Autres écrits
Traité de la Conservation de santé (Guy Patin, 1632) : Chapitre III  >

Du boire [a][1]

Nous pouvons dire du boire ce que par ci-devant nous avons dit de l’air et de la nourriture, [1] savoir qu’il y en a de deux sortes : un qui est pour nourrir et l’autre pour servir, en quelque façon, de médecine. Celui duquel on se sert en santé est fort divers, selon le divers appétit, la température et la commodité des buvants. Les uns ne boivent que de l’eau, [2] étant le breuvage le plus commun parmi nous et qui coûte le moins, usus communis aquarum est[2] dit le poète ; [3] duquel se passent [3] presque tous les enfants et la plupart des femmes, combien qu’elle ne nourrisse point du tout. D’autres, comme la plupart des hommes, ne boivent guère que du vin, [4] le plus souvent trempé, fondés sur la doctrine de Platon, [5] qui dit que la nature n’a rien donné aux mortels de meilleur que le vin, [6] et sur ce qu’en dit Galien, qu’outre qu’il échauffe et fortifie, il n’y a rien qui nourrisse tant ni si tôt. [4][7]

Quelques nations où il ne croît pas de vin usent de cidre, qui est fait avec pommes ou poires ; [8] d’où quelques Latins l’appellent vinum fructuarium[5] lequel est fort commun en Normandie. D’autres, plus septentrionales, comme la Flandre, l’Angleterre, l’Allemagne, qui n’ont guère de vin, usent de cervoise ou bière, [9] laquelle ils rendent grandement forte par le moyen du miel, [10] du sucre, [11] de la cannelle, [12] des clous de girofle, [13] et autres épices qu’ils y mêlent. [13a] Ainsi faite, elle échauffe, et trouble les sens, remplit la tête de vapeurs chaudes, et enivre aussi puissamment que le vin. Quelques pauvres gens des champs se servent d’un autre breuvage qu’ils appellent du bouillon, qui est fait d’eau cuite avec du son, versée dans le tonneau avec un peu de levain. [6][14][15][16]

Il y a plusieurs sortes d’eaux, la meilleure desquelles est celle de fontaine, puis de rivière, puis celle des puits. La pire de toutes est celle des étangs, à cause qu’elle est trop épaisse, limoneuse, dormante et sans mouvement.

Nam vitium capiunt ni moveantur aquæ[7][17]

L’eau toute simple non seulement ne nourrit point, mais aussi, à cause de sa qualité terrestre et de son épaisseur, demeure plus longtemps en l’estomac et dans les hypocondres ; [18] même devient amère dans le corps des bilieux, [19] à ce que dit Hippocrate, lib. 3 de Rat. vict. in morb. acut.[20] où il la méprise fort, disant qu’elle n’apaise pas la soif, qu’elle devient bilieuse, se pourrissant à force de demeurer dans le ventre, qu’elle devient chaude aux tempéraments chauds, qu’elle fait enfler le foie et qu’elle ne lâche point le ventre. [8] Elle sert néanmoins fort bien de véhicule à l’aliment pour ceux qui ont accoutumé de ne boire autre chose, principalement quand elle est bien choisie, c’est à bien dire pure et exempte de toute saveur et odeur étrange.

Il y a non seulement en France, mais presque par tous les royaumes de la chrétienté, d’autres espèces d’eaux que les médecins appellent minérales, desquelles les vertus et facultés sont tellement remarquables en la guérison de plusieurs maladies rebelles et presque désespérées qu’à bon droit pouvons-nous dire avec le saint Prophète : Mirabilis in aquis Dominus[9][21] Il y en a de chaudes et de froides, pour les diverses maladies qui se rencontrent, desquelles notre France est heureusement bien fournie (par la bénignité du souverain Auteur de la Nature) et dont les vertus nous sont enseignées par de grands personnages qui en ont écrit exprès ; comme les bains de Bourbon [22] découverts par feu M. Miron, [23] premier médecin de Henri troisième, roi de France et de Pologne, [24] desquels a amplement écrit M. Aubery de Moulins ; [25] ceux de Balaruc en Languedoc, [26] desquels a écrit Dortoman de Montpellier ; [27] les eaux de Pougues, [28] expliquées par M. Massac, [29] et les eaux de Forges, [30] de l’usage desquelles M. Cousinot, [31] médecin et professeur du roi à Paris, en a fait depuis peu un petit livre que chacun peut voir. [10]

Le vin a bien d’autres vertus, aussi est-il bien plus prisé, son nom même emporte sa force et sa vigueur ; [11] son usage témoigne comme il est un excellent cardiaque, [32] au dire de Galien, [33] qui s’en servait dans les maladies mêmes, contre les syncopes [34] et cardiogmes, [12][35] et aux fièvres continues [36] aussi, au lieu d’un tas importun de tablettes, [37] opiates [38] et poudres cordiales [39] qu’on fait aujourd’hui prendre à des malades, qui ne font qu’à peine, avec un long temps et à grands frais, ce que ferait bien tôt et bien aisément un doigt de vin bien trempé et modéré. Le vin est le lait des vieilles gens, le suc gracieux de la terre, la vraie nourriture des hommes, l’antidote de tous les venins, [40] plutôt que le bézoard controuvé[41] ou la fausse corne de licorne ; [42] bref, la meilleure boisson que puisse prendre l’homme, pourvu qu’il en use sobrement et sans excès.

Quelques-uns l’ont blâmé et lui ont imputé de grands maux, l’appelant le malheur des hommes, l’allumette de lubricité et la fomentation de paillardise ; un certain fouetta le poinçon qui avait fait mourir son père ; l’autre cassa la bouteille qui l’avait enivré. Mais ces vengeances sont absurdes, et hors de raison : ce n’est pas la faute du vin, mais de celui qui l’a bu démesurément, et qui en a abusé. [13]

Le bon vin est celui qui est bien pur, non nouveau, bien clair, fait de raisins bien mûrs, de bonne couleur, odeur et saveur, blanc ou clairet, il n’importe, qui fait uriner et ne charge guère la tête.

Son usage est fort divers selon son tempérament, la force et le besoin de celui qui le boit : il rend les uns furieux, et comme démoniaques, les autres éloquents, les autres gais et gaillards. Il nourrit, il échauffe et humecte, il purge, il fortifie. Plutarque [43] raconte que l’on ne sut trouver autre moyen pour arrêter et empêcher la grande peste qui ruinait l’armée de Jules César [44][45] en Afrique, [46] que de faire boire de bon vin aux soldats, laquelle cessa incontinent après, comme miraculeusement. [14] Voilà une étrange et merveilleuse puissance du vin, laquelle surmonte toute la thériaque [47] et tout le mithridate [48] du monde, fussent-ils de Venise ou de Montpellier, vu qu’ils ne font rien d’excellent et d’admirable comme cela.

