L. latine 393.  >
À Johann Theodor Schenck,
le 4 mars 1666

[Ms BIU Santé no 2007, fo 205 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johann Theodor Schenck, docteur en médecine, etc., à Iéna.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Notre ami M. Elsner [2] m’a remis votre lettre hier à la sortie de notre Collège royal[3] après l’explication que j’avais faite de l’aphorisme 22, section i[4] en concluant qu’in morborum acutorum initiis numquam esse purgandum, aut quam rarissime[1][5] et que les jeunes médecins doivent tenir ce précepte en grande vénération, car Galien lui-même a déclaré que c’est un oracle pour pratiquer la médecine selon l’art et la méthode. [6] J’en reviens maintenant à votre bien agréable lettre, très distingué Monsieur, dont je vous remercie de toutes mes forces ; mais je n’ai rien sous la main à vous offrir, hormis les quelques thèses que je vous envoie. [7] Je n’ai écrit aucun livre et il y a deux raisons à cela : la première est ma piètre érudition, mon manque d’instruction, vous voyez ce que je veux dire, neque enim omnibus datum est [Ms BIU Santé no 2007, fo 205 vo | LAT | IMG] adire Corinthum ; [2][8][9] j’ai bien éprouvé et reconnais parfaitement quam sit mihi curta supellex ; [10] conveniunt cymbæ vela minora meæ[3][11] La seconde raison tient au loisir et aux heures qu’il faut pour réfléchir convenablement ; jusqu’ici, j’en ai toujours manqué, tant me pressent et m’étouffent presque les visites et consultations médicales qu’il faut assurer auprès d’une foule de malades dispersés en cette immense cité, me laissant à peine le temps de me rendre deux fois par semaine au Collège royal. Vous connaissez fort bien ce vers d’Horace : Carmina secessum scribentis et otia quærunt ; [4][12] ce qui est vrai et même bien laborieux, parmi la masse de tumultes et d’affaires à régler qui surgissent sans cesse et à tout moment, de sorte que ce travail inépuisable engendre en moi de la lassitude et du dégoût ; mais laissons cela. [13] Meyssonnier, médecin de Lyon, est encore en vie, [14] il médite de rééditer toutes ses œuvres ; s’il le fait, je vous enverrai le livre complet ; sinon, du moins, ce que vous m’en demanderez. [5] Si vous voulez bien, pour faciliter grandement nos échanges, vous pourrez désormais m’écrire par l’intermédiaire de mon ami le très distingué M. Johann Georg Volckamer à Nuremberg ; [15] je corresponds très souvent avec lui et vous répondrai par la même voie. Il recevra aussi de vous tout paquet que vous aurez à m’envoyer en le confiant à Thomas Matthias Götze, libraire à Francfort ; [16] lui le remettra à l’un des libraires de Genève, M. Chouët, [17] de Tournes [18] ou Widerholdt ; [19] ils vont chaque année à vos foires [20] et me le feront parvenir en toute sûreté. Nos Parisiens ne s’y rendent pas, tant ils sont paresseux. [21] Je ne discuterai pas les prix ; c’est vous-même qui les fixerez et en recevrez le remboursement de ce même Götze, ou par l’intermédiaire de M. Volckamer, excellent homme dont je vous ai déjà vanté les mérites. On vend à Lyon, en six tomes in‑fo, les Opera omnia de Pierre Gassendi, [22] qui fut jadis mon ami et mon collègue au Collège royal (où il était professeur de mathématiques) ; si vous cherchez à en avoir séparément un volume, ce sera difficile de vous le trouver. Je n’ai vu à acheter aucune édition grecque des écrits d’Oribase. [6][23] Sébastien Rainssant est mort il y a un an, [24] d’une ascite [25] qui avait succédé à une fièvre quarte, [26] âgé de 66 ans ; tout cela lui est arrivé après une section de vessie où on lui avait retiré un calcul. [27] Les œuvres chirurgicales d’Étienne Gourmelen, [28] écrites en français, se vendent ici ; je vous les enverrai si vous voulez. On prépare maintenant en Allemagne une édition de certains écrits du très distingué Hofmann ; [29] on ne les trouve pas encore en France, mais je désire ardemment les tenir en mains. Des manuscrits de ce grand homme traînent ici dans mon cabinet, par l’incurie et la paresse de nos libraires. [30] Dii meliora ! [7] J’ai ici l’Hippocrate de Vander Linden. [31][32] Je vous prie à nouveau de m’indiquer ce que vous désirez venant de notre ville ; quand je le saurai, soyez certain que je vous l’enverrai de très bon cœur. En attendant, vale, très distingué Monsieur, et ne cessez pas de m’aimer, moi qui suis, jusqu’à la mort et au delà,

votre Guy Patin.

De Paris, le 4e de mars 1666.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Theodor Schenck, ms BIU Santé no 2007, fo 205 ro et vo.

1.

« il ne faut jamais purger, ou seulement très rarement, au début des maladies aiguës » (v. note [12], lettre 239, pour le texte complet de cet aphorisme).

2.

« car il n’est pas donné à tous d’aller à Corinthe », Horace (Épîtres, livre i, lettre 17, vers 35‑36) :

Principibus placuisse viris non ultima laus est
Non cuivis homini contingit adire Corinthum
.

[Plaire aux premiers d’entre les hommes n’est pas une médiocre gloire, il n’est en effet pas donné à tout le monde d’aller à Corinthe].

Érasme a développé ce thème dans son adage no 301, Non est cuiuslibet Corinthum appellere [Il n’est pas donné à tout le monde d’aborder à Corinthe] :

Vetustum juxta ac venustum adagium de rebus arduis et aditu periculosis, quasque non sit cujuslibet hominis affectare. Inde natum, quod (ut refertur apud Suidam) nec facilis nec satis tutus sit nautis in Corinthiacum portum appulsus. […] Horatius et A. Gellius ad Laidem nobile scortum referunt adagium.

