Non putabam me tibi tam familiarem : c’est ce que dit Auguste [2] à un bonhomme qui l’avait traité sans cérémonie apud Macrob. lib. 2 Satur. c. 4. [1][3]
Je crois que c’est Scaliger [4] qui a fait les vers de la Pyramide, ils sont fort bien faits. [2][5] Pour la prose, elle donne aux jésuites le même nom que les païens avaient autrefois donné aux premiers chrétiens, voici ses mots : Pulso præterea tota Gallia hominum genere novæ ac maleficiæ superstitionis, qui Remp. turbabant, quorum instinctu piacularis adolescens dirum facinus instituerat. [3][6] C’est ainsi que les chrétiens sont nommés dans Suétone : [7] genus hominum superstitionis novæ ac maleficæ, in Nerone, cap. 16o, quod magno familiæ suæ decori factum voluisse deum profitetur Richeomius [8] in sua Expostulatione apologetica per Andr. Valladerium [9] versa pag. 566. Cap. 2o quam vides. [4]
M. Servin, [10] avocat général, se plaignait du président de Thou, lequel parlant de lui en son Histoire, [11] ne l’avait nommé que juvenus eruditus et Regiarum partium valde studiosus. Vide Thuanum tom. 4. p. 419. sub Henrico iii : juvenis eruditus, fideique erga Regem suspectæ. [5] Il disait que les Messieurs de Thou se piquaient de grande noblesse, combien qu’ils ne fussent descendus que d’un vendeur de mouches : [12] Jacques-Auguste de Thou, qui a fait l’Histoire, était fils de Christophe de Thou, [13] premier président au Parlement de Paris, lequel était fils d’Augustin de Thou, [14] président de la Cour, et qui mourut la même année qu’il fut fait président, l’an 1544. Voyez le Parlement dans Miraumont, pages 96 et 97. [6][15] Cet Augustin de Thou était fils d’un drapier d’Orléans ; et le drapier, fils d’un marchand de mouches à miel, d’un village nommé Ingré, [16] près d’Orléans, lequel s’appelait Jacques de Thon ; et depuis, ont changé n en u, et on dit de Thou pour de Thon. Taon est une espèce de mouche, que les Latins appellent tabanus, et qu’ils confondent avec œstrum et asilus, sive musca bucularia, vide Moufetum de Insectis, p. 59, et 61 ; [7][17][18] de qua sic Virgilius 3. Georg. : [19]
est lucos Silari circa, ilicibusque virentem
plurimus Alburnum volitans, cui nomen asilo
Romanum est : œstron Graii vertere vocantes.
Asper acerba sonans, quo tota exterrita sylvis
diffugiunt armenta ; etc. [8]
Sammarthanus, [20] dans l’éloge de Christophe de Thou, meminit Thuanorum Jacobi 1, 2, 3, [9] comme si c’étaient des rois d’Écosse. [21]
Sixte v étant devenu pape, [22] fit marquise une sienne sœur, [23] laquelle auparavant était lavandière : d’où vint le pasquil d’une chemise fort sale, que l’on mit au Pasquin, [24] qui se plaignait qu’il serait dorénavant mal blanchi, puisque la lavandière était devenue princesse. [10]
On a depuis peu peint sur une cheminée du Louvre [25] un chapeau de cardinal et on a mis dessous : Sub umbra alarum tuarum protege me. [11][26] Le roi [27] en a été fâché et en a fait faire perquisition ; enfin, on a trouvé un garde qui avait un crayon en sa pochette, qui en a été mis en la Bastille. [28]
L’abbé de Saint-Cyran s’appelle de Hauranne, [29] il a autrefois été écolier de Lipse. [12][30]
Le président de Thou disait que l’on se fût bien passé des jésuites dans la [page 20] chrétienté, qui n’y ont fait autre chose que d’introduire la chicane dans la conscience, et faire peur aux gens de bien des peines de l’autre monde.
Je n’avais jamais ouï dire ni lu que les princes mourussent de la pierre ; [31] et néanmoins, M. de Thou [32] dit qu’Amurat iii [33] en mourut l’an 1595. Vide Thuanum tom. 5o, p. 600. [13] Ce tyran était si gras par tout le corps et avait la tête si grosse qu’à peine se soutenait-elle sur ses épaules. [34] Il était père de Mahomet iii, [35] lequel mourut hydropique, [36] l’an 1603, et fils de Sélim ii. [37] qui était fils du Grand Soliman, [38] vide Thuanum, tom. 3. p. 67. [14] Plusieurs papes sont morts de la pierre, plures vero periere veneno a variis exhibito, præsertim vero ab Hispanis, [15] quand ils < les Espagnols > sont contraires à leurs desseins, comme Sixte v. l’an 1590. Pie v, [39] dominicain, [40] mourut de la pierre l’an 1572. Vide Thuanum, tom. 2o, pag. 787. [16]
Jean de Montluc, [41] évêque de Valence, [42] frère de Blaise de Montluc, [43] maréchal de France, eut un bâtard nommé Jean de Montluc, sieur de Balagny, [44] qui fut fait gouverneur de Cambrai [45] l’an 1583 par François duc d’Alençon. [46] Le sieur de Balagny épousa Renée, [47] sœur de Louis de Clermont de Bussy d’Amboise, [48] qui avait été tué par le comte de Monsoreau [49] l’an 1579, à la charge qu’il vengerait la mort de son frère ; ce qu’il n’a pas fait. De ce mariage est née Jeanne de Montluc de Balagny, [50] qui est aujourd’hui femme de M. le président de Mesmes. [51] Voy. l’Histoire généalogique de Sainte-Marthe, [52] tom. 2. p. 839. [17]
Sixte v excommunia l’an 1585 le roi de Navarre [53] et le prince de Condé ; [54] mais ayant vu le pasquil qui courut contre lui dans Rome dès le lendemain pour la défense de ces princes, il commença à avoir regret de cette excommunication, et < à > avoir bonne opinion de la fortune du roi qu’il voyait si bien servi à Rome : Unde persæpe postea auditus est, cum diceret, toto orbe se unum virum et fœminam videre dignos, nisi labe sectaria infecti essent, qui regnarent, et quibuscum ipse de ingentibus rebus, consilia, quæ animo agitabat, communicaret, Navarrum et Elizabetham Anglorum Reginam [55] intelligens. Vide Thuanum in Henr. iii. part. 2. pag. 47. [18][56][57]
La femme d’un conseiller de Bordeaux [58] étant à confesse [59] au cardinal de Sourdis, [60] lui confessa, entre autres choses, qu’elle avait dit qu’il était fou. Il s’en mit en telle colère qu’il la chassa d’auprès de lui, sans absolution et par dépit ; et envoya avertir son mari qu’il avait une méchante femme, et qu’il se gardât d’elle. Le roi défunt [61] se plaignant de ce cardinal, Messire Guy Hurault de L’Hospital, archevêque d’Aix, [62][63] dit au roi : « Il est vrai, Sire, qu’il est bien fou » ; le roi lui répliqua tout à l’heure, Medice cura te ipsum. [19][64] Cet archevêque d’Aix était néanmoins extrêmement savant, et grand personnage, mais un peu débauché ; et de fait, obiit Parisis ex antiqua syphilide, [20][65][66] l’an 1625. Il était frère de M. de Belesbat, maître des requêtes, qui mourut l’an 1623. [67] Leur père était Messire Michel Hurault de L’Hospital, [68] sieur de Foy et de Belesbat (c’est lui qui a fait les Libres discours de 1588), chancelier de Navarre, qui avait épousé Olympe du Faur, [69][70] fille de M. de Pibrac, [71] président au Parlement de Paris. Ce chancelier de Navarre, qui mourut à Quillebeuf [72] l’an 1592, était fils de Robert Hurault, [73] maître des requêtes, qui avait épousé Magdeleine de L’Hospital, [74] fille unique de cet incomparable héros, Michel de L’Hospital, [75] chancelier de France, lequel était fils d’un médecin d’Aigueperse en Auvergne. [76][77] Voyez la généalogie des Hurault dans les Mémoires du chancelier de Chiverny, [78] pag. 46. [21] Le père du chancelier de L’Hospital était médecin du duc et connétable de Bourbon, [79] qui fut [page 21] tué devant Rome l’an 1527. Étant chancelier, il commençait toujours ses harangues par quelque comparaison prise de la médecine, comme fils de médecin. Il était gendre du lieutenant civil Morin ; [80] sa femme se fit et mourut huguenote. [22][81][82] Pour lui, il était fort homme de bien, juge fort entier, fort avisé et fort savant. Étant fait chancelier, le roi Charles [83] et la reine Catherine [84] savaient bien qu’il était pauvre et ne laissait pas de refuser ce qu’ils lui offraient souvent. Enfin, au grand voyage de Charles ix, auquel il fit le tour de la France, l’an 1564, il prit cinquante mille francs pour en payer les frais. Il y a inter ejus epistolas un beau poème de sa fortune, qui commence Durus et agrestis videor, que Rapin a traduit en français fort élégamment. [23][85][86][87]
M. de Champvallon, [88] archevêque de Rouen, [89] faisant son entrée dans Dieppe, [90] une femme dit tout haut : « Hélas, le bel homme ! C’est dommage de l’avoir fait prêtre. » Il est de fait bel homme, mais il a l’esprit bien brouillé, et un style bien obscur ; il croit néanmoins être un des grands hommes du monde. [24]
Il y avait à Paris un Grec, prêtre schismatique fort savant, nommé Demisianus. [91] Il était charlatan [92] comme un Grec. Il avait force pistoles cousues dans son habit. Son compagnon l’empoisonna pour les avoir, et fit courir le bruit qu’il était mort de la peste, [93] au faubourg Saint-Germain. [25][94]
Ferrier, [95] qui avait été ministre longtemps, assistant un jour à une première messe [96] avec d’honnêtes gens, en montrant le crucifix, leur dit : « Voyez, Messieurs, voilà le successeur de Jupiter. » [97] Ce ministre révolté n’était guère chrétien. [26] Un neveu de Pena [98] l’empirique [99] dit un jour, en bonne compagnie, où j’étais, qu’il avait été « Vingt ans juif, [100] quinze ans huguenot ; mais, dit-il, je veux être dorénavant catholique, car les plus honnêtes gens en sont. Nullus homo nunc est qui fuit omnis homo ». C’est Lazare Pena, médecin de Paris. [27][101] On dit que les deux familles des Fortia [102] et des Forget viennent des juifs, qui étaient fort riches. Un vendredi saint, à l’adoration de la Croix, M. Nicolas, secrétaire du roi, voyant M. de Fresnes Forget, [103][104] secrétaire d’État, [28] lui montra la Croix et lui dit : « Hé bien, Monsieur, voilà de vos jeux ! » L’autre lui répondit : « Pourquoi dites-vous cela, vous qui n’avez jamais cru en Dieu ? C’est beaucoup d’avoir parlé le premier et d’avoir gagné l’attention du peuple. » Nam fortasse Theodorus Tragœdus [105] non errabat in eo, quod nulli unquam ne abjecto quidem histrioni, ut ante se in scenam prodiret, concedebat, propterea quod spectatorum animi primis auditionibus capiantur, quod idem in hominum atque rerum consuetudine accidit : nam prima quæque magis delectant : inquit Aristoteles lib. 2 Politic. cap. 70. [106] Vide Paraphrasim D. Heinsii in eum locum, p. 907, [107] et Mich. Piccarti Comment. p. 1137. [29][108] Ainsi M. Corneille aura l’honneur entier pour son Cid, [109] s’étant premièrement acquis la réputation et l’applaudissement du public ; et tout ce qu’on fera contre lui ne lui nuira guère. [30]
Le Père Petau [110] a eu tort d’écrire contre Scaliger sur la matière des temps : [111] Scaliger s’était mis avant que mourir en telle réputation qu’elle ne se pouvait plus détruire après sa mort ; joint que ce P. Petau a trop dit d’injures pour être cru, et qu’il n’est qu’un petit carabin au prix de Scaliger, qui est un grand capitaine et un héros en fait de lettres. On ne peut plus entamer la réputation de ces grands hommes-là après qu’ils l’ont fondée sur l’applaudissement du public, et sur le consentement unanime de tous les savants et de toutes les nations. Parmi les jésuites mêmes, le P. Petau y est haï, et n’y est pas tant suivi que Joseph Scaliger. [page 22] Ainsi, Garasse, [112] qui est un autre médisant, a voulu déchirer Étienne Pasquier pour ses Recherches, [113] mais Pasquier néanmoins dure encore et durera plus que lui. [31]
Quand Fernel [114] fut mort, on trouva dans son cabinet vingt-cinq mille demi-écus d’or ; mais l’écu d’or ne valait en ce temps-là guère que 50 sols. [32]
M. Nicolas, [115] secrétaire du roi, était de Dijon. Il était venu à Paris pauvre garçon, avec cinq sols dans une pochette et un quignon de pain dans l’autre. Il disait qu’il se reconnaissait vieux à deux choses, savoir qu’il trouvait le vin bon, et qu’il prenait goût à l’Évangile. Il fut saluer le feu roi après la reddition de Paris, et lui dit qu’il était et qu’il avait toujours été son serviteur durant toute < la > Ligue : [116] « Si partant n’avez-vous bougé de Paris durant icelle », dit le roi, – « Il est vrai, Sire, fit-il, mais j’ai toujours eu l’esprit en régale. » [117] Il ne fut jamais marié ; il donna, avant que mourir, au curé de Saint-Germain, [118] cent pistoles, qui lui promit de bien faire prier Dieu pour lui ; [33] d’où il disait à ses amis : « J’ai opinion que je serai quelque grand saint, car mon curé m’a promis merveilles, je serai bien haut en paradis. » C’est de ce M. Nicolas, comme d’un libertin, [119] que l’on dit ces vers suivants (voyez La Doctrine curieuse du P. Garasse, p. 906) :
« J’ai vécu sans souci, et je meurs sans regret,
Personne ne me plaint et je ne plains personne,
De savoir où je vais, je n’en ai le secret,
J’en laisse la dispute à Messieurs de Sorbonne. » [34][120]
Matthieu, l’historien, [121] était fils d’un Suisse de Lyon. Il avait été grand lig[ueur] et avait maintes fois dit que les enfants de Henri ii [122] étaient plus propres aux larmes qu’aux armes : c’est dans un sien poème, intitulé La Guisiade ou La Henriade. Il s’est néanmoins bien dédit de tout cela en son Histoire, qui est in‑fo, laquelle j’ai ouï dire être fort bonne. [35] J’ai vu autrefois une oraison latine de lui sur les états et le massacre de Blois, de l’an 1588, laquelle est bien ligueuse. Son fils était naguère secrétaire de M. de Saint-Chaumont. [36][123]
1637. Quand Henri iii [124] passa par Venise [125] en rentrant de Pologne, un Parisien nommé Dorron [126] lui fit une harangue au nom des Français qui se trouvèrent là. Ce Dorron était un jeune avocat savant, fils d’un procureur du Châtelet. Il a un fils qui est aujourd’hui père de l’Oratoire. [37][127] Il s’insinua dans les bonnes grâces de M. de Pibrac, qui lui fit donner la charge de montrer le latin à Henri iii, dont fut fait cet épigramme :
Declinare cupit, vere declinat et Ille, etc.
