« “ C’était le médecin le plus gaillard de son temps, ” a dit Ménage. “ Il était satirique depuis la tête jusqu’aux pieds, a dit un autre contemporain ; son chapeau, son collet, son manteau son pourpoint, ses chausses, ses bottines, tout cela faisait nargue à la mode, et le procès à la vanité. Il avait dans le visage l’air de Cicéron, et dans l’esprit le caractère de Rabelais. ” [2][5] Du Rabelais, [6] à la bonne heure ! quant au Cicéron, [7] j’ai quelque peine à en retrouver trace même dans son air ; laissons ces fausses ressemblances, et demandons plutôt à Guy Patin de se peindre à nous lui-même. Il l’a fait sans y viser, dans des Lettres pleines de naturel, de crudité, de passion, de grossièreté quelquefois, de bon sens bien souvent, d’humeur et de sel de toute sorte. »
« Tel il sera toute sa vie, à l’affût des nouvelles, des particularités et personnalités, en y appliquant sa nature d’esprit ; railleur, franc-parleur, franc-jugeur ; avide des on dit qui courent, les redisant non sans les colorer de son humeur et sans les redoubler de son accent ; un anecdotier, comme La Fontaine était un fablier. Voltaire le prenant sur l’ensemble de ses lettres, l’a jugé sévèrement et sans véritable justice : “ Il sert à faire voir, dit-il, combien les auteurs contemporains, qui écrivent précipitamment les nouvelles du jour, sont des guides infidèles pour l’histoire. Ces nouvelles se trouvent souvent fausses ou défigurées par la malignité ; d’ailleurs cette multitude de petits faits n’est guère précieuse qu’aux petits esprits. ” Petits esprits, je n’aime pas qu’on dise cela des autres, surtout quand ces autres composent toute une classe et un groupe naturel : c’est une manière trop abrégée et trop commode d’indiquer qu’on est soi-même d’un groupe différent. »
« J’ai à peine, dans tout ce qui précède, donné une idée de Guy Patin, qui n’est nullement un homme tout d’une pièce ni un esprit d’une seule venue. On a pu seulement comprendre que, tout en étant instruit et d’un sens commun vigoureux, il n’était pas un homme éclairé à proprement parler. Son humeur, ses rancunes, ses préventions, ses préjugés de corps, de classe, de pays et de quartier viennent à tout moment interrompre ses parties saines, et bigarrer, en quelque sorte, ses fortes et brusques qualités. Mais, tout en paraissant un grand original, il n’est pas seul de son espèce ; il n’est qu’un exemple plus saillant et plus en relief d’une inconséquence bourgeoise et de classe moyenne, qui est curieuse à étudier en lui. »
« Il détestait d’instinct les grands, la noblesse, les princes du sang même : il les raille, il les méprise, il les appelle anthropophages ; [3] il a, en s’exprimant, de ces hyperboles à la Juvénal [8] et à la d’Aubigné, [9] et qui font rire. Quand je parle de Juvénal, c’est toujours d’un Juvénal en belle humeur et qui a lu son Rabelais. Il a contre la cour et tout ce qu’elle renferme une horreur de classe et de race ; il distingue peu entre prince et prince, entre le grand Condé [10] ou le duc de Beaufort, [11] sinon qu’il a peut-être un faible pour ce dernier. Du reste, le meilleur, suivant lui, n’en vaut rien ; il ne voudrait pas être à leur service. Sont-ils malades, ils peuvent guérir ou ne pas guérir : “ au moins le pain est-il encore plus nécessaire ” qu’eux tous. [4] Mais ces grands débordements s’arrêtent tout d’un coup et tombent au seul nom du roi : [12] Bayle a déjà remarqué que, sur cet article, le respect de Guy Patin ne se dément jamais. Si le jeune roi est malade, il faut voir comme Guy Patin s’intéresse aux moindres circonstances de sa santé : il aime le roi de toute la haine qu’il porte au Mazarin [13] et à ses entours, et de quelque chose de plus encore, d’un vieux sentiment français héréditaire. »
« Indépendamment des deux procès qu’il plaida lui-même contre les apothicaires [14] et contre Renaudot, [15] et qu’il gagna, il en eut un troisième au sujet de l’antimoine, qu’il perdit (novembre 1653) ; [16][17] cela le refroidit un peu. À partir de ce jour, il déclara qu’il aimait mieux le repos, l’étude, ou visiter ses malades, que d’aller en justice. Il offrit même la paix et l’accommodement à certains de ses adversaires. Toutefois ses animosités contre l’antimoine et ceux qu’il appelait les chimistes ou les charlatans persistèrent, [18][19] et il ne contint jamais la liberté de ses propos : il en faisait une affaire d’honneur et de vertu. “ La chimie, dit-il, est la fausse monnaie de notre métier. ” [5] Il poursuit donc les faux monnayeurs ; [20] il veut décharlataniser la médecine. [6] Il croit qu’il y a un parti des honnêtes gens dont il est, et de l’autre il place ses adversaires. Guénault en tête, [21] les chimistes et empiriques, [22] médecins de Cour et “ enjôleurs de belles dames, ” [7] avides de lucre à tout prix. Il prétend leur opposer “ la résistance forte et généreuse des gens de bien, ” [8] absolument comme Pascal [23] opposait les principes d’un christianisme sévère à la morale relâchée des casuistes et directeurs complaisants. [24][25] Guy Patin se flattait de remplir un rôle analogue en médecine. De telles gens sont parfois des trouble-fêtes ; il en faut pourtant de cette trempe et de ce ton pour faire contre-poids aux mous, aux doucereux, aux âmes moutonnières, [9] comme il les appelle, à tous ceux qui suivent la vogue et le succès, aux honnêtes gens prudents qui se ménagent, qui prennent leurs précautions de toutes parts, qui passent leur vie à côté du mal en se gardant bien de le voir et d’y croire, pour ne pas avoir à le dénoncer. Guy Patin, s’il en eut l’excès, eut du moins en lui de cette vertu. Il était ennemi sincère de la fourberie. »
« Le premier président de Lamoignon, [26] qu’il connaissait d’auparavant, le prit en amitié particulière dès 1658 et le voulut voir souvent ; il l’aurait voulu même tous les jours. Ce grand magistrat n’avait guère alors plus de quarante ans ; il avait l’âme libérale et généreuse, et portée vers toutes les nobles idées de son siècle, en même temps qu’il tenait de la force du précédent. […]
Cette amitié si particulière du président de Lamoignon pour Guy Patin prouve une chose : c’est que ce dernier, malgré ses sorties et ses saillies parfois excessives, était en effet “ agréable et charmant en conversation, ” [10] qu’il avait le bon sens dans le sel, et était de ceux qu’un esprit solide pouvait agréer dans l’habitude. Je dis cela parce que de loin, en pressant trop les traits et en voulant offrir nos personnages en raccourci, nous sommes tentés d’en faire encore moins des portraits que des caricatures. Évitons ce travers et ne présentons jamais comme burlesque un homme d’esprit original que goûta si constamment M. de Lamoignon. »
« Un corps bien rédigé des Lettres de Guy Patin n’offrirait pas seulement un tableau de l’histoire de la médecine durant cinquante ans : on y verrait un coin très étendu des mœurs et de la littérature avant Louis xiv. À mesure qu’on s’éloigne, le moment arrive où, par suite de l’encombrement historique croissant, la postérité est heureuse de rencontrer de ces représentants abrégés qui lui donnent jour sur toute une époque et qui lui font miroir pour tout ce qui a disparu. »
« Plusieurs fois déjà j’ai parlé, dans cette Revue, [11] de Guy Patin ; j’y ai surtout déchargé ma bile sur les éditions anciennes et modernes des Lettres, où ce croque-mitaine des chirurgiens-barbiers et des antimoniaux a si largement épanché la sienne, édition dont les sottes et innombrables fautes de toute nature en déshonorent le texte et en font quelque chose d’assez semblable aux petits livrets populaires imprimés à Troyes, au siècle dernier, par les Baudot et les Oudot. [12] À la curiosité qui m’avait guidé d’abord dans l’examen de ces monuments de l’impéritie tant des imprimeurs que des éditeurs, [29] se joignit bientôt un vif désir de venger l’auteur aussi maltraité. Mais comme je ne me sentais pas en mesure de le faire moi-même avec succès, j’en appelai à quelque réparateur armé, à cet effet, de toutes pièces, c’est-à-dire de toutes les connaissances nécessaires pour bien comprendre, éclaircir et annoter un auteur qui réclame à chaque page un pareil secours. Ce réparateur est encore à venir. Ce n’est pas que j’aie un culte pour Guy Patin, ni que je pousse les gens à venir à l’offrande ; l’homme en soi n’est pas adorable ; c’est à peine si, après avoir lu et relu ses lettres, on viendrait à bout seulement de l’aimer ; il y a autour de lui trop d’épines et en lui trop d’égoïsme ; mais c’est un écrivain original par excellence, dont la langue est pleine d’agréables surprises et surtout d’une clarté qu’on ne rencontre pas toujours, même dans les bons écrivains de ce grand siècle.