[Adage aussi ancien qu’élégant à propos de sujets ardus et à l’abord périlleux, que tout le monde ne peut approcher. Il provient (selon Suidas) {a} du fait que, pour les marins, le port de Corinthe n’était d’accès ni facile ni suffisamment sûr. (…) Horace et Aulu-Gelle {b} l’associent à l’illustre courtisane Laïs]. {c}


  1. V. note [47] du Grotiana 2.

  2. V. note [40], lettre 99.

  3. Légendaire hétaïre de Corinthe au ive s. av. J.‑C., qui choisissait ses amants et ajustait ses tarifs, souvent exorbitants, au désir qu’ils lui inspiraient.

3.

« à quel point je suis pauvrement équipé ; de moindres voiles suffisent à ma barque », avec double référence :

4.

« Écrire des poèmes exige la solitude et le calme », avec méprise de Guy Patin sur la source, qui n’est pas dans Horace, mais dans Ovide (v. note [2], lettre 622).

5.

Ce projet de Lazare Meyssonnier n’a pas abouti.

6.

V. notes :

7.

« Puissent les dieux nous ménager des jours meilleurs ! » (citation abrégée de Virgile, v. note [5], lettre 33).

V. notes :

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 205 ro.

Cl. viro D. Io. Theodoro Schenkio, Medicinæ Doctori, etc. Ienam.

Amicus noster D. Elsnerus, Vir Cl. tuam mihi reddidit heri in egressu Scholæ
nostræ regiæ, post expositionem à me factam aph. 22. sect. i. in qua conclusi, in
morborum acutorum initijs numquam esse purgandum, aut quam rarissimè :
et magna
in veneratione à junioribus Medicis habendum esse ipsum aphorismum, quem Galenus ipse, in ad
faciendam Medicinam ex arte et methodo, oraculum esse pronuntiavit. Verùm, ad suavissimam tuam redeo, Vir Cl.
pro qua Tibi gratias ago quam possum maximas. Nihil habeo mecum quod Tibi offeram
præter quasdam Theses Medicas, quas ad Te mittam : librum nullum scripsi, duplici de
causa : prima est defectus eruditionis, απαιδευσια, scis quid velim : neq. enim omnibus datum est

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 205 vo.

adire Corinthium : ^ Meipsum novi, et apprimè/ intelligo, quàm sit mihi/ curta supellex : conveniunt cymbæ/ vela minora meæ. alter est otium et tempus requisitum ad meditationem idoneam, quod hac-
tenus mihi semper defuit, adeo me urgent et penè opprimunt tot ægrorum visitationes
et […] Consultationes Medicæ varijs in locis habendæ Civitatis amplissimæ, imò vix mihi licet,
bis per hebdomadam adire Scholam regiam : apprime nosti illud Horatianum :
Carmina secessum scribentis et otia quærunt : quod non immeritum, imò vix ac ne vix
quidem inter tot tumultus ac negotia quæ singulis momentis tam sæpe occurrunt,
ut aliquando mihi labor repetitus labor ipse fastidium atque tædium pariat. Sed sinamus ista :
Meissonerius, Lugdunensis Medicus adhuc vivit : novam meditatur Editionem omnium
suorum Operum : quod si fiat, librum integrum ad Te mittam : sin minus, ea saltem quæ
postulas. Commercium nostrum per literas erit facillimum, si volueris, sæpius enim
scribo Noribergam, ad virum Cl. D. Io. G. Volcamerum, amicum meum, per quem
poteris scribere, ut et ego ad Te scribam : et ille mihi mittenda, si volueris, à Te accipiet,
aut viam illam teneris, quam indicasti, per Th. Matthæum Gotzium, Bibliopolam
Francofurtensem, qui mihi destinata tradet alicui Bibliopolæ Genevensi, nempe
D.D. Chouët, de Tournes, aut Widerholdt, qui quotannis eunt ad nundinas, et à
quibus tutò accipiam : ^ Parisini nostri nundinas/ vestras non frequentant :/ tanta est eorum ignavia socordia. De pretio non contendo ; Tu ipse illud constitues, et ab eodem
ipso Gotzio recipies, vel per D. Volcamerum, virum eximium, antehac laudatum.
Petri Gassendi, Amici et Collegæ quondam mei in Schola regia, (erat enim artium
Mathematicarum Professor regius,) Opera omnia prostant Lugduni Celtarum,
sex tomos in folio : quod si ex ijs seorsim aliquid requiras, vix invenietur. Oribasij
scripta Græca nulla vidi. Seb. Rainssant obijt ante annum, anno ætatis 66.
ex ascite, qui quartanæ successerat : hæc a. sectioni vesicæ, per quam fuerat illi
detractus calculus. Steph. Gourmeleni Opera chirurgica, Gallicè scripta, quæ hîc
prostant, mittam si volueris. Cl. Hofmanni quædam nunc eduntur in Germania,
nondum in Gallia, quod tamen habeo in votis, et fortiter cupio : hîc enim otiosa jacent in
Musæo meo tanti viri scripta, per ignaviam et inertiam nostrorum Bibliopolarum.
Dij meliora. Hipp. Lindani hîc habeo. Iterum precor, indica mihi quid cupias ex Urbe nostra, quod postquam
cognovero, haud dubiè libenter mittam. Interea v. bene vale, Vir Cl. et me amare ne
desine, qui sum tuus usque ad aras et ultra, Guido Patin. Parisijs, 4. Martij, 1666.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Theodor Schenck, le 4 mars 1666

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1426

(Consulté le 29/03/2024)

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