[Ms BIU Santé no 2007, fo 224 ro | LAT | IMG]
Au très distingué M. Johann Daniel Horst, docteur en médecine, à Francfort.
Très distingué Monsieur, [a][1]
J’ai été très heureux que l’excellent M. Sebastian Switzer, [2] notre commun ami, m’ait assuré de votre bonne santé. Beaucoup de gens craignent ici pour eux la maladie pestilente et contagieuse, car certaines villes ont été contaminées en Flandre espagnole et même en France, à Amiens et Rouen ; [3] Dieu fasse qu’elle ne pénètre pas jusqu’à Paris. Pour la guerre, tout est ici silencieux. [4] Notre reine a heureusement mis au monde un second fils, [5][6] que le roi a décidé d’appeler Monsieur le duc d’Anjou ; [1][7] de sorte que voilà notre famille royale forte d’une double descendance masculine ; Dieu fasse qu’elle vive longtemps pour le bien partagé de toute l’Europe. On dit que les généraux turcs s’apprêtent à assiéger Candie avec une armée plus nombreuse et puissante qu’auparavant ; [8] s’ils réalisent leur dessein et prennent la ville, malheur aux vaincus et à leurs voisins, surtout l’Italie, qui cessera d’être arrogante si elle tombe un jour sous le joug du tyran byzantin ; [9] ce qui ne pourra jamais arriver sans l’ignominie et la honte des princes chrétiens, qui agissent si négligemment et si lâchement à l’encontre de ce Turc, ennemi de l’honneur chrétien. [2] Nous jouissons ici d’une paix récente, mais elle sera meilleure encore si elle dure de nombreuses années. À la vérité, parmi tant de malhonnêteté et d’injustice, nul honnête homme ne peut se promettre un avenir heureux et radieux sur la garantie des souverains qui gouvernent aujourd’hui l’Europe, en usant et abusant de leur propre pouvoir, avec leurs nebulones sericati (comme les a appelés Buchanan dans son livre de Jure regni apud Scotos). [10] Dii meliora ! Futuri temporis exitum caliginosa nocte premit Deus. [3][11][12] Je vous envoie deux exemplaires du nouvel ouvrage du très distingué Caspar Hofmann : [4][13][14] le premier est pour vous et vous remettrez le second à notre ami Sebastian Scheffer, votre collègue. [15] Je salue votre fils [16] et l’exhorte, sous votre égide, à progresser studieusement en toutes choses, surtout celles qui concernent les opérations de l’art médical qu’il a embrassé sous d’excellents auspices, plaçant ses pas sur les traces de ses ancêtres. Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.
De Paris, le 25e d’août 1668.
Vôtre de tout cœur, G.P.
Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Daniel Horst, ms BIU Santé no 2007, fo 224 ro.
L’italique est en français dans le manuscrit.
V. note [4], lettre 932, pour Philippe-Charles, duc d’Anjou, cinquième enfant du couple royal (5 août 1668-10 juillet 1671).
Tenue par les Vénitiens, Candie (aujourd’hui Héraklion), capitale de la Crète, était convoitée par les Turcs depuis 1648 (v. note [15], lettre 45). Leurs assauts avaient repris depuis mai 1668 et la ville tomba entre leurs mains le 27 septembre 1669 (v. note [2], lettre 958).
« Puissent les dieux nous réserver des jours meilleurs ! Dieu a enveloppé dans une épaisse obscurité ce que nous réserve l’avenir » ; double référence, à Virgile (v. note [5], lettre 33), puis à Horace (Odes, livre iii, xxix, vers 29‑30) :
Prudens futuri temporis exitum
[Dieu, en sa sagesse, a enveloppé dans une épaisse obscurité ce que nous réserve l’avenir].
caliginosa nocte premit deus.
V. note [2], lettre latine 453, pour les nebulones sericati [fripons vêtus de soie] (qui désignaient amèrement les courtisans) dans le Dialogus de George Buchanan « sur les pouvoirs de la Couronne chez les Écossais ».
V. note [1], lettre 929, pour les Apologiæ pro Galeno libri tres… [Trois livres d’Apologie pour Galien…] de Caspar Hofmann (Lyon, 1668) qui contenaient ses Chrestomathies, jusque-là inédites et dont Guy Patin, détenteur et éditeur des manuscrits, attendait la publication depuis vingt ans.
Ms BIU Santé no 2007, fo 224 ro.
Cl. viro D. Io. Dan. Horstio, Med. Doctori, Francofurtum.
Iucundissimum mihi fuit, Vir Cl. de tua valetudine certum fieri per virum
optimum et amicum nostrum communem D. Sebast. Switzerum. Hîc sibi metuunt quam-
multi à lue pestilenti et contagiosa, propter quasdam urbes infectas in Belgio Hispanico, ut et
etiam in Gallia ; Rhemos, Ambianum, Rothomagum intelligo : quæ utinam ad nos non pene-
tret. De bello silent hîc omnia : Regina nostra feliciter peperit filium secundum, qui Regis jussu
vocatur Dux Adegavensis, Monsieur le Duc d’Anjou : adeo ut duplici prole mascula firmatam
habeamus regiam familiam, quæ utinam perennet communi totius Europæ bono. Majori et poten-
tiori quàm antehac apparatu Candianam obsidionem dicitur urgere duces Turcici : quod si inten-
tum obtineant, Urbémq. capiant, væ victis eorúmq. vicinis præsertim Italia, quæ tan-
dem superba esse desinet, si in Tyranni Byzantini ditionem semel perveniat : quod numquam
continget absque ignominia et opprobrio Principum Christianorum, qui tam negligenter
ac propudiosè agunt adversus istum Turcam, Christiani nominis hostem. Hîc fruimus pace recenti,
sed optima futura si in multos annos servetur : verùm, in tanta mortalium improbitate et iniqui[tate]
quis bonus sibi felix et faustum aliquid polliceri in posterum de ingenio Magnatum, qui ingen[io]
suo utentes et abutentes, cum suis nebulonibus sericatis, (sic eos vocavit Buchananus, libro de
jure regni apud Scotos,[)] hodie in Europa dominantur. Dij meliora : futuri temporis exitum caliginosa
nocte premit Deus. Mitto ad Te duo exemplaria novi Operis Viri Cl. Casp. Hofmanni, quorum unum tuum
erit, alterum trades Amico nostro Seb. Scheffero, Collegæ tuo. Filium tuum saluto, hortórq. ut in
tuo contubernio studiosè proficiat in omnibus, præsertim in ijs quæ spectant ad opera Artis medicæ, quam
majorum suorum vestigijs insistens, bonis avibus amplexus est. Vale, Vir Cl. et me ama. Parisijs, 25. Aug. 1668.
Tuus ex animo, G.P.