L. latine 410.  >
À Johann Paul Felwinger,
le 4 novembre 1666

[Ms BIU Santé no 2007, fo 210 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Felwinger, professeur de philosophie, à Altdorf.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Par l’intermédiaire de notre ami, l’excellent M. Volckamer, [2] j’ai reçu deux livres de votre part. Je vais remettre le premier, qui est relié et prêt à lire, à l’éminent Philippe Labbe, [3] prêtre de la Société de Jésus, puis vous ferai parvenir son jugement. Dans le second, savoir vos Dissertationes politicæ, je trouve quantité de très bonnes choses ; ce livre était certainement digne d’être dédié à quelque grand qui comprît la noblesse et le prix d’un si bel ouvrage, et même qui récompensât l’auteur bien méritant pour la valeur de son travail. Pour votre livre théologique adversus Photinianismum[4] vous avez sagement fait de ne pas le dédicacer à celui que vous aviez désigné, [5] car il a autre chose en tête et ne prête pas d’intérêt à ce sujet ; pour lui, Musæ sunt mulæ car elles sont stériles ; [1][6] à tel point qu’il laisse les savants souffrir atrocement du froid et de la faim. Gardez-vous de croire qu’il en soit autrement : beaucoup cherchent la renommée, sans pourtant vouloir dépenser un sou pour l’obtenir ; mais vous avez entendu dire le contraire, je sais et comprends fort bien ce que vous voudriez ; cependant, Credite me vobis folium recitare Sibyllæ[2][7][8] et il n’y a guère de faveur à attendre d’elle. Comme a dit notre Passerat, [9] pulchre pendebunt qui ab ea transenna turdi lumbricum petent[3][10] Je n’ai rien d’autre à dire là-dessus, à moins que ne s’en offre une autre occasion ; car, comme vous savez fort bien, quantité d’entre nous s’acharnent à une telle chasse, sans pourtant rien en rapporter, et je pense qu’ils n’en rapporteront jamais rien, tant sont grandes et la stupidité de notre siècle, et l’insouciance et l’indifférence des grands à l’égard des savants. Verum, dii meliora ! [4] Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, ce 4e de novembre 1666.

Vôtre de tout cœur, G.P.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Paul Felwinger, ms BIU Santé no 2007, fo 210 ro.

1.

« les Muses sont des mules » (Euricius Cordus, v. note [4], lettre latine 61).

V. note [1], lettre latine 365, pour la seconde série des « Dissertations politiques » de Johann Paul Felwinger (Altdorf, 1666), qu’il n’a dédiée à nul autre qu’au « bienveillant lecteur ». Dans sa lettre du 28 août 1665 Guy Patin avait déjà dissuadé Felwinger de chercher à en honorer Louis xiv.

Contrairement à ce qu’il écrivait ici, cette dédicace royale, à laquelle Felwinger avait renoncé, ne pouvait concerner les deux livres qu’il avait écrits « contre le photinianisme » (adversus Photinianum, par erreur dans le manuscrit, les photiniens étant les précurseurs des sociniens, v. note [13], lettre 127), car ils avaient paru à Altdorf avant 1665.

2.

« Croyez-moi, car c’est un oracle de la Sibylle que je vous récite » (Juvénal, v. note [5], lettre latine 207).

V. note [1], lettre latine 447, pour la suite que Johann Paul Felwinger a donnée à ce conseil de Guy Patin.

3.

« les grives qui cherchent à attraper le ver mis en appât dans ce filet seront joliment attrapées » : phrase de la Præfatiuncula in disputationem de Ridiculis, quæ est apud Ciceronem in lib. ij. de Oratore [Petite préface sur la discussion des Ridicules qui est dans Cicéron, au livre ii de l’Orateur] dans les Ioannis Passeratii Eloquentiæ Professoris et Interpretis Regij Orationes et Præfationes [Discours et préfaces de Jean Passerat (v. note [2], lettre 21), professeur et interprète royal d’éloquence] (Paris, David Douceur, 1606, in‑8o, page 149). Il s’agit d’un emprunt à Plaute (Bacchides, acte iv, scène 7, vers 22‑23) :

Nunc ab transenna hic turdus lumbricum petit
Pendebit hodie pulcre, ita intendi tenus
.

[Maintenant la grive veut attraper le ver qui se trouve dans le filet. Le piège est si bien tendu que mon oiseau y sera pris aujourd’hui].

4.

« Puissent vraiment les dieux nous ménager des jours meilleurs ! » (citation abrégée de Virgile, v. note [5], lettre 33).

L’amertume de Guy Patin à l’encontre du pouvoir royal s’explique sans doute par la saisie de livres clandestins détenus par lui et son fils Charles : elle avait eu lieu le 15 septembre 1666 et fut pour eux deux le premier acte d’un drame fatidique (v. le début des Déboires de Carolus).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 210 ro.

Cl. viro, D. Felwingero, Philosophiæ Professoris, Altorphium.

Antehac nomine tuo, Vir Cl. libros duos accepi, per Amicum nostrum, virum
eximium, D. Volcamerum. Unum compactum statim legendum tradam optimo
viro, Phil. Labbeo, Soc.Iesu Presbytero, cujus judicium posthac ad Te
mittam : alterum, nempe Dissertationes Politicas, in quibus optima multa
deprehendo : et certè dignus erat iste liber qui dicaretur alicui Magnati,
qui tanti Operis dignitatem et pretium intelligeret : imò et qui Authori bene merito
præmium pro rei dignitate rependeret. De libro tuo Theologico adversus
Photinianum
, sapienter egisti quod eum non dicaveris ei quem designaveras,
aliud enim habet in mente, nec attendit ad rei dignitatem : apud eum Musæ
sunt mulæ, nec quidquam pariunt, adeo ut viris eruditis liceat fortiter
algere ac esurire : cave credas aliter se rem habere : multi quærunt famam,
quam tamen nollent obolo emere. Sed aliquid audivisti contrarium : scio quid velis, et
apprime intelligo : interea v. Credite me vobis folium recitare Sibyllæ : ab illa parate
nihil est cuiquam expectandum : et ut ait noster Passeratius, pulchrè pendebunt
qui ab ea transenna turdi lumbricum petent : nec aliud habeo quod dicam in hanc
rem, nisi alia sese offerat occasio : nam ut optimè scio, tali venationi ex nostris
quam multi student, qui tamen ex ea nihil referunt, nec ut puto, referent unquam ;
tanta est sæculi nostri socordia, incuria et negligentia Magnatum in eruditos. Verùm,
Dij meliora. Vale, Vir Cl. et me ama. Parisijs, die 4. Nov. 1666. Tuus ex animo G.P.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Paul Felwinger, le 4 novembre 1666

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1444

(Consulté le 19/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.