Voy. Pasquier en ses lettres, tome i<i>, p. 483. [38] Henri iii le fit, à cause de cela, conseiller au Grand Conseil, puis maître des requêtes ; et d’autant qu’il n’avait d’autre bien que les simples gages de la charge, le roi lui donnait quelquefois deux mille écus. Mais étant allé un jour à Saint-Germain-en-Laye, [128] y saluer le roi qui y demeurait caché depuis un mois, le roi lui ayant demandé « Dorron, que dit-on de moi à Paris ? », il lui répondit brusquement : « Sire, on dit qu’il fait bien plus chaud à Saint-Germain-en-Laye qu’à Paris, et que vous suez ici la vérole » ; [129] dont le roi se fâcha si fort qu’il ne le voulut plus voir. Il fut fait, durant la Ligue, intendant de la justice dans l’armée de M. de Longueville, [130] qui disait qu’on lui avait donné un pédant pour intendant de sa justice. [39]
On dit à Paris qu’il n’y a pas de sages Nicolas, [131] de sains Barthélemy, [132] ni de pauvres Hannequin ; et que parmi les Hannequin, il y a plus de fous que de coquins. [40][133][134]
Louis Dorléans, [135] qui a commenté le Tacite, [136] était fils d’un tavernier de Paris. [page 23] Il avait plusieurs frères. Il avait été fort affectionné à la Ligue. [41] Il avait beaucoup de vanité et d’ambition.
M. Bernard, [137] le Pauvre Prêtre, qui a refusé de M. le cardinal l’abbaye de Saint-Crépin de Soissons, [138] est frère du lieutenant général de Chalon-sur-Saône, [139][140] lequel lieutenant général est véritablement bien riche, mais ce n’est pas de patrimoine. Leur père était Étienne Bernard, [141] de Dijon, [142] qui fut député aux états de Blois de l’an 1588, [143] d’où s’en étant retourné à Dijon à cause du massacre des Guise, [42][144][145] il maudissait Blois et disait :
Blæsa Valesiacos nunquam tacitura furores. [43]
Il était si grand que, combien qu’il fut à genoux en haranguant aux dits états devant le roi Henri iii, on ne laissait pas de lui crier qu’il se baissât, parce qu’il paraissait encore trop grand. Il fut aussi à la conférence de Suresnes [146] où M. de Beaune, archevêque de Bourges, [147] le saluant, qui ne l’avait vu depuis le massacre de Blois, lui dit Tu quoque relliquiæ Danaum ; et Bernard lui répondit sur-le-champ Nec sum mutatus ab illo, c’est-à-dire « Je suis encore ici autant ligueur que j’étais à Blois en 1588 ». [44]
M. Mareschal, [148] conseiller clerc de la Grand’Chambre, était natif de Bourges, fort savant, fantasque et mélancolique : [149] il regrettait quelquefois sa pauvreté, et disait qu’il eût eu un carrosse s’il eût été larron. M. Gouthière, [150] avocat (qui a fait le livre de Jure Manium, et qui est oncle de Dom Juliot, [151] chartreux), parlant un jour à lui, se mit à rire ; M. Mareschal lui demanda de quoi il riait : « Monsieur, c’est ma coutume », ce fit Gouthière ; « Corrigez-vous-en », dit M. Mareschal, « c’est une sotte coutume. » [45]
Il disait que tout était perdu, qu’il n’y avait plus de justice.
La reine mère, [152] sachant qu’il était malade et peu riche, à la prière de MM. de Villeroy [153] et de Châteauneuf, [154] lui envoya mille écus, il les refusa en disant : « Rapportez-lui ses mille écus. Mordieu ! je n’en veux point : elle me ferait faire mille injustices pour cela. » Il disait que la reine mère faisait de la France ce qu’un certain voyageur fit d’un arbre chargé de beaux fruits : « Premier, elle s’est mise à coucher sous les branches ; puis, l’orage passé, en a mangé petit à petit les fruits, sous ombre de se rafraîchir ; enfin, non contente, en a arraché les branches et les fruits, et a tout ruiné. » [46]
Étant un jour à vêpres dans les Cordeliers, [155] fort pressé, un sien ami qui était avec lui vit M. de Bourbon, professeur du roi, et lui dit : « Voilà M. de Bourbon, faisons-lui une place. » Aussitôt, il se leva et, allant au-devant du sieur de Bourbon, lui dit : « Non pas une, mais il faut lui en faire six, à ce grand personnage, sa vertu ne sera jamais dignement récompensée, Ha le maudit siècle ! » Et le fit asseoir près de lui pour entendre les orgues.
Il mourut de la pierre, et donna sa charge de conseiller à son clerc nommé Borace. [47][156] Il entra un jour chez le premier président de Verdun, [157] qui le salua et pria sa femme, [158] assise sur un lit vert, de lui faire bonne chère ; elle ne répondit rien à la première prière de son mari ; à la seconde, elle dit qu’elle le voyait bien, et lors, M. Mareschal dit : « Je te vois bien aussi, mordieu, mais je ne viendrai jamais céans en dépit de toi. » [48]
Un gentilhomme demandait un jour qu’on lui adjugeât une terre par retrait lignager ; [159] les parties avaient gagné la plupart des juges, lesquels faisaient difficulté de lui adjuger la terre, < et > lui demandai<en>t quel bien il avait pour acheter cette terre qui était de grand prix ; M. Mareschal se leva et demanda au premier président de Verdun : « Qu’est-il besoin de savoir s’il a assez de bien pour cela ? Cela [page 24] ne nous importe, c’est assez qu’il a le droit en son procès. S’il vous demandait “ Monsieur, de quoi avez-vous payé votre maison de Conflans [160] depuis peu ? ” Et toi », dit-il à M. de F., « de quoi as-tu payé ta chanoinie de la Sainte-Chapelle [161] que tu as achetée ? » Et ainsi aux autres juges qu’il soupçonnait gagnés par les parties de ce gentilhomme prétendu pauvre. [49][162]
Il conseilla à M. de Bévilliers [163] de donner son bien à sa femme, qui se nommait Marguerite de Chantecler, [164][165] fille d’un maître des requêtes, [166] à laquelle, étant visité d’elle malade, il fit faire une superbe collation, pour trois testons [167] qu’il avait donnés à son clerc Borace, qui y dépensa encore vingt écus, parce qu’il l’avait prier de n’y rien épargner. [50]
M. d’Épernon [168] le mena un jour jusqu’à la porte de la Grand’Chambre, lui recommandant un procès ; et comme il finissait, M. Mareschal lui demanda : « Toutes vos pièces ne sont-elles pas dans votre sac, [169] Monsieur ? – Oui, dit M. d’Épernon. – Vous devriez, dit M. Mareschal, vous y mettre vous-même, car il n’y en a pas une qui parle si bien que vous. » Il disait que le président de Thou [170] avait tort d’avoir loué par éloges tant de ministres d’Allemagne, vu qu’il avait connu la plupart de ces gens-là, et qu’ils n’en savaient pas plus que nos curés de village. [51]
Il dit un jour quelque chose un peu libre contre le gouvernement de la reine mère, dont il fut averti par ses amis qu’il était en danger que la reine ne l’envoyât quérir, et même prisonnier ; tandis qu’il en était en crainte, on lui vint dire en sa chambre que le chevalier du guet [171] était à sa porte, qui le demandait ; aussitôt, pensant qu’on le vînt prendre prisonnier, il se fit habiller de ses plus beaux habits, pour aller en prison comme en triomphe, puis fit monter le chevalier du guet qui, lui ayant fait une grande et profonde révérence, lui recommanda un procès qu’il avait à la Cour ; dont M. Mareschal, tout étonné, lui dit brusquement : « Le diable vous emporte, je pensais que vous me vinssiez prendre pour me mener en prison, je m’étais fait brave exprès ! » [52]
Après la mort du marquis d’Ancre, [172] M. de Luynes [173] le fut prier pour la vérification du don des biens de ce marquis ; M. Mareschal lui répondit : « Oui, va, tu l’auras, mais bel exemple pour toi ! » Durant la faveur de ce M. de Luynes, le roi fit faire duc et pair de France M. de Chaulnes, [174] qui fut en prier pour la réception M. Mareschal, qui, lui ayant demandé pourquoi il voulait être duc et pair, lui dit que le roi le voulait et que, depuis peu, on en avait fait autant à M. de Lesdiguières : [175] « Ce n’est pardieu pas de même, dit M. Mareschal, il avait lui seul pris plus de villes que tous trois ensemble nous n’avons jamais pris d’oiseaux ni de moineaux. » C’est que M. de Luynes avait fait fortune par ces petites bêtes. [53]
Il déplorait ordinairement le malheur du temps et disait qu’il n’y avait que les méchants qui étaient à leur aise. Il avait regret qu’il lui fallait aller à pied, et disait souvent : « Si j’étais larron, j’aurais un carrosse. » Il avait bien étudié. On le pria, à la mort de Cujas, [176] de lui faire une harangue funèbre sur-le-champ ; il ne demanda qu’une demi-heure pour y penser, et fit merveille. [54]
Il laissa son office de conseiller à la Cour à son clerc nommé Borace, qui depuis a été fort aimé de Madame des Portes-Bevilliers, et laquelle lui a laissé du bien par testament. Ce Borace est aujourd’hui fort ri[che], il a bien fessé Mathieu [177] depuis le temps que M. Mareschal est mort.
Durant la Ligue, que les Espagnols étaient dans Paris, et qu’ils voulaient faire [page 25] casser la loi salique, [178] M. Mareschal ayant à dire son avis des premiers, se leva et dit : « Messieurs, je suis d’avis que la loi salique demeure en ce royaume, pour les raisons que M. du Vair [179] vous allèguera à son rang. » Ils s’entendaient ensemble contre les Espagnols. [55]
Macrobe était un païen, mais il a dit un petit mot des Innocents [180] que fit tuer Hérode [181] à la naissance de Jésus-Christ. Joseph Scaliger [182] disait que c’était un trait de la providence de Dieu qui a permis que ce païen ait touché ce massacre, duquel trois évangélistes n’ont point parlé, ni aucun autre historien. [56] Érasme in Ciceroniano, [183] page 229, l’appelle Æsopica cornicula, [184] utpote qui ex aliorum pannis suos contexuit centones : itaque sua < lingua > non loquitur, et si quando loquitur Græculum Latine balbutire credas. Il a tout pris d’Aulu-Gelle, [185] et d’autres auteurs qui ont péri. Il vivait environ le temps des empereurs antonins. [57]
Pie iv [186] fit faire le procès fort rigoureusement à Charles Carafe, [187] neveu de Paul iv, [188] son successeur : combien qu’il fût cardinal, il le fit étrangler, et décapiter ses frères. [189] Le lacet dont on l’étranglait rompit, dont il en fallut chercher un autre pour achever, ce qui fit faire ce distique à Muret : [190]
Extinxit laqueus vix te, Caraffa, secundus
nam tanto sceleri vix satis unus erat.