Finalement, le vin tout seul fait presque autant que tous les autres remèdes ensemble ; c’est pourquoi, ôtez les enfants, les femmes et ceux qui n’y sont pas accoutumés, je conseille à un chacun d’en user modérément, et il s’en trouvera bien. Qui voudra savoir du vin davantage, de ses qualités, de ses différences et divines vertus, lise M. de La Framboisière, en son Gouvernement de la santé, liv. 1, chap. xiii, où il trouvera tout ce que les autres en ont dit. [15][49]

Le cidre se fait ou de pommes, ou de poires. Le pommé vaut mieux que le poiré ; il doit être fait avec de bonnes pommes bien mûres, cueillies en leur saison, et sans aucune eau ; ainsi paré, il est chaud comme du vin et enivre aussi quand on en boit trop, si on ne le trempe comme le vin. Le poiré refroidit trop l’estomac, empêche la digestion et bouche les conduits que le pommé ouvre.

Je ne saurais m’imaginer avec quelle raison un certain auteur a été avancer que le cidre induise la ladrerie ou lèpre blanche, vu qu’aux régions où on boit amplement et copieusement du cidre, on n’y voit aucun ladre ; mais au contraire, qu’en Languedoc et en Provence, il y a grande quantité de capots et ladres blancs, où on ne parle point de cidre. [16][50][51] Je ne vois pas aussi comment on peut soutenir cette question, puisque l’expérience journalière la convainc de fausseté et de mensonge.

La bière n’est pas si froide comme le peuple dit, et ne rafraîchit pas comme il pense. La plus simple est plus chaude que froide : celle que font les Anglais en leur île est plus chaude que le vin, encore qu’elle ne soit pas si saine, ni si bonne. Elle nourrit un peu, mais elle est de difficile digestion et de gros suc, par le moyen duquel elle bouche et fait enfler ; outre la gravelle, [52] colique, [53] ardeur d’urine, douleurs de reins et d’estomac, et autres accidents qu’elle peut causer.

Dioscoride [54] même la condamne assez apertement, disant qu’elle est diurétique, mais qu’elle offense les reins et les nerfs, et principalement les membranes du cerveau, engendre de mauvaises humeurs, et cause la ladrerie. [17][55] Galien est de même avis avec lui, et ne l’estime nullement meilleure. [18][56][57] C’est pourquoi je m’ébahis fort de ce qu’il se trouve de certaines gens qui la prisent tant, même qu’un certain auteur ose bien la préférer au vin, vu qu’elle n’a aucune qualité qui en approche, qu’au contraire, elle lui est inférieure en tout ; ce que je montrerai brièvement. Le saint patriarche Noé, [58] rempli de l’esprit de Dieu, après le déluge universel, inventa et suscita le vin afin d’augmenter les forces des hommes qui étaient fort affaiblies et diminuées ; au contraire, la bière n’a été inventée que par la pauvreté ou l’avarice, ou quelque mauvais génie. Du vin, Jésus-Christ même en a bu autrefois ; de la bière, il n’en a jamais goûté. Le vin, au rapport de la Sainte Écriture, réjouit le cœur de l’homme la bière au contraire rend les hommes tristes et chagrins, à ce que dit Cardan. [19][59] Le vin, selon saint Ambroise, [60] conserve la santé et l’embonpoint de l’homme ; la bière détruit la même. Le vin, au dire de Platon, est un remède contre la vieillesse, et est le lait des vieilles gens ; la bière, au contraire, fait vieillir avant le temps. Le vin, au rapport d’Aristote, [61] rend l’homme éloquent et facond, la bière lui rend la parole difficile et malaisée. Le vin rend les hommes légers et allègres ; la bière les rend lourds et pesants. [20][62] Le vin fait les esprits subtils et cause bon esprit ; la bière fait les esprits grossiers, et rend les hommes lourdauds et stupides. D’où il appert manifestement que la bière n’a aucun degré de valeur par lequel on puisse la comparer ou opposer au vin, qui est la meilleure chose que la nature ait jamais inventée et le plus grand soulagement qu’elle ait pu donner aux hommes.

Le bouillon [63] ne nourrit guère, plus toutefois que de l’eau toute simple, principalement quand on y est accoutumé ; car autrement, il donne des tranchées ; néanmoins il fait bon ventre par sa qualité détersive.

Le breuvage duquel on se sert en temps de maladie est aussi fort divers, selon les diverses maladies, l’appétit, la coutume, le goût et le tempérament du malade. Les uns ne veulent que de l’eau crue, qui le plus souvent leur est défendue, pour plusieurs raisons qu’apporte Galien. [21][64] Les autres la font bouillir et font mieux, en ce qu’elle est moins crue, charge moins l’estomac et demeure tant moins dans les hypocondres, qui est, selon Hippocrate, une marque de bonne eau. D’autres font avec l’eau bouillir de l’orge, [65] et alors c’est de l’eau d’orge ; d’autres ajoutent à l’eau et à l’orge, quand ils sont cuits, de la réglisse, [66] plus ou moins, selon le goût du malade, et alors c’est la tisane, [67] le plus commun et le plus ordinaire breuvage de nos malades aujourd’hui ; qui est fort différente de la tisane des Anciens, encore bien qu’elle en retienne le nom, vu que celle des Anciens ressemblait à notre orge mondé, et se mangeait ; au lieu que la nôtre se boit, ayant une grande vertu d’étancher la soif, de rafraîchir les entrailles et qu’elle est un peu diurétique. On y peut ajouter d’autres racines, herbes ou fruits, si on veut qu’elle rafraîchisse ou humecte davantage ; ce qui néanmoins ne se doit faire que par l’ordonnance du médecin ordinaire, qui augmente ou diminue la dose de chaque ingrédient, selon qu’il lui semble nécessaire. Plusieurs malades aussi se servent de petit-lait pour se rafraîchir, [68] dont les uns le boivent tout simplement comme naturellement il est fait ; les autres lui donnent auparavant un bouillon, puis le coulent [22] et y mettent un peu de sucre. Le premier est plus rafraîchissant et moins agréable ; le second est plus doux et plus agréable, mais moins rafraîchissant et moins apéritif. Il y a aussi un breuvage fort commun chez les malades, fait d’eau bouillie avec du jus de citron [69] et du sucre blanc ou candi, lequel pour son excellence est appelé potus divinus[70] comme qui dirait breuvage divin, lequel rafraîchit fort les entrailles, fortifie l’estomac, est d’un goût fort agréable, résiste fort à la pourriture, et décharge les reins et la vessie par les veines. [23] On peut en ce rang réduire l’oïnomel, qui se fait avec le vin et le miel, [71] l’hydromel simple et vineux, qui se fait avec l’eau et le miel, [72] l’oxymel, [73] l’apomel, [74] le julep rosat et alexandrin, [24][75] et autres sortes de breuvages qui ne sont plus guère en usage chez les malades de ce temps et que les médecins n’ordonnent guère qu’en cas de quelque nécessité urgente, à la place desquels sont substitués les apozèmes [76] et juleps [77] d’aujourd’hui, desquels s’en fait une telle profusion qu’il vaudrait mieux tout à fait les condamner que d’en tolérer l’abus qui se coule parmi le peuple, vu que tels breuvages, n’étant le plus souvent que simples verres d’eau sucrée, vident bien mieux l’argent de la bourse des malades qu’ils ne tirent ou préparent (comme leur veulent faire accroire beaucoup de charlatans) [78] les humeurs peccantes de leurs entrailles. [79] Je prie Dieu de bon cœur que telles gens s’amendent, afin que la médecine rentre en son premier lustre, ou qu’il nous vienne quelque digne homme qui, par sa prudence et son autorité, en chasse tous les abus qui y sont aujourd’hui en trop grand nombre. Il y a quelques médecins (soit qu’ils le fassent par hardiesse ou par flatterie) qui permettent à plusieurs de leurs malades pour tout breuvage de boire du vin, pourvu qu’il soit bien trempé ; ce qui n’est pas permis dans les maladies chaudes, non plus que dans toutes les froides, principalement où il y a une grande douleur de tête, car alors il faut procéder judicieusement en l’exhibition du vin, encore que bien trempé ; vu que ledit vin frappe ordinairement la tête par ses vapeurs en quelque maladie que ce soit ; combien que je ne nie pas tout à fait qu’en une longue maladie, où il faut entretenir les forces pour un long temps, on ne puisse donner un peu de vin au malade avec beaucoup d’eau, principalement si le médecin ordinaire l’approuve, sans l’avis duquel on ne doit jamais rien faire ni entreprendre, ni changer de ses premières ordonnances.

