L. latine 408.  >
À Johann Georg Volckamer,
le 4 novembre 1666

[Ms BIU Santé no 2007, fo 209 vo | LAT | IMG]

Au même. [1]

Très distingué Monsieur, [a][1]

J’ai reçu votre dernière par l’entremise de deux jeunes hommes de Hambourg, qui me seront toujours parfaitement recommandés à cause de vous et de leurs propres personnes. Je suis sincèrement peiné que le très savant M. Michael Dilherr [2] souffre des yeux : [3] ce mal est fréquent chez les hommes d’étude ; les veilles et le vin nuisent à sa guérison ; vous vous souvenez de Martial, Vinum Phryx, oculus bibit venenum[2][4] Dieu fasse qu’il se rétablisse promptement. Je le salue avec nos autres amis, MM. Richter, [5] Fabricius, [6] Felwinger, [7] etc. Pour les honnêtes chrétiens, toutes les années sont climatériques : [8] ce dénombrement futile nous est venu de la fange de Platon, [9] beau conteur de balivernes, post somnia Pythagoræ[3][10][11][12][13] La saignée des veines basiliques est chez nous le plus grand remède de l’ophtalmie, [14][15] pratiquée aux deux bras, surtout celui du côté atteint, très souvent répétée, avec la fomentation d’eau tiédie tirée de la Seine. [16][17] Après avoir contenu l’afflux bilieux [18] vers l’œil et calmé la douleur, nous purgeons doucement [19] avec casse [20] et feuilles de séné [21] en décoction convenablement préparée ; mais il ne faut surtout pas se hâter, car autrement la purgation est périlleuse. La phlébotomie est bien plus sûre, elle n’est pas moins nécessaire dans cette affection qu’elle n’est dans la fièvre continue [22] ou dans l’angine, [23] et autres inflammations internes. [4][24] Je recommande à votre protection les lettres ci-incluses. [5] Vale.

De Paris, le 4e de novembre 1666.

Votre G.P.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Georg Volckamer, ms BIU Santé no 2007, fo 209 vo.

1.

« Au même » destinataire que la précédente lettre du ms BIU Santé no 2007, Johann Georg Volckamer.

2.

« Phryx but le vin, et son œil but le poison », cinquième et dernier vers de l’épigramme lxxviii, livre vi de Martial, À Aulus sur Phryx le borgne :

Potor nobilis, Aule, lumine uno
luscus Phryx erat alteroque lippus.
Huic Heras medicus “ bibas caveto :
vinum si biberis, nihil videbis. ”
Ridens Phrys oculo “ valebis ” inquit.
Misceri sibi protinus deunces,
sed crebros iubet, exitum requiris ?
Vinum Phryx, oculus bibit venenum
.

[Cher Aulus, Phryx, {a} fameux biberon, {b} était borgne d’un œil et chassieux {c} de l’autre, Heras, son médecin, lui dit : « Garde-toi de boire, ou le vin te fera perdre entièrement la vue ». Phryx éclata de rire, dit « Adieu » à son œil et se fit aussitôt verser force rasades. Veux-tu connaître la fin ? Phryx but le vin, et son œil but le poison].


  1. Le Phrygien.

  2. Ivrogne.

  3. V. note [12], lettre 206.

3.

« inspiré par les rêveries de Pythagore », possible reminiscence d’Horace (Épîtres, livre ii, lettre 1, vers 50‑53) :

Ennius, et sapiens et fortis et alter Homerus,
ut critici dicunt, leviter curare videtur
quo promissa cadant et somnia Pythagorea
.

[Le sage, le vaillant Ennius, {a} cet autre Homère, comme disent les critiques, ne paraît guère se soucier de ce qu’il adviendra des promesses et des rêveries pythagoriciennes]. {b}


  1. V. note [7], lettre 33.

  2. V. note [27], lettre 405.

Les interprètes de Platon (platoniciens et néoplatoniciens, v. notes [52], lettre 97, et [46] du Borboniana 7 manuscrit) ont beaucoup spéculé sur la signification cachée, voire magique, des chiffres et des nombres. Quantité de textes y faisaient allusion au xviie s., en termes souvent obscurs (hermétiques). Une lettre de Marin Mersenne {a} à Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, {b} datée du 4 décembre 1634, {c} en procure un distrayant exemple, à propos d’un vieux manuscrit « qui discourt à la platonicienne » :