Non legitur in Carminibus Ant. Muretiti. [58] De hoc cardinale strangulato, et quali homo fuerit, vide tom. 3 Prosopogr. Verderii, [191] pag. 2520, Thuanum sub Carolo ix, pag. 36, et sub Henrico ii, pag. 321, Pierre Matthieu sous Henri ii, pag. 145, et D. Lambinum, [192] in sua præfatione in part. 2a Commentar. in Horatium. [59]
Le cardinal d’Ossat [193] était fils d’un pauvre maréchal de village, près d’Auch [194] en Gascogne (les jésuites, par une modestie loyolitique qui leur est commune à tous, [195] le disent fils bâtard d’un bateleur qui vendait du mithridate, [196] et ont fait dire la même chose à Dupleix, [197] sous Henri iv, l’an 1604). [60] Il fut écolier de Ramus [198] à Paris, et écrivit pour lui de unica Methodo adversus Carpentarium ; [61][199] puis devint avocat, et a maintes fois plaidé de petites causes au Châtelet de Paris ; [200] puis fut fait secrétaire de l’ambassade de M. de Foix [201] à Rome, qui y mourut archevêque de Toulouse l’an 1584. Vide Thuanum sub hoc anno, in Henr. iii, parte i, pag. 715. [62] Depuis, M. d’Ossat fut fait évêque de Bayeux, [202] puis de Rennes, [203] enfin cardinal et mourut l’an 1604. Il est le premier cardinal qui ait été nommé princeps Ecclesiæ en une thèse de théologie [204] que lui dédia le fils de M. de Châteauneuf, [205] qui depuis a été évêque d’Orléans. [206][207] Son neveu est aujourd’hui curé du Mesnil-Aubery près Écouen. [63][208][209]
Dans les lettres de M. d’Ossat, il y en a une en laquelle il remercie M. de Villeroy [210] de la thèse que lui avait dédiée M. de Châteauneuf ; et néanmoins, Rabelais appelle prince le cardinal de Châtillon [211] lorsqu’il lui dédie le Quatrième Livre de son Panurge, [212] l’an 1552. Le cardinal d’Ossat avait régenté au Collège de Beauvais à Paris, [213] Ramus y étant principal. Il savait fort bien les mathématiques, lesquelles il allait montrer en ville à ceux qui le désiraient, moyennant telle somme par mois ; et même, M. le président de Thou, qui a fait l’Histoire, m’a dit qu’il les avait apprises de lui de la sorte, d’argent comptant. Avant qu’il fût cardinal, M. de Thou lui écrivait souvent ; mais le bruit étant venu que son bonnet était rougi, ce M. de Thou, qui ne l’appelait auparavant que M. d’Ossat, douta s’il fallait l’appeler Monseigneur : [page 26] il fut le demander à M. de Villeroy, qui lui dit qu’oui, et lui vit é[crit sur] le dessus de la lettre : « À Monseigneur, etc. » [64]
L’an 1605, la veille des Rois, le feu roi, revenant de Saint-Germain, fut attaqué par un nommé de L’Isle, [214] qui tira un poignard sur lui. On le mit prisonnier sans bruit et le roi ne voulut point qu’on lui fît son procès. Messieurs du Clergé, qui étaient alors députés à Paris, [215] prièrent le roi de permettre qu’on lui fît son procès ; il les remercia du soin qu’ils avaient de sa conservation et leur dit qu’il s’étonnait fort comment ils voulaient qu’on fît le procès à un insensé. Le roi était las qu’on parlât de tant [de] meurtriers et assassins qui avaient entrepris sur sa personne quand il eut promis aux jésuites de les rétablir. Le Parlement lui envoya des députés pour lui remontrer que, par bonne raison, ils ne méritaient pas d’être rétablis. Il les remercia de leur bon soin et de leurs bonnes raisons, mais qu’il y en avait encore de meilleures. Le premier président de Harlay [216] lui ayant répliqué encore quelque chose, il leur dit : « Mais si je ne les rétablis, qui m’assurera de ma vie ? » À cela, le Parlement se tut. Le bon roi pensait adoucir l’humeur de ces bourreaux, mais il a lui-même éprouvé que bête farouche ne s’apprivoise jamais bien, car si Ravaillac [217] n’a été instruit de leur bouche, au moins leur doctrine lui a fait faire le coup malheureux du vendredi 14e de mai 1610. [65]
Henri iii allait souvent voir Christophe de Thou, premier président au Parlement, et comme il parlait d’Italie, le roi lui demanda s’il entendait l’italien, qui lui répondit que non, parce que les mœurs et la langue de ces gens-là lui déplaisaient également. Le roi lui demanda derechef en quel temps il était à Rome ; M. de Thou lui répondit : du temps que le pape fit étrangler le cardinal Carafe. C’était afin qu’il se souvînt qu’il en pouvait faire autant aux cardinaux de Lorraine et de Guise qui brassaient la Ligue contre lui. [66]
M. de Caumartin [218] priait un jour son beau-frère, l’évêque d’Angers, [219][220] de quelque chose, dont il s’excusa, sur ce qu’il avait bien de la charge et qu’il avait à nourrir tous les enfants du comte de Caravas. [221] M. de Caumartin se voyant refusé lui dit : « Vous pouvez bien les nourrir car ils sont à vous. » Et l’évêque lui répondit : « Puisqu’ils sont à moi, je puis bien les nourrir ; vous en nourrissez bien qui ne sont pas à vous. … … dubiæ semper fuit pudicitiæ sub Henrico iii et aliis. [67][222] On trouva un jour un Italien Bandini avec elle dans Sainte-Catherine-du-Val-des-Écoliers, etc. [223] Depuis la mort du père, ses enfants ont eu ensemble, contre elle et entre eux, de grands procès. De quoi, comme l’on s’étonnait en bonne compagnie, il y en eut un (l’abbé de Saint-Acheul) [224] qui dit : « Les enfants, Messieurs, n’ont garde de se bien accorder. Ils sont bien de même mère, mais ils sont de divers pères, et par conséquent de différentes humeurs. » [68]
Une bonne mère qui s’était abandonnée toute sa vie, se voyant près de la mort, fit venir ses enfants et leur dit : « Vous, votre père est untel, et à vous, untel, et ainsi aux autres » ; ce que voyant, un petit lui dit innocemment, « Ma mère, donnez-moi un bon papa ! » [69][225]
Madame de Sourdis [226] était une grande putain : nemini negavit unquam si quis argentum daret, aut probe paratus esset a salace fascino. [70] Le chancelier de Chiverny l’entretenait, et plusieurs autres aussi. L’archevêque de Bordeaux d’aujourd’hui ressemble tout à fait à ce chancelier. Quand il fut baptisé à Saint-Germain, le feu roi fut son parrain, et Mad. d’Angoulême [227] sa marraine. Elle disait qu’elle n’avait jamais tenu [page 27] enfant si lourd, « Ma cousine, ne voyez-vous point que les sceaux lui pendent au cul, lui répondit le roi. Il peut bien être lourd ! » [71] Elle était de la Maison de La Bourdaisière, d’où on dit que jamais ne sortit femme de bien. Un gentilhomme la fut prier d’amour un vendredi ; elle dit qu’au moins elle se retenait ce jour-là. Comme il la pressa plus fort, elle se laissa aller en disant qu’au moins qu’elle n’y consentait pas. Elle disait que ce n’était point par volupté ce qu’elle en faisait, mais pour sa santé, et que les médecins lui avaient ainsi ordonné. Son mari [228] la trouva un jour couchée avec un seigneur, dont il se fâcha : elle lui dit qu’il était bien fou, qu’il y en avait encore plus qu’il ne lui en fallait ; joint que ce qu’elle y gagnait était pour payer ses dettes et entretenir sa maison. Quand son fils aîné fut fait cardinal de Sourdis par la recommandation du feu roi, on mit au pasquil à Rome ces quatre lettres P.P.P.P., c’est-à-dire Pro Præmio Prostratæ Pudicitiæ factus sum cardinalis : ce fut à cause de Madame Gabrielle, [229] qui était sa tante, qu’il fut fait cardinal. [72] Quand Madame de Sourdis couchait avec le chancelier de Chiverny, elle se relevait la nuit le voyant dormir et, dérobant les sceaux qu’il avait sous son chevet, s’en allait dans une autre chambre où un avocat du Conseil, nommé du Fos, [230] lui tenait prêtes quantité de rémissions et abolitions à sceller, pour lesquelles passer ils tiraient grand argent des parties ; et comme le lendemain, en la chancellerie, on voyait distribuer ces lettres scellées la nuit, on y disait « Madame a scellé cette nuit ». Ce du Fos est par ce moyen devenu riche : son aîné [231] est conseiller de la Cour, gendre de M. de La Nauve ; [232][233][234] ses enfants se disent nobles, comme descendus d’un bâtard de la Maison de Foix ; cela est faux car leur grand-père était un vigneron près de Bordeaux ; et leur père était un pauvre garçon en son commencement, natif de Toulouse, lequel ne manquant pas d’esprit, avec beaucoup d’adresse qui lui était naturelle, fit belle fortune à Paris, tant par le moyen de Madame de Sourdis que la faveur qu’il eut chez M. le chancelier de Bellièvre, [235] qui lui donna de grands et bons emplois. L’histoire scandaleuse disait à Paris qu’il couchait aussi avec la femme du chancelier de Bellièvre ; [236] mais c’est une calomnie, pour envie que l’on portait à la faveur qu’il avait chez ce chancelier, duquel l’épouse était fort femme de bien. [73]
Le Père Cotton [237] a fait un livre intitulé Institutions de la religion chrétienne. Un certain, l’ayant vu, demanda au cardinal Duperron, [238] qu’il trouva le lisant, ce qu’il en pensait, qui répondit en ces deux mots : « Ouvrage de Forez, Monsieur ! » Le Père Cotton était de Forez, [239] où on fait force couteaux, dont la douzaine ne coûte guère : c’est marchandise commune et à bon marché, comme ce livre était vulgaire et ne contenait rien d’excellent. [74]
L’hypocrisie est bien plus grande au monde que la religion : il y a bien plus d’hypocrites que de gens de bien. Beaucoup de gens vont au sermon par curiosité ; les femmes vont à vêpres pour causer ; et plusieurs vont à la messe afin qu’on les croie plus gens de bien qu’ils ne sont. Les tyrans, les partisans, les faussaires, les usuriers, les putains, et tant d’autres méchants qui sont au monde vont à la messe afin de couvrir de ce manteau les désordres de leur vie. La belle Garetière avait donné une de ses nuits à un financier nommé … ; comme le lendemain matin on eut apporté à ce monsieur pour déjeuner un consommé et des œufs frais, il pria cette femme de déjeuner avec lui, ce qu’elle lui refusa vertement, [page 28] disant qu’elle n’avait garde, d’autant qu’elle n’avait point été à la messe : voilà comment une infâme putain se moque de Dieu et des hommes, voilà l’hypocrisie du siècle superstitieux auquel Dieu nous a réservés. [75]
Autre bon mot (v. notes [53] du Borboniana 3 manuscrit) de l’empereur Auguste rapporté « dans Macrobe, au livre ii, chapitre 4 des Saturnales », avec mise en exergue de la réplique citée par le Borboniana :
Exceptus est a quodam cœna satis parca et quasi cotidiana. Nam pæne nulli se invitanti negabat. Post epulum igitur inops ac sine ullo apparatu discedens vale dicenti hoc tantum insusurravit : Non putabam me tibi tam familiarem.[Il ne refusait presque aucune invitation. Quelqu’un le reçut un jour avec un dîner assez mesquin et comme ordinaire. Après ce maigre repas sans apprêt, Auguste se retira et salua son hôte en se contentant de murmurer : Je ne pensais pas t’être à ce point familier].
Deux jours après avoir tenté d’assassiner le roi Henri iv, {a} Jean Châtel fut exécuté ; sa maison fut rasée et on édifia sur son emplacement, en 1595, une pyramide expiatoire {b} portant plusieurs inscriptions contre les jésuites, jugés coupables d’avoir fomenté ce régicide.
Les Mémoires de Condé, servant d’éclaircissement et de preuves à l’Histoire de M. de Thou. Tome sixième ou Supplément, qui contient la Légende du cardinal de Lorraine, celle de Dom Claude de Guise, et l’Apologie et Procès de Jean Chastel, et autres, avec des notes historiques, critiques et politiques {c} ont transcrit les vers que portait le monument (2e partie, page 138).
Sur la face qui regardait le midi, était gravé :Quod sacrum, votumque sit memoriæ perennitati, longævitati, salutique maximi, fortissimi et celementisimi Principis Henrici iv. Galliæ et Navarræ Regis Christianissimi.
Audi Viator, sive sis extraneus,
Sive incola Urbis, quæ Paris nomen dedit.
Hic alta quæ sto Pyramis, Domus fui
Castella, sed quam diruendam funditus
Frequens Senatus, crimen ultus censuit.
Huc me redegit tandem herilis filius,
Malis magistris usus, et schola impia ;
Sotericum, eheu, nomen usurpantibus.
Incestus, et mox parricida in Principem,
Qui nuper urbem perditam servaverat ;
Et qui favente sæpe victor numine
Deflexit ictum audaculi sicarii,
Punctusque tantum est dentium septo tenus.
Abi Viator, plura me vetat loqui
Nostræ stupendum Civitatis dedecus.[Que ce monument consacre et célèbre la perpétuité de la mémoire, la longévité et le salut du très grand, très puissant et très clément prince Henri iv, roi très-chrétien de France et de Navarre.
Écoute-moi, passant, que tu sois étranger, ou que tu habites cette ville, qu’on a nommée Paris. Je suis la haute Pyramide qui se dresse où je fus hier la maison de Chastel, mais le Parlement a unanimement jugé de punir son crime en me détruisant de fond en comble. Celui qui m’a réduite à cet état est le fils du logis, qui fréquentait de mauvais maîtres {d} en une école impie, où l’on usurpait, hélas, le nom du Sauveur. D’impur, il devint bientôt parricide contre le roi qui avait naguère sauvé notre ville de sa perte ; mais ce prince, souvent victorieux, grâce à Dieu, a détourné le coup du tueur audacieux, qui n’a blessé que sa gencive. Passe ton chemin, évite-moi d’en dire plus pour t’ébahir sur l’infamie de notre ville]. {e}
- Le 29 décembre 1594, v. note [13] du Grotiana 1.
- V. note [42] des Décrets et assemblées de 1650‑1651 dans les Commentaires de la Faculté de médecine de Paris.
- La Haye, Pierre Dehondt, 1743, 6e et dernier tome de la série, in‑4o en 2 parties de 147 et 303 pages.
- Les pères de la Compagnie de Jésus.
- Les Mémoires de Condé proposent ensuite une « mauvaise traduction, mais que nous avons cru devoir conserver », ainsi que tous les autres textes inscrits sur la Pyramide, en latin et en français (pages 138‑141).
Ces vers sont attribués à Nicolas Rapin (v. note [37] du Patiniana I‑3), et Joseph Scaliger a nié en être l’auteur (Secunda Scaligerana, page 391) :
Si Pater viveret, odisset Jesuitas propter mendacium. Jesuitæ non sunt Capones, putant me autorem esse illius inscriptionis in Pyramide contra Jesuitas, ideo tam male volunt.[Si mon père vivait encore, il haïrait les jésuites pour leurs mensonges. Les jésuites ne sont pas chapons, ils pensent que je suis auteur de l’inscription contre eux qui est sur la Pyramide, tant ils me veulent de mal].
La Pyramide fut à son tour rasée, contre l’avis du Parlement, quand les jésuites revinrent à Paris, en 1605.
« En outre, a été banni de toute la France ce genre d’hommes de nouvelle et pernicieuse superstition : ils troublaient les affaires publiques et avaient poussé ce jeune pénitent à perpétrer son exécrable attentat. »
Cette prose n’est pas celle de Joseph Scaliger, elle appartient au texte anonyme gravé sur la Pyramide, « sur la face qui regarde le levant », intitulé D.O.M. Sacrum [Vœu adressé à Dieu tout-puissant], transcrit et traduit page 141 des Mémoires de Condé (v. supra note [2], notule {b}).
Le pamphlet anonyme de Voltaire intitulé Un chrétien contre six juifs (La Haye, sans nom, 1777, in‑8o), plus tard sous-titré Réfutation du livre intitulé Lettres de quelques juifs portugais, allemands et polonais, {a} a épilogué sur cette inscription, dans la Dix-huitième niaiserie. Sur Jean Chastel piacularis assassin de Henri iv ; laquelle niaiserie tient à des choses horribles (pages 164‑169), avec ce commencement :
« Voici une calomnie odieuse dont le fond est une niaiserie puérile, et dont les accompagnements sont atroces.Commençons par le puéril : piacularis adolescens, dites-vous, ne signifie pas un jeune pénitent, un jeune homme qui expie ; il signifie un jeune misérable. Ouvrez les Estienne, les Calepin, les Scapula, {b} tous les dictionnaires, monsieur le professeur, vous verrez que piacularis vient de pio, piare, j’expie ; en grec, sebetaï.
[…] Vous imputez ici à mon ami d’avoir rapporté les paroles de cette inscription qui regardent les jésuites, et où se trouve ce mot piacularis. […] La traduction gravée à côté de la latine, portait : en outre a été banni et chassé de toute la France ce genre d’hommes de nouvelle et pernicieuse superstition, qui troublaient la république, à la persuasion desquels ce jeune homme, pensant faire satisfaction de ses péchés, avait entrepris cette cruelle méchanceté. {c}
Il est donc faux, monsieur, qu’on ait traduit, dans le temps du supplice de Jean Chastel, piacularis adolescens par “ jeune misérable ”, comme vous le dites : il est donc faux que “ pénitent ” soit un contresens. »
- Le titre est ainsi expliqué dans l’Avant-propos :
« Un ancien professeur, dit-on, d’un collège de la rue Saint-Jacques à Paris, écrivit en 1771 une satire contre un chrétien sous le nom de “ Trois juifs de Hollande ” ; et il en a fait imprimer une autre à Paris, en trois volumes assez épais, sous le nom de “ Trois juifs de Portugal, demeurant en Hollande près d’Utrecht ”. »Cet « ancien professeur » était l’abbé Antoine Guenée, dont les libelles avaient courageusement blâmé et réfuté les virulentes opinions de Voltaire (le « chrétien » et « mon ami ») contre les juifs.
- V. notes [7], lettre 659, pour le dictionnaire de Robert i Estienne, [17], lettre 193, pour celui d’Ambroise Calepin, et [17], lettre 279, pour celui de Jean Scapula.
