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Observations de Guy Patin et Charles Guillemeau sur les us et abus des apothicaires (1648) : viii  >

Des confections d’alkermès et d’hyacinthe [a][1][2][3]

Ces deux compositions nous viennent des Arabes, [4] et contiennent une partie du luxe qu’ils ont introduit en médecine.

Cette première est faite de sirop de kermès, [1][5] apporté de Montpellier ou de Lyon, d’ambre gris, [6] de bois d’aloès, [7] de cannelle, [8] de pierre d’azur, [2][9] de perles, [10] de feuilles d’or [11] et de musc. [3][12] Ces barbares et ignorants médecins ont cru, ou tout au moins, ont tâché de faire croire au monde que ces choses étaient cardiaques, [13] puisqu’elles étaient bien chaudes et bien chères. Il est vrai que l’or fin et monnayé, bien forgé et autorisé de la marque du prince, sert merveilleusement à réjouir l’esprit des hommes, principalement de ceux qui sont avaricieux ou ambitieux, ou nécessiteux ; mais qu’il puisse fortifier le cœur, étant pris par la bouche, il n’y a que les Arabes qui l’ont dit, et que les barbares qui font semblant de le croire. Par les barbares, j’entends ceux qui l’ordonnent par simplicité et ignorance, ou qui font leur profit de la sotte crédulité et de la misérable ignorance des peuples. Cette composition mérite d’être rejetée, tant pour les ingrédients dont elle est composée, qui sont tous ou nuisibles, ou inutiles, que pour les méchants et malheureux effets qu’elle produit. Le kermès n’a nulle vertu médicinale (il est vrai qu’il sert aux teinturiers en soie à teindre en écarlate : ne s’ensuit-il point de là que c’est un excellent cardiaque ?) ; l’ambre gris et le musc contiennent en soi une chaleur immodérée, capable de mettre le feu partout, en brûlant et réduisant en cendres tout ce qu’ils rencontrent ; le bois d’aloès et la cannelle n’ont ici aucun effet insigne ; le lapis-lazuli a une qualité maligne délétère et vénéneuse, ennemie des principes de notre vie ; les feuilles d’or et les perles ne peuvent du tout rien, pris par la bouche en qualité de médicaments. À quoi peut être bonne cette confection, que pour brûler malheureusement les entrailles de ceux qui en useront et pour faire monter à un grand prix les parties de l’apothicaire ? [14] Les Arabes ont cru qu’elle était bonne aux mélancoliques [15] pour la ressemblance que peut avoir la pierre d’azur avec l’humeur mélancolique. [16] Jugez ici, cher lecteur, je vous prie, de la prud’homie [17] et de la philosophie de ces gens-là. Voyez quelle ressemblance, quelle vertu et quelle raison, d’une pierre étrangère et délétère avec une des humeurs du corps humain. Vraiment, il faut manquer de sens commun pour croire de telles bagatelles : ce sont plutôt des brides à veaux [4] que des raisons. Sur ce prétendu fondement de mélancolie, les Arabes s’en servaient aux palpitations de cœur et aux syncopes. [5][18][19] Aujourd’hui, nos charlatans [20] et empiriques [21] s’en servent en toute occasion et en toute sorte de maladies. Les Arabes n’en abusaient qu’en trois ou quatre cas assez rares et, aujourd’hui, on en abuse tous les jours. Si c’est un enfant qui ait la petite vérole ou qui en soit soupçonné, [22] ils lui en font avaler incontinent dans des eaux dont ils composent un julep, qu’ils nomment cordial ; [23] non sans un très grand et pernicieux abus car, de ce prétendu julep, s’ensuit un horrible flux de ventre, [24] ou dysenterie, [25] à cet enfant ; lequel, affaiblissant la nature et empêchant que la vérole ne sorte, lui apporte la mort ; ce qui se voit tous les jours à Paris par la trop grande crédulité des mères qui, au lieu de croire un bon médecin, s’amusent à croire un ignorant apothicaire qui ne cherche et ne pense à autre chose qu’à débiter sa marchandise. Si c’est une fièvre maligne et pourprée, [26] ils promettent d’en éteindre la malignité ; s’il y a un soupçon de peste, [27] ils en veulent fortifier le cœur ; bref, ils font de cette confection comme les Anciens faisaient du couteau de Delphes : ils la font servir à tout usage et en promettent la guérison à toute maladie ; [6][28] et ce, très injustement et aux dépens des pauvres malades qui veulent être dupés. Symphorien Champier[29] médecin de Lyon, lib. i de simpl. medic. cap. 17, dit que la confection d’alkermès devrait être appelée confection démoniaque parce qu’elle mène aux enfers ou dans les champs Élysées ceux qui la prennent, c’est-à-dire qu’elle leur fait passer le guichet de la vie. [7] Guillaume Rondelet[30] fameux et habile médecin de Montpellier, en son livre de ponderibus medicis, page 142, méprise fort cette confection à cause du lapis-lazuli qui, pour être plusieurs fois lavé, ne quitte pas toute son acrimonie, ni la vertu laxative qu’il a ; au contraire, elle y demeure, comme il paraît aux pilules où il entre et aux poudres qui sont préparées avec cette pierre pour purger[31] Et c’est à cause de cette vertu laxative qu’a cette confection que Jean Falcon[32] doyen de la Faculté de Montpellier, [33] n’en voulait jamais donner aux flux de ventre et, avec juste raison, reprenait ceux de son temps qui s’en servaient en telles maladies. Quant à moi, dit Rondelet, j’ai vu l’archidiacre de Valence, [34] chanoine en cette ville, être tombé en une dysenterie pour avoir trop souvent usé de cette confection. [8] Donatus Antonius ab Altomari[35] savant professeur et médecin à Naples, en son livre des fièvres pestilentes, chap. 9, se plaint fort raisonnablement des médecins de son temps qui ordonnent cette confection à leurs malades, détenus de fièvres continues, malignes, pernicieuses et pestilentielles, [36] dans lesquelles, à cause de quelque grande inflammation [37] attachée à quelque partie interne, les parties de dedans brûlent, et les externes sont froides comme glace ; pensant, dit-il, par ce moyen, fortifier et augmenter la chaleur naturelle, et réchauffer les parties externes, ne sachant point qu’à cause de l’inflammation ou de l’érysipèle [38] interne, la chaleur est retirée et retenue en dedans, et par la même raison que les parties externes sont froides ; et que de cette confection, l’inflammation et l’érysipèle en augmentent, et que les parties de dehors en sont tant plus refroidies. Et puis il continue : Même jamais ce médicament n’augmentera la chaleur naturelle, vu qu’il ne nourrit point ; et c’est pourquoi ils tuent le plus souvent leurs malades avec cette confection et, bien encore plutôt et principalement, lorsqu’ils la donnent avec du vin ou quelque autre liqueur chaude ; < ce > qui est un abus en vérité très pernicieux, qui n’est appuyé de nulle raison, de nulle autorité ni d’aucune expérience[9] Pour moi, je puis saintement et religieusement affirmer que j’ai maintes fois vu en cette ville des malades réduits à l’extrémité pour des flux de ventre, flux de sang, intempéries internes et fièvres malignes que cette pernicieuse confection avait causés, ayant été ordonnée par d’autres que par moi qui, par la grâce de Dieu, n’en ordonnai ni n’en ordonnerai jamais.