> Retour à la table des chapitres


a.

Traité de la Conservation de santé… (Paris, 1632) : pages 85‑99.

1.

V. chapitres i, pour l’air, et ii, pour le manger.

2.

« Les eaux sont à la disposition de tout un chacun » (Ovide, Métamorphoses, livre vi, vers 349).

3.

Se contentent.

4.

V. note [1], lettre 163, pour Platon sur la bonté du vin.

Le corpus galénique a abondamment traité du vin, tout particulièrement dans le chapitre iii du livre intitulé Que les mœurs de l’âme sont la conséquence des tempéraments du corps (Daremberg, volume 1, pages 56‑59) :

« Le vin dissipe manifestement toute espèce de chagrins et l’abattement, car chaque jour nous prenons du vin [dans ce but]. Zénon, suivant la tradition, disait : “ De même que les lupins amers deviennent doux quand ils sont macérés dans l’eau, de même je me trouve bien disposé sous l’influence du vin. ” {a} On prétend que la racine appelée œnopie {b} jouit de cette propriété d’une manière encore plus prononcée, et on ajoute que c’est la drogue de l’hôtesse égyptienne [Polydamna] dont le poète dit :

“ Aussitôt Hélène jette dans le vin qu’il buvait la drogue qui chasse le chagrin (nêpenthes), qui dissipe la colère et fait oublier tous les maux. ” {c}

Mais laissons la racine d’œnopie ! Je n’en ai que faire dans ce discours puisque nous voyons chaque jour que le vin produit tous les effets que célèbrent les poètes :

“ Le vin doux comme le miel te nuit comme il nuit à tous ceux qui en boivent à longs traits, et qui n’en usent pas avec modération. Le vin troubla aussi le fameux centaure, fils d’Eurytus, dans le palais de Pirithoüs au grand cœur, quand il arriva ches les Lupithes. Lorsque son âme fut inondée par le vin, il devint fou, et se livra à des excès dans la demeure de Pirithoüs. ” {d}

Théognis a dit aussi :

“ Le vin bu en grande quantité est mauvais ; si on en boit avec modération, il n’est pas nuisible, mais bon. ” {e}

En effet, le vin pris avec modération entraîne avec lui de grands avantages pour la coction, la distribution, la sanguification des aliments, et pour la nutrition ; il contribue beaucoup aussi à rendre l’âme à la fois moins farouche et plus courageuse, par l’intermédiaire du tempérament du corps, lequel est, à son tour, produit au moyen des humeurs. Non seulement, comme je le soutenais, le vin change le tempérament du corps et les fonctions de l’âme, mais il peut même faire sortir l’âme du corps. Comment pourrait-on dire autrement, quand on voit les drogues qui refroidissent ou qui échauffent beaucoup tuer immédiatement ceux qui en prennent ? Les venins des animaux sont dans ce cas. Ainsi, nous voyons mourir sur-le-champ les individus piqués par un aspic ; ces individus meurent par le venin de la même manière qu’on meurt par la ciguë, car ce venin refroidit aussi. Ceux qui admettent une substance particulière pour l’âme seront donc forcés d’avouer qu’elle est l’esclave des tempéraments du corps, attendu que ces tempéraments peuvent la chasser du corps, la contraindre à délirer, la priver de mémoire et d’intelligence, la rendre triste, timide, abattue, comme cela se voir dans la mélancolie, et ils reconnaîtront que le vin bu modérément produit les effets opposés. »


Notes empruntées à Daremberg.

  1. Propos de Zénon, fondateur du stoïcisme (v. note [8], lettre 340), rapporté par Diogène Laërce (livre viii, 1, 22). Les lupins sont des pois sauvages : « il y en a de blancs et d’autres jaunâtres, tous deux d’une amertume merveilleuse ; on les trempe dans l’eau pour leur faire perdre toute cette amertume » (Furetière).