- À la différence de celle-ci, ma traduction n’attribue pas l’expiation de Jean Chastel à ses propres péchés, mais aux impiétés de Henri iv, c’est-à-dire sa bienveillance à l’égard des protestants, marquée par l’Édit de Nantes.
V. infra note [4] pour une riposte des jésuites.
« “ espèce d’hommes adonnée à une superstition nouvelle et malfaisante ”, dans la Vie de Néron, chapitre xvi ; {a} Richeome proteste que Dieu l’a voulu ainsi pour le grand honneur de sa famille, {b} à la page 566 de son Expostulatio apologetica, traduite par Andreas Valladerius. {c} Vous en voyez plus encore au chapitre 2. » {d}
- Suétone, v. citation 3, note [11] du Borboniana 2 manuscrit.
- Toute la famille des chrétiens ou plutôt, me semble-t-il ici, celle des jésuites.
- Expostulatio apologetica ad Henricum iv. Francorum et Nav. Rege Christianiss. pro Societate Jesu. In famosum libellum qui ingenua, et vera Oratio, et in alterum, qui Catechismus Jesuitarum inscribitur : tum a R.P. Lud. Richeomo Provinciali Soc. eiusdem Gallice data : tum a P. Andrea Valladerio Foresiensi ex eadem Societate sacerdote Theologo Latine facta.
[Plainte apologétique adressée à Henri iv, roi très-chrétien de France et de Navarre, en faveur de la Compagnie de Jésus. Contre le libelle diffamatoire intitulé Franc et véritable Discours, {i} et contre un autre intitulé Catéchisme des jésuites. {ii} Naguère écrite en français par le R.P. Louis Richeome, {iii} provincial de ladite Société, et maintenant faite en latin par Andreas Valladerius, {iv} natif du Forez, prêtre et théologien de la même Société]. {v}
La page 566 de l’édition latine correspond, dans l’édition française, aux pages 486‑489 où elle appartient au chapitre 82 (pages 480‑489), intitulé De la Pyramide et des vœux profanes gravés en icelle, avec ce passage dont le Borboniana recommandait la lecture :
« Le second mensonge est écrit au second vœu dédié aussi à Dieu, Deo opt. max., {vi} où notre Compagnie est appelée nouvelle et nuisible superstition. Ce mensonge est injurieux au Saint-Siège, qui a approuvé notre Ordre et mis au rang des vraies religions, après l’avoir exactement examiné et fait examiner, comme j’ai dit souvent ; injurieux à toute l’Église catholique, laquelle a honoré cette approbation en pleine assemblée d’un concile général, assisté du Saint-Esprit ; et a appelé cette Compagnie religion et pieux institut, comme ci-devant j’ai noté ; injurieux en particulier à la France et à tout <au>tant de nations qui nous croient religieux et aiment comme religieux, et n’y a que les errants qui appellent notre Compagnie superstition. Et ici, votre Majesté, s’il lui plaît, notera une rencontre du tout notable : c’est que les paroles qui nous touchent, insérées en la composition de ce beau vœu, sont empruntées de Suétone, auteur païen, singulier ennemi de la foi de Jésus-Christ, desquelles il avait jadis maudit et calomnié les chrétiens car, écrivant la vie de Néron, grand persécuteur d’iceux, afflicti, dit-il, suppliciis christiani genus hominum superstitionis novæ as maleficæ, qui sont les propres paroles gravées au marbre contre nous, la terminaison des noms seulement changée : pulso præterea tota Gallia hominum genere novæ ac maleficiæ superstitionis. Tout était égal s’il eût dit afflicti suppliciis Iesuitæ genus hominum, etc. Votre Majesté entend ce latin, il n’est besoin d’interprète : {vii} de manière que le diable a fait battre cette Compagnie, par ces dévots chrétiens, des mêmes verges qu’il fit alors battre toute l’Église par des païens ; et l’esprit qui souffla à la poitrine païenne ces contumélies-là, pour en injurier les enfants de Dieu, le même les a soufflées à ceux-ci pour les écrire contre nous, en faire un vœu et se moquer de Dieu. Et louée soit la divine Majesté qui nous honore des anciennes persécutions endurées par ses bien-aimés. Or, pensez, Sire, de quel œil Dieu aura reçu ce vœu puisé d’une telle source, et conçu avec les paroles d’un tel auteur ! C’est de quoi nous nous plaignons, Sire, et non de la Pyramide ; mais s’il ne tient qu’à cela, qu’elle y soit, à la bonne heure et à longues années, endossée de toutes ses écritures, nous espérons que Dieu, qui nous a donné le désir d’endurer beaucoup plus que cela pour son nom, nous dourra {viii} la grâce et constance de vivre en son amour et crainte, de telle intégrité, que nos œuvres réfuteront le mensonge, et le marbre qui porte sur le dos le cartel de notre diffamation sera le trophée de notre innocence, et la confusion de la calomnie. »
- Antoine i Arnauld, 1602, v. note [17], lettre 433.
- Étienne Pasquier, 1602, v. note [15], lettre 79.
- V. note [37] du Borboniana 3 manuscrit.
- André Valladier (Saint-Pal-de-Chalencon, dans le Forez 1565-abbaye de Saint-Arnould à Metz 1638), théologien et orateur jésuite, puis abbé bénédictin de Saint-Arnould, avait traduit la Plainte apologétique au roi très-chrétien de France et de Navarre pour la Compagnie de Jésus… Par Louis Richeome, provincial religieux d’icelle Compagnie (Bordeaux, S. Millanges, 1603, in‑12 de 543 pages).
- Lyon, Horatius Cardon, 1606, in‑8o de 628 pages.
- V. supra note [3] pour cette inscription gravée sur la Pyramide expiatoire.
- Tout le monde n’entendant plus aujourd’hui les nuances latines aussi bien que Henri iv, voici tout de même la traduction des trois citations consécutives :
- « les chrétiens ont été soumis aux supplices, espèce d’hommes adonnée à une superstition nouvelle et malfaisante » (Suétone sur Néron, v. supra notule {a}) ;
- « en outre, on a banni de toute la France ce genre d’hommes de nouvelle et pernicieuse superstition » ;
- « les jésuites ont été soumis aux supplices, espèce d’hommes, etc. »
- Indicatif futur aujourd’hui (et alors déjà) archaïque du verbe douer, « accorder ».
- Le chapitre 2 (pages 8‑13) de la Plainte apologétique est intitulé Divers libelles diffamatoires imprimés contre cette Compagnie en l’an 1594, en titre de plaidoyers, avec ce premier paragraphe :
« Ils ne se sont pas contentés d’avoir pour une bonne fois fait imprimer l’an 1594, chose non ouïe, trois plaidoyers, ayant tiré l’un d’iceux de la poudre où il avait été enseveli trente ans, non plaidoyers, mais libelles diffamatoires farcis de monstrueux mensonges et impostures dites sans conscience et publiées, contre la justice, par toute l’Europe, encore que la Cour eût ordonné qu’on < n’en > parlât seulement qu’à huis clos dans Paris. Ils ont du depuis si constamment tenu les erres {i} commencées, qu’ils montrent clairement que leur passion est un labyrinthe sans issue et sans fin. Je suis en cette vôtre ville de Bordeaux depuis l’an 1596, vivant avec mes frères, et donnant avec eux l’usufruit de ma petite vie au public. Il n’a passé an auquel ces bonnes gens n’aient fait sortir des ténèbres un ou plusieurs libelles diffamatoires, comme puantes et infernales exhalations, pour rendre notre nom odieux, principalement à votre Majesté, et notre conversation {ii} inutile au prochain. »
- Traces de pas laissées par le gibier.
- Le mot « conservation » aurait semblé mieux convenir, mais les Fautes survenues à l’impression, mises à la fin du livre, ne corrigent pas cette possible coquille.
« “ savant jeune homme et fort attaché aux intérêts royaux ”. Voyez de Thou, tome iv, page 419, sous le règne de Henri iii : “ savant jeune homme et d’une fidélité soumise au roi. ” »
Le copiste a ajouté la référence et la reprise de la citation dans la marge du manuscrit. Ce passage ne se trouve pas dans l’Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou proprement dite, mais dans le livre iv de son autobiographie (Mémoires de la vie de J.‑A. de Thou, rédigés à la troisième personne, v. note [27] du Borboniana 10 manuscrit) à l’année 1589 (Thou fr, volume 1, page 151), sur la compétition entre de Thou et Jacques Faye d’Espesses {a} pour une charge de président au Parlement :
« Comme, dans un temps si fâcheux, {b} lui, ni d’Espesses ne voulaient point abandonner la partie, il se fit alors entre eux un combat honorable de zèle et de modestie ; l’un déférait à l’autre et, quoique le Parlement eût besoin d’un chef pour y mettre l’ordre, il semblait qu’après eux personne n’eût plus osé accepter une dignité dont, par une modération si glorieuse, ils se jugeaient incapables. Enfin, de Thou l’emporta par ses prières et par le pouvoir qu’il avait sur l’esprit de son ami, qui fut fait président à la place de Guesle. {c} La charge d’avocat général qu’avait d’Espesses fut donnée, à la recommandation du cardinal de Vendôme, {d} à Louis Servin, {e} jeune homme savant et fort attaché aux intérêts de Sa Majesté. » {f}
- V. note [20] du Borboniana 2 manuscrit.
- Le Parlement fidèle au roi Henri iii (assassiné le 2 août 1589) s’établissait alors à Tours, en opposition à celui de Paris qui était aux mains de la Ligue.
- Jean de La Guesle, mort à la fin de 1588.
- Charles i de Bourbon, cardinal de Vendôme (premier du nom, v. note [64] du Traité de la Conservation de santé, chapitre ii), alors conseiller principal de Henri iii.
- V. note [20], lettre 79.
- Dans l’original latin que j’ai consulté (sans lieu ni nom, 1621, in‑fo, page 58), la phrase ne correspond mot à mot à aucune des deux formulations données dans le Borboniana :
Itaque in locum Gueslæi, Spessæus præses creatur, et Spessæi advocatio regia in Ludovicum Servinum iuvenem doctum et regiis partibus addictissimum Vindocini cardinalis commendatione translata est.
Les pages 96‑97 du recueil intitulé De l’Origine et établissement du Parlement, et autres juridictions royales étant dans l’enclos du Palais royal de Paris. Par Pierre de Miraumont, {a} écuyer, conseiller du roi, lieutenant général en la Prévôté de l’Hôtel et grande Prévôté de France, {b} correspondent à l’année 1544 des Noms et surnoms des seigneurs, maîtres, souverains et présidents du Parlement, depuis l’établissement d’icelui à Paris jusqu’à < aujourd’>hui :
« Maître Augustin de Thou < fut reçu > président, {c} et décéda en mars, au dit an. Et porte la réponse de la Cour à la semonce d’assister à son convoi, que “ la bonté, intégrité et grande vertu du défunt, Quibus in hoc senatu, tantisper dum vixit, præclare, et omnium voto excelluit, {d} ont bien mérité que non seulement lui soit prêté l’honneur funèbre, qui a accoutumé être fait aux présidents de la Cour, mais que par ci-après un tel personnage, Donec erit iuris cultor, rectique senatus intempestivum lugeat exitum. ” » {e}
- Pierre de Miraumont (ou Miraulmont), mémorialiste et chroniqueur des cours souveraines et des autres juridictions subalternes de Paris, mourut en 1611.
- Paris, Pierre Chevalier, 1612, in‑8o de 675 pages.
- Augustin de Thou (vers 1480-1554) avait été reçu conseiller en 1522, président de la troisième des Enquêtes en 1535, puis président au mortier en 1543 (Popoff, no 372). Père du premier président Christophe de Thou (v. note [6], lettre 922), il était grand-père de l’historien Jacques-Auguste i (v. note [4], lettre 13).
- « Par lesquelles, durant tout le temps qu’il a vécu en ce Parlement, et de l’avis de tous, il a remarquablement excellé ».
- « Aussi longtemps qu’il sera dépositaire du droit et de la loi, le Parlement déplorera sa mort intempestive. »
Les mouches dont on faisait commerce étaient les mouches à miel, autre nom des abeilles. Furetière a ainsi résumé ce qu’on en savait alors, avec la charmante naïveté d’antan, mais aussi quelques déroutantes approximations, peu ordinaires sous la plume de cet excellent lexicographe :
« Insecte volant, grosse mouche qui a un aiguillon fort piquant, et qui fait le miel et la cire. Swammerdam {a} en fait la description, aussi bien que des bourdons appelés fuci, qui sont les mâles. À l’égard des abeilles qui font le miel, qu’il appelle, apes operariæ, {b} il dit qu’on ne peut découvrir si elles sont mâles ou femelles ; mais dans le roi et les bourdons, les parties qui servent à la génération sont très perceptibles. Jean de Hoorn, {c} fameux anatomiste, a fait voir les œufs des abeilles dans la femelle, que l’on nomme ordinairement le roi. Elles ont un tissu dont elles sont enveloppées, qui est ourdi de même que celui des vers à soie. Swammerdam montre aussi des rayons de miel, où l’on voit les appartements du roi, de la reine et des autres abeilles ; et l’aiguillon de celui qu’on nomme roi a trois doubles, {d} et il fait voir ses testicules avec sa verge. On y découvre sensiblement les poumons, composés de deux petites vessies. Leur gouvernement ne consiste que dans un amour mutuel, sans qu’elles aient la moindre supériorité les unes sur les autres. Les abeilles servent d’aliment aux hirondelles, qui ont l’adresse de les prendre en volant. C’est pourquoi lorsqu’il va pleuvoir, et qu’il y a peu de ces petits animaux dans l’air, elles descendent vers la terre pour y chercher leur aliment : d’où est venue l’erreur de croire qu’elles prédisent la pluie. […] Il y a une espèce d’abeilles sauvages qu’on trouve dans les jardins et dans les bois. Swammerdam en fait voir de six sortes. Il y en a qui ont des cornes fort longues ; d’autres, dont le corps est velu. Mouffet {e} les appelle abeilles solitaires, dont le nid est fait de gravis de sable et d’argile. Il fait voir aussi sept sortes de guêpes. Il y en a aussi de bâtardes, qu’on appelle pseudosphecæ. Hoeffnagel {f} en a dépeint de 24 sortes, entre lesquelles il y a une mouche à trois queues, en latin vespa. Il y en a une que Goedart appelle gloutonne et dévorante, que quelques-uns nomment muscalupus, {g} parce qu’elle dévore sa proie avec les dents.Le roi des abeilles est femelle, et jette environ six mille œufs par an. Il est deux fois plus gros que les autres abeilles. Il a les ailes courtes, ses jambes droites, et marche plus bravement que les autres. Il a une marque au front qui lui sert de diadème et de couronne. Quand les abeilles piquent, elles laissent l’aiguillon dans la plaie et se rompent les intestins, ce qui cause leur mort. {d} […] Quelques-uns croient qu’on peut faire des abeilles par art : lorsqu’on tue un bœuf en été, et qu’on l’enferme dans une chambre basse bien close pour le laisser pourrir dans son cuir, ils prétendent qu’au bout de 45 jours il en sort une infinité d’abeilles. »
- Jan Swammerdam, v. note [40] de l’Autobiographie de Charles Patin.
