L. latine 441.  >
À Werner Rolfinck,
le 26 octobre 1667

[Ms BIU Santé no 2007, fo 219 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Werner Rolfinck, docteur en médecine, à Iéna.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Pour que nul ne me reproche le vice d’ingratitude et pour que vous n’ayez pas mauvaise opinion de moi, me voici qui vous écris pour vous faire savoir et reconnaître que je ne suis pas oublieux de la faveur que j’ai reçue de vous. Je ne puis assez exalter votre amour pour moi, votre gentillesse et votre générosité. Grâce à cette combinaison de vertus et à la volonté de Dieu, qui dispose de toutes choses avec force et douceur, notre grand ami, M. Johann Georg Volckamer, médecin de Nuremberg, [2] m’a fait parvenir deux exemplaires de votre Liber de Medicamentis purgantibus vegetalibus[3] qui vaut de l’or et que vous avez voulu me dédier, avec une très élégante épître, tout emplie de notre mutuelle affection. Sa lecture m’a tout à fait stupéfié, elle m’a laissé sans voix, les cheveux dressés sur la tête, bien conscient de mon insignifiance, mais tout émerveillé qu’un très savant et éminent docteur et professeur tel que vous honore d’une si haute et insigne faveur un homme qui en est indigne et ne la mérite en aucune façon. J’ai donc reçu votre épître avec résignation mais beaucoup de reconnaissance, vous remerciant tout particulièrement de votre livre et espérant pouvoir vous rendre un jour la pareille. [1] Votre ouvrage est le fruit d’un immense travail et d’une vaste érudition ; ce qui me fait penser qu’il procurera beaucoup de profit et d’avantage à nos philiatres qui, favorablement disposés et bien préparés, viendront à le lire. Dieu fasse qu’ils en rapportent une abondante récolte, qui servira la gloire de Dieu et le salut des malades. Dès que j’en aurai le loisir, je le lirai entièrement pour y apprendre tout ce que je ne connais pas encore. Cependant, permettez-moi, je vous prie, très distingué Monsieur, de vous dire que ce que vous écrivez, un peu avant le milieu de la page 123, sur l’emploi de la casse chez les malades lithiasiques est profondément vrai. [2][4][5][6] L’habile et prudent cystotomiste dont vous parlez s’appelait Laurent Colot : [7] c’est lui dont Louis Duret a évoqué le souvenir dans ses Commentaria in Coacas Hippocratis ; [8][9] deux représentants de cette famille Colot vivent encore aujourd’hui et pratiquent la taille de vessie. [10][11] Je vous avise de cela afin qu’en lisant, nul ne soit induit en erreur, comprenant que vous sous-entendez qu’il s’agissait d’Andreas Laurentius, [12] auteur d’une très élégante Histoire anatomique, qui mourut ici en l’an 1609. [3] Je salue de tout cœur votre collègue, le très distingué M. Schenck ; [13] voici un an qu’il m’a destiné des disputations [14] et les a envoyées à Francfort chez M. Sebastian Scheffer, [15] mais je n’ai encore rien reçu ; je les attends de jour à autre, avec le souhait de ne pas les espérer de lui en vain. [4] Cependant, que Dieu vous conserve encore de nombreuses années, vous et le très distingué M. Schenck. Vale, très illustre Monsieur, car vous le méritez, et continuez de m’aimer en retour comme vous avez fait jusqu’ici avec bienveillance, bien que je ne le mérite absolument pas, moi qui vous aime tant.

De Paris, le 26e d’octobre 1667.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Werner Rolfinck, ms BIU Santé no 2007, fo 219 ro.

1.

V. note [2], lettre latine 439, pour le livre « des Médicaments purgatifs d’origine végétale » de Werner Rolfinck (Iéna, 1667) et pour son épître dédicatoire, et vraiment adulatoire, à Guy Patin.

2.

