L. latine 449.  >
À Sebastian Scheffer,
le 24 février 1668

[Ms BIU Santé no 2007, fo 222 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Sebastian Scheffer, docteur en médecine, à Francfort.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je viens de recevoir votre lettre, qui m’a été rendue par un inconnu auquel j’ai payé 20 sols pour le port ; je n’ai pu savoir qui il était, voyez de votre côté par quelle voie vous l’avez envoyée ou à qui vous l’avez confiée pour qu’elle me soit remise ; je ne me soucie pas du prix. Votre M. Öchs est à Paris ; [2] j’ai donné une lettre de M. Mocquillon [3] à son épouse. Si vous songez à une nouvelle édition de votre Introductio, et si je puis vous y être utile en quelque façon, faites-moi savoir et entendre ce que vous voulez, ou ce que je puis accomplir pour l’embellir ou l’enrichir ; je me souviens vous avoir jadis envoyé des remarques à son sujet. [1] Je suis peiné par l’infortune de votre graveur d’Heidelberg et souhaite pouvoir le secourir. Quant à ce tonnelet contenant les exemplaires du Zacchias[4] etc., je vous demande que votre M. Schönwetter [5] prévienne ce Zetzner, libraire de Strasbourg, [6] de ne toujours pas m’expédier de livres, s’il en a encore pour moi en sa possession. [2] Je ne comprends pas ce que vous voulez au sujet du Pétrone de M. Lotich ; [7][8] pour ma part, je souhaite qu’un si remarquable ouvrage revoie rapidement le jour, et le désire depuis fort longtemps, à l’instar de tous les savants, car philologues et médecins le convoitent. Si mes manuscrits hofmanniens [9] in Methodum Galeni et in libros de Sanitate tuenda [10] intéressent votre compatriote M. Götze, [11] et s’il a en tête de vouloir les imprimer, je vous les enverrai facilement et très volontiers, en mémoire de leur très distingué auteur, qui fut jadis fort mon ami ; tout comme l’Instititutionum suarum Epitome[12] qu’il avait dédié voilà 18 ans à mon fils aîné, Robert Patin, docteur en médecine de Paris, qui a aujourd’hui la survivance de ma chaire royale. [3][13][14] Je n’ai encore rien d’assuré à vous écrire sur nos affaires publiques : la plupart des gens espèrent une paix entre les Espagnols et les Portugais avant un mois ; [15] mais je ne la croirais pas aussi facile entre eux et nous, [16] à moins qu’ils ne donnent satisfaction à notre roi, [17] très heureux et très puissant guerrier qui, dans son parfait bon droit et de manière tout à fait méritée, réclame l’arme à la main le bien qui est dû à notre reine ; [18] il le récupérera victorieusement au printemps prochain, s’il lui est plus longtemps refusé. [19] Dieu veuille pourtant qu’ils s’accordent enfin et que tous, autant que nous sommes, nous jouissions d’une paix complète et profonde, qui ne recèle aucun piège. Je la souhaite de tout cœur pour votre Allemagne comme pour nous-mêmes, et même pour les Espagnols. On dit certes que les Anglais et les Hollandais tentent une négociation de paix auprès de notre roi, [20] mais qui donc oserait se promettre un si grand bienfait pour fruit de telles supplications ? J’en doute assurément car notre roi est tout-puissant sur terre et sur mer, et le plus fort, et dans un tel état de ses affaires qu’il ne peut sûrement rien espérer ni craindre de ses voisins. Notre France est tout à fait semblable à la Vertu chez Claudien, fermement divitiis animosa suis ; [4][21][22] car notre roi a tout le nécessaire entre les mains : de l’argent, de très solides généraux et des soldats en nombre infini, avec immense abondance de canons ; et même, si le roi d’Espagne n’agit pas plus vigoureusement contre nous, s’il ne s’y prend pas autrement pour protéger ses Flamands, la plus grande partie des Pays-Bas espagnols sera en notre possession avant la fin de l’été et leurs villes, bien que solidement fortifiées, tomberont en notre pouvoir. [Ms BIU Santé no 2007, fo 222 vo | LAT | IMG] Nous n’avons pas à craindre que les princes allemands s’y opposent car presque tous nous sont favorables, soit comme nos amis, soit du moins comme nos alliés par quelque traité ; ou alors ils se tiennent à l’écart de nos intérêts. Je préfère pourtant espérer une paix, en souhaitant qu’elle advienne pour le bien et le plus grand profit de l’Europe tout entière. Ces deux opuscules que vous m’avez indiqués, de Absinthio[23][24] et l’Ελαφογραφια, peuvent être utiles ; [5][25][26] si quelqu’un me les apporte de votre ville, j’en rembourserai le prix sans rechigner. Des comètes, je vous dirai librement qu’elles ne me terrifient pas du tout : A signis cæli nolite metuere ; [6][27][28] tous les ans, l’espèce humaine est punie de calamités publiques, famine, guerre, peste, [29] mort de grands et excellents personnages, et pourtant il n’apparaît pas de comète tous les ans, etc.