Un illustre auteur, illustre, dis-je, dans l’acception la plus rigoureuse du mot, et non dans le sens complimenteur et banal où on le prend aujourd’hui, a dit de Guy Patin “ qu’il donna, sans s’en douter, le premier modèle des lettres simples, naturelles, écrites non plus à des indifférents pour leur faire les honneurs de son esprit, mais à des amis pour le plaisir de s’épancher, par un auteur qui n’a souci ni du style, ni des ornements, et qui ne met dans ses lettres, comme il le dit lui-même (lettre clxxxiv), ni phébus ni Balzac. ” [13][30][31]
Il semblera téméraire, sans doute, d’ajouter quelque chose à un jugement si vrai et exprimé avec une si admirable concision ; toutefois, il resterait à faire voir avec quelque étendue ce que Guy Patin a mis dans son style, [32] autre que du phébus et du Balzac, et comment, avec toute sa simplicité, il abonde en images pleines de relief et de force, et en expressions véritablement de génie. J’en ai relevé quantité dans mes lectures réitérées de ses lettres, non sans admirer combien l’homme, sous l’empire de préjugés incurables, comme le fut Guy Patin, et dont tous les penchants sont à médire ou à maudire, peut trouver d’éloquence dans ces sources infectées, et, par cette éloquence, arriver quelquefois à nous rendre complices de sa malignité. » [14]
« Si j’avais entendu parler de Guy Patin ? Sans doute ; comme tout le monde. Mais mon bagage à son sujet n’était pas lourd. […]
Son portrait à l’eau-forte, commun chez tous les marchands de gravures, aussi bien que celui peint à l’huile que possède la Faculté, [15] m’avait fait voir qu’avec son air de Picard futé il n’avait rien d’Antinoüs ou d’Adonis. Ajoutons, si vous voulez, quelques idées vagues sur les querelles virulentes qu’il avait soutenues d’une part au nom de la Faculté contre les médecins de Montpellier et en particulier contre Théophraste Renaudot, le fondateur qu’on s’est plu à trouver génial de la Presse quotidienne et des bureaux de prêts sur gage ; d’autre part, au nom de la sacro-sainte routine, contre les antimoniaux, la circulation du sang et autres nouveautés du siècle. C’était maigre pour bâtir un article, même de trois colonnes, du Passé para-médical. » [16]
« C’est après avoir parcouru ces cinq volumes de correspondance, lecture assez monotone quand on l’entreprend d’un trait, que j’ai l’audace d’exprimer ici une opinion qui pourra paraître outrecuidante, mais que je sais être partagée par de fort bons esprits. Elle se formule en peu de mots : Guy Patin a été abominablement surfait. C’est un raseur, dont la seule excuse (il est vrai qu’elle est d’importance dans le cas présent) consiste en ceci qu’il n’a pas écrit pour le public, et serait peut-être fondé à se plaindre qu’on l’ait édité malgré lui. […]
Patin a de l’esprit, beaucoup d’esprit, d’accord ; mais c’est une peste. Qu’il n’appartienne pas à la catégorie classée des bêtes méchantes, cela n’est pas douteux ; mais combien il est facile de faire rire la galerie aux dépens de l’adversaire si l’on emploie des armes discourtoises, et si l’on n’hésite pas à user à tout propos de la calomnie. Dieu sait si Patin se prive des arguments de cette catégorie, et vraiment il se donne des allures un peu trop loyolitiques, suivant une de ses expressions favorites, quand, faisant le bon apôtre, il se défend d’avoir jamais recours à la médisance : “ J’aime mieux être offensé que d’offenser personne. Malo enim pati injuriam quam facere, écrit-il à Spon le 7 juillet 1654. ” [17] Oh ! la bonne pièce ! Tout le monde y passe, même ses plus chers amis. Il n’est pas un de ses collègues à la Faculté qui échappe à la malignité de ses traits, et l’on reste stupide de trouver sous sa plume cette profession de foi : “ Je ne dirai jamais d’injure à un docteur en médecine pour l’honneur que je porte à la profession. ” [18] Qu’il tînt sa langue rue de la Bûcherie, [19] c’est possible ; mais comme il se rattrapait avec délices dans sa correspondance ! »
« Le style des lettres de Patin est naturel ; mais a-t-il beaucoup d’autres qualités ? C’est simplement ce qu’au dix-septième siècle on appelait un style d’honnête homme, et vous croisez dans la rue cent individus, dont pas mal du sexe féminin, qui seraient, à mon avis, s’ils en avaient le goût et le loisir, capables d’entretenir une correspondance ayant à peu près la tenue de celle de Patin, surtout si on la laissait vieillir en rayons plus de deux siècles. Sainte-Beuve a été trop bienveillant quand il a écrit : “ On rencontre dans ces lettres les bons mots, [20] les nouvelles du jour, force détails curieux sur la littérature et les savants du temps, surtout un tour dégagé et naturel, des traits libres et hardis qui peignent au vif l’esprit et le génie de l’auteur ; c’est une conversation sans nul apprêt, sans prétention aucune, [21] enjouée souvent ; ce sont les confidences d’un ami à un ami ; elles sont pleines de crudité, de passion, de grossièreté quelquefois, de bon sens souvent, d’humeur et de sel de toute sorte. ” Émettre une appréciation contraire à celle de Sainte-Beuve pourra paraître à beaucoup mériter les verges ; néanmoins m’interdira-t-on de reprocher à cette appréciation du grand critique un excès d’indulgence ? Il ne semble pas avoir été frappé des deux principaux défauts de Patin, l’éternel radotage et la rosserie féroce pour tout ce qui n’est pas son opinion personnelle. Nul certes plus que Patin n’a contribué à mettre en valeur l’adage : Invidia medicorum pessima. » [22]
« Au point de vue médical, la mentalité de Patin est navrante. Pour lui, le progrès n’existe pas ; il s’est collé sur le nombril une médaille de Galien, il s’hypnotise dans la contemplation de l’image du vieux maître de Pergame, et paraît s’être fait serment de ne jamais laisser traîner une idée médicale fausse sans la faire sienne. […]
C’était chez Patin une véritable manie de ponctuer ses lettres de bribes de latin. Lorsqu’on parcourt certaines de ces lettres, on croirait être tombé sur une de ces épîtres farcies, chères aux pédants des siècles passés […]. S’il s’agissait chez Patin, comme chez Montaigne, de citations de bons auteurs, toujours correctes et judicieusement appliquées ; mais il n’en est pas toujours ainsi, loin de là. Patin est pris d’un coup de la fantaisie de dire bonjour en latin. Bonam diem, [23] écrit-il, en plein milieu d’une phrase française, et le tour est joué. Est-ce extrêmement spirituel ? Y a-t-il dans cette manière personnelle matière à justifier l’enthousiasme de l’auteur anonyme de la préface de l’édition de 1707 ? “ Jamais homme n’a été si universel ; il a été le seul philosophe qui ait été savant dans la science du monde. ” [24] Quel ours, et quel pavé ! À ce jeu enfantin, tout autre que Patin eût peut-être acquis la réputation d’un pédant. Cette manière d’user, au hasard de la fourchette, du latin dit de cuisine, [25] est d’autant plus singulière chez Patin que, quand il s’en donnait la peine, il citait bien de bons auteurs, et notamment Martial, [35] son poète favori. […] Au point de vue politique, il s’en fallut de peu que Patin ne devînt un frondeur de marque […]. Au point de vue philosophique et religieux, la mentalité des Encyclopédistes du dix-huitième siècle nous paraît en puissance dans le cerveau de ce railleur, leur aïeul. Ses plaisanteries sont plus mordantes contre les superstitions et les abus des catholiques de son temps. Il en veut surtout aux jésuites, “ ces maîtres passefins, ces carabins sortis de la brayette du Père Ignace ”. [26] Il réserve toutes ses tendresses pour les jansénistes, [36] ne se sent pas de joie du succès que rencontrent les Provinciales et s’efforce de faire partager son enthousiasme à tous ses correspondants. »
« La causticité de ses propos et leur crudité allant très souvent de pair, l’on ne doit accueillir ses jugements qu’avec défiance. Il est pointilleux à merveille, s’il veut accrocher l’attention, et les drôleries verbales, les grimaces d’estrade dénoncent, à son insu, le niveau de quelques-unes de ses prétentions. C’est un faux savant qui atteint parfois au bel esprit, mais qui sait s’orienter vite et pratiquement. Patin passe, dès ce temps, pour bavard, friand d’anecdotes, emporté, rageur, augural, mais méprisant de la fortune. C’est une intelligence barbelée ou tout entière réfugiée auprès des anciens. Il rit souvent avec colère et plaisante en blessant. L’on ne peut guère aller plus loin dans le persiflage hasardeux contre le progrès. Son cynisme lui semble sincérité et ses éclats grossiers franchise ; encore que sa bonne foi ne paraisse pas toujours sans reproche, d’aucuns le jugent honnête homme, “ d’âme droite et de cœur bien placé ”. » [2]
« Il se targue, en son art, de ne croire que ce qu’il voit. Par malheur, il ne voit rien des grandes découvertes. Un petit livre d’une centaine de pages, qui a paru à Francfort en 1628, dû à un physiologiste anglais, William Harvey, [39] ami de Bacon, [40] contient une démonstration sensationnelle qu’on a attendue depuis deux mille ans et dont le Collège des médecins de Londres a eu la primeur en 1619 : le cœur est une pompe qui entretient et rythme la circulation continue du sang dans l’organisme. [41] Soutenu par son ami Riolan [42] ou l’épaulant, Patin va se donner le durable ridicule de repousser, non pas les étranges spéculations philosophiques de W. Harvey, mais ses rigoureuses expériences. Il refuse d’admettre la circulation du sang et se range, avec émulation, parmi les contradicteurs les plus mal inspirés. La géniale théorie nouvelle lui paraît “ paradoxale, inutile, fausse, impossible, absurde et nuisible ”. [27] Chacun de ces adjectifs, bouffi d’incompréhension, va retomber lourdement en sottise sur son nez et sur sa mémoire. Que n’est-il dans l’erreur un peu moins redondant ? Parler le latin avec élégance, le français avec familiarité ou “ bigarrures ”, [28] porter le bonnet carré et la robe la plus longue, avoir une des plus belles bibliothèques de son temps et en avoir lu les livres, [43] l’autorise peut-être à se croire un maître ; mais cet homme disert, de conversation à la fois “ savante et enjouée ”, [2] n’est pas loin de représenter, au contraire, avec la fatuité d’une incontestable culture, ce que la désinvolture du pédantisme et le verbiage d’école opposent parfois, en science, de conventionnel, de périmé, de sentencieux, aux suggestions irrévérentes et irrésistibles du progrès, ou même, plus simplement, aux démonstrations modestes du bon sens. On peut le choisir et le retenir comme un assez bon exemple de cerveau encombré et prétentieusement retardataire. Les ressources de son intelligence si souvent effrontée ne le protègent pas contre les maladresses et la gaucherie. Brillant d’un vernis d’érudition peut-être plus partiale qu’approfondie, tour à tour agressif avec componction, sceptique avec nonchalance ou dédain ou grimaces, il laisse ses idolâtries et ses préjugés brouiller trop fréquemment sa vue. »