La confection que les Arabes appellent de Hyacintho, étant composée de quelques simples un peu différents, et tirant sur le rafraîchissement, et n’ayant point aussi de cette pierre d’azur, semble être un peu moins pernicieuse que celle de ci-dessus ; et néanmoins, quand je considère le fatras arabesque dont elle est composée, que j’y vois des hyacinthes, du corail rouge, [39] des grains de kermès, du safran, [40] de la myrrhe, [41] de l’os du cœur de cerf, [42] des saphirs, des émeraudes, des topazes, des perles, de la soie crue, [10][43] des feuilles d’or et d’argent, du camphre, [44] du musc, de l’ambre gris, et autres telles denrées, qui n’ont jamais guéri malade, je suis obligé d’avouer que c’est une composition inventée pour tromper les malades et pour enrichir ceux qui la vendent bien cher, sous le nom et le titre d’un précieux et fort utile médicament.

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a.

Méthode d’Hippocrate, Observation viii, pages 76‑80.

1.

Kermès est le nom arabo-persan de la cochenille, insecte qui fournit la base tinctoriale de l’écarlate, mais qu’on croyait alors être la graine d’un arbre (Furetière) :

« Cette graine est grosse comme un pois, pleine d’un suc rouge, qui croît au pied et souvent au milieu des feuilles de l’arbre, qu’on appelle ilex glandifera. {a} On la cueille aux mois de mai et de juin, et il en croît beaucoup en Provence, Languedoc et Dauphiné. Plusieurs disent qu’à mesure que son suc se dessèche, il se convertit en petits vermisseaux qui volent après comme moucherons, qui font qu’on a donné aussi à cette graine le nom de vermillon. »


  1. Yeuse ou chêne vert et, plus exactement, chêne kermès.

2.

