L. latine 460.  >
À Johann Peter Lotich,
le 28 octobre 1668

[Ms BIU Santé no 2007, fo 225 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Peter Lotich, docteur en médecine, à Francfort.

Très distingué Monsieur, [a][1]

J’ai reçu votre très agréable lettre et vous en remercie beaucoup, tout comme de votre affection pour mon fils Charles, [2] qui me l’a fait parvenir. Je souhaite que Dieu tout-puissant, vous conserve pendant de nombreuses années, avec notre brillant ami Steph. Scheffer. [1][3] Si j’ai dernièrement failli à vous écrire, je vous prie de mettre cela sur le compte de mes diverses occupations, dont la masse m’ensevelit : les malades à visiter, [4] ma chaire royale, [5] et d’autres empêchements ; et surtout aussi ma santé de génisse, que le froid de l’hiver, le plus mortel de mes ennemis, a particulièrement aggravée. [6] J’ai très souvent sollicité divers libraires, tant de Genève que de Lyon, au sujet de votre trésor pétronien, [7] mais sans aucun résultat. Je conviens sans peine de la paresse et de l’incapacité de ces gens, [8] tout comme de la difficulté des temps, laquelle pèse énormément sur les honnêtes gens, surtout en France. J’essaierai encore néanmoins d’obtenir quelque chose d’eux, de gré ou de force ; mais je n’attends aucune faveur de nos Parisiens, qui sont de misérables grippe-sous et de purs vauriens, uniquement attachés à gagner de l’argent, comme les plus méprisables des asini ad lyram[2][9] Dieu fasse que je puisse enfin m’attirer vos bonnes grâces pour quelque service beaucoup plus aimable, mais à cette condition que je puisse bientôt vous les payer entièrement d’un scyphus inauratus[3][10] quel qu’en soit le prix. Je pose la plume sur cette marque de déférence, faite sans peine ni regret. Dieu vous garde, très distingué Monsieur, et continuez de m’aimer comme vous faites.

De Paris, le 28e d’octobre 1668.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Peter Lotich, ms BIU Santé no 2007, fo 225 vo.

1.

Nouvelle méprise de Guy Patin sur le prénom de Sebastian Scheffer : Steph[anus] pour Sebastianus (v. note [12], lettre latine 167).

2.

« ânes devant la lyre » : adage antique courant et bien attesté (v. note [5], lettre 439), contrairement à la « santé de génisse », vitulæ valetudo, qui figure un peu plus haut dans la lettre, et que je n’ai vue nulle pat ailleurs.

V. note [83], lettre 150, pour l’édition du Satyricon de Pétrone par Johann Peter Lotich (Francfort, 1629). Guy Patin avait en effet sollicité plusieurs libraires pour aider l’auteur à en obtenir la réédition ; mais en vain, car la parution du Fragmentum [fragment inédit de l’œuvre] en 1664 (v. note [11], lettre 792) lui avait ôté tout intérêt littéraire et commercial.

V. note [1], lettre latine 436, pour l’animosité exacerbée de Patin contre les libraires parisiens et leur syndicat qui chicanaient alors rudement contre lui.

3.

Décidément en verve de métaphores latines (v. supra note [2]), Guy Patin parlait de « calice doré » (scyphus inauratus) pour évoquer un présent de grande valeur. Peut-être s’inspirait-il du lyrisme épistolaire de Juste Lipse, dans le post-scriptum de sa lettre cclxxxv datée de Louvain le 11 août 1602 (Sylloges epistolarum a viris illustribus scriptarum. Tomus i, quo Justi Lipsii, et ad eum virorum eruditorum epistolæ continentur. Collecti et digesti per Petrum Burmannum [Recueils des lettres écrites par des hommes illustres. Tome i, qui contient les lettres de Juste Lipse et celles que de savants hommes lui ont écrites. Réunies et éditées par Peter Burmann] (Leyde, Samuel Luchtmans, 1727, in‑4o, page 292) :

Sed heus ! obliviscor de liberalitate in me Ducis Arschotani ? heri torquem aureum ad me misit cum sua imagine, item Scyphum inauratum, grandem, affabre factum, ut rem dicam, vel rege dignum donum. Jam ad illum ibam gratias acturus.

[Mais holà ! allais-je oublier de vous dire la libéralité du duc d’Ærschot {a} à mon égard ? Hier il m’a envoyé un collier en or avec son portrait, ainsi qu’un grand calice doré habilement ciselé, soit, pour tout dire, un cadeau digne d’un roi. Je suis déjà allé l’en remercier].


  1. Charles iii de Croÿ (1560-1612).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 225 vo.

Cl. viro D. Petro Lotichio, Med. Doctori, Francofurtum.

Suavisimam tuam accepi, Vir Cl. pro qua gratias ago quam-maximas,
ut et de amore tuo in filium meum Carolum, per quem tuam accepi. Uti-
nam Te servet Deus Opt. Max. in multos annos cum illustri Amico nostro
Steph. Scheffero. Si quid antehac à me peccatum est in mittendis ad Te
literis, hoc quæso condonabis varietati negotiorum meorum, quorum mole
obruor, ægris invisendis, cathedræ meæ regiæ, et alijs impedimentis, præ-
sertim etiam vitulæ valetudini, quæ hyberno frigore, sceleratissimo
hoste meo præsertim adaugetur. De Petroniano tuo Thesauro sæpius ad varios
scripsi, tam Genevenses quàm Lugdunenses, nec quidquam profeci : ego ignaviam
et inertiam ejusmodi hominum facilè agnosco, ut et difficultatem temporum, quæ omnibus
bonis est gravissima, præsertim in Gallia : nihilominus tamen iterum tentabo,
ut aliquid ab illis vel obtineam vel extorqueam : sed nullam gratiam à Pari-
sinis nostris expecto, qui sunt miseri lucriones, et meri nebulones, soli lucro addic-
ti, et asini ad lyram turpissimi : Et utinam aliquo officio longè gratissimo
Te tandem possem demereri : ea etiam lege ut scyphum inauratum, mox Tibi
persolverem, cujuscumque fuerit pretij : et in hoc obsequio lubens et facilè
desino. Salvet Te Deus, Vir Cl. et me quod facis, amare perge. Parisijs, 28.
Oct. 1668.

Tuus ex animo, Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Peter Lotich, le 28 octobre 1668

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(Consulté le 24/04/2024)

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