« […] il met pour fondement l’opinion de Platon et la sienne, à savoir que les noms ne sont pas imposés fortuitement, mais suivant les lois de la providence divine. Et puis il prend la valeur des lettres du nom suivant la valeur numérique des Hébraïques, qu’il appelle nombre littéral ; e, il les assemble et étant ajoutés, il appelle le produit nombre confus, dont il tire le nombre formel par la division du cube de 3, et le nombre matériel, par la division du 1er cube 8. Il compose le nombre essentiel de ces deux ajoutés ensemble ; lequel divisé par 12 donne le nombre sympathique. Et puis il dispose des nombres sur un triangle comme Platon dans le Timée, {d} en mettant le nombre essentiel au bout du triangle ; et met les nombres masculins en sesquialse et sesquitième proportion à côté droit, {e} et les féminins à gauche, d’où il tire après le nombre nuptial, climatérique et épiclimatérique, et le fatidique, de sorte qu’il met tous ces nombres, littéral, confus, formel, matériel, essentiel, sympathique, fatidique, nuptial, climatérique, épiclimatérique. Et tient que l’arithmétique vint saluer Dieu au commencement du monde avec les 11 premiers nombres pour adorer les 12 féminins procédant de la révolution du sacré nom de Dieu influant dans les 12 signes du zodiaque toutes les vertus ; et que les 12 dieux de l’Antiquité ne sont que les 12 nombres qui viennent adorer l’Unité comme le grand Jupiter. Je sais que votre solide jugement se moquera de tout cela, mais je n’ai pas voulu laisser perdre la mémoire de cette invention sans vous en faire part. »


  1. V. note [5], lettre latine 477.

  2. V. note [10], lettre 60

  3. Les correspondants de Peiresc. Le père Marin Mersenne. Lettres inédites écrites de Paris à Peiresc (1633-1637), publiées et anotées par Philippe Tamizey de Larroque… (Paris, Alphonse Picard, 1892, in‑8o), pages 107‑108.

  4. Dialogue où Platon a exposé la cosmogonie du philosophe pythagoricien Timée de Locres.

  5. Deux nombres, sont en proportion sesquialse (ou sesquialtère) quand le second égale le premier additionné de sa propre moitié (comme 6 et 9) et en proportion sesquitième (ou sesquitierce) quand il l’est de son propre tiers (comme 6 et 8).

Guy Patin refusait de croire que l’ophtalmie dont souffrait Johann Michael Dilherr pût être liée au fait qu’il traversait sa 63e année d’âge, réputée être la « grande climatérique », celle de tous les dangers pour la santé. Il préférait la mettre sur le compte de l’étude assidue et du vin.

4.

De ce discours thérapeutique sur les maladies inflammatoires en général et sur l’ophtalmie en particulier (v. note [10], lettre 271), ne nous reste aujourd’hui que la surprise des eaux tiédies de la Seine prescrites en fomentations (v. note [9], lettre 437) sur les yeux ; mais ce n’était pas la première fois que Guy Patin vantait leurs qualités sanitaires (v. note [27], lettre 242).

5.

Les deux lettres latines de même date, qui suivent, à Werner Rolfinck (409) et Johann Paul Felwinger (410).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 209 vo.

Eidem.

Ultimam tuam accepi, Vir Cl. per duos juvenes Hamburgenses, qui tuo suóq.
nomine mihi semper erunt commendatissimi. Quod eruditissimo viro D. Mich. Dilher
doleant oculi, ex animo doleo : morbus est studiosis hominibus familiaris, cujus curationi
adversantur vigiliæ et vinum : meministi Martialis : Vinum Phryx, oculus bibit
venenum :
utinam citò restituatur : eum saluto cum alijs Amicis, D.D. Richtero,
Fabricio, Felwingero, etc. Viris bonis et Christianis omnes anni sunt climatericæ :
frivola isthæc enumeratio ad nos derivata est ex fæcibus Platonis, qui fuit
speciosus nugator, post somnia Pythagoræ. Summum apud nos Ophtalmiæ
remedium est basilicarum venarum sectio, ex utroq. brachio, præsertim è directo,
sæpius repetita, cum tepidæ fotu ex aqua Sequanæ. Cohibito biliosi affluxu
ad oculum, et mitigato dolore, blandè purgamus ex cassia et folijs Senæ in
decocto conveniente : sed nihil est festinandum : aliàs enim est periculosa purgatio ; longè tutior
est venæ sectio, quæ in tali affectu non minùs requiritur quàm in febre assidua,
aut in angina, et alijs inflammationibus internis. Hîc inclusas fidei tuæ commendo.
Vale. Parisijs, 4. Nov. 1666.

Tuus G.P.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Georg Volckamer, le 4 novembre 1666

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(Consulté le 25/04/2024)

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