Le lapis-lazuli, pierre d’azur, lazurite ou simplement lapis, est une « espèce de pierre précieuse bleue avec des filets d’or, et quelquefois mêlée de pourpre. Le plus dur et le plus chargé de couleur est le plus considéré, et on l’appelle le mâle. Le moins bleu est la femelle. On le trouve parmi les sables de la mer et dans des cavernes qu’elle a creusées, en morceaux carrés ou ovales qui ont quelquefois 6 à 7 pouces de haut. Il est plus tendre que l’agathe. On en fait des vases et on en orne des cabinets. De celui qui ne peut être employé, on en compose l’azur d’outre-mer, dont l’invention est due à un roi d’Égypte. L’oriental est fixe et ne change point sa couleur au feu, et ne devient point friable. Les Grecs l’ont appelé cyanée [kuanos], ou pierre bleue, et les Arabes, lazuli, d’où vient le mot d’azur, qui est la même chose » (Furetière).

« Matthiole dit qu’il a grand rapport avec la pierre arménienne, non seulement en ce que ces deux pierres croissent dans les mêmes mines, et l’une avec l’autre, mais parce qu’elles ont presque les mêmes propriétés pour évacuer les humeurs mélancoliques, de sorte que quelques Arabes les ont confondues. Toute la différence qu’il y a, c’est que le lapis-lazuli est tout marqueté de filets d’or, et que la pierre arménienne est parsemée de vert et de noir. Pour bien choisir la pierre d’azur appelée lapis stellatus par Mesué, il faut qu’elle soit d’une couleur azurée qui devienne plus bleue en la brûlant, pesante, polie, et qu’on y voie éclater quantité de petites paillettes d’or. Elle est bonne pour la vue et tient l’esprit gai si on la porte sur soi. Étant brûlée et lavée, elle recrée toutes les parties internes » (Thomas Corneille).

3.

Musc (Furetière) :

« C’est un parfum qu’on trouve dans la vessie d’un animal qui porte le même nom. {a} On l’y trouve comme du sang caillé de la grosseur d’un œuf. Il forme une petite éminence à son nombril. Cet animal ressemble presque à un petit cerf ; mais son poil tire un peu plus sur le noir et il n’a point de bois. Les Chinois en mangent la chair quand ils l’ont tué. Il vient en quantité du royaume de Bhoutan et de la Chine. Ce que les Anciens en ont écrit est fabuleux, disant qu’il venait des testicules d’un castor, lequel se châtrait lui-même pour éviter la poursuite des chasseurs. Cette erreur vient apparemment de ce que les Indiens appellent cet animal castous. {b}

Un grain de musc, un rognon de musc : c’est une petite peau dans laquelle les marchands enveloppent le sang caillé qu’ils retirent de cet animal, taillé en forme de rognon ; mais ce n’est pas le vrai rognon de cet animal, comme le peuple se l’imagine. Il y en a de trois sortes, le noir, le brun et le jaune. Le dernier est le meilleur. Il faut que l’odeur en soit si forte qu’on ne la puisse souffrir, et qu’en le mettant en la bouche ou en le tenant serré dans la main, il se fonde aussitôt ; et il ne le faut pas tenir auprès aucune épice, {c} car il perdrait son odeur. Ce mot vient de l’arabe mosch ou musch, {d} dont on a fait le grec vulgaire moschos. »


  1. Moschus moschiferus, chevrotain porte-musc (Littré DLF).

  2. Confusion du musc avec le castoréum (v. note [2] de la leçon sur le laudanum et l’opium).

  3. V. note [15], lettre 544.

  4. Littré DLF relie ce mot à muskha, testicule en sanscrit.

4.

Bêtises (v. note [61], lettre 223).

5.