« Il ne cache pas plus ses sentiments que ses doctrines anachroniques. Son goût des scandales et des discordes, sa quête des nouvelles, la nomenclature qu’il tient des singularités de chacun, ne cesseront jamais. S’il consacrait, à vérifier les belles expériences de physiologie ou les acquisitions thérapeutiques qu’il conteste, un peu plus du temps qu’il donne, avec alacrité, à nourrir de ragots ses plaisanteries et d’impertinence ses indiscrétions, il apprendrait du même coup que, même en littérature, la saveur du vrai l’emporte sur toute fable. Il ferait voir aussi un esprit critique moins exclusivement tourné contre les autres, plus assidu et bien exercé contre soi-même. Il est, Sainte-Beuve le verra, “ anecdotier, comme La Fontaine est fablier ”. Il a les nobles en aversion et les “ glorieux barbiers ” [29][44] en horreur. Oubliant qu’un inculte sagace l’emporte quelquefois sur les érudits divagants, il tient les barbiers, chirurgiens primaires, il est vrai, pour de misérables ignorants que les médecins surpassent de façon magistrale et qu’il se glorifie de contribuer à abaisser. […]
Ce ne sont pas que boutades faciles à négliger. Le divorce entre médecins pédants et chirurgiens humiliés, et l’arrêt de déchéance, en 1660, [45] qui ramènera au rang des manœuvres les chirurgiens de Saint-Côme [46] nuiront tant à l’art médical que le grand siècle, à ce point de vue, sera le plus solennellement nul. Guy Patin fait si bien, tranchant presque toujours avec humeur, niant trop souvent le vrai, jargonnant, sermonnant, préférant aux hommes les institutions, les livres anciens aux faits nouveaux, les harangues aux guérisons, un aphorisme à un remède, que Molière [47] semble parfois l’avoir choisi pour immortaliser les éternels ridicules de certaine médecine attardée mais infatuée et de quelques médecins dissertants et pernicieux. […] [30] Pour lui, le Siècle d’or [48] c’est le seizième. Il s’en tient aux vieux auteurs, à “ ceux de la grande bande ”. [31] Il regarde les modernes avec un effarement vite consterné, dès que tombe sa raillerie. Bien avant d’être podagre, au train qu’adopte sa sévérité, il risque, en s’autorisant des plus vénérables moralistes, de calfeutrer entre ses livres et ses estampes une irritabilité jusque-là sémillante et de bouder l’aurore et la neuve parure d’un siècle éclatant. »
« Les discours, les traits, les épigrammes ne suffisent pas à son désir de railler ou de grommeler. Il entretient, surtout avec des hommes, [32] une correspondance prolixe. Il écrit à Garnier, doyen du Collège de médecine de Lyon, à Falconet, médecin de l’archevêque, à Spon, agrégé, à Gontier, médecin de Roanne, Le Fèvre, professeur de Saumur… [33] et à d’autres amis, beaucoup de lettres, rapides, pétillantes, doctes parfois, mais sans apprêt. »
« Quelque ferme et modeste application eût mieux valu, pour la science, que cette curiosité papillotante, qui avait entraîné, jusqu’à l’émiettement, son esprit un peu desséché. Mais avec ses réticences, ses stupeurs et ses répulsions, il avait nourri un bavardage irrité, qui empêchera son nom de tomber dans l’oubli. »
« S’il fallait définir et qualifier les lettres de Guy Patin, il faudrait alors relever la vivacité de l’écriture, véritable transcription sur le papier de la vivacité de sa pensée. Il est rare, en effet, que le médecin s’attarde longuement sur un sujet, et c’est bien souvent en vain que l’on chercherait la trace d’articles assez finement délimités dans sa correspondance. [34] Patin procède par association d’idées, un mot, un nom, lui en évoquant un autre sans jamais (ou si rarement !) lui laisser le temps de développer la première idée qu’il avait sous sa plume. [51] Ce sont de véritables sauts de puce, parfois malaisés à suivre pour qui ne connaît pas les liens entre les personnes, ou entre les choses. Aucune des lettres présentées dans ce corpus n’est construite de manière rationnelle, aucune ne suit un fil directeur, qui aurait été annoncé dès les premières lignes. Patin écrit comme il pense, comme il parle peut-être, à son ami le plus cher qui est aussi le plus lointain, dont il ne cesse de regretter l’absence et dont chaque jour il appelle à lui le souvenir. […]Parce qu’il écrit ce qu’il pense, à l’instant où il le pense et sans craindre aucun jugement de la part de son lecteur, Patin ne s’embarrasse pas des contradictions de sa pensée, de ses paroles encore moins. L’incroyable liberté de ton dont il use, sa très grande franchise, reposent sur l’absolue certitude que Spon ne se formalisera d’aucun de ses contredits et qu’il saura débrouiller l’écheveau de ses propos. Si, de cette absence totale de composition, de cette écriture au fil de la pensée, naissent des redites, Patin ne s’en soucie guère. Érasme, dont le De conscribendis epistolis [34][52] eut une grande influence au xviie siècle, faisait dépendre du dessein didactique de la lettre le choix des thèmes et du style, et tenait compte, dans sa rédaction, de la distance spatiale et temporelle d’avec son correspondant. À sa manière très personnelle, Guy Patin agit de même. Ses lettres au médecin de Troyes Claude <ii> Belin, ou les quelques lettres au jeune <Hugues de> Salins, paraissent bien plus convenues, bien moins libres que celles adressées à Lyon. [36] On ne saurait donc véritablement parler de négligence, ou d’éparpillement, en considérant la correspondance entretenue avec Spon, dans la mesure où l’épistolier avait conscience du jaillissement de sa plume ; bien davantage pourrait-on parler de vagabondage d’esprit mis au service d’un bavardage amical, à dessein de plaire et de distraire tout autant son correspondant que lui-même. Res tam multiplex propeque ad infinitum varia : [37] ce principe d’infinie diversité, décrit par Érasme pour un ensemble de lettres courant sur plusieurs années, paraît comme appliqué par Guy Patin dans le court espace d’une seule épître, tant les sujets y sont multiples, la matière riche, et les informations nombreuses. L’épistolier serait en fait plus proche de la conception lipsienne de la lettre, [53] présentée comme des petits riens (nugas), comme des jeux (jocos, lusus), au caractère inachevé, souvenirs brefs de la vie quotidienne (diales), énoncés sans grand souci d’ordonnance et dont les sujets prennent l’homme pour mesure, sans toujours viser l’éloquente grandeur ou la hauteur morale prônée par les écrivains antiques. [38] Juste Lipse, si cher au cœur de Patin, faisait ainsi de la lettre l’expression même de l’individualité, marquée du sceau de la spontanéité et propre à enregistrer fidèlement les variations d’humeur et les mouvements d’âme caractérisant telle personnalité. [39] De même, le savant humaniste recommandait aux épistoliers en herbe de se constituer proprio motu [40] des recueils de citations, d’ornements stylistiques, de tours de phrases et de vocabulaire, afin d’élaborer un répertoire personnel de loci communes empreint d’une solide culture philosophique et littéraire. [38] Cette élaboration reposait donc sur un projet longuement mûri et façonné, c’est-à-dire parfaitement conscient, qui permettait de parer ses lettres de pointes, de saillies, d’allusions érudites. Si Patin connut la proposition de Lipse, il est assez probable qu’il ne la suivit pas. On l’imagine mal se construire ainsi son propre recueil de citations à dessein d’éblouir ses correspondants. Il n’en aurait sans doute pas eu le loisir s’il l’avait voulu. [41] Mais il n’est pas impossible qu’il ait suivi ce procédé de manière tout à fait inconsciente. Ses classes d’humanités lui avaient vraisemblablement appris cet art de la collection, et c’est bien ainsi, en tout état de cause, qu’il use de ses lectures. Sa pensée, nourrie d’éclats antiques, a fait siennes les phrases les plus piquantes, elle a fait siennes ces tournures latines si éloquentes, ces vers si adroitement composés qu’il ne cesse de citer, avec plus ou moins d’exactitude d’ailleurs. Sa correspondance en est émaillée, et la diversité des sources étonne, même si on peut observer une prédominance des poètes et satiristes latins, et des historiens. [42] Sans doute ces citations lui venaient-elles tout naturellement sous la plume, sans qu’il ait besoin de les emprunter à un éventuel répertoire. Il s’agirait là, en quelque sorte, d’une improvisation en trompe-l’œil, empreinte forte et durable de ses classes d’humanités.
D’autre part, en lisant les lettres qui suivent et en songeant à leur exceptionnel foisonnement de pensées, il importe de garder toujours présent à l’esprit le délassement que leur rédaction signifiait pour Guy Patin. Ces heures où il écrivait étaient toutes arrachées à la pratique quotidienne de la médecine, à ses cours et à ses courses dans Paris au chevet des malades, aux visites nombreuses que sa réputation amenait à son logis. Il est aisé d’imaginer le repos – et le plaisir – que le médecin devait trouver à se retrancher dans son cabinet de lecture pour y griffonner de sa petite écriture des feuillets destinés à son ami, qui lui raconteraient ses joies et ses colères, ses enthousiasmes et ses désillusions. Et réellement peut-on parler ici d’une “ conversation muette ”, menée à bâtons rompus car trop souvent entrecoupée de consultations ou d’entretiens. Les phrases y sont brèves, [43] comme écrites à la hâte par crainte de ne pouvoir être menées à leur terme. Patin écrit, parfois brièvement mais le plus souvent possible, désireux de recueillir pour Spon le plus d’informations sur la vie de la capitale et sur celle de la Faculté de médecine, sur ses propres découvertes dans le domaine éditorial, s’arrêtant rarement à un sujet mais ne craignant pas de le reprendre quelques lignes plus loin. Il est du reste patent que l’épistolier n’eut que rarement le temps de se relire. Ses repentirs, qu’il note en marge dans la majorité des cas, concernent le plus souvent des faits historiques qu’il a brièvement évoqués et dont il apprend plus tard la fausseté. Mais jamais il ne raye ce qu’il jugerait une répétition, de sorte qu’il lui arrive de demander deux ou trois fois dans une même lettre le même livre, la même information, renouvelant ses questions d’une page à l’autre, d’une missive à l’autre.