  2. Note de Daremberg : « On a longtemps disputé et même aujourd’hui l’on n’est pas d’accord sur la nature de la drogue (pharmakon) qu’Hélène versa dans la coupe de Télémaque et dont le poète dit : “ qu’elle chasse le chagrin (nêpenthes). ” Ce mot {i} lui-même a donné lieu à beaucoup de discussions : les uns l’ont pris pour un nom propre de plante ou du moins de drogue ; les autres (et à ceux-là le contexte d’Homère donne pleinement raison), pour un adjectif […]. Quoi qu’il en soit, on s’est efforcé de rapporter cette drogue à une plante connue : ceux-ci y retrouvent la buglosse ; {ii} ceux-là, l’opium ou le datura, {iii} d’autres l’opium seulement ; d’autres un médicament chimique, et, si je ne me trompe, l’or potable lui-même ; {iv} d’autres encore, la plante appelée hélénium […], erreur qui vient du nom même de la plante, et qui paraît avoir été répandue du temps de Pline. Enfin, quelques modernes veulent y trouver le haschisch. – Dans le passage qui nous occupe, Galien nous apprend que la drogue dont parle Homère était la racine d’œnopie. […] Petit {v} a fait un pas de plus dans la question en supposant qu’oïnopia représentait la même plante qu’oïnothêras, appelée oïnarga ou onarga. Cette plante, au dire de Théophraste et de Pline, avait précisément les propriétés qu’Homère attribue à son pharmakon. Ce rapprochement me paraît, je l’avoue, très séduisant ; mais cela avance peu la question. En effet, fût-il certain qu’oïnopia et oïnothêras sont la même plante, il resterait à démontrer que c’est réellement de cette plante qu’Homère a parlé. Et même a-t-il entendu parler d’une plante en particulier (notez qu’il ne lui donne pas un nom propre comme au moly) {vi} ou seulement en général d’une des plantes quelconques qui passaient pour jouir des propriétés qu’il énumère, propriétés sans doute plutôt imaginaires qu’établies par une expérimentation sérieuse ? – Autre chose donc est de croire, avec Petit, que le pharmakon d’Hélène pourrait être l’oïnopia ou oïnothêras, et autre chose est de prouver que c’est bien ce pharmakon tant controversé. Les mêmes arguments pourraient être invoqués pour d’autres plantes avec autant de raison, et il n’y a pas plus de motifs de se laisser influencer par le dire de Galien que par celui de Théophraste ou de Pline qui rapporte le pharmakon d’Hélène à des plantes autres que l’œnopie. »

    1. L’œnopie. Dans L’Odyssée d’Homère, Poludamna (Polydame), femme de Thôs, qui régnait en Égypte, avait enseigné l’art de simples (et des poisons) à Hélène, femme de Ménélas (v. notule {c}, note [20], lettre 151, note [17], lettre 295, et notule {a}, note [4] du mémorandum 5).

    2. V. note [2] de l’observation ix.

    3. Datura stramonium : pomme épineuse ou stramoine, plante narcotique et vénéneuse. « Les fleurs et la semence du datura troublent et aliènent l’esprit, et causent une espèce de folie qui dure 24 heures : pendant le temps que dure cette ivresse, ou cette folie, on ne fait que danser, rire ou pleurer ; les voleurs en jettent dans les viandes de ceux qu’ils veulent voler ; les femmes de mauvaise vie en font prendre aussi à leurs amants, et quelques-unes à leurs maris, afin de faire en toute liberté tout ce qu’elles voudront. Le meilleur remède contre ce poison est de faire vomir ceux à qui on en a donné. On dit aussi que pour les faire revenir plus tôt à eux, il n’y a qu’à leur plonger les pieds dans de l’eau froide » (Trévoux).

    4. V. note [6], lettre 155.

    5. Pierre Petit (v. note [17], lettre 325) : Miscellanearum observationum libri quatuor [Quatre livres d’observations mêlées] (Utrecht, Rudolphus a Zyll, 1682, in‑8o).

    6. V. note [31] de la thèse sur la Sobriété (1647) pour le moly dont Homère a chanté les vertus dans le chant x de L’Odyssée.

  3. L’Odyssée, chant iv, vers 220.

  4. L’Odyssée, chant xiv, vers 466‑469. « Ces paroles sont d’Antinoüs à Ulysse dans le combat de l’arc » (Daremberg).

  5. Sentence de Théognis de Mégare, poète grec du vie s. av. J.‑C.

5.

« vin fruitier » ; v. note [5], lettre 80, pour le cidre, qu’on appelait pommé ou poiré selon le fruit dont on le tirait.

6.

Je n’ai pas trouvé plus de renseignements sur cette bière des pauvres paysans où le son remplaçait les grains de céréales (orge, froment, avoine).

7.

« Car les eaux se gâtent si elles croupissent », Ovide (Pontiques, livre i, vers 5‑6) :

Cernis ut ignavum corrumpant otia corpus,
ut capiant vitium, ni moveantur, aquæ
.

[Tu vois que l’inaction corrompt un corps paresseux, comme se gâtent les eaux si elles croupissent].

8.

Hippocrate, « du Régime dans les maladies aiguës » (Littré Hip, volume 2, pages 359‑361, § 17) :

« L’eau, prise en boisson dans le cours des maladies aiguës, ne produit aucun autre effet que je puisse ajouter. N’adoucissant pas la toux dans les affections péripneumoniques, ni ne facilitant l’expectoration, elle a moins d’action que tous les autres breuvages, du moment qu’on en use uniquement ; mais prise par intervalle entre l’oxymel et l’hydromel, {a} un peu d’eau aide à l’expectoration par le changement de qualité des boissons, car l’eau cause une sorte d’inondation. Du reste, elle ne calme pas même la soif ; loin de là, elle devient amère, car elle est bilieuse pour les tempéraments bilieux, et nuit aux hypocondres ; mais jamais elle n’est plus nuisible, plus bilieuse, plus débilitante que lorsqu’elle est reçue dans les organes vides. Elle gonfle la rate et le foie quand ils sont enflammés ; elle forme, dans l’intérieur, une sorte de bouillonnement, sans pénétrer au fond des viscères ; elle passe lentement parce qu’elle est de qualité un peu froide et de difficile digestion ; elle n’est ni laxative ni diurétique ; c’est encore un certain inconvénient qu’elle ne produise point de matières alvines ; {b} et s’il arrive que le malade la boive ayant les pieds froids, tous les effets nuisibles qui y sont attachés seront beaucoup augmentés, quel que soit celui qu’elle détermine. » {c}


  1. Miel respectivement mêlé à du vinaigre (oxy) et à de l’eau (hydro).

  2. Fécales.

  3. Tout ce propos sur l’inutilité et même la nocivité d’hydrater le patient dans les maladies aiguës rend aujourd’hui extravagante et absurde cette sentence hippocratique.

9.

« Le Seigneur est admirable dans les eaux [qu’il a créées] »

Je n’ai pas trouvé cette citation dans la Bible, mais Marie-France Claerebout, la diligente relectrice de notre édition, invoque une méprise (aquis pour altis) de Guy Patin citant ce passage des Psaumes (Psalterium Gallicanum, 92:4) de David (« le saint prophète ») :

A vocibus aquarum multarum mirabiles elationes maris mirabilis in altis Dominus.

[Plus que la voix des eaux profondes, des vagues superbes de la mer, superbe est le Seigneur dans les hauteurs].

10.

Guy Patin se référait à quatre ouvrages sur les sources thermales du royaume.

