L. latine 403.  >
À Johann Georg Volckamer,
le 9 juillet 1666

[Ms BIU Santé no 2007, fo 208 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johann Georg Volckamer, à Nuremberg.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Voici trois jours que j’ai reçu vos deux paquets, intacts et bien emballés. J’y ai assurément trouvé bien d’excellentes choses, et reconnais ne les devoir à rien d’autre [1] que votre gentillesse et votre affection envers moi. Il me semble pourtant qu’il y manquait deux choses, savoir votre lettre et une note qui me fasse connaître le montant des dépenses que vous avez faites, lesquelles j’aurai soin de vous faire rembourser par l’excellent M. Picques. [2] Tout ce que vous y avez mis est excellent, dis-je, mais surtout ces trois volumineux tomes in‑4o contenant un si grand nombre de disputations et d’opuscules académiques, [3] qui me réjouissent tant. Certe rem acu tetigisti[2][4][5] vous avez heureusement choisi et fort bien fait de me procurer à vos frais ces trois recueils de Collectanea varia[3] Je voudrais par conséquent vous demander de m’en racheter d’autres, de même aloi et farine, si vous en trouvez à vendre ; je souhaite que cela se puisse présenter dans une vente à l’encan de livres venant de quelque docteur de votre Université. [6] On murmure avec insistance que les Anglais ont perdu 28 navires dans leur dernier combat contre les Hollandais ; [7] sept ont été amenés en Hollande avec trois milliers de prisonniers, et même plus ; [Ms BIU Santé no 2007, fo 208 vo | LAT | IMG] les autres ont coulé, ac in profundum maris depressæ[4][8] non sans grand sacrifice des Anglais, et pour le plus grand malheur et détriment de tout le pays. Audax Japeti genus ! [5][9][10] On dit pourtant qu’ils vont de nouveau s’armer pour un autre combat ; je souhaite qu’il tourne à l’avantage de nos alliés et qu’il leur donne complète victoire. Je salue tous nos anciens amis, surtout MM. Richter, [11] Dilherr, [12] Fabricius, le docteur en médecine, [13] et le très distingué Rolfinck, [14] à qui je répondrai aussitôt que j’aurai reçu sa lettre. Vale, éminent Monsieur, vous qu’il faut honorer plus que tous les autres et profondément respecter à de nombreux titres. Vale, fleur des amis, et continuez de m’aimer comme vous faites.

De Paris, le 9e de juillet 1666.

Vôtre en toutes choses, G. Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Georg Volckamer, ms BIU Santé no 2007, fo 208 ro et vo.

1.

J’ai considéré nihilum comme un malheureux lapsus de Guy Patin dans …nihilum debere me fateor [je reconnais ne les devoir en rien à…], et l’ai remplacé par nihil aliud quam [à rien d’autre que].

Dans sa dernière lettre à Johann Georg Volckamer, le 17 décembre 1665, Patin lui avait demandé de lui acheter à Nuremberg tout ce qu’il trouverait à vendre de thèses et d’opuscules académiques.

2.

Rem acu attigisti [Tu as mis l’aiguille dessus] est un adage qu’Érasme a commenté (no 1393) :

Est apud Plautum in Rudente : Rem acu tetigisti, pro eo, quod est, rem ipsam divinasti, nihil aberrans. Metaphora sumpta videri potest a lusu quopiam, in quo divinator id, quod alius notasset, summa acu tangebat, aut lineam, aut calculum, aut aliud quiddam simile. Igitur acu tangere perinde est, quasi dicas, ipsissimum punctum attingere. Nam minutissima puncta denotantur acu.

[Se lit dans le Rudens de Plaute, {a} pour dire « tu as bien deviné la solution sans hésiter ». La métaphore peut sembler venir du jeu où le partenaire touche avec la pointe d’une aiguille le fil, le petit caillou ou quelque marque semblable, que le meneur avait caché. Acu tangere revient donc à dire toucher en plein dans le mille, {b} car l’aiguille permet de pointer les plus petites choses].


  1. Plaute, Rudens [Le Cordage], acte v, scène 2, v. notule {a}, note [7], lettre 659, pour le contexte de cette réplique.