Bien des érudits contemporains de Patin se firent un point d’honneur d’orner leurs propos d’un style qui se voulait naturel et spontané, afin de rendre la réception de leurs lettres aussi agréable qu’instructive. Séduire par la verve autant que par l’érudition était l’une des caractéristiques des échanges épistolaires du temps, mais Patin, dont les relations étaient pourtant fort nombreuses et qui devait, de ce fait, dépouiller chaque semaine une abondante correspondance, resta cependant fort loin de ce mouvement. Quand bien même, au reste, aurait-il voulu élaborer une lettre suivant un plan clair et rigoureux, qu’il n’en aurait pas eu le temps. À peine déjà trouvait-il celui de se mettre à sa table pour reprendre la lettre inachevée, toujours ouverte sur le pupitre ? Il s’en faut de beaucoup qu’il ait eu la disponibilité de la composer ! » [44]
« Le xviie siècle connut une véritable floraison du genre, au point que les libraires proposèrent non plus l’intégralité d’une correspondance, mais des recueils d’‑ana composés à partir de celle-ci, des volumes de Lettres choisies, des Extraits…, le tout dûment complété par des index et des tables. Et c’est ce qui explique les mésaventures arrivées aux lettres publiées, à commencer par celles de Guy Patin : pour en préserver le caractère personnel et privé, et à dessein de ne pas froisser la susceptibilité de contemporains encore vivants, les noms propres furent en effet remplacés par des astérisques, certains passages étaient éliminés, les termes les plus crus étaient supprimés ou adoucis. Les recueils pêchaient d’ailleurs souvent en raison du manque de discernement des éditeurs : les lettres y étaient mises sans distinction, souvent sans ordre ni cohérence, le seul nom de leur rédacteur suffisant à rendre le feuillet illustre. Pierre Bayle le remarqua non sans humour, qui écrivait ces mots à son frère Jacob, le 21 septembre 1671, après la lecture d’un volume de la correspondance entre Scaliger et Casaubon : [54][55]“ La plupart du temps les plus doctes écrivent avec beaucoup de négligence une lettre qu’ils croient ne devoir jamais sortir du cabinet de leurs amis, et qu’après leur mort, il se trouve toujours quelqu’un porté d’un zèle indiscret pour la mémoire du défunt, qui ramasse jusques aux moindres billets qu’il a écrit à son tailleur et en fait un présent au public dont on lui ferait grâce très volontiers. ” [45][56]De fait, Patin lui aussi souffrit à titre posthume, de l’indélicatesse des éditeurs ; [46][57] considérant le marché saturé d’écrits de ce genre, mais incapables de renoncer à de nouvelles publications, ces derniers n’hésitèrent pas à supprimer des pages entières, à fondre deux lettres en une seule, à remplacer les noms propres par les astérisques d’usage (lorsqu’ils ne les tronquaient pas du seul fait de leur incompétence), au point de rendre incompréhensibles certains propos ou d’en déformer d’autres, sans craindre de faire passer Guy Patin pour un menteur aux yeux de la postérité. Bayle en personne, qui consacra au médecin un long article dans son Dictionnaire historique et critique, [45] s’il loua le naturel de ses lettres, lui reprocha toutes les faussetés qui s’y lisaient, et les erreurs d’appréciation. Mais si l’on se reporte au recueil qu’il eut à sa portée, c’est-à-dire aux toutes premières éditions de la correspondance de Patin, ce jugement est bien excusable. […] [47]
On comprend dès lors mieux pourquoi les lettres au médecin Claude <ii> Belin de Troyes ont été plus respectées par les éditeurs des siècles précédents : plus professionnelles, moins libres de ton, plus respectables, elles devenaient moins dangereuses à publier, et donc plus attrayantes que les lettres adressées à Charles Spon, qui furent cruellement dépecées. [48] Et contre ceux qui reprocheraient encore l’inexactitude de certaines informations, qu’ils considèrent enfin que Guy Patin tenait ses renseignements des journaux, des rumeurs et des propos que lui rapportaient ses voisins ; qu’ils comprennent que s’il s’est trompé, c’est bien à son insu ; et qu’ils se remémorent enfin ces mots du critique anglais Packard, écrits en 1624 dans la dernière biographie du médecin, la plus récente à ce jour : These criticisms may be true as to the historic value of Patin’s letters, nevertheless, as picture of the life of the day they are invaluable and it must be remembered that Guy did not purpose writing when he penned them. » [49][58]
Épilogue : de l’exécrable médecin au mordant épistolier (Loïc Capron) [59]
Sans la prétention de rivaliser avec les six critiques dont je viens d’échantillonner les propos, j’ai l’avantage d’avoir passé bien plus de temps que chacun d’eux à labourer la Correspondance complète et les autres écrits de Guy Patin. Ayant plaisamment consacré dix-neuf années de mes loisirs à les transcrire et à les annoter pour comprendre son auteur, sa vie et sa pensée, je m’autorise quelques mots de commentaire.
Patin m’a souvent fait rire de fort bon cœur ; il m’a parfois ému ; je me suis régalé de son style ; mais il m’a aussi très souvent agacé et même consterné : sa myopie médicale, sa méchanceté, ses préjugés, ses médisances jalouses… Patinus degobillans. [50] Par-dessus tout, son hypocrisie m’a le plus horripilé : hormis quelques traits superficiels, impossible de savoir qui est au fond le bonhomme et ce qu’il croit vraiment ; c’est un caméléon [60] qui ajuste constamment son propos aux idées de son correspondant, « qui se change en toutes sortes de couleurs, sous lesquelles il paraît travesti et joue divers personnages qu’il représente sur le théâtre de médecine » ; [51] il maudit papes, jésuites, purgatoire, grains bénits et carême quand il écrit à Charles Spon, le calviniste ; mais brocarde la rigueur et la bigoterie des huguenots de la « petite paroisse » [52] quand il écrit à André Falconet, le catholique. On ne peut jamais être certain que Patin est sincère ; il n’est pas honnête homme ; [53] je ne le voudrais pas pour ami. Il faut alors bien de la crédulité et bien de la partialité dans le tri de ses propos pour le ranger avec autorité parmi les libertins érudits. [54][61][62]
Reste une vaste énigme : de son vivant, le rayonnement médical de Patin fut incontestable, en France et par toute l’Europe (comme en atteste sa correspondance latine) ; qu’on adhérât ou non à ses idées, on écoutait ce qu’il disait et on en parlait beaucoup. Sa production imprimée a pourtant été fort minime : Traité de la Conservation de santé (1632), quelques thèses dont la retentissante Estne totus homo a natura morbus ? (1643), des éditions de Daniel Sennert (1641) ou de Caspar Hofmann (1646, 1647, 1668)… Très volontiers cité comme un oracle dans de nombreux ouvrages, Patin a été dédicataire d’une bonne vingtaine d’éditions, souvent prestigieuses. [55] Pourtant, tout professeur au Collège de France qu’il ait été, rien ne survit aujourd’hui des œuvres médicales de Patin : les scories qu’on peut en exhumer dans sa correspondance et dans ses autres écrits, n’inspirent guère la bienveillance à l’égard d’un des esprits médicaux les plus bornés de son siècle ; quand y brillèrent des flambeaux comme William Harvey, Jean Pecquet, [63] Thomas Bartholin, [64] ou Samuel Sorbière. [65] Je vois deux pistes pour tenter de comprendre ce décalage entre le grand renom de jadis et son complet étiolement aujourd’hui ; ce fossé qui sépare Guy Patin de Thomas Diafoirus. [66]
Fidèle aux préceptes rassurants des Anciens, Patin maintenait un semblant de cap dans les révolutions chimiques et anatomiques de son temps ; sa médecine pouvait séduire par son vernis de simplicité et de bon sens : régulière et saine hygiène de vie, peu de remèdes, simples et bien choisis, condamnation constante de la charlatanerie et de l’exploitation lucrative des malades, etc. Vieilles comme la médecine, ces recettes réconfortaient hier, comme elles font encore souvent aujourd’hui.
Patin avait l’ambition des humanistes, déjà vaine et fort dépassée au xviie s., de posséder tout ce qui avait été imprimé, d’avoir tout remisé dans sa bibliothèque et tout lu. Les mentions de livres, de thèses et de discours surabondent dans ses lettres ; à tel point que l’envie prend parfois au lecteur de sauter ces passages qui semblent d’indigestes longueurs. [56] C’est pourtant là que se trouve la meilleure part du festin : que de fois n’ai-je pas été émerveillé de découvrir les pépites que cachaient ses citations d’ouvrages ! [57] La Correspondance complète et autres écrits de Patin forme sans conteste l’encyclopédie médicale la plus complète et la plus distrayante des xvie et xviie s.
Au delà de son style pétillant et pittoresque, je pense que Patin vaut bien moins par sa personne que par les lucarnes sans nombre qu’il nous ouvre sur son temps, rejoignant volontiers en cela l’opinion de L. Jestaz et de F. Packard. [49] Ce fut un intarissable conteur d’histoires, mais avec le génie étriqué d’un atrabilaire recuit. [58] Il singeait volontiers Joseph Scaliger ou Isaac Casaubon, [59] se contentant d’aduler de moins égalables modèles, tels Rabelais ou Érasme.
Une fois bien prévenu sur la personne de Guy Patin et sur l’immobilité de son dogmatisme, ses lettres et autres écrits méritent amplement d’être lus, pourvu que ce soit avec discernement : pour leur tournure singulière, pour leur curiosité historique et médicale, pour les multiples historiettes qui y fourmillent. Je n’y aurais sûrement pas consacré tant d’années s’ils ne m’avaient instruit, distrait et charmé, bien au-delà de tout ce qu’on peut justement leur reprocher.
Ami de Patin, Adrien de Valois était sûrement sincère et digne de foi quand il écrivait : [60][67]
« M. Patin le père était un bon homme et savant ; mais il n’était pas fort fidèle dans ce qu’il écrivait ; il allait un peu trop vite en besogne, et dès qu’une chose lui venait en pensée, fût-elle vraie ou non, il la mettait comme très certaine. Il y a dans ses lettres des sentiments un peu trop libres sur le fait de la religion : Sunt nonnulla, quæ Medicum nimis sapiunt ; [61] mais cela ne vient que de la précipitation qu’il avait à écrire, et non pas d’un méchant fonds qui fût en lui, car il était honnête homme. » [53]
N’allez pourtant pas croire ce que j’en dis, lisez donc Patin pour forger votre propre idée ; mais lisez-le beaucoup avant de la figer. [62][68]
Le Siècle de Louis xiv. Œuvres historiques (Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2000, page 1192). Né en 1694, 22 ans après la mort de Guy Patin, Voltaire a publié son Siècle en 1751 ; il a pu recueillir les témoignages de personnes qui l’avaient connu.