Palpitation : « mouvement convulsif du cœur, qui consiste dans un mouvement déréglé, forcé et véhément. Palpitatio cordis. La palpitation a divers degrés, étant tantôt grande, tantôt médiocre, et tantôt petite ; elle est quelquefois si impétueuse, qu’on l’entend et qu’on la voit ; il est même arrivé que les côtes en ont été rompues. Le tremblement du cœur diffère de la palpitation : dans le tremblement les pulsations sont petites, fréquentes et tremblotantes, au lieu que la palpitation est une secousse immodérée et violente. La cause de la palpitation est tout ce qui peut irriter le cœur et y exciter une constriction déréglée, comme sont l’acrimonie du sang, les polypes et les autres excroissances qui se forment dans ses ventricules, l’eau abondante dans le péricarde, etc. Les artères sont aussi sujettes à des palpitations : quelquefois ce sont les carotides, quelquefois les artères des tempes, et quelquefois l’artère splénique. La cause est la circulation du sang empêchée dans ces artères particulières » (Trévoux).

V. note [8], lettre 725, pour la description de la palpitation par Jean Fernel dans sa Pathologie en 1554. Elle était alors considérée comme caractéristique d’un état mélancolique. Aujourd’hui, ce sont des secousses cardiaques ressenties par le patient comme un choc dans la poitrine, liées à une irrégularité rythmique : quand la palpitation est isolée, c’est un battement prématuré (extrasystole) ou, plus précisément, la systole (contraction du ventricule gauche) plus ample qui lui succède ; quand elle survient par salves, il s’agit généralement d’une fibrillation atriale (ou auriculaire), irrégularité, intermittente ou permanente, de la stimulation provenant de l’atrium (oreillette) gauche (v. notule {g}, note [12], lettre 725) : ce qui correspond probablement au « tremblement du cœur » décrit par le Dictionnaire de Trévoux.

6.

Aristote (Politique, livre i, § 5) :

« La nature a donc déterminé la condition spéciale de la femme et de l’esclave ; car la nature n’est pas mesquine comme nos ouvriers : elle ne fait rien qui ressemble à leurs couteaux de Delphes ; {a} chez elle, un être n’a qu’une destination, parce que les instruments sont d’autant plus parfaits qu’ils servent non à plusieurs usages, mais à un seul. {b} Chez les barbares, la femme et l’esclave sont des êtres de même ordre, et la raison en est simple : la nature, parmi eux, n’a point fait d’êtres pour commander. »


  1. L’expression est au singulier dans Aristote : δελφικην μαχαιραν (delphikên makhaïran).

  2. Jules Barthélemy-Saint-Hilaire a enrichi sa traduction (Paris, Imprimerie royale, 1837, tome i, page 7) de cette savante note :

    « Oresme, {i} le vieux traducteur, a fort bien expliqué ce passage, fo 2  : {ii} “ < Delphes est une île, là où était un solennel temple d’Apollon et grand pèlerinage. > Et près du temple l’on faisait des couteaux, desquels l’on pouvait couper et limer, et percer et faire plusieurs besognes ; et c’était pour les pauvres qui ne pouvaient pas acheter couteaux, et limes et marteaux, et tant d’instruments. ” »

    1. Nicole Oresme, érudit français du xive s.

    2. Fo 2 ro, première colonne du manuscrit mis en ligne par Gallica.

7.

Castigationes seu emendationes Pharmacopolarum, sive Apothecariorum, ac Arabum Medicorum Mesuæ, Serapionis, Rasis, Alpharabii, et aliorum iuniorum Medicorum, A domino Symphoriano Campegio equite aurato, ac Lotharingorum Archiatro in quatuor libros ac Tomos divisæ : in quas quicquid apud Arabes erratum fuerit summa cum diligentia congestum est. ✱ Liber primus de simplicibus medicamentis, quo docentur errata Seplasiarum et Pharmacopolarum, sive Aromathariorum, ac recentium Medicorum, Additis eorundem confutationibus. ✱ Liber secundus in quo continentur Castigationes in Antidotarium seu Grabadin Joannis Mesuæ, Nicolai, Serapionis, ac aliorum recentiorum Medicorum. ✱ Liber tertius est de ingenio curandorum corporum per medicinas laxativas. ✱ Liber quartus complectitur curationes ac remedia ægritudinum principalium humani corporis. Quibus adjungitur Officina apothecariorum, et juniorum Medicorum. ✱ Item de Phlebotomia sive sanguinis missione, et præsertim in Pleuritide, ex opinionibus Græcorum, quorum dicta in plærisque non intellexerunt Arabes. ✱ Item de vinis febricitantium ex traditionibus Græcorum, Arabum, Pœnorum, ac confirmationibus sacrarum Literarum.