Page 123, section iii, article ii, De Cassia solutiva fistulari [La Casse fistulaire (ainsi nommée à cause de ses gousses effilées) laxative], chapitre vi, Notatu digna adferuntur, de usu cassiæ in lithotomia [Remarques dignes d’être connues sur l’emploi de la casse dans la lithotomie (cystotomie)] :

Nocere iis, quibus calculus vesicæ sectus, truditur.
    “ Mirum illud est, et non negligendum, scribit Ballonius 2. epid. et ephemeridum p. 190. quod celebres lithotomi Parisienses se observasse dicunt, nocentissimum esse medicamentum cassiam iis, quibus sectione detractus est lapis. Propterea Laurentius senior, lithotomiæ prudens et peritus, contendebat, primum a medicis λιθοτομηθεντι medicinam facturis, ut ne cassiam præscriberent. Observasse enim se asserebat, multorum periculo id medicamenti devoratum esse, et omnia in deterius versa fuisse. An quia cassia est aliquantum diuretica, et propterea ex eventu vesicam jam afflictam molestat ? An quia κακοσομαχος et ναυτιωδης ? Virositatem enim quandam habet et tormina excitat. Unde fieri non potest, quin perturbet, et turbas excitet in corpore, unde vesica, vim patitur. ”

Επικρισις.
    Si quæ ratio est, illa erit διουρησις, quam excitare posset. Eam, cum vulneris exsiccationi obicem ponere possit, serio cavent lithotomi, adeo ut ab omni potu abstinere jubeant ægros.

[La casse nuit à ceux dont le calcul de vessie a été extrait par l’opération de la taille. {a}
    « Il faut admirer et ne pas omettre, écrit Baillou au 2e livre des Epidemiorum et Ephemeridum, page 190, {b} ce que les célèbres lithotomistes parisiens disent avoir observé, à savoir que la casse est un médicament extrêmement nocif chez ceux à qui on a retiré une pierre en taillant la vessie. Laurentius l’ancien, {c} prudent et habile en cette opération, demandait donc avec insistance, notamment aux médecins qui la font pratiquer, de ne pas prescrire de casse. Il assurait en effet avoir observé que beaucoup de patients se sont mis en danger en avalant ce médicament, et que tous ont eu à en pâtir. Est-ce parce que la casse est quelque peu diurétique, ce qui peut faire qu’elle irrite une vessie déjà fort affaiblie ? Est-ce parce qu’elle sent mauvais et provoque des nausées ? De fait, elle a une odeur fétide et déclenche des coliques ; ce qu’elle ne peut faire sans remuer et perturber le corps, ni sans que la vessie s’en ressente. »

Recommandation. {a}
    La raison me semble être que la casse est diurétique : elle peut ainsi compromettre l’assèchement de la plaie, ce que les lithotomistes craignent à tel point qu’ils ordonnent aux opérés de s’abstenir de toute boisson].


  1. Sous-titre imprimé dans la marge.

  2. Epidemiorum et ephemeridum libri duo [Deux livres des Épidémies et des Éphémérides] de Guillaume Baillou (Paris, 1640, v. note [3], lettre 48), Constitutio hyemalis Anni Domini 1576 [Constitution de l’hiver 1576], page 190 ; les guillemets délimitent le passage de Baillou que Rolfinck a transcrit mot à mot.

  3. Laurent Colot père, et non André i Du Laurens (v. infra note [3]).

3.

V. note [3], lettre 354, pour la mention des deux Laurent Colot (le père et le fils) par Louis Duret dans ses Commentaires sur les Coaques d’Hippocrate (v. note [10], lettre 11).

Guy Patin faisait remarquer, à juste titre (car je suis tombé dans le piège), mais avec délicatesse, qu’en citant Guillaume Baillou parlant de Laurentius senior, Werner Rolfinck pouvait laisser croire au lecteur qu’au lieu de Laurent Colot le père, il s’agissait d’André i Du Laurens (Laurentius en latin, mais qui ne porta jamais l’épithète de senior car, contrairement à Colot, il n’eut pas de descendant médecin qu’on ait appelé junior). V. note [3], lettre 13, pour l’Histoire anatomique de Du Laurens, que Patin avait traduite en latin (Laurentii Opera omnia, Paris, 1628).