Au contraire de Voltaire, Charles‑Augustin Sainte‑Beuve (1804‑1869) prisait fort les Lettres de Guy Patin. Il a consacré à leur auteur ses Causeries du lundi des 25 avril et 2 mai 1853 (Paris, Garnier frères, sans date, in‑8o, 3e édition, tome huitième, pages 88‑109 et pages 110‑133). Dans cette biographie détaillée de Patin, Sainte‑Beuve ne dissimule pas sa profonde admiration pour son sujet ; mais il savait aussi éreinter, comme le montre sa note au bas de la page 88 :
« J’ai un peu connu M. Reveillé‑Parise, on disait que c’était un homme d’esprit ; c’est une manière abrégée de se dispenser de rien dire de plus de quelqu’un. Quant à ses notes sur Guy Patin, il y parle plus volontiers de la Révolution française et de la décadence sociale que de Guy Patin même et du xviie siècle. J’ai quelquefois pensé que si M. Prudhomme (le Prudhomme de Henri Monnier) {a} avait été docteur en médecine, il aurait fait de pareilles notes. »
- Auteur des Mémoires de Monsieur Joseph Prudhomme (Paris, Librairie nouvelle, 1857).
Pierre Pic est le mystérieux auteur de Guy Patin (Paris, G. Steinheil, 1911, v. Bibliographie), qui pourrait être l’éditeur Georges Steinheil lui‑même. Son Introduction (pages vii‑lxvii) contient d’intéressants avis critiques sur Patin, parfois partiaux, mais toujours libres.
Son bistouri et sa plume ont fait de Henri Mondor (Saint‑Cernin, Cantal 1885‑Neuilly‑sur‑Seine 1962) une gloire de la chirurgie française au xxe s. et un immortel de l’Académie française en 1946. Ces extraits sont tirés de son livre intitulé Grands médecins presque tous. Gui Patin 1601‑1672 (Paris, Éditions Corrêa, 1943, in‑8o, pages 45‑73).
Selon un article signé « T. de L. » (Philippe Tamizey de Larroque, v. note [3], lettre Paul Triaire, éditeur des Lettres en 1907), dans le Polybiblion (Revue bibliographique universelle. Partie littéraire, Paris, Aux bureaux de Polybiblion, 1883, in‑8o, deuxième série, tome dix-huitième, pages 181‑182), le philologue et bibliographe français Charles Nisard (1808-1889) est l’auteur de cet avis qui introduit sa brochure anonyme intitulée Une lettre de Guy Patin à Jean Beverwyck, médecin hollandais, et réponse de ce médecin (Paris, 1883 ; v. note [a], lettre latine 4).
Laure Jestaz, archiviste paléographe, responsable depuis 2016 du service Monographies et Archives de l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur (Abes), sise à Montpellier, a procuré une édition des 145 lettres françaises que Guy Patin a écrites à Charles Spon entre janvier 1649 et février 1655, publiée en 2006 (Honoré Champion, v. notre Bibliographie). Son travail, en tous points remarquable, m’a servi de modèle.
J’ai choisi ses avis dans le Préalable, sous-titré Brève étude sur le genre épistolaire au xviie siècle et les lettres de Guy Patin (tome i, pages 329‑356). Son Étude critique tout entière (longue de 362 pages) est digne de la plus haute louange et mérite d’être attentivement lue.Ceux qui, en dépit de ce rude éreintement, conservent quelque goût pour les Lettres de Guy Patin se consoleront peut-être en lisant l’avis du même Voltaire sur Blaise Pascal (dont la notice précède immédiatement celles des Patin) :
« fils du premier intendant qu’il y eut à Rouen, né en 1623, génie prématuré. Il voulut se servir de la supériorité de ce génie comme les rois de leur puissance ; il crut tout soumettre et tout abaisser par la force. Ce qui a le plus révolté certains lecteurs dans ses Pensées, c’est l’air despotique et méprisant dont il débute. Il ne fallait commencer que par avoir raison. Au reste, la langue et l’éloquence lui doivent beaucoup. Les ennemis de Pascal et d’Arnauld firent supprimer leurs éloges dans le livre des Hommes illustres de Perrault. {a} Sur quoi on cita ce passage de Tacite : Præfulgebant Cassius atque Brutus eo ipso quod effigies eorum non visebantur. » {b}
- Charles Perrault : Des Hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle, avec leurs portraits au naturel… (Paris, Antoine Dezaillier, 1696-1700, in‑fo).
- « Cassius et Brutus, dont les portraits n’apparaissaient pas, les effaçaient tous par leur absence même » (Annales, livre iii, chapitre 76).
Pierre Pic (Introduction, pages xlix) a commenté avec esprit l’avis du philosophe des Lumières sur les Patin :
« Peut-être était-il délicat pour Voltaire d’exprimer une autre opinion au moment où il entreprenait d’écrire, en homme qui voit de haut, l’histoire d’un siècle qui n’était pas le sien. Depuis Voltaire, le goût public a changé. Faute de trouver des historiens capables d’emboucher tous les jours la trompette, on se contente aujourd’hui {a} d’écouter le son du flageolet ; ce n’est pas une raison pour approuver Patin de n’avoir jamais joué que du sifflet. » {b}
Propos de Charles Patin et Jacob Spon dans la Préface de la première édition des Lettres (1683) et ses auteurs.
V. lettre à André Falconet datée du 27 juin 1651.
V. lettres à Charles Spon du 2 mars 1655 et du 24 octobre 1656.
V. note [21], lettre du 9 avril 1660 à André Falconet.
Cette expression ne se trouve pas dans la Correspondance, mais Guy Patin y écrit que son collègue Élie Béda des Fougerais est « grand valet d’apothicaires et grand cajoleur de belles femmes » (lettre du 16 août 1650 à Charles Spon).
Lettre 339.
Expression que Guy Patin a employée dans huit de ses lettres : 279, 421, 469, 516, 529, 540, 622 et 992.
Dans ses lettres, Guy Patin a souvent parlé de ses soupers et de ses conversations avec le premier président Lamoignon, mais sans employer cette expression.
Le texte de « M. Charles Nisard, de l’Institut » avait précédemment paru en trois Variétés dans La Revue médicale française et étrangère (1882, tome 2) :
Il s’agit de ce qu’on a appelé la Bibliothèque bleue : créée au début du xviie s. par Jean Oudot, libraire-imprimeur de Troyes, reprise et développée au siècle suivant par son confrère Baudot, elle publiait des textes populaires (romans de chevalerie, contes et légendes, almanachs, etc.) que les colporteurs débitaient à vil prix.
Charles Nisard a publié une Histoire des livres populaires, ou de la littérature de colportage, depuis le xve siècle jusqu’à l’établissement de la Commission d’examen des livres du colportage – 30 novembre 1852 (Paris, E. Dentu, 1864, 2e édition, 2 tomes in‑8o).La lettre clxxxiv de l’édition Reveillé-Parise correspond à la lettre 121 de notre édition (v. sa note [1]).
Une note du texte de Charles Nisard donne la source de sa citation :
« Histoire de la littérature française, par M. Désiré Nisard, {a} t. iii, p. 415, in‑12, 8e édition. » {b}
- Désiré Nisard (1806-1888), frère aîné de Charles, a été écrivain, critique littéraire, député orléaniste, directeur de l’École normale supérieure, professeur d’éloquence latine au Collège de France et membre de l’Académie française.
- Cette référence correspond aux pages 482‑483 du tome troisième de la 2e édition de cette Histoire (Paris, Firmin Didot, 1854, in‑8o).
V. note [a], lettre latine 4, pour la suite de la préface de Charles Nisard et sa justification.
Je remercie Marie-France Claerebout, l’inlassable relectrice de notre édition, dont l’admirable talent bibliographique a débusqué ce texte.
« Ce portrait (v. note [5], lettre 562) a été jugé digne, je serais bien embarrassé de dire pourquoi, de présider aux travaux bibliographiques des modernes philiatres à la Bibliothèque de la Faculté. Il y occupe la place d’honneur entre de magnifiques pots de pharmacie dont l’Assistance publique s’est démunie ces dernières années en faveur de cette bibliothèque » (note de P. Pic).
Titre peut-être facétieux d’un journal dont je n’ai pas trouvé trace.
Erreur de date, la bonne lettre est celle que Guy Patin a écrite à Charles Spon le 27 juin 1654.
V. lettre à André Falconet du 4 novembre 1654.
La Faculté de médecine de Paris, avec ses hautes salles des Écoles où se réunissait la Compagnie des docteurs régents, se situait rue de la Bûcherie (v. note [14] des Décrets et assemblées de 1650‑1651 dans les Commentaires de la Faculté), dans le ve arrondissement ; un bâtiment en est encore debout.
« Les bons mots nous ont paru plutôt rares et pas de premier ordre dans les lettres de Patin. La pointe ne semble pas lui avoir été familière, en français du moins ; il la cultive au contraire beaucoup en latin. Quant aux traits de gauloiserie, ils sont tout à fait exceptionnels. Le seul dont nous ayons le souvenir et qui est d’ailleurs assez grossier, se trouve mis par notre auteur au compte de Bassompierre » (note de P. Pic) ; pour ce bon mot grivois, v. l’emploi de branle dans les lettres du 19 juin 1643 à Claude ii Belin et du 14 juillet 1643 à Charles Spon.
« Sans prétention littéraire, s’entend. Car Patin est toujours sur la brèche pour afficher sa prétention de posséder seul le secret de la vraie médecine » (note de P. Pic).
« La jalousie est ce qu’il y a de pire chez les médecins » (v. note [5], lettre du 16 août 1650 à Falconet).
Pour le radotage, Guy Patin, comme Cicéron, ne s’est guère privé de « blanchir deux murs avec un seul et même pot » (v. note [1] de la lettre de Samuel Sorbière datée de janvier 1651) ; mais comment ne pas se répéter quand on écrit en même temps à différents correspondants (et sans se douter que quelques curieux auront un jour l’idée saugrenue d’éditer vos lettres) ?