- Abeilles ouvrières.
- Jan van Horne, correspondant de Guy Patin.
- L’aiguillon du roi (c’est-à-dire la reine) des abeilles a la particularité de n’être pas barbelé, ce qui permet à l’insecte de le ressortir après avoir piqué sa victime (et de le réutiliser ensuite sur un autre adversaire) ; contrairement à celui des autres abeilles (ouvrières) qui abandonnent leur dard (et en meurent) après avoir piqué.
Je n’ai pas compris le sens des « trois doubles ». Cette remarque est pourtant la copie exacte de ce qu’on lit à la page 97 de l’Histoire générale des insectes… {i} de Swammerdam. {ii} En remontant à la source bilingue juxtalinéaire, latine et flamande, de cet ouvrage, Biblia Naturæ, sive Historia insectorum… [Bible de la Nature, ou Histoire des insectes…], {iii} il s’agit d’une traduction fautive de ce passage (2e paragraphe, page 275) :
Aculeum quoque Regis dicti, Sacculumque illius veniferum, quin et aculeum Apum operarium, quem trifidum esse animadverto, loculi nostri continent.[Mes boîtes contiennent aussi un aiguillon du dit roi, et son sac à venin, ainsi que l’aiguillon des abeilles ouvrières, que je remarque être trifide].
- Utrecht, Jean Ribbius, 1685, in‑4o illustré de 215 pages.
- Jean (Jan) Swammerdam (Amsterdam 1637-ibid. 1680).
- Réédition de Leyde, 1737, in‑fo illustré de 362 pages.
C’est donc bien le dard de l’abeille ouvrière qui est barbelé (porteur de trois pointes, trifidum en latin, drie dubbelt en néerlandais), et non celui de la reine (qui est lisse, avec une seule pointe).
- V. infra note [7].
- Joris Hoefnagel (1542-1601), peintre et naturaliste flamand.
- Jan Goedart (1617-1668), peintre et naturaliste néerlandais. Muscalupus signifie mouche-louve.
« voyez Moufetus sur les Insectes, pages 59 et 61 ».
Cette référence ajoutée dans la marge renvoie au :
Insectorum sive minimorum animalium Theatrum : olim ab Edoardo Wottono, Conrado Gesnero, Thomaque Pennio inchoatum, tandem Tho. Moufeti Londinantis opera sumptibusque maximis concinnatum, auctum, perfectum, et ad vivum expressis iconibus supra quingentis illustratum. [Théâtre des Insectes ou des plus petits animaux : jadis entrepris par Edward Wotton, {a} Conrad Gesner {b} et Thomas Penny ; {c} les soins et les très grandes dépenses de Thomas Mouffetus, {d} Londonien, l’ont enfin colligé, augmenté, achevé et illustré de plus de cinq cents dessins pris sur le vif]. {e}
- Médecin anglais mort en 1555.
- V. note [7], lettre 9.
- Médecin anglais mort en 1589.
- Thomas Moffett (1553-1604), médecin et naturaliste anglais.
- Londres, Thom. Cotes, 1634, in‑fo illustré de 326 pages.
Les deux pages citées appartiennent au chapitre xi, De Muscarum diffrentiis [Des différentes sortes de mouches] et traitent des taons : tabanus, œstrus, asilus ou musca bucularia [mouche des génisses] en latin.
Muscæ equinæ. Ιπποβοσκοι, Germanis Roß Mucken, sunt muscæ magnitudine vulgarium, corpore compresso, duro, plano, ac tenaci adeo substantia, ut inter digitos vix rumpi possint : nigricant magis quam vulgares ; nunquam recta provolant, sed lateratim, uti dicam, et quasi per saltus, nec diu continuare volatum possunt, neque longe. Equos præcipue apud Anglos vexant, eos circa aures, nares, testes, et emunctoria perpetim lancinantes ; quorum sudore juxta cutem ad radices pilorum diffluente vivunt. Angli iis a side flye vel a horse flye nomini imposuerunt, ut et Græci πλευροποτητους vocant. Quidam e Græcis κυνοραιστας appellant, ac etiam in calidioribus regionibus easdem canibus quoque molestiam afferre maximam affirmant. Crotonis speciem alatam ac volatilem dicunt : sed hanc plane aliam speciem esse arbitror, ac solis equis infensam. Musca bucularia, asilus, œstrum. Δαμαληφαγον et βουφαγον sive Bucalariam muscam, Latini Asilum, Græci οιστρον dixerunt a feriendo. Unde non solum hoc insectum sed etiam aliud apes territans (de quo postea) atque tertiam piscibus quibusdam formidolosam, Œstri nomen ceperunt.[Mouches des chevaux. Ippoboskoï, {a} en allemand Ross Musken, elles ont la même taille que la mouche commune, avec un corps resserré, dur, plat, et de substance si résistante qu’elles peuvent difficilement être écrasées entre les doigts ; elles sont plus noires que les mouches ordinaires ; elles ne s’envolent jamais tout droit, mais latéralement, je dirais comme par sauts, et ne peuvent voler ni longtemps ni loin. En Angleterre, elles tourmentent surtout les chevaux, qu’elles attaquent autour des oreilles, des naseaux, des testicules et des orifices excrémentiels ; elles y vivent de la sueur qui se dépose sur la peau, à la racine des poils. Les Anglais, leur ont donné le nom de side-fly ou horse-fly, {b} et les Grecs, celui de pleuropotêtos. {c} Certains Grecs les appellent kunoraistas, {d} en affirmant même que, dans les régions très chaudes, elles importunent très grandement les chiens. Ils disent que celles de Crotone {e} sont ailées et qu’elles volent ; mais je pense qu’il s’agit d’une espèce entièrement différente de celle qui incommode les chevaux.
Mouche des génisses, taon, œstre. En raison de l’animal qu’ils attaquent, les Latins ont dénommé musca bucalaria l’asilus, {f} et les Grecs oïstros, le damalêphagos et le bouphagos. {g} De là vient que non seulement cet insecte a pris le nom d’œstre, {h} mais aussi un autre qui effraye les abeilles (dont je parlerai plus loin) et un troisième qui épouvante certains poissons]. {i}
Asilus apiarius. Alter Tabanus sive Asilus, nascitur in extremis partibus favorum, amplioris magnitudinis quam sunt apes cæteræ ; et quoniam exagitat, nec patitur examina conquiescere (ut ne prædictus œstrus armenta) οιστρον Græci vocarunt. Caput huic muscæ spadicei coloris est, linea alba a fronte usque ad occiput intercurrente, scapulis et dorso subfuscis ; reliquis omnibus a vulgarium muscarum forma non differt : haud florum duntaxat succo, et melle vescitur, sed etiam animalium sanguine, quem diu violentius exugit, acriter mordet. […]Tabanus. Tabanus Græcis μυωψ dicitur, fortassis a stimulando nam et μυωψ calcar quo equi stimulantur significat. Galli Tahon […] vocarunt […].
[Asilus apiarius. {j} Autrement nommé tabanus ou asilus, il naît dans les parties les plus écartées des ruches ; sa taille est plus grande que celle des autres abeilles ; et parce qu’il est fort turbulent et ne souffre pas de laisser les essaims tranquilles (car les ouvrières craignent l’œstre susdit), les Grecs l’ont appelé oïstros. La tête de cette mouche est de couleur bai brun, parcourue par une ligne blanche allant du front à l’occiput, les épaules et le dos sont rougeâtres. Pour tout le reste, son aspect ne diffère pas des mouches communes. Il ne se nourrit pas uniquement du suc de fleurs, mais aussi du sang des animaux, qu’il suce longuement en les mordant profondément. (…)
Tabanus. Les Grecs l’appellent muôps, peut-être pour sa capacité à piquer car ce mot désigne aussi l’éperon dont on pique les chevaux. {k} Les Français le nomment tahon (…)]. {l}
- Mot grec signifiant « celui qui élève les chevaux » (Bailly), sans relation que j’aie su trouver avec les mouches qui les piquent.
- « Mouche qui vole de côté » et « mouche du cheval ».
- Mouche « qui vole de côté ».
- Tiques des chiens.
- Ville de Calabre, dans la Grande-Grèce antique.
- Les étymologistes latins supposent qu’asilus est une déformation du grec oïstros, « taon », mais aussi le « transport de fureur » que provoque sa piqûre.
- Mots grecs respectivement composés de damalê, « génisse » (bucula en latin), et bous, « bœuf, vache », et de phagein « mordre ».
- Adaptation française (aujourd’hui rare) d’oïstros, « taon », qu’on retrouve dans l’œstrus, phase du cycle correspondant à l’ovulation des femelles (période de chaleur, augmentation de l’appétence sexuelle), en relation avec la furie de la génisse Io (v. note [4], lettre 795) quand elle fut attaquée par un œstre. Les œstrogènes en ont tiré leur nom (hormones génératrices de l’œstrus, v. note [4], lettre latine 331).
- Suivent les vers de Virgile donnés par le Borboniana et traduits dans la note [8] infra.
- Le « taon des ruches ».
- L’étymologie semble plutôt inverse : c’est l’insecte qui a donné son nom à l’éperon.
- En entomologie moderne, la famille des tabanidæ compte environ trois mille espèces, mais on n’y retrouve plus la nomenclature donnée par le Theatrum.
Ingré est une petite ville située à 8 kilomètres au nord-ouest d’Orléans (Loiret).
« sur quoi Virgile a dit, au livre iii des Géorgiques [vers 145‑150] :
“ Vers les bois du Silare et de l’Alburne, que colorent les chênes verts, pullule un insecte ailé que les Romain nomment asilus et les Grecs oïstros : insecte furieux, dont le bourdonnement aigu épouvante et fait fuir des troupeaux entiers dans les bois, etc. ” »
« mentionne Jacques i, ii et iii de Thou ».
Sans confirmer ce qu’en disait le Borboniana, les Elogia [Éloges] de Scévole i de Sainte-Marthe, {a} traduits en français par Guillaume Colletet, {b} décrivent les nobles origines de la famille de Thou dans le chapitre consacré à Christophe (livre iii, pages 302‑306) :
« La famille des de Thou est une ancienne et noble famille qui a pris son nom d’un château nommé de Thou, qu’elle possédait autrefois sur les confins de la Champagne belgique. {c} S’étant épandue en divers endroits, elle s’est aussi divisée en plusieurs branches, l’une desquelles ayant traversé la Seine voulut s’arrêter en France, et vint trouver son repos dans la forêt d’Orléans. Le chef de cette branche fut un nommé Sylvestre, de qui la vertu et le courage lui acquirent le gouvernement de cette riche et noble province. Ceux qui descendirent de lui firent toujours, à son exemple, profession de porter les armes, jusques à temps que Jacques de Thou, s’étant adonné à l’étude, embrassât les charges de la robe et obtînt du prince l’office d’avocat du roi. Celui-ci eut un fils nommé Augustin de Thou, lequel, suivant les traces de son père, fut reçu conseiller au Parlement de Paris et, après cela, président au mortier. Il eut pour femme une noble et vertueuse demoiselle, petite-fille de Henri de Marle, chancelier de France ; et de cette même femme, il eut 21 enfants, l’aîné desquels fut Christophe de Thou, l’illustre honneur de son Ordre et de sa Maison. »
- Scævola Sammarthanus, v. note [9], lettre 48.
- Paris, 1644, v. note [13], lettre 88 ; première édition latine à Poitiers, 1606, v. note [13], lettre 88.
- La Campania Belgica [Campagne belgique] est l’ancien nom latin des Ardennes.
Cette traduction est absolument fidèle au texte des Elogia (Poitiers, 1606, v. note [13], lettre 88 ; pages 134‑137), où il n’est question ni de marchands d’abeilles, ni de trois Jacques de Thou consécutifs. Ces ancêtres numérotés figurent au début (livre i, année 1553) des Mémoires de Jacques-Auguste i de Thou (v. supra note [5], Thou fr, volume 1, pages 2‑3) :
« Entre ses ancêtres, Jacques iie du nom avait épousé Marie Viole, {a} dont la famille a donné plusieurs conseillers au Parlement et un Guillaume Viole, évêque de Paris. […]Comme la branche aînée, qui avait toujours porté les armes, était éteinte ou fondue dans d’autres familles, Jacques iiie du nom, descendu de la seconde, prit le parti de la robe. De Geneviève le Moine des Lallemans, il laissa Augustin de Thou, qui fut choisi par François ier pour remplir une charge de président à mortier au Parlement de Paris, et qui en mourut revêtu peu de temps après, au mois de mars 1545. » {b}
- Jacques ii, né en 1447, était échevin d’Orléans, et peut-être bien drapier. Père de Jacques iii, il était fils de Jacques i, que le mémorialiste n’a pas mentionné dans sa généalogie, et qui était peut-être le Jacques de Thon, « marchand de mouches », dont se gaussait Louis Servin. V. note [147], lettre 166, pour le président Pierre Viole.
- Jacques iii, avocat en la Cour des aides, mort en 1504, était père d’Augustin (v. supra note [6]), grand-père de l’historien Jacques-Auguste i.
V. notes [45] du Naudæana 1 pour le pape Sixte v (Sixte Quint, Felice Peretti), et [5], lettre 127, pour la statue de Pasquin à Rome et les libelles satiriques qu’on accrochait dessus (pasquils ou pasquinades).
La sœur de Sixte Quint était Camilla Peretti (1519-1605), marquise de Venafro ; elle était trisaïeule du cardinal Francesco Peretti di Montalto (v. note [7], lettre 53) et contribua à l’embellissement architectural de la cité pontificale.
« Abrite-moi sous l’ombre de tes ailes. »
Ce griffonnage dénonçait le trop puissant ascendant du cardinal de Richelieu sur le roi Louis xiii.
Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, {a} fondateur français du jansénisme, avait terminé ses études de philosophie chez les jésuites de Louvain en 1604, où ses talents avaient fait l’admiration de Juste Lipse, {b} comme en témoignent les trois lettres qu’il lui a écrites, {c} dont celle du 26 juillet 1604, écrite de Louvain à Paris (centurie iv, lettre xcii, pages 930‑931, Iusti Lipsi epistolarum selectarum Chilias… [Millier de lettres choisies de Juste Lipse…]) : {d}
Io. Vergerio Aurano S.M.D.Gaudium mihi ab adventu tuo, et felici itineris meta ; sed maius gaudium ab affectu, quem puram et magnum in me ostendis. Et accipio equidem, et sine retractatione admitto. Et accipio equidem, et sine retractatione admitto : vel quia candorem tuum novi ; vel quia a meo metior, qui talis talem poscit. Nihil mihi das, sed solvis. Persevera tantum, et ipsum me, non quæ alii de me, vide. Ille ** cur mihi infensus , vel certe adversus sit, nescio : non meruisse, hoc scio, et ut alia mihi detrahat, virum bonum sciat, et candidatum bonarum artium ac veræ Phiosophiæ, neque aliud jacto. O miseri, quo rapimur ad æmulatiunculas aut calumnias, in alios Lyncei, in nos Homeri ? Mi Vergeri, hoc inprimis vitare hortor et rogo, in alios inquirere, et negligere : contra fiat, benigni in omnes, severi vel asperi in nos simus. Socratis præceptum vetus erat :
Οττι τοι εν μεγαροισι κακον τʹ αγαθον τε τετυκται ;Hodie contra fit, et emissitios omnes oculos habemus. At illi, ut volent, iudicent, ego in via recta constanter ambulo ab æmulatione, ab ambitione prava aversus, et quo debeo versus id est ad Sapientiam et Deum. De ipsa Gallia, scis quam amem : sed non hos novitios libros, quos mittis, levium et exsutltantium ingeniorum fœtus. Nihil in iis solidi, maturi, aut, non dicam vetere, sed nupera Gallia digni. Miles ille quidem palam παρφρονειη πανταπασι ληρει. Alia de illo audieram : sed cum legi, errorem meum, furorem illius vidi. A Thuano ipso Historiam exspecto, vetere amico nostro, et tum arbitrabor. De doctrina vel industria, non ambigo : sed, ut hoc ævum est, rara quadam prudentia opus ad placendum, vel potius non displicendum. Sed qui sapit, posteritati etiam scribit. Nos in languore, plus solito sumus : sed te, mi Vergeri, et acre tuum ingenium non languide amamus fac mihi idem, vel eo nomine merenti.
[J’adresse toutes mes salutations à Jean Duvergier de Hauranne.
Votre venue fut une joie pour moi, tout comme l’heureux achèvement de votre voyage ; mais plus grande encore fut la joie que m’a procurée l’affection que vous avez pour moi, pure et sans réserve. Je la reçois tout autant que je l’accepte, sans répugnance : à la fois parce que je connais votre franchise, et parce que je mesure la valeur de celui qui s’en réclame. Vous ne me donnez rien, mais vous acquittez votre dette envers moi. Persistez à me voir seulement comme je suis, et non comme les autres me regardent. J’ignore pourquoi ce ** m’est hostile, ou du moins certainement opposé : je sais ne l’avoir pas mérité ; et s’il veut tirer autre chose de moi, qu’il sache que je m’arrête là, étant honnête homme, et simple amateur de belles-lettres et d’authentique philosophie. {e} Ne sommes-nous pas malheureux de nous laisser prendre aux petites jalousies et aux calomnies, nous faisant Lyncée pour les autres, et Homère pour nous-mêmes ? {f} Mon cher Duvergier, je vous en supplie et vous y exhorte, interdisez-vous d’enquêter sur les autres, ne vous souciez pas d’eux. Appliquons-nous, au contraire, à être bienveillants envers tous, mais sévères et durs envers nous-mêmes. Il y avait ce vieux précepte de Socrate :
En nos propres maisons qu’y a-t-il de bien, et qu’y a-t-il à réformer ? {g}Voilà tout le contraire de ce qui se fait aujourd’hui, car nous portons un regard inquisiteur sur tous les gens. Mais, quoi qu’ils veuillent et quoi qu’ils jugent, moi je poursuis mon droit chemin, avec constance, me détournant de la jalousie et de l’ambition malsaine, et me tournant, comme je dois, vers la sagesse et vers Dieu. Pour en venir à la France, vous savez comme je l’aime ; mais non pas ces livres nouveaux que vous m’envoyez, car ce sont les productions d’esprits futiles et sautillants. Ils ne contiennent rien de solide ni de mûrement pensé, ou qui soit digne de la France moderne, sans parler de l’ancienne. Pour sûr, ce Soldat divague, ou même délire tout à fait. {h} De de Thou, mon vieil ami, j’attends l’Histoire, et en jugerai alors : {i} je ne discute ni son savoir ni son assiduité à la tâche ; mais par les temps qui courent, mieux vaut observer une extrême prudence à plaire, ou plutôt à ne point déplaire ; il est vrai que le sage écrit pour la postérité. Plus qu’à l’ordinaire, mon cher Duvergier, je suis dans la lassitude, mais c’est sans langueur que j’apprécie votre intelligence acérée. Rendez-moi donc la pareille, car je la mérite bien].
- V. note [2], lettre 94.
- V. note [8], lettre 36.
- V. note [3], lettre 902.
- , Avignon, 1609, v. note [12], lettre 271.
- En raison de sa conversion au catholicisme, Juste Lipse avait alors trop d’ennemis pour qu’on puisse deviner duquel il voulait ici parler. Sa dévote Virga Hallensis [Vierge de Hal] fut publiée en 1604 (v. note [29], lettre 195, épître dédicatoire datée du 15 juillet), et fort mal accueillie par la critique savante.
- L’Argonaute [v. notule {b} de la triade 82, note [41] du Borboniana 11 manuscrit] Lyncée « avait la vue si perçante qu’il voyait au travers des murs, et qu’il découvrait ce qui se passait dans les cieux et dans les enfers » (Fr. Noël). Homère, le poète, avait la réputation d’être aveugle.
- Vers d’Homère (Odyssée, chant iv, 392) qu’Aulu-Gelle a cité et commenté (Nuits attiques, livre xiv, chapitre 6) :
Nam meæ noctes, quas instructum ornatumque isti, de uno maxime illo versu Homeri quærunt, quem Socrates præ omnibus semper rebus sibi esse cordi dicebat : Οττι τοι εν μεγαροισι κακον τʹ αγαθον τε τετυκται.[Mes Nuits, que j’ai voulu enrichir et orner, ont pour unique objet l’application de ce vers d’Homère, que Socrate aimait, disait-il, par-dessus tout : « Tout ce qui s’est fait de bon et de mauvais dans le palais. »]
Ma traduction est celle du latin qui est écrit dans la marge de la lettre de Lipse, en regard de sa citation, et sans doute plus proche de ce qu’il voulait y dire : Ædibus in propriis quid rectum aliudque geratur ?
- En dépit du Miles, je n’ai pas identifié l’auteur qu’éreintait Lipse.
- Les 18 premiers livres de L’Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou ont paru pour la première fois en 1604 (v. note [4], lettre 13).
« Voyez de Thou, tome 5, page 600 » (annotation ajoutée dans la marge).
Le livre cxiv de l’Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou (année 1595, règne de Henri iv) a résumé la vie du Grand Seigneur Amurat (Mourad) iii (1546-1595), qui régna sur l’Empire ottoman de 1574 à sa mort (Thou fr, volume 12, pages 498‑499) :
« Amurat iii mourut le 18 janvier à l’âge de quarante-huit ans, de la goutte {a} qui le tourmentait depuis vingt jours, et lui faisait souffrir les douleurs les plus aiguës. La violence du mal lui ayant causé une espèce de charbon, {b} il méprisa les remèdes ordinaires, et se contenta de faire appliquer de l’eau froide et de la glace sur la partie souffrante.Ce prince avait la taille peu avantageuse. Il était fort blanc et avait tant d’embonpoint que sa tête semblait faire partie de ses épaules ; cependant, son air, aussi prévenant que respectable, le faisait juger digne du rang qu’il occupait. Il avait la barbe blonde et épaisse. Gai, enjoué et humain, il ne versa jamais de sang qu’à regret ; {c} et soit par une douceur qui lui était naturelle, soit par l’effet de l’éducation qu’il avait reçue de la sultane, sa mère, il aima toujours mieux pardonner que punir. On crut qu’il avait peu de goût pour la guerre ; cependant, pour soutenir la gloire d’un empire dont le gouvernement est entièrement militaire, et qui ne doit sa force qu’à la grandeur de ses armes, il envoya de grandes armées en Perse et en Hongrie, où ses lieutenants firent des conquêtes importantes. La lecture de l’histoire faisait un de ses plus grands plaisirs : il voulait être informé de tout ce qui se passait dans l’univers, et avait une avidité extrême de savoir les actions des princes de son siècle. La poésie même, quelque imparfaite qu’elle soit en Turquie, et quoique cet art y soit à peine connu, flattait le goût de ce prince.
Ses trésors furent immenses et surpassèrent les richesses de tous ses prédécesseurs, mais il n’en fut point avare : ses favoris et tous ceux qui approchèrent de sa personne ressentaient les effets de sa libéralité. On peut même dire qu’il fut prodigue à l’égard de ses femmes, qui étaient en grand nombre. Il s’en trouva une dont les charmes furent assez puissants pour le fixer pendant trente-deux ans, avec tant de constance qu’on croit que dans un si long espace de temps, il ne songea à aucune autre ; mais sa sœur, qui avait épousé le grand vizir Méhémet, et la sultane, sa mère, lui ayant représenté que, pour empêcher les troubles et pour la sûreté de l’Empire, il devait avoir plusieurs enfants mâles, il prit plusieurs autres femmes. Quelques historiens lui en donnèrent jusqu’à deux cents. Il dépensa des sommes immenses pour leur entretien et leurs plaisirs, et usa de la même prodigalité pour l’éducation de ses enfants. Si, à l’exemple de Soliman, son aïeul, {d} et de Sélim, son père, il n’honora pas du nom de femme légitime cette sultane favorite, qui fut si longtemps l’objet de son amour, on croit qu’il n’en fut empêché que par la crainte de l’accomplissement d’une prédiction qui le menaçait d’un aussi triste sort que celui de Sélim, son père, et d’une mort prochaine s’il se mariait. » {e}
- Traduction fautive de l’original latin, ex calculi doloribus, « des douleurs de la pierre », c’est-à-dire d’une lithiase urinaire (v. note [11], lettre 33), qui pouvait se manifester soit par une colique néphrétique (pierre située dans les voies urinaires hautes, cavités rénales et uretères) ou par des douleurs basses (pierre vésicale), affection dont la goutte n’est qu’une des causes (v. note [30], lettre 99).
Il est médicalement curieux, voire inepte, de croire que la lithiase urinaire épargnait les souverains : cela pourrait expliquer l’addition marginale, probablement attribuable à Guy Patin.
- Original latin : enato carbone, « un charbon s’étant fait jour » ; le charbon proprement dit étant une nécrose ganglionnaire liée à la peste (bubon, v. note [6], lettre 5), il s’agissait probablement ici d’un abcès de la loge rénale ou de la vessie, avec émergence (fistule) à la peau.
- « Il commença néanmoins son règne par faire mourir cinq de ses frères » (note du traducteur), v. infra note [14].
- Soliman ier, dit le Magnifique (v. note [35], lettre 547).
- V. infra note [14].
« Voyez de Thou, tome 3, page 67. »
Le livre lix de l’Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou (année 1574, règne de Henri iii) a résumé la vie du Grand Seigneur Sélim ii (1524-1574, à tort prénommé Soliman), qui régna sur l’Empire ottoman de 1566 à sa mort (Thou fr, volume 7, pages 211‑212) :
« Sélim ii, empereur des Turcs, mort d’apoplexie le 13 décembre, termina les événements de cette année. Il ne ressembla à son père Soliman {a} ni par la valeur, ni par la conduite, ni par la durée de son règne. Cependant, en sept ans qu’il fut sur le trône, il enleva l’île de Chio aux Génois, qu’il attaqua contre la foi des traités, et prit Chypre sur les Vénitiens, malgré la trêve qu’il avait faite avec eux, sans que la chrétienté retirât beaucoup d’avantage de l’union des princes chrétiens et de la fameuse victoire qu’ils remportèrent à Lépante. {b} Elle arrêta pourtant les progrès des infidèles et fit voir qu’il ne manquait aux chrétiens, pour vaincre les Turcs, que d’être unis. Soliman ne goûta jamais de vin ; Sélim en buvait, malgré l’usage contraire de sa nation et les défenses de sa loi. {c} Il aimait même s’enivrer et, dans cet état, il devenait plus traitable. On en cite un trait d’un jeune enfant très beau, que le sultan aimait fort : accoutumé qu’il était à badiner impunément avec son maître dans son ivresse, il s’échappa un jour de prendre les mêmes libertés tandis que le prince était à jeun ; mais Sélim, prenant un arc qui pendait au chevet de son lit, le perça sur-le-champ d’un coup de flèche ; il en eut tant de douleur, lorsqu’il fut revenu de son premier mouvement, que le mufti {d} eut bien de la peine à l’empêcher de se donner la mort à lui-même, comme il l’avait résolu. Sélim eut pour successeur Amurat, l’aîné de ses fils, qui commença à régner par le parricide de quatre de ses frères, qu’il fit étrangler à ses yeux. Le cinquième était encore au berceau et, par son souris enfantin, semblait demander la vie à ce barbare. Amurat ne put s’empêcher, à cette vue, de laisser couler quelques larmes ; il prit le ciel à témoin que ce n’était ni la jalousie ni la haine qui le portaient à cette extrémité, qu’il y était forcé par les docteurs mêmes de sa loi et par la nécessité de conserver l’union de la famille ottomane, d’où dépendait le salut de tout l’Empire. »
- Soliman ier, dit le Magnifique (v. note [35], lettre 547).
- La fameuse bataille navale de Lépante (7 octobre 1571), emportée par la ligue des chrétiens contre les Ottomans, avait été la revanche de la prise de Chypre par les Turcs (v. note [37] du Naudæana 3). V. note [1] du Naudæana 1 pour l’île de Chio, passée aux mains des Turcs en 1566.
- V. note [3], lettre 586.
- V. note [11], lettre latine 183.
Mehmed (Mahomet) iii (1566-1603), fils de Mourad iii, a régné de 1595 à sa mort. De Thou lui a consacré cette notice (livre cxxx, année 1603, règne de Henri iv, Thou fr, volume 14, page 173) :
« Ce fut le treizième roi et le septième empereur de la famille des Ottomans. Les plaisirs où il se plongea toute sa vie l’avaient rendu si gros qu’il surpassa en cela son père et son aïeul, quelque gros qu’ils fussent, et qu’il ne pouvait presque plus remuer. Il fut aussi voluptueux que Mahomet ii qui, s’étant acquis dans sa jeunesse une réputation d’un grand capitaine par la prise de Constantinople et par l’extinction de l’Empire des chrétiens en Orient, {a} se laissa ensuite amollir, se plongea dans la débauche et se vit par là sujet à une enflure extraordinaire des jambes, qu’aucun remède ne put jamais guérir, comme le raconte Philippe de Commynes. {b} À l’égard de Mahomet iii, il mourut de la peste à Constantinople le 21 décembre, au milieu de ses concubines et de ses mignons, ayant à peine atteint l’âge de trente-neuf ans, après huit ans de règne. »
- V. note [3], lettre 929, pour Mehmed ii et pour la chute de Constantinople, en 1453, qui changea la face de l’Europe.
