distribuer charitablement des brayers aux pauvres qui en ont besoin. Quelques-uns dérivent brayer de brak, mot de Lombardie qui signifie rupture ; mais du Cange le dérive a brachis, ou braccis, parce qu’il se met sous les brayes ; {b} il l’appelle bracheriolum en latin ».


  1. V. note [7], lettre 367.

  2. Le caleçon, sans relation étymologique avec la famille médicale parisienne des Brayer (v. note [9], lettre 126.

Entérocèle (Thomas Corneille) :

« Descente de boyau, qui est l’une des deux principales espèces de hernie, qu’on appelle autrement hernie du scrotum. Les intestins sont enveloppés entièrement par le péritoine, où ils sont pliés comme dans une bourse. Si cette bourse vient à se rompre ou à se relâcher en quelque endroit, il faut nécessairement que les intestins tombent. Si l’omentum {a} descend avec les intestins, ou les intestins sans lui, c’est l’entérocèle ; car quand l’omentum descend seul dans le scrotum, on appelle cela épiplocèle. {b} Les causes les plus ordinaires de l’entérocèle sont les grands exercices, les cris (ce qui fait que les enfants y sont fort sujets), la toux violente, le vomissement violent ; tout cela peut causer l’entérocèle en poussant les intestins, car il y a peu de causes externes, si ce n’est un certain caractère d’hérédité qui fait qu’un père hernieux engendre un fils qui est aussi hernieux. »


  1. Nom latin de l’épiploon : repli du péritoine (enveloppe contenant le tube digestif dans l’abdomen) formant un tablier qui couvre les intestins (enteron en grec).

  2. V. notes [5], lettre de Charles Spon, datée du 6 avril 1657, pour le scrotum et les hernies qui y descendent, et [5], lettre latine 330, pour l’épiplocèle.

Johann Jakob Buxtorf (Bâle 1645-ibid. 1704) était le fils de Johannes le Jeune (v. note [8], lettre latine 10) ; à la mort de son père, en 1664, il lui avait succédé dans la chaire d’hébreu de l’Université de Bâle. Dès 1665, il entamait un voyage d’études en Europe qui dura quatre ans. De retour à Bâle, il reprit son enseignement et ses recherches académiques. Hormis la publication des œuvres de son grand-père, Johannes l’Ancien, il s’est consacré aux traductions de manuscrits rabbiniques qui restent inédites.

2.

V. note [5] de la lettre latine datée du 30 mai 1664 pour la nouvelle édition du livre de Jacques Houllier (Hollierus) de Morbis internis [sur les Maladies internes] (Paris, 1664, v. note [14], lettre 738) que Guy Patin avait envoyée à Bernhard Verzascha (qui n’avait pas encore dû lui en accuser réception).

3.

Ce passage entre accolades est barré dans le manuscrit : ayant changé d’avis, Guy Patin a ajouté quelques lignes à sa lettre, dont il a aussi modifié la date (le 18 au lieu du 20 juillet).

4.

V. note [14], lettre 1020, pour les sept « Décades » de thèses médicales bâloises que le libraire Johann Jakob Genath avait imprimées depuis 1618.

Contrairement aux espoirs de Guy Patin, Bernhard Verzascha n’y a rien ajouté ; mais en fouillant sa bibliographie, j’ai trouvé son recueil intitulé Observationum Medicarum Centuria [Centurie d’Observations médicales] (Bâle, Joannes Jacobus Deckerus, 1677, in‑8o), avec cette mention dans l’observation vi, Vermiculus Cerebri [Petit ver du cerveau] (pages 16‑17) :

Quoniam vermiculus iste cum muco excretus fuit, illum in cerebro genitum fuisse, nullus dubitavi, nam in hac putrescentis pituitæ officina vermes generari, testimonis magnorum Virorum comprobabo. Admirationem superat Lutetiana puella, in vico Delphino annorum xii. cui curatis variolis tantus capitis dolor diuturnusque supervenit, ut tribus mensibus nec dormire, nec requiescere nullas dolore inducias concedente potuerit : tandem cum tabida obiisset, statim aperto cranio præsentes medici totam cerebelli substantiam, qua ad dextrum vergit, a reliquo corpore sejunctam nigraque tunica involutam deprehenderunt : hæc tunica rupta latentem vermem vivum et pilosum duobus punctis splendidis loco oculorum prodidit, ejusdem fere molis cum reliqua cerebelli portione, qui duarum horarum spacio pervixit : hujus anomali abscessus fuit oculatus testis Guido Patinus Medicus Parisiensis ingenio et eruditione inter primos conspicuus.