Cette locution latine ne se trouve nulle part dans les lettres de Patin. En revanche, on y lit souvent son équivalent français, « bon jour », mais toujours en début ou en fin d’année et parfois complété par « bon an », pour souhaiter la bonne année ; tour de langage aujourd’hui disparu que semble n’avoir pas connu P. Pic. Qui faut-il donc ici trouver spirituel ?
Citation qu’il convient de remettre dans son contexte (Préface de l’édition Bulderen, 1705, dont je me suis servi pour établir la nôtre) :
« Qui {a} est jamais si bien entré dans les différents caractères des hommes ? où a-t-on vu des portraits si naturels ? qui a peint la vertu de si belles couleurs ? et qui a si bien découvert toute la difformité du vice ? Les grands, qui disent des flatteurs, tu m’aduli, mà tu mi piace, {b} commenceront à s’en défier, et le peuple qui sait lire, trouvera assez de secours dans ces Lettres pour se garantir de l’artifice des hypocrites. {c} Le prix des ouvrages posthumes est toujours relevé dans les préfaces, celle-ci fait le contraire, le mérite de l’auteur est si singulier et si rare qu’il ne peut être connu que par lui-même, on ne peut pas en donner une véritable idée, quand on dirait même que jamais homme n’a été si universel, et qu’il est le seul philosophe qui ait été savant dans la science du monde. »
- « Qui, mieux que Guy Patin, ».
- « Tu me flattes, mais tu me fais plaisir » (dicton italien).
- V. l’Épilogue de cette annexe pour ce que je pense de l’hypocrisie de Guy Patin.
Déprécier ainsi le latin de Guy Patin, c’est soit ne l’avoir pas vraiment lu, soit ne pas connaître cette langue ; mais P. Pic va heureusement se contredire dans la phrase qui suit.
Association de deux sarcasmes que Guy Patin a souvent proférés contre les jésuites, mais qu’il n’a jamais mis ensemble.
La source du propos qu’Henri Mondor attribuait à Guy Patin ne se trouve nulle part dans notre édition. De savants auteurs ont pourtant recopié cette citation après que Bariéty et Coury l’eurent relayée dans leur Histoire de la médecine (1963, page 504, sans en donner la référence).
Assem para et accipe auream fabulam, fabulas immo (v. note [7], lettre 430).
V. note [22], lettre du 18 juin 1649.
V. lettres du 10 septembre et du 5 novembre 1660.
Prestigieux chirurgien du xxe s., Henri Mondor s’offusquait donc amèrement du dédain malicieux (mais inconstant) dont Guy Patin avait accablé ses confrères de Saint-Côme au xviie s. Certaines haines savent être mesquines et anachroniques…
Mondor levait ici un lièvre que j’ai couru bien plus assidûment que lui, jusqu’à proposer de reconnaître Patin et deux de ses collègues derrière les personnages du Malade imaginaire (v. Thomas Diafoirus et sa thèse).
V. notes [22], lettre du 7 mars 1653, pour la grande bande, et [27] du Faux Patiniana II‑6 pour le Siècle d’or.
Curieuse assertion : dans notre édition, seules deux lettres de Guy Patin (qui n’avaient pas été publiées quand Henri Mondor écrivait) sont adressées à des femmes (française 1034 et latine 160).
Henri Mondor ne faisait ici que recopier l’énumération qui se lit dans la Préface de la première édition des Lettres (1683) : v. sa note [14].
« L’article est dans la lettre “ l’unité de discours et d’information, de longueur très variable. C’est véritablement le sujet qui en donnera les bornes ” [Bernard Bray] » (note de L. Jestaz).
« Sur la manière de rédiger des lettres », v. note [5], lettre 50, où Patin écrivait des Epistolæ Erasmi [Épîtres d’Érasme] : « c’est un livre qui vaut son pesant d’or. »
L. Jestaz passait ici sous silence la prolifique correspondance de Guy Patin avec son autre ami lyonnais, le médecin André Falconet (440 lettres de notre édition).
Érasme, De conscribendis epistolis (v. supra note [2]), édition de Lyon, 1557 (page 4) :
Qui in epistolis unum aliquem characterem vel requirunt, vel præscribunt : id quod ab eruditoribus etiam quibusdam video factum : ij mihi nimirum de re tam multiplici, propeque in infinitum varia nimis anguste atque arcte videntur agere. Neque sane ita multo minus absurde facere eos existimo, quam si sutor, omni pedi ad eandem formam crepidam velit consuere : aut si pictor quodvis animal ijsdem liniamentis, ijsdemque coloribus conetur effingere : aut sarcinator consimilem vestem pumilioni ac giganti tribuere studeat.[Il en est qui réclament ou prescrivent que les lettres aient toutes le même et unique style, comme je vois faire certains, même des plus savants. Ceux-là me paraissent traiter bien trop étroitement et rigoureusement d’une matière si riche, dont les variations sont presque infinies. {a} Je n’estime pas qu’ils agissent de manière beaucoup moins absurde qu’un cordonnier qui voudrait coudre une forme unique de sandale qui aille à tous les pieds, ou un peintre qui s’aviserait de représenter tous les animaux par le même dessin et sous les mêmes couleurs, ou un tailleur qui s’appliquerait à couper le même vêtement pour un nain et pour un géant].
- « Ce principe reposait sur l’idée de la correspondance, c’est-à-dire de la similitude de cette diversité avec celle des humeurs de l’homme, liée à la diversité des âges et des saisons » (note de L. Jestaz).
« Ces lignes s’appuient sur l’article de Marc Fumaroli, “ Genèse de l’épistolographie classique : rhétorique humaniste de la lettre, de Pétrarque à Juste Lipse ”, Revue de l’histoire littéraire de la France, 1978, en particulier aux pages 890‑895 » (note de L. Jestaz).
Guy Patin admirait l’esprit de Juste Lipse (v. note [8], lettre 36), dont il avait mis le portrait dans son cabinet ; il lui reprochait pourtant sa conversion tardive et bigote au catholicisme (v. note [30], lettre 195) et l’inélégance de son style (v. le premier paragraphe de la lettre 298 et la note [18] de la lettre 605).
V. note [3], lettre latine 221, pour un avis de Lipse sur l’avantage de la simplicité dans l’écriture des lettres.
« de leur propre chef ».
Il est, je crois, impossible de trancher cette pertinente question. Je n’ai connaissance d’aucune bribe de répertoire où Guy Patin aurait consigné ses citations favorites (« lieux communs »), mais le manuscrit 2007 de la BIU Santé prouve qu’il tenait un journal de sa correspondance, à tout le moins latine, où il gardait non seulement les dates, mais les copies (ou plus probablement les brouillons) des lettres qu’il écrivait dans cette langue. De même, dans sa correspondance française, il ne se trompait jamais sur la date de la dernière qu’il avait reçue de tel ou tel, ou de celle qu’il lui avait envoyée. Le manuscrit Montaiglon du Collège de France établit aussi que, pour s’aider la mémoire (réputée prodigieuse), Patin tenait bien à jour une liste des leçons qu’il y donnait. Nul ne saura jamais ce que contenait la montagne d’archives personnelles qui a sans doute été jetée aux ordures lors de la dispersion de sa bibliothèque.
Dans les lettres de Guy Patin, une autre source massive d’emprunts latins découle des auteurs médicaux anciens (Hippocrate et Galien traduits du grec, Pline l’Ancien, Celse…) et modernes (Jean Fernel, Louis Duret, Caspar Hofmann…). Il en donnait presque toujours la référence fidèle, ce qui m’a très souvent permis de la retrouver.
« Par souci d’agrémenter la lecture et pour la rendre plus conforme aux usages modernes, la ponctuation mise par Patin n’a pu être respectée. Mais le fait est là : il use d’un nombre incroyable de “ ; ” ou de “ : ” qui ne cessent de stopper la phrase et l’arrêtent, créant un rythme assez heurté, mais d’autant plus vif » (note de L. Jestaz, dont j’approuve entièrement la remarque, ayant recouru au même procédé éditorial qu’elle).
Tout ce propos est pertinent quant aux lettres de Patin à Spon et à ses autres amis français (Falconet, Belin, de Salins), mais sa correspondance latine révèle un autre style : rédigées d’abord au brouillon, les lettres apparaissent beaucoup plus construites et ordonnées ; en les envoyant, Patin savait, et même espérait secrètement qu’elles pourraient un jour figurer (comme ce fut le cas pour quelques-unes) dans un des nombreux recueils d’épîtres savantes qui se publiaient alors, tels ceux de Thomas Bartholin, Jan van Beverwijk, Johannes Brandt (pour des lettres échangées avec Christiaen Utenbogard), Pieter Burman, Gassendi, Reiner von Neuhaus et Gorg Richter (v. notre bibliographie).
Lettre 13 de la remarquable édition électronique de la Correspondance de Pierre Bayle réalisée sous la direction d’Antony McKenna (v. note [4] de l’Introduction aux ana de Guy Patin) et de Fabienne Vial-Bonacci.
Je confesse ingénument que si j’avais trouvé un billet de Guy Patin à son tailleur, je l’aurais inséré dans notre édition.
Pierre Bayle (1647-1706), philosophe et littérateur français, reste surtout connu pour son Dictionnaire historique et critique (Amsterdam, 1697, pour la première de 12 éditions), où mes notes ont puisé quantité de renseignements. Il contient un long article sur Guy Patin (volume 3, pages 612‑619, édition d’Amsterdam, 1740, mise en ligne par l’ARTFL [curieux sigle de l’American and French Research on the Treasury of the French Language]).
Charles Patin, fils puîné de Guy, eut lui à en souffrir directement, comme le montre le chapitre intitulé Vains efforts pour une réhabilitation académique à Paris dans les Déboires de Carolus : on le soupçonnait non sans raison d’avoir été l’éditeur des premières Lettres de son père en 1683 : v. note [152] de ses Déboires, et surtout Jacob Spon et Charles Patin, premiers éditeurs des Lettres choisies de feu M. Guy Patin.
L. Jestaz transcrit ici in extenso le second folio du Ms BnF no 9357, tel que je l’ai aussi copié dans ma note [a], lettre 71.