- Cette description laisse penser que Mehmed ii mourut d’hydropisie (dont la cirrhose alcoolique est une cause parmi bien d’autres, v. note [12], lettre 8), et que le Borboniana a pu le confondre avec Mehmed iii. V. note [10], lettre 121, pour Philippe de Commynes et ses Mémoires.
« mais plusieurs sont morts du poison que diverses gens leur ont administré, principalement des Espagnols ».
« Voyez de Thou, tome 2, page 787. »
Le livre li de l’Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou (année 1572, règne de Charles ix) a raconté les derniers jours du pape Pie v (v. note [3], lettre 61), moine dominicain qui avait été élu en 1566 (Thou fr, volume 6, pages 332‑333) :
« À l’égard de Pie v, il fut attaqué, dès le commencement de l’année, d’une fièvre lente, sans que cette indisposition interrompît son travail accoutumé et ses longues prières. Au mois de mars, ses douleurs des reins augmentèrent considérablement, et ses urines se trouvèrent chargées de pus. Il crut alors devoir recourir au lait d’ânesse, {a} son remède ordinaire ; mais l’ayant pris en trop grande quantité, son estomac en fut si malade qu’il tomba dans une fièvre aiguë, et que pendant quelque temps on le crut mort. Néanmoins, il reprit des forces, monta le jour de Pâques à la tribune, bénit le peuple à son ordinaire et lui fit une exhortation. Il avait visité auparavant, presque toujours à pied, les sept principales églises de Rome, comme s’il eût voulu leur dire adieu ; après quoi, il ne songea qu’à se débarrasser entièrement de toutes les affaires, pour ne s’occuper que de la mort. Enfin, ayant reçu le viatique, {b} de la main du cardinal Alexandrin, {c} qui était arrivé de France depuis quelques jours, il mourut deux heures avant la nuit le premier mai, dans la soixante-huitième année de sa vie, et la septième de son pontificat. À cette nouvelle, le peuple ne put cacher sa joie : accoutumé à la licence, il portait une haine secrète à ce vieillard chagrin et de mœurs austères. {d} On détestait surtout la rigueur du tribunal de l’Inquisition sous son pontificat, rigueur insupportable à des gens libres. C’était d’ailleurs {e} un saint homme, éloigné de l’avarice et de tout intérêt sordide, et qui ne songea jamais à enrichir sa famille. Cependant, un caractère de négligence, un abord difficile pour ceux qui avaient des plaintes à faire, un manque d’application aux affaires de l’État, où il n’entendait rien, laissèrent un champ libre à l’insatiable avidité de ceux de sa famille qu’il avait élevés aux premières charges de l’état ecclésiastique, suivant l’usage ordinaire de cette Cour : en sorte qu’ils firent impunément sentir aux Romains les effets de leur avarice et de leur hauteur pendant tout son pontificat. »
- V. note [3], lettre 153.
- V. note [15], lettre 251.
- Michele Bonelli, moine dominicain, petit-neveu de Pie v, nommé cardinal en 1566, légat en France en 1571. Pie v l’avait précédé dans le titre de cardinal Alexandrin (c’est-à-dire natif d’Alessandria, v. notule {g}, note [43] du Naudæana 2).
- V. note [18], lettre Nuadæana 4 pour l’antipathie profonde des Romains à l’encontre des papes issus des ordres monastiques.
- Sinon.
Retour du Borboniana sur une histoire familiale (avec la même référence à l’Histoire généalogique des frères de Sainte-Marthe), déjà détaillée dans sa première partie (v. sa note [55]), liant les Mesmes au bâtard (légitimé) d’un évêque ; ne s’y ajoutent que deux personnages.
« “ Aussi disait-il souvent dans la suite que, dans tout le monde, il ne connaissait qu’un homme et une femme qui, à la religion près, fussent dignes de régner, et à qui il voulût faire part des grands projets qu’il méditait, qui étaient le roi de Navarre et la reine d’Angleterre. ” Voyez de Thou, 2e partie sur Henri iii, page 47. »
Cet article du Borboniana résume le long passage que Jacques-Auguste i de Thou a consacré à cette affaire dans son Histoire universelle (livre lxxxii, règne de Henri iii, année 1585). Dans l’édition latine citée (Genève, 1620), il occupe les pages 44 (repères C-D) à 48 (repère C). Dans Thou fr (volume 9), le récit est scindé en trois parties : 1. Sentence d’excommunication contre le roi de Navarre et le prince de Condé (pages 368‑374) ; 2. Le roi empêche l’exécution de cette bulle (pages 374‑379) ; 3. Réponse du roi de Navarre à la bulle du pape (pages 376‑379).
De 1569 à 1588, le prince de Condé était Henri ier de Bourbon (1552-1588), fils du prince Louis ier (v. note [16], lettre 128), père du prince Henri ii (v. note [8], lettre 23), et grand-père de Louis ii (le Grand Condé, omniprésent dans la correspondance de Guy Patin, v. note [13], lettre 55). V. note [65] du Borboniana 7 manuscrit pour les circonstances tragiques et obscures de la mort du premier prince de Condé. En tant que premier chef du parti calviniste, il avait été condamné à la décapitation après la conjuration d’Amboise (1560, v. note [13], lettre 113), mais la mort du roi François ii lui permit d’être aministié de justesse.
Il était cousin germain et principal rival politique du roi Henri iii de Navarre (régnant depuis 1572), le futur roi de France Henri iv (1589). Élevé dans le calvinisme, le prince de Condé s’était brièvement converti à la religion romaine après la Saint-Barthélemy (1572, v. note [30], lettre 211). Quant à lui, le roi de Navarre, baptisé catholique à la naissance (1553), était devenu calviniste vers 1570, sous l’influence de sa mère, Jeanne d’Albret ; revenu au catholicisme en 1572, après son mariage avec Marguerite de France (plus tard surnommée la reine Margot) et la Saint-Barthélemy, il avait de nouveau adopté le protestantisme en 1576. Il redevint définitivement catholique en 1593.
Publiée à Rome le 21 septembre 1585, la bulle du pape Sixte v (v. supra note [10]) excommuniait ces deux princes protestants qui avaient eu un passé catholique (Thou fr, pages 370‑371) :
« Ce considéré et vu la notoriété de ces faits, dont Sa Sainteté était pleinement informée, pour châtier cette race impie, fils illégitimes de l’illustre Maison des Bourbons, elle proscrivait le roi de Navarre et le prince de Condé comme hérétiques, relaps, fauteurs d’hérétiques, et ennemis de Dieu et de la religion. Déclarait le roi de Navarre déchu de tous ses droits sur cette partie du royaume de Navarre sur laquelle il avait des prétentions, même sur la partie dont il était en possession, aussi bien que sur la principauté de Béarn. Ajoutait qu’en vertu de cet arrêt, ce prince, conjointement avec le prince de Condé, et leurs successeurs, devaient être regardés dès ce moment et pour toujours comme privés de tous les droits et privilèges attachés à leur rang, et indignes, eux et leurs descendants, de posséder jamais aucune principauté et, en particulier, de succéder à la couronne de France. Déclarait en conséquence tous leurs sujets absous du serment de fidélité qu’ils leur avaient jurée. Exhortait le roi très-chrétien, en vertu du serment qu’il avait fait à son sacre, d’extirper toutes les hérésies de son État et de veiller surtout à ce que cette sentence fût mise à exécution. Et mandait à tous les archevêques et évêques du royaume de faire publier cette bulle dans leurs diocèses aussitôt que les exemplaires leur en auraient été remis. »
Le roi Henri iii refusa de recevoir une bulle qui pouvait sérieusement compromettre sa succession, et il en résulta une grave crise politique entre le Saint-Siège et la France. Le roi de Navarre ne resta pas silencieux (Thou fr, pages 376‑378) :
« Il trouva jusqu’en Italie des gens attachés à sa personne qui, étant persuadés que les intérêts de la France dépendaient de la gloire et de la conservation de ce prince, résolurent de le venger. On vit donc, affiché contre les statues de Pasquin et de Marforio, {a} et dans les lieux les plus fréquentés de Rome, un écrit par lequel ce prince protestait contre la sentence prononcée contre lui par Sixte v, soi-disant pape de Rome ; s’inscrivant en faux contre les articles qu’elle contenait, et en appelant, comme d’abus, au tribunal de la Cour des pairs, à la tête desquels sa naissance l’avait placé. À l’égard du crime d’hérésie, qu’on lui imputait à faux, il disait qu’en cela, sauf le respect dû à Sa Sainteté, Monsieur Sixte, soi-disant pape, avait à tort et malicieusement menti ; déclarant qu’il le tenait lui-même pour hérétique, comme il s’offrait de le prouver dans un concile libre et assemblé légitimement ; et que s’il refusait de s’y soumettre, comme il y était obligé par ses propres lois, il ne voulait plus le regarder que comme un excommunié et un antéchrist, lui dénonçant en cette qualité une guerre mortelle et irréconciliable. Cependant, {b} il protestait de nullité contre cet acte, sauf le droit d’exiger, tant de lui que de ses successeurs, une satisfaction convenable pour l’affront qu’il venait de faire à sa personne et à la majesté royale. […]Dans le même temps, c’est-à-dire le 6e de novembre, le prince de Condé fit afficher à Rome un pareil écrit sous son nom. […] Pour ce qui est du pape, après avoir fait faire toutes les recherches imaginables pour tâcher de découvrir l’auteur de ces manifestes, il eut soin qu’on en supprimât tous les exemplaires. Du reste, il commença dès lors à bien augurer du succès que le roi de Navarre se promettait de ses desseins, puisqu’il avait été capable de vouloir se venger de si près, et à la face de Rome même, d’un outrage qu’il avait reçu de si loin, et avait pu trouver des ministres {c} assez hardis et assez fidèles pour exécuter une commission si délicate. Aussi disait-il souvent dans la suite que, dans tout le monde, il ne connaissait qu’un homme et une femme qui, à la religion près, fussent dignes de régner, et à qui il voulût faire part des grands projets qu’il méditait, qui étaient le roi de Navarre et la reine d’Angleterre. {d} Le marquis de Pisani m’a lui-même assuré que ce pape s’entretenant quelquefois avec lui des affaires de France, {e} il ne pouvait se lasser de faire l’éloge de la grandeur d’âme de ce prince, et de cette constance qui était à l’épreuve de tous les revers, ajoutant qu’il aurait été à souhaiter que le roi eût eu les mêmes qualités. {f} Aussi, quoi qu’on pût mettre en usage, il ne fut pas possible de l’engager à contribuer aux frais de la guerre qu’on lui avait déclarée. »
- V. note [5], lettre 127, pour ces deux statues que les satires (pasquils) des Romains faisaient dialoguer.
- En attendant.
- Intermédiaires.
- Mise en exergue du passage cité en latin par le Borboniana.
- Jean de Vivonne, seigneur de Saint-Gouart et marquis de Pisani (v. notule {e}, note [27] du Borboniana 10 manuscrit), a été pendant 11 ans ambassadeur de France à Rome. Le pape Sixte Quint eut tout le loisir de regretter sa maladresse : il mourut en 1590, un an après l’accession de Henri iv au trône de France.
- Henri iii, assassiné en 1589.
« Médecin, soigne-toi toi-même ! » : adage antique repris par le Christ selon l’Évangile de Luc (4:23), « puis il ajouta “ En vérité, je vous le dis, aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie. ” »
Le feu roi Henri iv signifiait ainsi à l’archevêque d’Aix-en-Provence, Guy Hurault de L’Hospital (v. infra note [21]), qu’il était aussi fou que le prélat dont il médisait, le cardinal François ii d’Escoubleau de Sourdis (v. note [27] du Borboniana 2 manuscrit).
« il mourut à Paris d’une syphilis invétérée », c’est-à-dire tertiaire, dans la classification qui a cours depuis la fin du xixe s. (v. note [9], lettre 122).
Le « coq-à-l’âne », sautant du cardinal de Sourdis à la famille de l’Hospital, n’est probablement pas entièrement gratuit car, dans sa jeunesse, le cardinal avait été fiancé à Catherine Hurault de Chiverny (v. note [27] du Borboniana 2 manuscrit), fille du chancelier dont les Mémoires sont cités dans la note [21] infra.
Les Mémoires d’État de Messire Philippe Hurault, comte de Chiverny, chancelier de France. Avec une Instruction à Monsieur son fils. Ensemble la Généalogie de la Maison des Hurault, dressée sur plusieurs titres, arrêts des Cours souveraines, histoires et autres bonnes preuves (Paris, Pierre Billaine, 1636, in‑4o en deux parties de 54 et 584 pages) fournissent des détails biographiques sur les membres des familles conjointes, L’Hospital et Hurault, mentionnées dans cet article du Borboniana. Leur auteur, Philippe Hurault de Cheverny (v. note [4], lettre 589) appartenait à une branche cousine des Hurault de L’Hospital.
« Maître des requêtes de l’Hôtel du roi et chancelier de Marguerite de France, duchesse de Savoie, {a} était fils aîné de Nicolas Hurault, seigneur des Bois-taillés et d’Anne Maillard, sa femme.Il épousa Magdeleine de L’Hospital, fille unique de Michel de L’Hospital, chancelier de France, et de Marie Morin, sa femme. {b} Elle était héritière des seigneuries de Bus, de Vignay, de Vallegrand, d’Auneux et du Faye, et eut du seigneur de Belesbat, son époux, huit enfants, qui prirent avec leur surnom de Hurault celui de L’Hospital, lequel avait été rendu tant illustre par la vertu et le nom de ce grand chancelier, l’un des ornements de la France. »
- Fille de François ier (v. note [5], lettre 359).
- Magdeleine de L’Hospital était la seule enfant née du mariage (1537) du Chancelier Michel de L’Hospital (v. note [3], lettre 302) avec Marie Morin, qui était fille de Jean Morin, lieutenant criminel puis civil au Châtelet, après avoir été échevin, prévôt des marchands puis bailli de la ville de Paris.
