L. latine 395.  >
À Simon I Paulli,
le 20 mars 1666

[Ms BIU Santé no 2007, fo 206 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Simon Paulli, premier médecin du sérénissime roi des Danois, à Copenhague.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Puisse tout bien aller pour vous et pour votre fils, lequel est récemment rentré en votre pays sans que j’aie pu lui remettre de lettre au moment de son départ. [1][2] Aujourd’hui je vous écris pour vous donner avis que je vis et me porte bien, me tenant entièrement à votre service. Nous avons ici Son Excellence M. Hannibal Sehested, [3] votre ambassadeur, homme certes illustre et éminent, qui ne se laisse toutefois pas écraser sous le poids de ses multiples charges. Tandis qu’il gère tant d’affaires, le voici pourtant en proie à une fièvre continue, [4] avec intense mal de tête, douleur rhumatismale au côté, insomnie, toux et enrouement : tous symptômes qui trouvent leur origine dans une cause bien arrêtée et rebelle, qui est une intempérie fort chaude des viscères nutritifs, [Ms BIU Santé no 2007, fo 207 ro | LAT | IMG] en particulier du foie, du cœur et des poumons. Il en résulte une horrible putréfaction qui se répand par tout le corps, corruption diffuse qui correspond à l’ακαθαρσιη d’Hippocrate. [2][5][6] Puisse Dieu m’assister d’un Esculape [7] tel que vous, voire de vous en personne, pour me procurer les ressources capables de terrasser un si grand mal et de rendre la santé à ce très auguste héros, pourvu d’une si haute et honorable charge ! Je lui ai déjà fait tirer quatre fois du sang, [8] qui s’est avéré fort pourri. La fièvre semble certes avoir un peu diminué, mais les symptômes ne se sont toujours pas atténués car il a besoin de remèdes plus vigoureux encore. J’espère pouvoir y recourir bientôt, pour le libérer d’une aussi grave et pernicieuse maladie, multa manu medica Phœbique potentibus herbis[3][9][10] Je souhaite qu’en advienne l’heureuse et rapide issue, et que Dieu vous protège, très distingué Monsieur, ainsi que M. Mathesius, mon grand ami Bartholin, [11] Willem Wormius et son frère Olaüs. [4][12][13] Je vous prie aussi de saluer de ma part trois de vos compatriotes que j’ai ici soignés, ils s’appellent MM. Trolle, Rozenkrantz [14] et Thott, dont l’épouse appartient à la famille de l’insigne Tycho Brahe. [5][15][16] Vale, très distingué Monsieur, et continuez de m’aimer.

De Paris, ce 20e de mars 1666.

Votre Guy Patin de tout cœur.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Simon i Paulli, ms BIU Santé no 2007, fo 206 vo‑207 ro.

1.

Arrivé à Paris au printemps 1665, le jeune médecin Jakob Henrik Paulli (v. note [7], lettre de Thomas Bartholin, datée du 30 septembre 1663), fils aîné de Simon i, venait d’y séjourner environ un an et avait suivi les leçons de Guy Patin au Collège royal.

2.

Dans son Œconomia Hippocratis ou « Lexique hippocratique » (v. note [23], lettre 7), Anuce Foës définit le mot ακαθαρσιη [akatharsiê] comme signifiant : vitiosorum humorum illuviem […] et purgationis defectum [débordement des humeurs corrompues (…) et défaut de purgation] (Francfort, 1588, pages 14‑15).

V. note [3], lettre latine 407, pour l’autopsie de Hannibal Sehested, dont le constatations peuvent faire évoquer un diagnostic d’endocardite maligne lente, avec diffusion possible de l’infection à toutes les parties du corps.

3.

« par les soins diligents du médecin et les puissantes herbes de Phébus » (Virgile, v. note [2], lettre latine 22).

4.

Nouvelle méprise de Guy Patin sur le prénom du second des deux fils d’Olaüs Wormius, cousins de Thomas Bartholin : Olaüs pour Matthias (v. notes [6], lettre latine 221, et [6], lettre latine 302).

Je ne suis pas parvenu à identifier Mathesius, ancien malade de Patin. dont celle-ci est la seule apparition dans sa Correspondance.

5.

V. note [11], lettre latine 255, pour Janus Rosenkrantz, et [28], lettre 211, pour Tycho Brahe.

La très érudite Sophia Brahe (1556-1643), sœur du savant astronome danois, avait épousé en premières noces un dénommé Otto Thott (mort en 1588) dont elle avait eu un fils prénommé Tage (né en 1580). L’ancien patient dont Guy Patin évoquait le souvenir (en l’appelant Tot) pouvait appartenir à cette famille Thott.

Trol pouvait être l’homme politique danois Niels Trolle (1599-1667), à qui Thomas Bartholin avait dédié sa Defensio vasa lactorum [Défense des vaisseaux lactés] (Copenhague, 1665, v. note [1], lettre latine 45), ou plus probablement son fils, prénommé Corditz (1628-1684), qui était venu étudier le droit à Orléans au début des années 1650 avant de devenir conseiller de Frédéric iii puis de Christian v, rois de Danemark.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 206 vo.

Cl. viro D. Sim. Paulli, Sereniss. Danorum regis Archiater Medico primario, Hafniam.

Bene sit, Vir Cl. Tibi Filióq. tuo nuper ad vos reverso, et per quem tunc temporis ad Te
scribere non potui : hodie v. ad Te scribo, ut scias me vivere et valere Tibi addictis-
simum. Hîc habemus Illustriss. virum D. Annib. Sesteedt, Legatum vestrum,
optimum quidem ac eximium, sed qui tot negotiorum rerum mole tamen non opprimitur ; et
dum tanta negotia sustinet, incidit in febrem assiduam, cum capitis dolore gravissimo,
lateris dolore rheumatico, insomnia, tussi et raucedine ; quæ quidem omnia ortum suum
repetunt à causa fixa et contumaci, scilicet intemperie præfervida viscerum nutritiorum,

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 207 ro.

præsertim hepatis, cordis ac pulmonis : cum tetra quadam putredine, quæ universum corpus
pervagatur, et impuritate illa multa quæ Hippocratis ακαθαρσιην sequitur : et
utinam Teibi parem hîc haberem Æsculapium, imò vel Te ipsum, qui mihi suppetias
feres in ad tantum affectum profligandum, et amplissimo heroï tam bene animato,
et ac tantæ dignitatis viro restituendam valetudinem : jam quater sunt illi missus
sanguis, isq. admodum putris : videtur quidem febris paulùm imminui, sed symtomata
nondum mitescunt, quoniam validiorib. remedijs adhuc indiget, quorum ope futurum
spero, ut tandem multa manu Medica Phœbique potentibus herbis, tam insidioso graviq.
morbo liberetur : quod ut feliciter faciléq. citóque contingat faxit Deus : qui Te servet, Vir Cl.
cum D. Mathesio, amicissimo Bartholino, Gul. Wormio, ejúsq. fratre Olao W. Te quoq. rogo, ut
nomine meo salutem nunties viris nobilissimis tribus, ex vestro regno, quibus hîc feci
Medicinam : tres illi vocantur D.D. Trol, Rozecrantsusts, et D. Tot, qui uxorem duxit
ex familia viri maximi D. Tychonis Brahé. Vale, Vir Cl. et me amare perge.
Parisijs, die 20. Martij, 1666.
Tuus ex animo Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Simon I Paulli, le 20 mars 1666

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(Consulté le 12/12/2024)

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