[Blâmes ou corrections des pharmaciens ou apothicaires, et des médecins arabes, Mésué, Sérapion, Rhazès, Alpharabius {a} et autres médecins plus récents. Par Maître Symphorien Champier, {b} chevalier de l’Éperon d’or et archiatre de Lorraine. Divisés en quatre livres et tomes, où on a rassemblé avec le plus grand soin tout ce qu’il y a de faux chez les Arabes.✱ Livre premier sur les médicaments simples, où sont exposées les erreurs des parfumeurs et des pharmaciens ou droguistes, et des médecins modernes, avec leur réfutation. ✱ Livre deuxième qui contient les blâmes des antidotaires ou grabadin {c} de Jean Mésué, de Nicolas, de Sérapion et des autres médecins plus récents. ✱ Livre troisième sur la méthode pour soigner les corps par les médicaments laxatifs. ✱ Livre quatrième qui comprend les traitements et remèdes des principales maladies du corps humain, à quoi est ajoutée l’officine des apothicaires et des jeunes médecins. ✱ Et aussi sur la phlébotomie ou saignée, et principalement dans la pleurésie, d’après les opinions des Grecs, dont les Arabes n’ont pas compris la plupart des jugements. ✱ Et encore sur les vins des fébricitants, d’après les enseignements des Grecs, des Arabes, des Carthaginois, et les confirmations des Saintes Écritures]. {d}


  1. Al-Fârâbi, médecin et philosophe musulman persan du ixe s.

  2. V. note [5], lettre 548.

  3. V. note [4], lettre 5.

  4. Lyon, Jean Crespin, 1532, in‑8o.

Le chapitre xvii du livre i est intitulé De lapide lazuli [Le lapis-lazuli] (fos xxxi voxxxiii ro) :

Ego quidem sæpius pharmacopolas qui confectionem Alchermes, et pilulas ex hermodactilis, ac fœtidas conficiunt huius erroris admonui : nec cesso cotidie admonere : quamvis maior inveteratæ consuetudini, quam mihi fides adhibeatur : quod si me audiant, neque confectioni Alchermes, neque pilulis e lapide lazuli eum lapidem adiungant, quo passim pictores utuntur : confectio eorum illa alchermes imo demoniaca potius quam iuvamenti maximi pernitiosa est, ac periculosa : omnes enim qui eam accipiunt, in campos elysios, aut tartareas mittit.

[De cette erreur, j’ai certes très souvent admonesté les pharmaciens qui préparent la confection d’alkermès et les puantes pilules d’hermodactyles, {a} et ne cesse de les en admonester tous les jours. Leur habitude opiniâtre surpasse pourtant la bonne foi que j’y déploie car, s’ils m’écoutaient, ils n’ajouteraient pas cette pierre à la confection d’alkermès, ni aux pilules de ce lapis-lazuli, dont les peintres se servent partout. Leur confection d’alkermès est bien plutôt démoniaque que pernicieuse et dangereuse pour procurer très grand secours, car on envoie aux champs Élysées {b} ou aux enfers tous ceux à qui on l’administre].


  1. Ou hermodactes, v. note [10] de l’observation i.

  2. Séjour des défunts nobles, v. notule {c}, note [2], lettre 125.

8.

La source latine de cette citation est aux pages 142‑143 du Gulielmi Rondeletii Doctoris Medici et Medicinæ in Schola Monspeliensi Professoris Regii et Cancellarii, De Ponderibus sive de iusta quantitate et proportione Medicamentorum, Liber [Livre de Guillaume Rondelet (v. note [13], lettre 14), docteur en médecine, chancelier et professeur royal de médecine en l’Université de Montpellier, sur les Poids, ou les justes dosage et proportion des médicaments] (Lyon, Bartholomæus Molinæus, 1560, in‑8o), chapitre xliii, De Confectionibus [Des Confections] ; à propos de celle d’alkermès :

Ea enim compositio, in ea quantitate assumpta, ventrem movet, nam lapis Lazuli, ablutione non deponit prorsus suam acrimoniam et vim laxandi quam habet ; imo retinet, ut apparet ex pilulis de lapide Lazuli, et Indis, et de quinque generibus Myrabolanorum, in quibus etiam ablutus ponitur, et pulveribus paratis eo lapide ad purgandum. Ob tantamque vim laxandi, quam habet hæc compositio, Ioannes a falco, huius academiæ decanus eruditissimus, et prudentissimus, in fluxibus ventris nunquam dare voluit et iusta ratione reprehendebat suos coætaneos, quod in talibus dispositionibus confectione alkermes uterentur. Ego autem superioribus annis, vidi archidiaconum Valentiæ incidisse ob nimium, et frenquentem usum huiusce compostioni.