  1. Les Bains de Bourbon Lancy et l’Archambault de I. Auberi, Bourbonnais, docteur en médecine, médecin de Monseigneur le duc de Montpensier. Au roi (Paris, Adrian Périer, 1604, in‑8o de 460 pages) ; Jean i Aubery (Moulins 1569-après 1624), docteur en médecine de l’Université de Montpellier en 1593, intendant des eaux minérales de France vers 1605 (v. l’article très documenté que Claude Lamboley lui a consacré dans le Bulletin de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, 2009, no 40, pages 355‑374), y raconte la restauration des thermes de Bourbon-Lancy par Marc Miron (v. note [6], lettre 550), page 54 vo‑55 vo :

  2. « Mais particulièrement se doit recommander l’heureuse et perpétuelle mémoire de Henri troisième, roi de France et de Pologne, lequel, conseillé d’user des bains, préféra les ruines de Bourbon à Chaudes-Aigues, Bourbonne, Plombières, Balerne, Enos, Vichy et Néris, {a} et ce l’an mille cinq cent quatre-vingt, auquel temps commission fut octroyée à Monseigneur Miron, conseiller d’État et premier médecin de Sa Majesté, seigneur de l’Hermitage, à Monseigneur Donon, contrôleur des bâtiments, et au sieur Baptiste du Cerceau, premier architecte de Sadite Majesté, pour eux acheminer {b} à Bourbon-Lancy afin de rechercher plus particulièrement ses singularités et remettre aucunement {c} l’ancienne commodité des bains accablés et confondus dans leurs ruines, détouper {d} les canaux, tant des fontaines que de la vidange desdits bains, où déjà la longueur du temps avait enseveli le nom avec la forme des choses. Nam habet hoc ætas ut formam primo tollat, tum rem tum famam et nomen : {e} n’ayant aucune adresse {f} des conduites et cours de l’eau, nul titre ou enseignement, nulle date, bref, sans aveu et sans nom, en quoi se fit paraître la capacité et industrie de Monsieur Miron qui, par mouvements divers et rafraîchissements de plusieurs couches sur ses notions, et autant de circuits de discours en son esprit, fortifia ses doctes idées de tant de démonstrations et conséquences qu’il se forma l’ancien être {g} desdits bains, conduisant et traçant lui-même les endroits où il fallait déterrer les canaux, délivrer le bain royal comblé d’immondices, non plus bain, mais piscine ou gardoir de poisson, qui s’y était coulé avec l’inondation du torrent, et s’y était bien nourri et refait, comme carpes et tanches, l’eau n’y étant que tiède, les fontaines presque étoupées, et l’eau pluviale et du torrent plus abondante que la chaude ; ainsi le Nil nitreux est fort abondant en poisson, et les eaux chaudes de Bude sont fort poissonneuses ; {h} ayant ledit sieur Miron tous les jours cent cinquante hommes pour y faire travailler, assisté desdits sieurs contrôleur et architecte, et du sieur Robert, qu’ils avaient pour registre et pour truchement {i} de la tradition du pays touchant la mémoire des bains ; en remuant les terres et nettoyant les fontaines plusieurs marbres, jaspes, porphyres et médailles furent trouvés, ces conduits ouverts tant des fontaines que de la vidange ; la maison fut construite contre un ancien pignon pour la commodité et usage des bains, mais si hâtivement et d’étoffe si frêle que si elle n’est méliorée, elle menace sa ruine. Le bâtiment parachevé, le roi et la reine, son épouse, {j} plusieurs princes, seigneurs, dames s’y transportèrent la plupart pour être secourus à leurs infirmités. » {k}


    1. V. note [1], lettre 261, pour Vichy dans le Bourbonnais (Allier), tout comme Néris-les-Bains et Enos ; Chaudes-Aigues, en Auvergne (Cantal), reste réputée pour ses sources d’eau chaude. Bourbonne-les-Bains (Haute-Marne) est la seule ville thermale de Champagne ; Plombières-les-Bains se situe en Lorraine (Vosges) ; La Balerne est une petite rivière du Jura, affluent de l’Ain, mais je n’ai pas trouvé de bains qui portent son nom.

    2. Se rendre.

    3. En quelque façon.

    4. « Ôter l’étoupe, le bouchon qui bouchait une bouteille ou un autre vaisseau » (Furetière) ; déboucher.

    5. « Le temps a la faculté de supprimer la forme, et aussi l’opulence, le renom et le prestige », emprunt à Juste Lipse parlant de la splendeur éteinte de Thèbes d’Égypte (Louxor) et de Troie dans ses Admiranda, sive de magnitudine Romana libri quatuor [Émerveillements, ou quatre livres sur la grandeur de Rome] (Anvers, Plantin,1598, in‑4o, livre iii, chapitre ii, page 124).

    6. « Mémoire qu’on laisse ou instruction qu’on donne pour trouver quelque personne ou quelque chose » (Furetière).

    7. L’ancienne configuration.

    8. « Quelques-uns veulent que les eaux du Nil soient nitreuses, mais cela n’est pas vrai » (Trévoux). Bude est l’ancien nom de Buda, capitale de la Hongrie : « Il y a des sources d’eau chaude, où l’on cuit des œufs en très peu de temps, quoiqu’on y voie nager des poissons vivants » (ibid.).

    9. Pour référence et pour interprète.

    10. Louise de Lorraine (1553-1601).

    11. V. note [15] de Guy Patin éditeur des Opera omnia d’André Du Laurens en 1628, pour Jean ii Aubery, fils unique de Jean i.

  3. Nicolai Dortomanni Arnhemii Consilarii et professoris Regii celeberrimæ Universitatis Medicæ Monspeliensis, Libri duo de causis et effectibus Thermarum Belilucanarum parvo intervallo a Monspeliensi urbe distantium.

    [Deux livres de Nicolas Dortoman, natif d’Arnheim, {a} conseiller et professeur du roi en la très célèbre Université de médecine de Montpellier, sur les causes et les effets des thermes de Balaruc, {b} situés à peu de distance de la ville de Montpellier]. {c}

  4. Pugeæ sive de Lymphis Pugiacis libri duo, carminibus espressi a Raymundo Massaco, Medico ; editio secunda, cum notis Joannis Le Vasseur.

    [Pugeæ, ou deux livres sur les eaux de Pougues, {d} écrits en poèmes par Raymond de Massac, médecin ; {e} seconde édition, avec les notes de Jean Le Vasseur]. {f}


    1. Arnheim, en Gueldre, a été la ville natale de Nicolas Dortoman (mort en 1596).

    2. Balaruc (aujourd’hui Balaruc-les-Bains dans le département de l’Hérault) sur l’étang de Thau.

    3. Lyon, Charles Pesnot, 1579, in‑8o de 218 pages.

    4. Dans le Nivernais, v. note [62] du Manuscrit 2007 de la Bibliothèque interuniversitare de Santé.

    5. Raymond de Massac a été doyen de la Faculté de médecine d’Orléans au xvie s.

    6. Paris, Toussaint du Bray, 1597 et 1599, in‑8o, suivi par Les fontaines de Pougues, de Raymond de Massac, mises en vers français par Charles de Massac, son fils… (ibid. et id. 1605, in‑8o de 44 pages).

