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Observations de Guy Patin et Charles Guillemeau sur les us et abus des apothicaires (1648) : ix  >

Des apozèmes et juleps [a][1][2][3]

Il n’y a rien de si commun et de si inutile en la médecine que les apozèmes et les juleps. [1] Un malheureux malade a bien de la peine à supporter son mal et, encore plus, à prendre deux ou trois bouillons [4] par jour pour soutenir ses forces, sans que l’on le surcharge de toutes ces drogues, qui ne sont qu’une décoction de chicorée, [5] d’oseille, [6] laitue, [7] pourpier, [8] buglose, [9] bourrache [10] et autres herbes dulcorées et aromatisées, car ce sont les mots, [2] avec du sucre [11] et de la cannelle, [12][13] dans laquelle on dissout une once de sirop de pommes,  [3][14] ou de verjus, [15] ou de limon, [16] ou violat. [17] Jugez si les mêmes herbes dans un bouillon ne se prennent pas plus aisément et n’ont pas plus de vertu, s’insinuant mieux dans les veines, ne donnant aucun dégoût au malade ; mais, me dira quelqu’un, il y en a de plusieurs sortes. Les uns servent à déboucher : dans le bouillon susdit, mettez-y le poids d’un ou de deux écus de séné ; [4][18] cela débouchera plus que toutes les racines et toutes les herbes apéritives [19] que l’on se saurait imaginer. Les autres servent à préparer les humeurs : la seule et vraie préparation des humeurs consiste à éteindre le feu de la fièvre ; ce qui se fait par la saignée [20] et par un bon régime de vivre, [21] humectant et rafraîchissant ; cela étant fait, on peut purger en toute assurance. [22]

Pour ce qui regarde les juleps, ils sont faits des eaux distillées des mêmes herbes : l’on les tire en été pour s’en servir en hiver, dans lequel temps elles sont toutes corrompues et gâtées. Il vaut donc mieux un verre d’eau pure, ou de limonade, ou d’orangeade, [23] ou bien d’eau d’orge, [24] dans laquelle on dissoudra du sirop de verjus ou de citron, nouveau fait, ou de grenade, [25] selon le goût du malade ; si bien qu’il se trouvera que toute sa boisson sera tout autant d’apozèmes et de juleps. Que l’on retranche donc de la médecine toutes ces drogues superflues qui ne servent de rien qu’à dégoûter les malades, puisque je vous présente des remèdes plus certains, plus faciles et à meilleur prix, et desquels un malade sera incontinent guéri.

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a.

Méthode d’Hippocrate, Observation ix, pages 80‑81.

1.

V. notes [7], lettre 80, pour la définition d’un apozème, et [7], lettre 135, pour celle d’un julep, dit cordial (fortifiant).

2.

Dans la langue des pharmaciens, dulcoré est un synonyme de dulcifié. Molière l’a mis dans les parties de l’apothicaire Fleurant, dont Argan fait le compte avec des jetons (première scène du Malade imaginaire) :

« Plus du vingt-huitième, {a} une prise de petit-lait clarifié et dulcoré, pour adoucir, lénifier, tempérer, et rafraîchir le sang de Monsieur, vingt sols. »


  1. Vingt-huitième jour du mois échu.

Avec celle d’endive (chicorée des jardins, que Guy Patin recommandait parfois, mais sous forme de remède simple), les décoctions de chicorée sauvage (pissenlit), de buglose et de bourrache étaient les quatre eaux dites cordiales (v. note [31], lettre 101).

3.

« Les pommes sont saines et laxatives quand elles sont bien mûres et hivernées ; elles sont admirables pour la brûlure, appliquées en emplâtres. Le sirop de pomme est fort cordial » (Chomel).

4.

Le « poids d’un écu de séné » est une expression attestée par le Dictionnaire de l’Académie ; ce n’était pas une référence à la valeur monétaire de l’écu (trois livres tournois), mais à son poids, fixé à 2 deniers et 15 grains (soit un peu moins de 5 grammes).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Observations de Guy Patin et Charles Guillemeau sur les us et abus des apothicaires (1648) : IX

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(Consulté le 23/04/2024)

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