[Prise en telle quantité, cette composition met en effet le ventre en mouvement car le lavage ne supprime pas entièrement l’acrimonie du lapis-lazuli, non plus que le pouvoir laxatif qu’il possède ; il est bel et bien conservé, comme il se voit avec les pilules à base de cette pierre, du kermès et des cinq sortes de myrobolans, {a} où elle subsiste en dépit du lavage, comme dans les poudres purgatives préparées à partir de cette pierre. En raison de ce grand pouvoir laxatif qu’exerce cette composition d’alkermès, Jean Falcon, {b} très savant et très sage doyen de notre Université, n’a jamais voulu la donner dans les flux de ventre et blâmait ses contemporains s’ils l’utilisaient dans de telles indispositions. Quant à moi, j’ai vu jadis l’archidiacre {c} de Valence en pâtir pour avoir trop abondamment et fréquemment recouru à cette composition].


  1. V. note [6] du mémorandum 7.

  2. Jean Falcon, v. note [57], lettre 104.

  3. « Supérieur ecclésiastique qui a droit de visite sur les cures d’une certaine partie d’un diocèse » (Furetière).

Guy Patin avait cité ces deux dernières références, aux ouvrages de Symphorien Champier (v. supra note [7]) et de Rondelet, dans sa lettre du 24 avril 1647 à Claude ii Belin (v. sa note [7]).

9.

Le traité De pestilenti febre [De la fièvre pestilente] occupe les pages 950‑986 des Donati Antonio ab Altomari, Medici atque Philosophi Neapolitani, omnia, quæ hucusque in lucem prodierunt, Opera, nunc primum in unum collecta, et ab eodem Auctore diligentissime recognita et aucta : cum locis omnibus in margine additis [Toutes les Œuvres de Donato Antonio da Altamari, médecin et philosophe napolitain, qui ont été imprimées à ce jour, réunies pour la première fois, que l’auteur a lui-même revues et augmentées, avec mention marginale de tous les passages] (Lyon, Guillaume Rouillé [ou Roville, v. note [5], lettre de Charles Spon, datée du 5 mars 1658], 1565, in‑4o). L’extrait cité traduit la toute fin du chapitre ix, De pestilentium febrium curatione [Traitement des fièvres pestilentes] (pages 980‑981), mais avec quelques menues nuances :

Nos vero hic pestilentis duntaxat febris curationem docere proposuimus : qua etiam ratione et febres pestilentibus similes curari poterunt. Id tamen perpetuo vitare consulo, ne in communem gravissimumque nostræ tempestatis medicorum errorem incidas, qui in eiusmodi febribus, præsertim perniciosis, et valde malignis, velut in lipyriis, in quibus ob magnam inflammationem in corporis parte aliqua profundiori ortam, seu erysipelas, interiora uruntur, exteriores autem partes sunt frigidæ, medicamentum quoddam Mesues exhibent, non semel dumtaxat sed sæpius, quod Alchermes dicitur, putantes ex eo naturalem augeri calorem, atque ita extremas partes calfacere ; ignorantes quod cum propter inflammationem, seu erysipelas calor intus trahatur ac detineatur, et propterea extremæ partes frigeant, ex eodem calido medicamento inflammationem ipsam aut erysipelas augeri, magisque propterea extremas partes refrigerari. Nec etiam innatum calorem augebit unquam medicamentum hoc, cum non nutriat, quo circa ægrotantes sæpius hac ratione iugulant, tum vel maxime si ipsum cum vino, aut alio etiam calido potu præbeant. Admodum certe perniciosus abusus, nulla ratione aut auctoritate, nec etiam experientia comprobatus.