Quant à cela, on ne saurait rien dire des 432 lettres que Guy Patin a écrites à André Falconet car le manuscrit d’une seule d’entre elles a échappé aux flammes : v. des Éditions avortées des Lettres et la destruction partielle de leurs manuscrits en 1895.
« Ces critiques sont peut-être justes quant à la valeur historique des lettres de Patin ; néanmoins, elles ont une inestimable valeur quant à la représentation de la vie de son temps, et il faut rappeler qu’en les écrivant de sa plume, Guy n’avait pas l’intention d’en faire de la littérature. »
Ce passage se trouve à la page viii de l’Introduction de Guy Patin and the medical profession in Paris in the xviith century [Guy Patin et la profession médicale à Paris au xviie siècle] (New York, Paul B. Hoeber, 1929), dernier essai biographique imprimé de Guy Patin existant à ce jour, écrite par Francis Randolph Packard, médecin et historien américain (1870-1950). Ce livre n’est malheureusement qu’une laborieux et navrant Reader’s Digest des louables écrits de Reveillé-Parise, Pic ou Triaire, enrichi d’extraits tirés des lettres de Patin qui étaient alors publiées, mais sans autre apport original émanant de recherches personnelles. Je n’en recommande la lecture à personne car c’est un ennuyeux rabâchage de lieux communs, d’approximations et de contresens. Parmi cent autres bévues, on y apprend que Mazarin a établi le Collège des Quatre-Nations (page 17), ou que le le doyen de la Faculté de médecine de Paris était de droit membre du Parlement (page 46).
La remarque de Packard est néanmoins exacte si on s’intéresse plus à l’épistolier qu’au médecin, débat où Laure Jestaz s’est montrée plus indulgente que moi (page 202, pour conclure le chapitre iii de son Étude critique, intitulé Guy Patin et la médecine) :
« La matière médicale est assurément bien présente dans les lettres de Guy Patin des années 1649-1655. Témoignant de son attachement à la profession qu’il exerçait, elle confirme également la force de ses liens avec la Faculté de médecine de Paris dont l’enseignement lui parut le plus juste en ce qu’il se conformait le mieux avec les exigences de la santé publique. Néanmoins, pour fidèle qu’il ait été aux préceptes médicaux des Écoles, Guy Patin ne se fit pas faute d’en récuser certains, en exerçant sa propre réflexion sur la pratique thérapeutique la plus judicieuse et la plus salutaire aux malades.Parce que ses activités de praticien lui laissaient peu de temps pour des recherches approfondies, Guy Patin fut dépendant des connaissances de son époque en physiologie, en anatomie et en botanique dont dépendait toute une méthode thérapeutique. Que cette époque ait été celle de profonds bouleversements dans ces trois domaines ne doit pas faire oublier que les découvertes d’alors restaient, malgré l’avancée de la science, souvent inexactes et présentaient des failles qu’un homme aussi exigeant que ce médecin ne put accepter, et qu’il critiqua en des termes que son tempérament si vif peinait à modérer. Qu’il s’agisse de la circulation du sang mise en lumière par Harvey, des vertus de l’antimoine ou de celles du quinquina récemment découvert, la nouvelle thérapeutique qui en découlait présentait encore trop de dangers pour les malades, d’où sa proscription par Guy Patin, avant tout soucieux d’exercer au mieux sa profession. Convaincu de l’innocuité des remèdes dont il se servait, et vivant en un temps où abondaient les drogues les plus variées aux compositions souvent extravagantes, il ne comprit pas l’utilité d’ajouter de nouveaux médicaments à la pharmacopée en vigueur, déjà si bien fournie, et les rejeta en bloc. Sa fermeté, souvent perçue comme une forme d’intolérance, se justifie par une conscience professionnelle forte, qu’il défendit jusque devant le Parlement à l’occasion de la guerre antimoniale. On a souvent mal jugé le rôle que les circonstances l’amenèrent à jouer. Du moins ne peut-on pas lui reprocher de s’être montré infidèle à ses convictions. »
Quant au talent littéraire de Patin, un anonyme chroniqueur de The Medico-Chirurgical Review, and Journal of Practical medicine [La Revue médico-chirurgicale et le Journal de médecine pratique] (New-York, R. et G.S. Wood, 1847) a commencé sa longue analyse {a} des Lettres de Gui Patin {b} sur ce sagace hommage :
Guy Patin may claim a foremost place in a department of literature – the difficult art of letter-writing – in which his countrymen have attained an acknowledged superiority ; and the only regret we feel at the conclusion of our perusal of the portion of this voluminous correspondence here presented to us by M. Parise, arises from the fact of its termination having been reached, and our conviction that, take what pains we may, we can only present our readers with a very inadequate idea of its interesting characteristics. Translation may be undertaken by the practised hand in the case of didactic or narrative literature with the assurance of an accurate, and even an elegant, execution ; but when vivid pictures of men and manners, dashed off in a few lines of happy but idiomatic phraseology, are attempted to be thus transferred, they are apt to lose all their original brilliancy, and even become distorted by the different refracting power of the medium of transmission. Thus it is that attempts at the adequate rendering of the various celebrated French letter-writers have always proved marked failures – washy pointless productions being substituted for the elegance and vivacity of the originals. We may, however, indicate to our readers what they will find by referring themselves to these volumes, and can assure them that the various scenes therein depicted by the ever-active writer are endowed with a life-like energy that at once transports us to the scene of action, mingles us with the throng of events, forcibly impresses the imagination, and conveys a more accurate idea of the manners of the epoch than volume upon volume of history written for the express purpose could impart.[Guy Patin peut revendiquer une place de premier rang parmi les épistoliers – soit en l’art d’écrire des lettres – où ses compatriotes ont atteint une supériorité reconnue ; et le seul regret que nous ressentons après avoir entièrement lu la portion de cette volumineuse correspondance que nous présente ici M. Parise est d’en avoir atteint la dernière page, avec la conviction que, en dépit de tous les efforts dont nous sommes capables, nous ne pouvons présenter à nos lecteurs qu’une très maigre idée de ses intéressantes particularités. Quand un texte est didactique ou narratif, une habile plume peut entreprendre de le traduire avec l’assurance d’un résultat fidèle, et même élégant ; mais quand il s’agit d’exprimer pareillement les portraits de gens et de mœurs pris sur le vif, brossés en quelque phrases écrites dans un style heureux, mais avec des mots de son cru, le risque est de perdre tout leur brio original et même de les défigurer par le pouvoir déformant du milieu qu’ils ont traversé pour être transposés. Ainsi les tentatives de rendre correctement en anglais diverses célèbres correspondances françaises ont-elles toujours profondément échoué – d’insipides et ineptes productions s’y étant substituées à leur élégance et alacrité originelles. Nous pouvons néanmoins faire voir à nos lecteurs ce qu’ils découvriront en se plongeant eux-mêmes dans ces volumes, et les assurer que les diverses scènes dépeintes par leur tourbillonnant auteur sont imprégnées d’une pétulante énergie, elle nous transporte immédiatement sur le théâtre des événements, nous mêle au feu de l’action, force profondément l’imagination, et communique une idée plus précise des manières de l’époque que ne pourrait le faire, tome après tome, une histoire spécifiquement écrite à dessein].
- Volume 51, 1er avril au 30 septembre, pages 169‑182.
- Éditées par Joseph-Henri Reveillé-Parise (Paris, 1846, 3 volumes, v. notre Bibliographie).
Propos de Jacques Perreau dans son épître dédicatoire du Rabat-joie de l’Antimoine triomphant (Paris, 1654, v. note [3], lettre 380) ; mais c’était à l’encontre de l’antimoine.
Parmi quantité d’autres, la note [3] de la lettre 822 fournit une triste preuve du degré que pouvait atteindre la fourberie de Guy Patin. Pour sa part, c’est le Gazetier qu’il a traité de caméléon (v. note [23] du Manuscrit inédit de Guy Patin contre les consultations charitables de Théophraste Renaudot).
Au début de sa lettre du 27 juillet 1662 à Otto Sperling, Patin a lui-même fait ce curieux aveu en réponse aux louanges de son correspondant (v. note [1], lettre latine 205) :
me Tibi ignotum, et fato quodam, vel potius fama dumtaxat mentiri solita, quodam nec notum […].[moi que vous ne connaissez pas et qui ne suis connu de personne ou qui, par quelque mauvais coup du sort, le suis seulement pour ma réputation ordinaire de mentir (…)].
Ce caméléonisme dépassait le domaine des idées et des convictions : la lettre latine 248, à Reiner von Neuhaus, illustre le remarquable talent de Guy Patin à imiter le style grandiloquent de son correspondant (v. sa note [a]).
V. note [5], lettre du 28 octobre 1659 à André Falconet.
Est honnête « ce qui mérite de l’estime, de la louange, à cause qu’il est raisonnable, selon les bonnes mœurs » (Furetière).
Voilà une définition qui ne s’accorde guère avec au moins deux obscurités de la vie de Guy Patin crûment éclairées en fouillant les archives : et sa manière, pour parader, de vivre largement au-dessus de ses moyens, qui provoqua sa ruine (v. La maison de Guy Patin, place du Chevalier du Guet et Comment le mariage et la mort de Robert Patin ont causé la ruine de Guy) ; et sa bibliomanie maladive qui le compromit dans les trafics de livres interdits ou contrefaits, passion qu’il communiqua à son fils Charles jusqu’à entraîner son bannissement définitif du royaume (v. La bibliothèque de Guy Patin et sa dispersion et les Déboires de Carolus).
Pour me limiter au pire, il faut aussi parcourir les vers féroces que les antimoniaux ont écrits sur Patin (note [35], lettre 399) ; découvrir sa méchanceté et sa mauvaise foi dans le Procès qui l’opposa à Jean Chartier en juillet 1653 ; ou encore sentir la gênante impression de pédanterie fanfaronne et d’usurpation que procure sa thèse Estne totus homo a natura morbus ?, dont il tira si grande fierté et que beaucoup de ses contemporains admirèrent ; lire aussi les trois lettres qui forment la correspondance acide de Julien Bineteau avec Patin, et la note [38], lettre 224, pour les vers de Charles Spon, dans l’épître dédicatoire du Sennertus (1650), qui reflètent l’exacte image que Patin souhaitait donner de lui.