On attend ici notre roi dans deux jours, revenant de la région des Séquanes, [30] qu’il a entièrement conquise, soumise et occupée en peu de semaines. [7] Dieu le protège jusqu’à ce qu’il ait pris Byzance [31] et repoussé le Turc [32] dans ce très funeste pays des Scythes, [33] d’où un tyran si impie et barbare in Europam nostram malum pedem attulit[8][34] Vale, très éminent Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, ce jeudi 24e de février 1668.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Sebastian Scheffer, ms BIU Santé no 2007, fo 222 ro et vo.

1.

V. note [26], lettre 484, pour l’Introductio in universam Artem medicam [Introduction à l’Art médical complet] de Sebastian Scheffer (Helmstedt, 1654, jamais rééditée). Dans sa lettre du 12 février 1660 (v. sa note [3]), Guy Patin avait annoncé à Scheffer des remarques sur son livre, en vue d’une nouvelle édition, mais ses brouillons n’en ont pas conservé la trace (v. note [4], lettre latine 238).

2.

Johann Eberhard Zetzner (mort en 1705) avait succédé à son père Eberhard (1586-1657) et à son grand-père Lazare (1551-1616). Établi à Strasbourg en 1582, ce fondateur avait en particulier donné des éditions des œuvres de Raymond Lulle et de Paracelse. Le fils de Johann Eberhard (1677-1735) prit sa succession, sous le même prénom que son père.

V. notes :

3.

V. notes :

4.

« fière de ses propres richesses » (Claudien vantant les avantages de la Vertu sur la Fortune, v. note [10], lettre 138).

V. notes :

5.

Les auteurs de ces deux livres avaient pour point commun d’être allemands et membres de l’Académie des Curieux de la Nature (v. note [1] de la biographie de Philip Jakob Sachs von Lewenhaimb).

6.

« Ne soyez pas terrifiés par les signes du ciel » (Jérémie, v. note [2], lettre 302).

En mars 1668, une comète fut observée en Europe méridionale (Bologne, Lisbonne). La dernière qu’on eût alors vue en Allemagne datait de septembre-octobre 1665.

7.

Après la prise de Dole (au pays des Séquanes [Sequani] ancien peuple de Bourgogne et de Franche-Comté) par Condé (14 février 1668, v. note [2], lettre 929), Louis xiv, était brièvement passé à Paris, puis avait regagné Saint-Germain le 24 février (Levantal).

8.

« a malencontreusement mis le pied en notre Europe » (imitation de Catulle, v. note [104], lettre 166). V. note [3], lettre 929, pour la prise de Constantinople (Byzance) par les Turcs en 1453.

Depuis la paix de Vasvár (11 août 1664, v. note [3], lettre 791), une trêve vigilante régnait entre les Européens et les Ottomans, qui continuaient d’occuper la Transylvanie. Sous la bannière papale, la France allait s’engager de nouveau contre les Turcs lors de l’expédition ratée de Candie (Héraklion) en juin 1669 (v. note [2], lettre 958).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 222 ro.

Cl. Viro D. Seb. Scheffero, Med. Doctori, Francof.