[Puisque ce ver a été expulsé avec du mucus, je n’ai en rien {a} douté qu’il était né dans le cerveau car, dans cette fabrique de pituite putréfiée, {b} s’engendrent des vers, ce que je prouverai par les témoignages d’hommes éminents. La fillette parisienne du faubourg Saint-Denis, {c} âgée de 12 ans, surpasse l’admiration : après qu’elle eut guéri d’une variole, elle fut prise d’un mal de tête opiniâtre et si intense que, pendant trois mois, elle ne put ni dormir ni se reposer, car sa douleur ne connaissait aucune rémission ; étant finalement morte tabide, {d} on lui ouvrit immédiatement le crâne, et les médecins présents trouvèrent que toute la substance de la partie droite du cerveau était séparée du reste de l’organe et enveloppée dans une membrane noire ; quand on l’ouvrit, il en sortit un ver vivant qui s’y cachait ; presque de même consistance que ce qui restait du cerveau, il était poilu avec deux points brillants à la place des yeux, et a survécu pendant l’espace de deux heures. Guy Patin, médecin de Paris, que son intelligence et sa science placent au premier rang d’entre eux, a été témoin oculaire de cet abcès extraordinaire. {e}


  1. J’ai interprété nullus comme une faute d’impression pour nullo (nulla re, « en aucune façon »).

  2. La pituite (v. note [15], lettre 260) était tenue pour l’humeur dominante du cerveau.

  3. Aucun faubourg de Paris ne portant le nom de « Dauphin », j’ai pris Delphino pour une altération de Dionysio, « Saint-Denis ».

  4. Cachectique, v. note [9], lettre 93.

  5. C’est la seule trace d’une lettre où Patin a dû raconter cette observation à Verzascha.

    Le parasite responsable était le ténia du porc (Tænia solium), dans une forme exceptionnelle de cysticercose cérébrale.


s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 193 vo.

Cl. Viro D. Bernardo Verzaschæ, Med. Doct. Basileam.

Per virum Cl. D. Buxtorfium, Epistolam tuam accepi, Vir præstantissime,
qui tuo, suóq. nomine mihi semper erit commendatissimus. Affectus ille enterocelio
est, à quo nullum unquam incurret in periculum, si diligenter utatur vincus
d’un brayer d’acier, eo modo confecto quo hîc utuntur tum ægri, tum sani :
ego ipse utor, summo meo commodo, sed nullo incommodo : quod illi manifestum feci,
atque declaravi : et rem ipsam apprime intelligit : ejusmodi vinculorum confectorem inge-
niosum atque peritissimum, cujus opera sæpe utor in apud ægros meos, etiam
invisit et affatus est : convenit : spero fore ut ilius ope se vindicet in posterum ab omni
prolapsus et strangulationis discrimine : sicque nulla alia indigebit, si
mihi credat, Operatione chirurgica. Abunde mihi satisfactum putabo, si
Hollerium nostrum gratum habueris : si quid aliud cupias ex hac Urbe nostra,
Tibi offero, si quale fuerit, per Te intelligam : Vale. Parisijs, 20. Iulij, 1665.
simúlque de nova Sylloge Thesium Medicarum vestrarum conficienda et
adornanda, aurem Tibi vello : opus erit tuâ curâ, dignum quod magnifaciant
posteri, ut in Musæis virorum studiosorum ac eruditorum jam prostant
Decades illæ septem à Genathio collectæ. Vide igitur, Vir Cl. et in eam curam
incumbe, ut de Nepotibus tuis, et de tota posteritate bonarum artium
studiosa, bene et amplissimè merearis. Vale, et me quod facis,
amare perge. Parisijs, die Sabb. 18. Iulij, 1665. Tuus ex animo, G.P.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Bernhard Verzascha, le 18 juillet 1665

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(Consulté le 25/04/2024)

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