  2. Avec mes excuses à Érasme pour la trivialité (et le probable anachronisme) de l’expression ; elle traduit familièrement, mais exactement, me semble-t-il, ce que voulait dire Guy Patin.

3.

« Mélanges variés », miscellanées en langue soutenue.

4.

« et se sont enfoncés dans les profondeurs de la mer » ; ce qui semble une inutile répétition pourrait être une allusion à un verset des Psaumes (64:8), dont il existe deux versions opposées :

  1. Qui conturbas profundum maris, sonum fluctuum eius [Toi qui troubles les profondeurs de la mer et le bruit de ses eaux] dans le psalterium Gallicanum [psautier chrétien] de la Vulgate (v. note [6], lettre 183), auquel se référait Patin, mais où profundum maris pourrait désigner, comme en poésie latine, l’ensemble de la mer plutôt que sa seule profondeur ;

  2. Conpescens sonitum maris fremitum fluctuum eius [Toi qui apaises le fracas de la mer et le grondement de ses eaux] dans le psalterium juxta Hebræos [psautier hébreu].

Les exégètes, catholiques comme protestants, ont généralement opté pour la seconde version (où Dieu apaise), dont le sens est moins ambigu (quoique plus répétitif) que celui de la première (où Dieu trouble).

5.

« Audacieux fils de Japet ! » Horace (Odes, livre i, iii, vers 25‑30) :

Audax omnia perpeti
gens humana ruit per vetitum nefas ;
audax Japeti genus
ignem fraude mala gentibus intulit ;
post ignem ætheria domo
.

[Hardie à tout braver, la race humaine se rue dans les méfaits interdits. L’audacieux fils de Japet, {a} par une méchante ruse, a enflammé les nations, après avoir ravi le feu dans la demeure éthérée]. {b}


  1. Prométhée, v. note [16], lettre 210.

  2. Les cieux.

V. note [1], lettre 871, pour la Four days Battle [bataille des Quatre Jours (11‑14 juin 1666)].

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 208 ro.

Clarissimo viro D. Io. Geor. Volcamero, Noribergam.

Nudiustertius accepi, Vir Cl. duos tuos fasciculos bene moratos et integros,
in quibus multa quidem eáq. optima deprehendi, pro quibus benignitati
et amori in me tuo nihilum debere me fateor : duo tamen in ijs mihi desuisse
videntur, tua nempe Epistola, cum Indiculo, per quem intelligam pretium
expensarum à Te factarum, quod Tibi statim refundi curem per D. Picques,
virum egregium : Optima inquam sunt omnia quæ in ijs inclusisti, imprimis v. tres
illi ampliores tomi in 4. tot Disputationum et libellorum Academicorum,
pro quibus valde gaudeo : certè rem acu tetigisti, et feliciter ac admodum
bene pro me egisti, quum illos tres Collectaneorum variorum libros ære tuo
mihi comparasti : ideóq. Te rogatum velim, ut et alios mihi redimas ejusdem
commatis et farinæ si qui Tibi alij vænales occurrant in posterum : quod utinam
contingat, in auctione librorum alicujus Academiæ vestratis. Hîc constanti rumore
fertur Anglis perijsse naves 28. in postremo certamine contra Batavos : ex quibus
septem abductæ sunt in Hollandiam cum tribus millibus captivorum, et suprà :

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 208 vo.

cæteræ demersæ sunt, ac in profundum maris depressæ, non sine magna
Anglorum jactura, summóq. totius gentis incommodo ac detrimento.
Audax Iapeti genus : dicuntur tamen ad novum certamen iterum sese accingere,
quod utinam bene vertat et feliciter succedat fœderatis nostris. Veteres
omnes Amicos nostros saluto, præsertim DD. Richterum, Dilherum,
Fabricium,
Med. Doctorem, et Cl. Rolfinkium, cui statim respondebo, quum
ejus epistolas accepero. Vale, vir eximie, supra omnes alios mihi colendissime,
et multis nominibus observandissime : vale flos amicorum, meq. quod
facis, amare perge. Parisijs, 9. Iulij, 1666. Tuus ad omnia, G. Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Georg Volckamer, le 9 juillet 1666

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(Consulté le 20/04/2024)

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