  5. V. note [12], lettre 246, pour le livre de Jacques ii Cousinot sur l’eau minérale de Forges (Paris, 1631).

11.

Probable mais fantaisiste rapprochement étymologique entre vinum [vin en latin] et vis [force] (vim au cas accusatif singulier).

12.

Cardiogme, synonyme de cardialgie (v. note [18] du mémorandum 19) : « picotement ou sensation mordicante à l’orifice de l’estomac [cardia], occasionné par une humeur acrimonieuse qui incommode cette partie » (Trévoux) ; du grec kardia et ogmos, sillon que trace la charrue.

Galien a longuement disserté sur les diverses sortes de vins au chapitre iv, livre xii de sa Méthode pour remédier, avec ces remarques sur les syncopes et les maux d’estomac (Kühn, volume 10, pages 831‑832) :

Hæc omnia vina stomacho qui amara vexatur bile salubria sunt. Ideoque illis utendum, quoties is vel ex ardenti febre offensus syncopem attulerit vel alias multa in eum bilis fluxerit vel multam imbiberit. Quibus tamen ex crudis humoribus syncopes periculum imminet, sane Falernum tanto jam memoratis præstat, quanto tum melioris est succi, tum etiam calidius ; nam et velocius illis per corpus distribuetur et crudis humoribus concoquendis auxilio erit. Quæ quum dictorum singula aliud magis, aliud minus faciant, omnia tamen Falerna magis stomachum roborant.

[Tous ces vins {a} sont bienfaisants pour l’estomac de celui que la bile tourmente. Atteint d’une fièvre ardente, il en usera chaque fois qu’il sera frappé de syncope, qu’il sera victime d’un important afflux de bile ou qu’il aura bu en trop grande quantité. Pourtant, chez ceux que des humeurs crues mettent en danger de syncopes, le falerne {b} l’emportera nettement sur ceux que j’ai cités, car il est de meilleur suc et plus chaud ; se distribuant plus rapidement qu’eux dans la totalité du corps, il aidera à la coction des humeurs crues. Tous les falernes renforcent puissamment l’estomac, bien que ces autres vins exercent plus ou moins que lui cet effet].


  1. Galien a précédemment cité les crus de Sorrente en Campanie (Surrentinum), de Segni (Signinum) et de la Sabine (Sabinum) près de Rome, de Tivoli (Tiburtinum) et des Marses (Marsum) dans le Latium.

  2. Falernum, vin de Campanie produit dans la province de Caserte.

V. supra note [4] pour un autre avis de Galien sur les vertus du vin, à quoi Furetière a ajouté : « Galien a écrit qu’il y a du vin qui nourrit autant que la chair de porc, quoiqu’elle soit la nourriture la plus solide ; et pour cette raison, la viande ordinaire des athlètes. »

13.

Proverbes (20:1) :

« Le vin est moqueur, la boisson forte est tumultueuse, et quiconque s’y égare n’est pas sage. »

Guy Patin a développé ce passage sur les méfaits du vin dans une édition ultérieure de son Traité (Paris, 1644, pages 382‑383) :

« D’autres l’ont voulu encore charger de divers autres crimes pour le rendre suspect et odieux, l’ont voulu taxer comme cause de plusieurs malheurs et de toute intempérance : ils l’appellent par mépris la ciguë de l’homme, le sang de la terre, le fiel des démons, l’urine des diables. Il a été défendu aux Turcs par leur faux prophète Mahomet, qui leur a fait accroire que le vin était une liqueur démoniaque. Quelques-uns, voulant procéder par voie de fait, l’ont traité avec rigueur et contumélie : {a} un Espagnol fouetta le poinçon qui avait fait mourir son père ; {b} un Anglais cassa la bouteille qui l’avait enivré. Mais ces vengeances sont bien étranges et hors de raison : tous ces maux qui se font par l’excès du vin doivent être rapportés à celui qui en boit outre mesure, sans en blâmer cette liqueur innocente. Je sais bien qu’il s’en ensuit une infinité d’abus, pour lesquels empêcher, il serait besoin et nécessaire de renouveler en notre France l’ancienne loi des Locriens {c} (qui condamnaient à mort tous ceux qui en buvaient) contre ceux qui en usent aujourd’hui démesurément ; ou bien être de même opinion que Lycurgue qui estimait qu’on pouvait couper et arracher les vignes avec meilleure raison qu’on ne les avait auparavant plantées. {d} Le patriarche Noé, qui planta la vigne, y fut le premier attrapé, et le vin qu’il but en trop grande quantité, et faute de connaître sa vertu, fut cause de la malédiction d’un de ses trois enfants, laquelle redonda sur toute la postérité de Chanaan ; si bien que ce n’est pas d’aujourd’hui que le vin cause tant de grands malheurs, et qui n’a pas même épargné son premier auteur et l’a exposé à la dérision de son propre fils. » {e}


  1. Injure.

  2. Poinçon : « mesure des choses liquides. Un poinçon de vin, d’huile, etc. Le poinçon est la moitié d’un tonneau d’Orléans, ou d’Anjou. C’est un nom qu’on donne en Blaisois et en Touraine au muid de vin. À Rouen le poinçon contient treize boisseaux. C’est à Paris la même chose qu’une demi-queue » (Furetière). Je n’ai pas trouvé la source de cette histoire.

  3. Ancien peuple de Grèce dont Ajax commandait l’armée au siège de Troie ; Élien (v. note [2], lettre 618), Histoires diverses, livre ii, chapitre 38 :

    « Loi qui ne permettait le vin ni à tout le monde ni à tout âge. Les Marseillais avaient une loi qui défendait aux femmes l’usage du vin et ne leur permettait, à quelque âge qu’elles fussent, d’autre boisson que l’eau. Cette loi, suivant Théophraste, était en vigueur chez les Milésiens [habitants de Milet en Ionie (Asie Mineure)] : leurs femmes, quoique Ioniennes, y étaient soumises. Pourquoi ne parlerais-je pas aussi des Romains ; n’aurait-on pas sujet de trouver déraisonnable que, retraçant le souvenir de ce qui se passe chez les Locriens, les Marseillais, les Milésiens, je gardasse un injuste silence sur ce qui concerne ma patrie ? Je dirai donc que la même loi s’observait très rigoureusement à Rome ; qu’aucune femme, soit libre, soit esclave, n’y buvait jamais de vin ; et que même les hommes, d’une naissance au-dessus du commun, s’en abstenaient depuis la puberté jusqu’à ce qu’ils eussent atteint leur trente-cinquième année. »

  4. Lycurgue, roi mythique de Thrace (v. note [23], lettre 197, pour cette antique contrée) à qui Bacchus « inspira une telle fureur que, croyant couper les vignes, il coupa les jambes à son fils Dryas et se mutila lui-même » (Fr. Noël).