Ecce postremam tuam accipio, Vir Cl. ab homine ignoto mihi redditam, cui pro
vecturæ pretio persolvi 20. asses : nec tamen rescire potui quis ille esset : tu vide per
quam viam miseris, aut cuinam mihi redendam tradideris : de pretio non curo. Vester
D. Ochs est in hac Urbe ; epistolam D. Moquillon misi ad uxorem. Si cogites de nova edi-
tione tuæ Introductionis, Tibique possim aliquo modo prodesse, fac
ut resciam, et intelligam quid volis, aut quid ad eam ornandam aut illustran-
dam possim præstare : Memini me in eam rem olim aliquid ad Te misisse. Infelicem
vicem doleo vestri Chalcographi Heidelbergensis ; et utinam possem ei succurrere.
De modiolo illo pro Exemplaribus Zacchiæ etc. rogo Te ut moneatur à vestro D.
Schonwettero, Bibliopola ille Argentinensis Zetznerus, ut nondum quidquam
mittat ad nos istorum librorum, si adhuc apud se habeat. De Petronio D. Lotichij
quid velis, non intelligo : utinam citò prodeat in lucem tantum Opus, et tamdiu à me
desideratum, imò et ab omnibus eruditis, Philologis et Medicis concupitum. Si vestro
D. Gotzio placeant Manuscripta mea Hofmanniana, in Methodum Galeni, et in libros
de Sanitate tuenda,
eóq. sit animo, ut ea velit prælo subijcere, in ejus gratiam, et
propter Te facilè mittam, et libentissimè propter Cl. Authorem ipsum, mihi olim
amicissimum : ut et Institut. ejus Epitomem ab Authore ipso dicatum filio meo
majori natu, Roberto Patin, ab annis 18. Doctore Med. Paris. est hodie mihi
succenturiato in regia Professione. De rebus nostris publicis nihil adhuc habeo
certi quod ad Te scribam ; inter Hispanos et Lusitanos plerique sperant
pacem ante mensem unum : sed inter nos et illos non æquè facilè crediderim,
nisi satisfaciant Regi nostro, felicissimo et potentissimo bellatori, qui summo
suo jure ac meritissimo, rem sibi, Reginæque nostræ debitam, armata manu
reposcit, quam tandem victrice dextra recuperabit vere proximo, si diutius ei
denegetur : utinam tamen inter se tandem conveniant, et omnes quotquot sumus, integra et
profunda pace fruamur, quæ nihil habeat insidiarum : et hoc vestræ Germaniæ
ut et nobis ipsis, imò et Hispanis ipsis, exopto ex animo. Dicitur quidem negotium
pacis ab Anglis et Batavis apud Regem nostrum tentari : sed quis tantum bonum
ausit sibi polliceri à talibus deprecationibus ? certè dubito : est enim Rex noster mari
terræq. potentissimus, atque fortissimus, et in eo rerum suarum statu, ut
ab ejusmodi vicinis suis tutò possit hihil sperare neque metuere : ^ Gallia nostra/ virtuti apud Clau-/dianum est simil-/lima, nimirum divi-/tijs animosa suis ;/ Rex noster omnia enim habet omnia enim habet
in sua manu ad sufficientiam, pecuniam nimirum, Duces fortissimos, et
milites infinitos, cum tomentis bellicis in maxima copia : imò nisi fortiùs
agat adversus nos Rex Hisp. nisi aliter agat pro Belgis suis tutandis,
ante finem æstatis, ipsius Belgij Hispanici pars major nostra fiet, et
ipsæ urbes quamvis munitissimæ, ultro transibunt in partes nostras :

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 222 vo.

nequidquam vel frustra reluctantibus Germanis Principibus, qui penè
omnes tanquam amici, nobis favent, aut stant à partibus nostris, aut saltem
aliquo modo fœderati, vel nullo modo sunt metuendi : malo tamen pacem
sperare, quæ utinam contingat bonis rebus et summo commodo totius Europæ.
Libelli isti duo à Te indicati, de Absinthio, et ελαφογραφια, utiles
esse possunt : si aliquis ex Urbe vestra huc veniat, mihique deferat, eorum
pretium libentissimè refundam. Quod spectat ad Cometas, dicam liberè,
nihil me terrent : à signis cæli nolite metuere : quotannis humanum genus
plectitur calamitatibus publicis, fame, bello, pestilentia, magnorum
et bonorum virorum obitu, et tamen quotannis nulli apparent Cometæ, etc.

Rex noster intra biduum hîc expectatur, à Sequanorum re-
gione redux, quam intra paucas hebdomadas totam subdidit, subegit
et occupavit. Servet eum Deus usque ad captum Byzantium, et
repulsum Turcam, in pessimam illam Scytharum gentem unde tam
impius et barbarus Tyrannus in Europam nostram malum pedem
attulit. Vale, vir præstantissime, et me ama. Parisijs, die Iovis,
24. Febr. 1668.

Tuus ex animo, Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Sebastian Scheffer, le 24 février 1668

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1481

(Consulté le 26/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.