V. notes [9], lettre 60, et [7], lettre 65. Guy Patin, avec 35 de ses lettres françaises, figure en bonne place parmi les Libertins du xviie siècle dont Jacques Prévot a dressé une anthologie (Paris, Gallimard, La Pléiade, tome ii, pages 405‑538, v. notre bibliographie).
René Doumic, 1907, page 933 (v. note [19] de Paul Triaire, éditeur des Lettres en 1907) :
« Ce qu’on peut dire, c’est que les libertins ou leurs amis, à cette date, ne formulaient pas encore d’affirmations très précises. Ils n’en étaient qu’aux négations. Bayle a dit de Gui Patin qu’il n’avait pas beaucoup d’articles à son Credo. Il n’en avait pas rayé Dieu, dans un siècle encore tout imprégné de foi. Vienne l’instant où la foi vacillera – et cet instant est proche, – ce minimum de credo ne résistera pas au souffle grandissant de l’incrédulité. Inversement, le genre de sarcasmes où excelle Gui Patin fera fortune. La première édition des Lettres paraît en 1683, un an après les Pensées sur la Comète de Bayle, quatre ans avant les Oracles de Fontenelle. On peut juger par là de la place qui appartient à Gui Patin. Cet homme d’esprit ne fut à aucun degré un grand esprit ni surtout un esprit hardi. En théologie comme en médecine, il n’a d’idées que dans la mesure où les préjugés sont des opinions. C’est un attardé du xvie siècle, comme on l’a dit, mais c’est sa raison d’être ; en prolongeant l’esprit du xvie siècle jusqu’au temps de Blaise Pascal, de Jacques-Bénigne Bossuet et de Louis Bourdaloue, il lui permet de rejoindre le moment où se sépare et se dessine l’œuvre du xviiie siècle. »
Guy Patin a recensé seize de ces dédicaces dans sa lettre du 18 mai 1662 à Reiner von Neuhaus (v. ses notes [5] à [14]). Bien qu’il semble avoir écrit lui-même quelques-unes d’entre elles, leur lecture en apprend beaucoup sur ses véritables mérites et sur son authentique renom européen.
« Il conviendrait peut-être, en reproduisant fidèlement le texte, de ne pas tout donner, de ménager (en avertissant) quelques suppressions çà et là, de ne pas laisser tout à fait l’agrément périr sous trop de longueurs » (conseils de Sainte-Beuve pour établir une nouvelle édition critique des Lettres de Guy Patin ; op. cit. page 132).
Sainte-Beuve ajoutait à cela une recommandation que je me suis efforcé de suivre dans la présente édition, en l’enrichissant de commodités électroniques qu’il ne pouvait soupçonner : « Il y aurait surtout à bien éclaircir le texte au moyen de notes claires, simples, précises ; il faudrait que, d’un coup d’œil jeté au bas de la page, le lecteur fût brièvement informé de ce que c’est que tous ces auteurs et ces ouvrages oubliés que cite continuellement Guy Patin, et que, sans être médecin, on pût comprendre dans tous les cas s’il s’agit du Pirée ou d’un nom d’homme. »
Pirée vient de la fable du singe (magot) naufragé que secourt un dauphin en le prenant pour un homme ; il lui offre de le porter sur son dos :
« Le dauphin l’allait mettre à bord,
Quand, par hasard, il lui demande
‟ Êtes-vous d’Athènes la grande ?
– Oui, dit l’autre, on m’y connaît fort ;
S’il vous y survient quelque affaire,
Employez-moi, car mes parents
Y tiennent tous les premiers rangs.
Un mien cousin est juge maire. ”
Le dauphin dit ‟ Bien grand merci ;
Et le Pirée a part aussi
À l’honneur de votre présence ?
Vous le voyez souvent, je pense ?
– Tous les jours : il est mon ami ;
C’est une vieille connaissance. ”
Notre magot prit, pour le coup,
Le nom d’un port pour un nom d’homme.
De telles gens il est beaucoup,
Qui prendraient Vaugirard pour Rome,
Et qui, caquetant au plus dru,
Parlent de tout et n’ont rien vu. » {a}
- La Fontaine, Le Singe et le Dauphin, livre iv, fable 7 ; avec remerciements à Jacques Gana, l’érudit et brillant informaticien qui a conçu et bâti notre édition électronique, v. Aspects techniques.
Notre édition de la Correspondance complète et autres écrits de Guy Patin, intégrale et sans coupures, montre l’inexactitude et l’injustice de l’avis qu’en colportait Nicolas de La Sablière dans une lettre du 17 août 1684 (Correspondance de Pierre Bayle, lettre 320, v. supra note [45]) :
« À propos de cet auteur, une personne qui le connaissait fort bien m’a prié de vous dire qu’il n’était pas digne des éloges qu’on lui donne du côté de la science, qu’il ne lisait jamais que les titres des livres, et que dès qu’il apprenait qu’il y avait quelque personne illustre aux pays étrangers, il ne manquait jamais de leur écrire pour s’acquérir de la réputation. »
Patin lisait, analysait et archivait soigneusement les livres dont il parlait à ses correspondants. S’il était si assidu auprès des savants étrangers, c’était bien sûr pour établir sa réputation européenne, mais surtout pour abreuver sa bibliomanie en acquérant des imprimés, livres ou thèses, introuvables en France. Chacun peut le vérifier en parcourant les lettres latines de Patin que La Sablière n’avait sûrement pas lues de bout en bout (s’il en avait seulement lu une seule).
En exemple parmi des milliers d’autres, v. la note [35] de la lettre latine 154, pour découvrir ce à quoi peut mener la simple correction orthographique du nom de Sappho dans un livre de Gerardus Leonardus Blasius.
V. notes :
« Il y a là-dessus certaines choses qui sentent très fort le médecin. »
J.‑H R‑P. (tome i, Notice sur Gui Patin, page xxviii) a attribué cette citation au littérateur François Charpentier (1620-1702) :
« Gui Patin était croyant ; il ne met jamais en doute les fondements du spiritualisme. Il est donc très difficile de comprendre ce jugement de Charpentier sur ses écrits : Sunt nonnulla quæ medicum nimis sapiunt. {a} Qu’a voulu dire par là l’obscur doyen de l’Académie française ? Une simple assertion peut-elle donc suffire ? […] À travers ses boutades, son ironie, ses sarcasmes, on reconnaît toujours les accents d’un cœur pur et sincère. »
- « Quelques traits font trop sentir sa qualité de médecin. » Reveillé-Parise aurait mieux fait de ne pas exhumer cette humiliante saillie.
« Quoiqu’on puisse dire avec raison qu’un auteur se peint dans ses livres, il est certain néanmoins qu’il s’y déguise, pour l’ordinaire, bien mieux qu’il ne s’y représente naïvement. J’avoue qu’il lui échappe certains traits qui peuvent faire juger de son caractère ; mais il se masque de telle sorte en cent autres lieux qu’on le prendra toujours pour ce qu’il n’est pas, si l’on juge de lui par ses ouvrages. Les lettres qu’il écrit par toute la terre ne sont pas exemptes de cette dissimulation : il est bien vrai qu’elles sont une plus fidèle image de son cœur et de son génie que les livres qu’il fait imprimer ; mais après tout, on n’écrit pas aux gens tout ce que l’on pense, on aurait trop de honte de se montrer à eux tel qu’on est, et trop peur de se faire des ennemis par son ingénuité. On écrit différemment selon les personnes avec qui on entretient commerce de lettres. […] En un mot, les lettres d’un homme ne sont pas de bons témoins de ses pensées. Mais il faut excepter de cette règle celles de M. Patin. Pour celles-là, on le garantit purgées d’hypocrisie. L’auteur s’y est peint au naturel, et c’est ce qui en rend la lecture plus agréable. {a} Il serait à souhaiter qu’on nous donnât de temps et temps de pareilles productions ; et on le ferait sans doute si on en trouvait, car les libraires ne demanderaient pas mieux que de rencontrer de cette sorte d’ouvrages ; mais tout le monde n’a pas l’esprit fait comme celui de M. Patin, tout le monde n’écrit pas, sans art ni préparation, d’une manière vive et agréable. Ainsi, on aime mieux lire ce que les gens se persuadent qu’il devraient penser que ce qu’ils pensent en effet. »
- Au fil du temps et de mes recherches j’ai ajouté de nombreux textes de Patin à sa correspondance : ces écrits médicaux divers et ces cinq copieux ana ne sont toujours pas parvenus à fixer mon jugement sur qui il était et ce qu’il croyait vraiment. De lui, on peut penser à peu près tout et son contraire. Le long débat contradictoire que j’ai eu en 2020 avec Gianluca Mori au sujet de son athéisme libertin en fournit un éloquent témoignage : v. note [38], lettre 477.
« Quelque réputation qu’il se soit acquise par sa connaissance dans la médecine, elle est encore moindre que celle dont il est redevable aux lettres satiriques de sa façon que l’on a données au public. Patin les écrivait à ses amis, et il n’y donnait pas sans doute toute l’attention qu’il eût pu prendre, s’il eût prévu qu’elles dussent un jour être exposées au grand jour. Il ne les faut lire qu’avec défiance, sur la plupart des faits qui y sont rapportés, et y observer en passant le caractère de Guy Patin, lequel, outre le penchant qu’il avait à médire, n’avait pas des sentiments fort exacts sur la religion. […]
Les querelles de l’antimoine, qui s’élevèrent de son temps dans la Faculté de médecine à Paris donnèrent de l’exercice à Patin, qui mourut l’an 1672. […]
On dit que Patin avait dans le visage quelque air de ressemblance avec les médailles antiques qui nous restent de Cicéron. C’est M. Hagudfau, {a} avocat de Lyon, ami de Patin, qui a fait le premier cette découverte. Patin eut deux fils, Robert Patin, docteur en médecine et professeur royal, mort avant son père en 1671 ; {b} et Charles Patin, dont nous allons parler. On prétend qu’il avait été correcteur d’imprimerie. » {b}
- Corruption du nom de Jean Huguetan (v. note [21], lettre 72).
- Robert Patin mourut le 1er juin 1670 (et non 1671).
- V. deuxième notule {a}, note [11], lettre 57, pour les rares preuves de cette assertion.