  5. Ivresse de Noé (Genèse, 9:20) :

    « Noé, qui était cultivateur, commença à planter de la vigne. Ayant bu du vin, il s’enivra et il se découvrit au milieu de sa tente. Cham, {i} père de Chanaan, vit la nudité de son père, et il alla le rapporter dehors à ses deux frères. Alors Sem, avec Japheth, prit le manteau de Noé et, l’ayant mis sur leurs épaules, ils marchèrent à reculons et couvrirent la nudité de leur père. Comme leur visage était tourné en arrière, ils ne virent pas la nudité de leur père. Lorsque Noé se réveilla de son ivresse, il apprit ce que lui avait fait son plus jeune fils et il dit : “ Maudit soit Chanaan ! Il sera pour ses frères le serviteur des serviteurs ! ” »

    1. V. notule {c}, note [34], sur la triade 63 du Borboniana manuscrit.

14.

Guy Patin empruntait à Jean i Riolan (v. note [5], lettre 116) cette libre interprétation de Plutarque (Vie de César, chapitre xlviii) :

« César avait éprouvé les plus grandes difficultés dans les premiers jours de sa marche. Personne ne voulait lui fournir des vivres, et sa dernière défaite lui attirait un mépris général ; mais lorsqu’il eut pris la ville de Gomphes en Thessalie, {a} il eut des vivres en abondance pour son armée, qui fut guérie même de sa maladie {b} d’une manière fort étrange. Ses soldats ayant trouvé une quantité prodigieuse de vin, en burent avec excès et, se livrant à la débauche, ils célébrèrent, dans tout le chemin, une espèce de bacchanale. Cette ivresse continuelle chassa la maladie, qui venait d’une cause contraire, et changea entièrement la disposition de leur corps. »


  1. Contrée de Grèce, fort éloignée de l’Afrique.

  2. Plutarque n’a pas employé le mot peste pour décrire le mal qui affligeait l’armée de César (chapitre xlvii) :

    « On disait d’ailleurs qu’il régnait dans son camp une maladie contagieuse, dont la mauvaise nourriture avait été la première cause ; et ce qui était encore plus fâcheux pour César, il n’avait ni vivres ni argent, et il ne pouvait éviter de se consumer lui-même en peu de temps. »


15.

Intitulé Du vin, ce chapitre occupe les pages 78‑89 du Gouvernement nécessaire à chacun pour vivre longuement en santé. Avec le gouvernement requis en l’usage des eaux minérales, tant pour la préservation que pour la guérison des maladies rebelles (Paris, Michel Sonnius, 1608, in‑8o) de Nicolas-Abraham de La Framboisière. Les curieux y liront une savant leçon d’œnologie française au xvie s.

16.

Capot ou, plus souvent, cagot : « faux dévot et hypocrite, qui affecte de montrer des apparences de dévotion pour tromper et pour parvenir à ses fins. Ce mot est injurieux, et vient d’une condition de personnes habituées en Béarn et en quelque partie de la Gascogne, qu’on croit descendues des Wisigoths, qui sont tenus pour ladres, auxquels est interdite par la coutume la conversation avec le reste du peuple et qui logent en de petites maisons écartées » (Furetière). « On appelle ladres blancs, les ladres ou lépreux qui ont encore la face belle, et le cuir poli et lissé, ne donnant aucun signe par dehors de la lèpre dont ils sont atteints au-dedans » (ibid.). Dans les premiers stades de son développement, la lèpre (v. note [19], lettre 79) se caractérise par des taches achromiques (dépigmentées) de la peau.

Jean i Riolan, Universæ medicinæ compendia [Abrégés de toute la médecine] (Paris, 1598, v. note [9], lettre 22), Secunda pars medicinæ quæ υγιεινη, diæta sanorum appellatur [Deuxième partie de la médecine qu’on appelle hygiène ou régime des gens sains], chapitre ix, De aquis compositis [Des eaux composées] (page 106 vo) :

Ut Flandri, Angli, Picardi, Cereali isto vino utuntur pro ordinario potu, Ita Normani vino fructuario, quod illi ex pomis et piris conficiunt. Illud pomaceum, hoc piraceum nominatur succus torculari expressus dolio asservatur, qui quidem initio cum constet multa excrementitia humiditate, minus salutaris est, posteaquam eius magna portio percocta est, potest esse illius commodus usus ad refrigerandum et humectandum, multi frequentiore eius usu in leucem, lepram albam, inciderunt, refrigerato nimium iecore.

[Comme fait ce vin de céréale {a} pour les Flamands, les Anglais et les Picards, le vin fruitier {b} sert de boisson ordinaire pour les Normands ; ils le fabriquent à partir des pommes et des poires. Ce jus qu’on exprime à l’aide d’un pressoir, puis qu’on conserve dans un tonneau, porte les noms respectifs de pommé et de poiré. Au début, quand il présente beaucoup d’humidité excrémentielle, il est certes peu salubre ; plus tard, une fois presque entièrement fermenté, on peut en boire pour rafraîchir et humidifier le corps ; en refroidissant exagérément le foie, sa consommation excessive provoque la lèpre blanche chez bien des gens].


  1. La bière.

  2. V. supra note [5].

17.

Le livre ii de l’Histoire des plantes de Dioscoride (traduction d’Antoine du Pinet, Lyon, 1627, v. note [42], lettre 332) consacre deux chapitres à la bière d’orge (page 188).

18.

Galien, « Des combinaisons et facultés des médicaments simples », livre vi, chapitre vi (Kühn, volume 11, page 882, traduit du grec) :

Zythus acrior est non paulo hordeo et succi pravi, utpote qui ex putridine proveniat, est et flatuosus, tum partim acris est et calidus, partim vero plurimum frigidus, aqueus, acidus.

[Le zythum est bien plus âcre que l’orge, et de mauvais suc. Étant donné qu’il est issu d’une putréfaction, il est fort flatueux ; il est aussi à la fois chaud et âcre, et fort froid, aqueux et acide].

19.

V. supra notule {e}, note [13] pour Noé.

Le vin qui « réjouit le cœur de l’homme » est un précepte des Psaumes (104:15).