Laurentius senior a subsisté, sans modification ni remarque explicative, dans la réédition du livre de Purgantibus vegetalibus parue en 1684.

4.

V. note [1], lettre latine 443, pour ces autres thèses médicales d’Iéna, envoyées par Johann Theodor Schenck : expédiées par Sebastian Scheffer et autres que les 25 dont Guy Patin avait accusé réception au début de la lettre qu’il avait écrite le même jour à Johann Georg Volckamer, elles étaient enfermées dans un tonnelet distinct de celui que le syndicat des imprimeurs parisiens retenait à la douane (v. note [3], lettre latine 432).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 219 ro.

Cl. viro D. Guerner Rolfincio, Med. Doctori, Ienam.

Ne ingrati animi vitium quispiam mihi objiciat, neq. Tu, Vir Cl.
de me malè sentias, ecce scribo, ut me accepti beneficij memorem scias et
agnoscas. Non possum satis laudare tuum in me amorem, humanitatem
et liberalitatem tuam, ex quarum virtutum combinatione, Deo sic
volente, qui omnia suaviter et fortiter disponit, aurei tui libri de purgantibus medicamentis
vegetabilibus,
Exemplaria duo accepi, per singularem Amicum nostrum
D. Io. Georgium Volcamerum, Med. Noriberg. Et hunc librum Nomini meo
inscribere voluisti, elegantissimâ et mutui amoris plenissimâ Epistolâ : quâ
perlectâ certè obstupui, vox faucibus hæsit, steteruntque comæ : probè
conscius meæ tenuitatis, et admiratione plenus, cur in hominem tam indignum
et prorsus immerentem, tantum ac tale beneficium ab eruditissimo Doctore
et egregio Professore tam magnificè conferetur. Accepi igitur æquo
gratóq. animo, et pro Libro tuo gratias ago Tibi singulares : quas etiam utinam
possim aliquando referre : tuus iste lLiber immensi est laboris, atque multi-
jugæ eruditionis, quo nomine puto illum multi fructus et emolumenti futurum
Philiatris nostris, qui bene animati nec imparati ad ejus lectionem accedent.
Faxit Deus ut ex eo fructum plurimum reportent, quod cedat in Dei gloriam et ægrorum
salutem. Quamprimùm licebit mihi per otium, totum Opus tuum perlegam, ut ex
eo discam quæ nondum audivi : interea v. patiere quæso, Vir Cl. ut Te moneam dicam pag.
123. ante medium,
quod scribis de usu cassiæ in calculosis, esse verissimum : peritus ille ac
prudens cystotomus vocabatur Laurentius Collotius : ipse est cujus meminit Lud. Du-
retus, comm. in Coacas Hipp. et de cujus familia adhuc hodie vivunt duo Collotij, ambo
Cystotomi. De hoc a. Te moneo, ne quis ex lectoribus in legendo decipiatur, subintelligendo Andr.
Laurentium, elegantissimum Historiæ Anatomicæ scriptorem, qui hîc obijt ann. 1609.
Cl. virum D. Schenkium, Collegam tuum ex animo saluto, qui ante annum Disputationes
quasdam Acad. mihi destinavit, misitque Francofurtum ad D. Seb. Schefferum, sed nihil
adhuc accepi : expecto tamen in dies, et utinam frustra non sperem ex illa via. Interea v. Te
et Cl. Schenkium, servet Deus in multos annos. Vale, Vir Cl. qui valere dignus es,
méq. Tui amantissimum, quod hactenus benevolè fecisti, quamvis summo meo
immerito, redamare perge. Parisijs, 26. Oct. 1667.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Werner Rolfinck, le 26 octobre 1667

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1473

(Consulté le 24/04/2024)

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