[Nous avons ici proposé d’enseigner le traitement de la seule fièvre pestilente ; néanmoins, celles qui lui ressemblent peuvent aussi être traitées de la même façon. Toutefois, je recommande toujours d’éviter que tu ne tombes dans la fréquente et très grave erreur des médecins de notre temps : dans ces fièvres, en particulier pernicieuses et fort malignes, comme dans les intermittentes, {a} il existe une importante inflammation née dans quelque partie plus profonde du corps, ou des érysipèles {b} brûlant les organes intérieurs, quand les parties extérieures sont froides ; ils prescrivent alors, encore et encore, ce médicament que Mésué appelle alkermès, pensant, grâce à lui, augmenter la chaleur naturelle {c} et échauffer ainsi les parties les plus externes ; mais ils ignorent que, l’inflammation ou les érysipèles attirant et retenant la chaleur à l’intérieur, ce médicament augmente l’inflammation ou les érysipèles et refroidit, en conséquence, les parties externes. Ce remède n’augmentera même jamais la chaleur innée {c} parce qu’il ne nourrit pas ; et cela fait que très souvent les malades meurent, à plus forte raison s’ils le prennent avec du vin ou quelque autre boisson chaude. Voilà un abus extrêmement pernicieux, qui ne se fonde sur aucune raison ni autorité, ni même sur l’expérience].


  1. L’adjectif latin lipyria est un hellénisme venant de leipuria, fièvre intermittente.

  2. L’érysipèle était et demeure une inflammation superficielle et localisée de la peau (v. note [16], lettre 41) ; mais Altomari en faisait aussi une affection des organes profonds.

  3. V. première notule {a}, note [14], lettre 150.

10.

« La soie crue est celle qu’on tire sans feu et qu’on dévide sans faire bouillir le cocon, qu’on incise pour en faire sortir le ver quatre ou cinq jours après qu’il est parfait. On en fait des gazes et autres étoffes. Cette soie est fort pure, pourvu qu’on en sépare la dernière enveloppe extérieure et la pellicule qui se trouve joignant le ver. Il est défendu de mêler la soie crue avec la soie cuite. La soie cuite est celle qu’on a fait bouillir pour la dévider plus facilement, comme celle dont on fait les velours, satins, taffetas, damas, brocards, crêpes et autres étoffes » (Furetière).

Jean de Renou (v. note [16], lettre 15) a consacré aux vers à soie le chapitre xxxvi, livre troisième, de ses Œuvres pharmaceutiques (édition française de Lyon, 1637, v. note [13] de la Leçon de Guy Patin sur le laudanum et l’opium), mais sans donner foi aux vertus médicinales de la soie (pages 466‑467) :

« […] la soie n’a que peu ou point de vertu en médecine, quoi que puissent dire les ignorants au contraire, car que peut-on espérer de bien pour la santé des hommes de l’excrément aride et sans odeur d’un petit animal imparfait ? Certes, il a beaucoup plus d’analogie et de rapport, sans comparaison, avec les toiles des araignées et chenilles, qu’il n’a de vertu pour la guérison des hommes ; jaçoit qu’en {a} notre siècle, les femmes enceintes qui sont sujettes ou qui craignent de se blesser aient accoutumé de prendre de matin à jeun (par le conseil des gardes) {b} certaine dose de soie crue hachée fort menu dans un œuf poché. Il ne se peut bien faire, toutefois, que le crêpe fin de jadis, auquel notre soie a succédé, n’ait plusieurs belles vertus en médecine ; mais, d’autant qu’il ne s’en trouve plus et que la race en est toute perdue quant à nous, {c} voilà pourquoi nos pharmaciens ne s’en souviennent plus ; mais néanmoins, je m’étonne que la plupart d’iceux donnent bien souvent de la soie crue à leurs malades, sans savoir pourquoi, étant chose assurée qu’elle n’a du tout point de vertu qu’au préalable elle n’ait été teinte en écarlate ; dont il s’ensuit qu’il vaudrait beaucoup mieux se servir seulement de la graine de kermès aux usages susdits que de ladite soie, depuis que {d} toute sa vertu est empruntée ; et par ainsi, j’estime qu’il n’est pas de besoin de perdre le temps à teindre ladite soie en écarlate pour l’employer en médecine. Voilà ce qui me semble sur ce sujet, en soumettant toutefois mon opinion au jugement des docteurs médecins, et maîtres de l’art, qui ne doivent rien admettre légèrement qu’au préalable il n’ait passé par l’étamine de leur jugement et censure. »


  1. Encore qu’en.

  2. Garde : « femme qui est attachée au service d’un malade ou d’une femme en couche ; les parrains et marraines font un présent à la sage-femme et à la garde » (Furetière).

  3. De nos jours.

  4. Puisque.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Observations de Guy Patin et Charles Guillemeau sur les us et abus des apothicaires (1648) : VIII

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(Consulté le 28/03/2024)

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