Le chapitre lxxxviii, livre iii du livre de Cardan de Sanitate tuenda, ac vita producenda [sur a Protection de santé et prolongation de la vie] (Rome, 1580, v. note [19] de la Conservation de santé, chapitre ii), est intitulé De Cervisia, et aliis potibus artificialibus, atque eorum nocumentis [La Bière et les autres boissons fabriquées, et leurs méfaits] (pages 261‑262). La bière y est blâmée pour ses mauvais effets, mais sans y trouver le propos exact que Guy Patin prêtait à Cardan :

Inebriat autem quod non parvum est caliditatis argumentum, dum vapores caput ferientes replent, et commotam mentem agitant : et quoniam crassior est eius substantia, quam vini, peiorisque succi, hinc etiam longe deterior est illius ebrietas, quam quæ vini causa sit : spuma quoque quæ superinnatat, caliditatem declarat. Multum alit, atque impinguat, sed plurimum flatus gignit, atque ingentes iterdum facit obstructiones, et præsertim ob negligentiam conficiendi, præparandique incuriam, nec succi pravi suspicione caret ; elephantiasim enim ut plurimum facere vidimus, aliosque pravos affectus.

[Elle enivre aussi, ce qui n’est pas une maigre preuve de sa chaleur : ses vapeurs blessantes emplissent la tête et agitent l’esprit ; comme sa substance est plus épaisse et son suc moins bon que ceux du vin, l’ébriété qu’elle provoque est bien pire que celle du vin ; la mousse qui nage par-dessus la bière atteste aussi de sa chaleur. Elle est fort nourrissante et fait grossir, mais elle engendre beaucoup de flatuosités et provoque parfois de très importantes obstructions, surtout quand elle a été négligemment fabriquée et fermentée ; et elle est suspecte d’être de mauvais suc, car nous l’avons très souvent vue provoquer l’éléphantiasis, {a} ainsi que d’autres mauvaises affections].


  1. Lèpre lépromateuse, v. note [28], lettre 402.

20.

21.

Galien a notamment parlé de l’eau pure et sans souillure dans son 3e commentaire sur le livre d’Hippocrate Du régime dans les maladies aiguës (Kühn, volume 15, page 697‑698, traduit du grec) :

Hæc igitur quanquam optima sit, multo tempore in ventriculo manet fluctuationesque ipsi plurimum parit, quo sit ut quum biliosus ille ventriculus fuerit, corrumpatur et illa. Præterea et quum ex ventriculo ad jejunum intestinum ægre perveniat, non facile distribuitur neque in hepar, neque multo magis in renes, thoracem et pulmonem. Quare neque urinas movere potest, neque sputum educere. Imo neque per totum corpus molitur transpirationes, id namque tenuis substantiæ opus est calidæque, non frigidæ et crassæ. Neque præterea sitim sedat, quod in amplis tum ventris tum intestinorum animalis instrumentis plurimo maneat tempore, neque prorsus imas ipsorum penetret partes, neque ariditatem humectet. Quod autem non alat antea dictum est, proindeque neque facultatem vitalem roborare potest. Atque eæ sunt causæ, quibus Hippocrates ad aquam mulsam, acetum mulsum et vinum se contulit in ægris, ab aqua abstinens.

[Si excellente puisse-t-elle être, elle demeure fort longtemps dans l’estomac et y engendre quantité de fluctuations ; et s’il se trouve que l’estomac est bilieux, elle s’y corrompra. En outre, après qu’elle est difficilement sortie de l’estomac pour passer dans le jéjunum, {a} elle ne se distribuera pas aisément dans le foie ni, à plus forte raison, dans les reins, le thorax et le poumon : c’est pourquoi elle ne peut ni déclencher les urines, ni favoriser l’expectoration. {b} Elle ne met pas non plus en mouvement les transpirations par tout le corps qui, pour cela, a besoin d’une substance déliée et chaude, et non pas froide et épaisse. Elle ne soulage pas la soif parce qu’elle reste très longtemps dans les vastes compartiments animaux, tant du ventre que des intestins ; elle ne pénètre pas tout à fait dans leurs parties profondes et n’en humecte pas l’aridité. J’ai précédemment dit qu’elle ne nourrit pas et, par conséquent, elle ne peut renforcer la faculté vitale. Telles sont les raisons pour lesquelles Hippocrate, chez les malades, s’est tourné vers l’eau miellée, le vinaigre miellé et le vin, en s’abstenant de leur faire boire de l’eau pure]. {c}


  1. Deuxième segment de l’intestin grêle (après le duodénum et avant l’iléon), où commence l’absorption des aliments digérés.

  2. Expulsion des crachats.

  3. V. supra note [8], pour cet avis d’Hippocrate que Galien partageait entièrement, mais qui nous surprend aujourd’hui.

22.

Couler : « filtrer, rendre clair, épuré, moins gluant, plus fluide » (Furetière).

23.

V. note [6] de la consultation 14 pour le potus divinus d’Ambroise Paré.

24.

L’oïnomel était un autre nom du vin (oïnos en grec) miellé. V. note [11], lettre 63, pour l’hydromel (eau miellée, fermentée ou non).

Oxymel (vinaigre miellé) : « mélange de miel et de vinaigre. Il y a de deux sortes d’oxymel, le simple et le composé. L’oxymel simple est un mélange de deux parties de bon miel et d’une partie de vinaigre blanc, qu’on fait bouillir jusqu’en consistance de sirop. Il est propre pour détacher et pour inciser les flegmes [mucosités] qui sont attachés à la gorge et à la poitrine. L’oxymel composé ne diffère du simple qu’en ce que l’on ajoute au miel et au vinaigre la décoction des cinq racines apéritives majeures, et des semences d’ache, de persil et de fenouil. On s’en sert pour ouvrir les obstructions du foie et de la rate, et pour atténuer et déterger les humeurs crasses » (Trévoux).

L’apomel (ou apoméli) était une variété d’hydromel : « boisson douce faite avec des rayons de miel délayés et bouillis dans de l’eau » (ibid.).

Les Œuvres pharmaceutiques de Jean de Renou (Lyon, 1637, v. note [13] de la leçon sur le laudanum et l’opium) ont ainsi défini le sirop alexandrin, ou julep rosat (page 141) :

« On abuse aussi grandement du mot de julep {a} quand on l’approprie au sirop alexandrin (car le commun l’appelle julep rosat mal à propos), vu qu’il se cuit en la même consistance des sirops et se garde aussi longtemps qu’eux. Ledit julep rosat n’étant autre chose qu’une potion composée de deux parties d’eau rose {b} et une partie de sucre, le tout cuit en consistance de sirop ou quelque peu moins, si l’on désire l’employer sur-le-champ, {c} comme on fait des juleps communs que les médecins ordonnent communément, qui sont composés de trois parties d’eau et d’une partie de sucre ou de sirop. »


  1. V. note [7], lettre 135.

  2. V. note [29], lettre 242.

  3. « On s’en sert fort dans le flux de ventre, pour donner tout à la fois une légère astriction et une saveur agréable » (Thomas Corneille).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Traité de la Conservation de santé (Guy Patin, 1632) : Chapitre III

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8170

(Consulté le 24/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.