« Chevalier seigneur du Faye et de Belesbat, chancelier de Navarre, fils aîné de Robert Hurault, seigneur de Belesbat, et de Magdeleine de L’Hospital, sa femme, donna dès sa plus tendre jeunesse tant d’espérance de lui que le Chancelier de L’Hospital, son aïeul maternel et son parrain, lui rendit des témoignages d’une singulière affection, ce grand personnage prévoyant, par un solide jugement, qu’il serait un jour l’une des lumières de sa famille, comme il advint. Car pendant les guerres civiles, ayant suivi le parti et la fortune du roi Henri le Grand, lors seulement roi de Navarre, Sa Majesté reconnut qu’il était doué de plusieurs rares parties ; et ayant des preuves de son expérience non commune au maniement des affaires d’État, l’envoya son ambassadeur aux Pays-Bas, en Angleterre et en Allemagne, vers aucuns princes ses alliés, puis le fit son chancelier. Et comme ce généreux seigneur avait heureusement joint les lettres avec les armes, aussi continua-t-il de servir très utilement, ayant par ses Excellents et libres Discours, qui furent publiés sur les affaires du temps, {a} puissamment défendu la juste cause de ces deux grands monarques, Henri iii et Henri le Grand, contre les entreprises de leurs ennemis, et ceux de l’État.Depuis, le même seigneur du Faye, capable de toutes choses grandes, s’étant porté dans les actions militaires, lors du siège de Rouen, en l’an 1592, {b} le roi lui donna le commandement sur quelques vaisseaux armés, puis ensuite, lui confia le gouvernement de la place de Quillebeuf en Normandie. {c} Il la fit diligemment fortifier pour la rendre des meilleures de la province, afin d’incommoder ceux de Rouen, rebelles à Sa Majesté ; mais la violence d’une maladie qui le surprit en ce lieu fut si grande qu’elle le porta dans le tombeau en cette même année 1592. Il reçut les honneurs de la sépulture à Belesbat. {d}
Olympe du Faur, son épouse, était fille de cet autre grand génie de savoir et de prudence, Guy du Faur, seigneur de Pibrac, {e} président en la Cour de Parlement de Paris et chancelier de Monsieur le duc d’Anjou, frère du roi Henri iii et de la reine Marguerite, leur sœur. Cette dame du Faye eut pour mère Anne de Custos, femme du même seigneur de Pibrac, la famille duquel se rendit célèbre en l’Église, aux armes et aux grandes charges de la justice. »
- Plusieurs discours politiques de Michel Hurault ont été publiés anonymement. Le Borboniana citait l’Excellent et libre Discours sur l’état présent de la France. Avec la copie des lettres patentes du roi depuis qu’il s’est retiré à Paris. Ensemble, la copie de deux lettres du duc de Guise. Par un docte personnage, bien versé aux affaires d’État de la France (sans lieu ni nom, 1588, in‑4o).
Michel Hurault a aussi édité et publié les écrits de son grand-père (Paris, 1585, v. note [7], lettre 552).
- En 1592, Henri iv avait entrepris d’assiéger Rouen, qui était aux mains des ligueurs ; mais le duc Alexandre de Parme, à la tête de renforts espagnols, le contraignit à abandonner la place (v. notule {d}, note [14], lettre 152).
- Quillebeuf, en Normandie (Eure), est un port fluvial sur la rive gauche de la Seine, entre Rouen et Le Havre.
- Le domaine familial de Belesbat se situait sur le territoire de l’actuelle commune de Boutigny-sur-Essonne, à 47 kilomètres au sud-est de Paris.
- V. note [2], lettre 434.
« seigneur de Belesbat, maître des requêtes ordinaires de l’Hôtel du roi, et conseiller en ses Conseils d’État et privé, fils aîné […], suivant les généreuses traces de ses illustres aïeux, se rendit recommandable par sa vertu et son érudition non commune, et autres bonnes parties qui reluisaient en lui. Il décéda à Saint-Germain-en-Laye au mois de juillet 1623. » {a}
« fut archevêque d’Aix après son oncle Paul, {b} qui lui résigna cette prélature dès l’an 1618 ; mais six ans après qu’il eut pris en main le bâton pastoral, il fut contraint de le quitter par la mort qui lui advint à Paris le troisième jour de décembre 1625, lors de l’Assemblée du Clergé. Il fut inhumé dans l’église de Belesbat. Alphonse du Plessis de Richelieu {c} lui succéda en l’archevêché d’Aix. »
V. première notule {b}, note [21] supra pour Marie et Jean Morin, épouse et beau-père de Michel de L’Hospital. Alphonse-Honoré Taillandier a détaillé les origines et la jeunesse de ce haut dignitaire du royaume, mort en 1573 (v. note [3], lettre 102), dans le chapitre i de ses Nouvelles recherches historiques sur la vie et les ouvrages du Chancelier de L’Hospital (Paris, Firmin Didot, 1861, in‑8o, pages 1‑5) :
« Michel de L’Hospital naquit à Aigueperse, en Auvergne, {a} vers 1505 ; il ne connaissait pas exactement la date de sa naissance. “ J’ai toujours été en doute de mon âge ”, dit-il dans son testament ; mais, comme il ajoute que, suivant son père, il était né soit avant le soulèvement des Génois contre la France, événement qui eut lieu en 1506, soit lorsque le roi Louis xii fut venu à bout de cette sédition, ce qui arriva le 29 avril 1507, il en résulte qu’il serait né de 1506 à 1507.Jean de L’Hospital, père du chancelier, était médecin de Renée de Bourbon, duchesse de Lorraine.
Des historiens, dans le but de nuire à l’origine du chancelier, ont prétendu que son père, Jean de L’Hospital, était fils d’un juif d’Avignon. C’est ce qu’ont cherché à accréditer notamment Beaucaire, Maimbourg et Varillas ; mais cette allégation ne repose sur aucun fondement et ce n’est pas, d’ailleurs, aujourd’hui que l’on pourrait faire le reproche à un grand homme de l’obscurité de sa naissance.
Quoi qu’il en soit, Jean de L’Hospital devint le premier médecin de Charles de Bourbon, connétable de France, qui avait épousé Suzanne de Bourbon, fille du seigneur de Beaujeu et d’Anne de Bourbon, régente sous Charles viii, connue dans l’histoire sous le nom de “ la dame de Beaujeu ”. {b}
Par ce mariage avec Suzanne de Bourbon, le connétable réunissait tous les droits de la branche de Montpensier. Il fit son médecin, devenu son conseiller et son ami, bailli de Montpensier et auditeur de ses comptes à Moulins. Comme marque de son estime et de sa munificence, il lui donna les terres et la seigneurie de la Tour de la Bussière, en Auvergne, ainsi que le domaine noble de la Roche et les villages de Beuzet et de Croizet, par lettres patentes, datées de Saragosse le 1er mars 1523.
Jean de L’Hospital eut trois fils et une fille ; celle-ci devint religieuse. Michel, l’aîné des trois fils, après avoir été élevé jusqu’à l’âge de douze ans dans la maison paternelle, fut envoyé à Toulouse pour y faire ses études. […]
En 1521, le connétable de Bourbon perdit sa femme qui ne lui laissait pas d’enfant. La reine mère, Louise de Savoie, duchesse d’Angoulême, en sa qualité d’héritière de Suzanne, par sa mère, Marguerite de Bourbon, lui disputa la succession de cette princesse. Le connétable, après la perte de ce procès, en 1523, quitta la France et se réfugia près de Charles Quint, qui lui confia le commandement de ses armées. Jean de L’Hospital suivit son maître et fut condamné par le Parlement à être décapité, avec d’autres complices du connétable.
Michel, plus tard, n’a pas approuvé la conduite de son père en cette occasion. Dans un de ses poèmes, il s’est exprimé en ces termes : “ Mon père, pour ne rien dire de ses autres vertus, était constant dans ses affections, ferme dans ses volontés ; prêt à exposer sa vie pour rester fidèle au parti qu’il avait une fois embrassé. Tels furent ses sentiments dès son enfance ; il es a conservés pendant sa jeunesse et jusqu’à ses derniers jours. Pauvre, il méprisa les richesses et préféra toujours l’honnête à l’utile. Tout d’un coup, une chute terrible, la ruine d’une puissante Maison, vint l’accabler (car souvent la ruine d’un seul en fait crouler bien d’autres) ; sans raisonner, en proie à une erreur fatale, il suivit une cause que détestaient les dieux, comme le prouva le sinistre résultat : il s’est trompé, je l’avoue, mais pas plus de trois ans. Toutefois, il n’a pas pris les armes contre sa patrie. Il a seulement fait profiter un ennemi des bienfaits de son savoir, lui qui, pendant trente ans, l’avait soigné comme un ami. Aussitôt après que la mort le lui eut enlevé, il s’empressa d’abandonner le parti contraire et de revenir dans son pays natal. Il ne voulut accepter ni les promesses, ni les avantages, ni le brillant avenir dont le flattait l’empereur : ne déguisant plus sa personne, il suivit Montaigu, alors ambassadeur à Rome, et satisfit son cœur en revenant au sein de sa patrie. ” {c}
Michel était âgé d’environ dix-huit ans, lorsque son père accompagna le connétable de Bourbon dans sa fuite du royaume ; il fut arrêté à Toulouse et mis en prison, “ jusqu’à ce qu’on m’eût relâché, dit-il encore dans son testament, et fait sortir par mandement exprès du roi, pource qu’on ne m’avait en rien trouvé coupable. ”
Michel, ainsi rendu à la liberté, alla retrouver son père à Milan ; mais François ier ayant mis le siège devant cette ville, Jean de L’Hospital en fit sortir son fils, qui raconte cette fuite en ces termes : “ Lequel (son père) voyant que le siège semblait prendre trop long trait, ne voulant que je perdisse mon temps, donna charge à quelques voituriers de m’emmener, avec lesquels étant sorti de Milan en habit de muletier, je passai, non sans grand danger de ma vie, la rivière dAbdua (l’Adda), j’arrivai en la ville de Martinengue, {d} qui est de la seigneurie des Vénitiens, et de là à Padoue, où de toute antiquité les études du droit fleurissaient ; auquel lieu ayant demeuré six ans, mon père m’appela à Bologne et à Rome, où l’empereur Charles Quint était allé pour se faire couronner roi des Romains, {e} à la suite duquel mon père était après la mort du duc de Bourbon. ” »
- Aigueperse (Puy-de-Dôme), à mi-chemin entre Clermont-Ferrand et Vichy, était l’ancienne capitale du comté de Montpensier, alors principal fief de la dynastie des Bourbons, issue de Robert de France, comte de Clermont (1256-1319), dernier fils du roi Louis ix (saint Louis, v. note [2], lettre 856).
- Charles de Bourbon (Montpensier 1490-Rome 1527), connétable de France et de Bourbon de 1515 à 1523, comte de Montpensier, etc. appartenait à la branche cadette des Bourbons. Marié en 1505 avec Suzanne de Bourbon (1491-1521), sa cousine germaine, il était devenu le plus riche et puissant seigneur de France. Après un procès qu’il perdit, le décès de sa femme le priva de ce qu’elle possédait. Charles de Bourbon choisit alors de changer de camp en se mettant au service de Charles Quint. Il périt d’un coup d’arquebuse, étant à la tête de la coalition impériale qui assiégea et investit Rome le 6 mars 1527.
- Traduction par Taillandier de 27 vers extraits de l’épître de L’Hospital intitulée Ad Petrum Castellanum, Episcop. Matisconensem, Bibliothecæ Regiæ præfectum, quem Francisc. Rex, ob singularem eruditionem, et eloquentiæ laudem, inter familiares suos præcipue dilexit. Accurate et oratorie scripta est [À Pierre Duchâtel, évêque de Mâcon, {i} directeur de la Bibliothèque royale, que le roi François a tout particulièrement distingué parmi ses familiers, en raison de sa singulière érudition et de sa louable éloquence. Elle a été soigneusement et oratoirement écrite] (livre i, pages 83‑84 des Epistolarum seu Sermonum) : {ii}
Mi pater (ut reliquas taceam quibus ille valebat,
Virtutes animi) constans in amore, tenacis
Propositique fuit, certus quæcunque tuenda
Cœpisset, prompto capitis retinere periclo.
Hunc morem puer instituit ; servavit adulta,
Extremaque ætate, rei contemptor opumque,
Pauper, et utilibus præponens semper honesta :
Cum subito oppressit casus miserabilis illum,
Et magnæ fortuna domus : ut sæpe ruina
Unius affligi multas, labique videmus :
Hic non iudicio, sed quodam errore, secutus
Invisam superis causam, minimeque placentem,
Tristis ut eventus docuit, postremaque rerum,
Erravit (fateor) aliquantum temporis amens.
Nec tamen aut patriam contra stetit, aut tulit arma :
Verum operas tantum, privataque præstitit hosti
Officia imprudens, annum non amplius unum :
Triginta totos cum iam servisset amico :
Quem simul audivit crudeli morte peremptum,
Illas continuo festinus linquere partes
Cogitat, et reducem patria se sistere terra.
Jam neque promissis, neque conditionibus ullis
Uti sustinuit, cum præmia poneret illi
Magna, domique locum Germanus Cæsar honestum.
Hæc nihili pendens, Acromontemque secutus
(Is tum forte fuit Regis legatus in urbe)
Antiquum patriam visendi explevit amorem.
- De 1554 à 1551 (mort en 1552).
- « Épîtres ou Discours » de L’Hospital, Lyon, 1592, v. infra note [23].
- « Martinengum, Martinengo, ville de l’ancien royaume lombardo-vénitien » (note de Taillandier).
- À Bologne le 24 février 1530 (v. notule {a}, note [12] du Borboniana 2 manuscrit). V. note [7], lettre 21, pour le sens exact de l’expression « roi des Romains » dans l’Empire germanique.
Michaelis Hospitalii Galliarum Cancelarii, Epistolarum seu Sermonum libri sex. Altera Editio.
[Six livres des Épîtres ou Discours de Michel de L’Hospital, chancelier de France. Seconde édition]. {a}
- Lyon, Hugo Gazeius, 1592, in‑8o de 433 pages ; v. note [8], lettre 102, pour la précédente édition (Paris, 1585).
Le Borboniana transcrivait infidèlement (v. notule {b} infra) des premiers mots du long poème inachevé, intitulé Ad Amicos [À mes amis], livre vi des lettres, pages 386‑397, qui commence ainsi :
Durus et agrestis soleo plerisque videri,
Nec curare animos aliorum iungere nobis,
Aut retinere, velut stabilem æternumque futurum
Exploratum habeam magni Quæstoris honorem :
Duo tamen et multis spoliari contigit olim
Ætatis cursu medio, vitæque supremum
Ante diem, quanvis sapientibus et bene cautis :
Inde pedem tuerant et eodem sæpe revolvi.
Et quoniam historiæ veterum sunt fabula nobis,
Non adeo longinqua petunt exempla duorum,
Duorum etiam nunc fama manet, quos vidimus ipsi
(Clara togæ atque fori duo lumina) nec tamen illis
Causa vel eventus similis fuit, alter acerbo
Iudicio cecidit, nummos convictus avara
Accepisse manu, contra quam legibus esset
Permissum patriis, cessit mulieribus alter
Insidiis non post denique redditus anno.
Hunc sua nec virtus potuit servare, nec illum
Ingenii sua vis, et melle fluentia verba.
Tam favor et studium populi, tam gratia regum
Mobilis et fluxa est, tam lubricus omnis honorum
Est gradus, et comitem secum trahit ille ruinam.
Nicolas Rapin, « Poitevin, grand prévôt de la connétablie de France » en a donné une élégante et fidèle traduction dans ses Œuvres latines et françaises, {a} sous le titre de Discours de Monsieur le Chancelier de L’Hospital à ses Amis, tourné mot à mot du latin (première partie, pages 137‑138) :
« Beaucoup de gens estiment que je suis
Rude et fâcheux : {b} d’une humeur qui ne puis
Faire d’amis, et qui me façonne
À rechercher l’amitié de personne,
Comme pouvant, par un heur singulier
Garder toujours l’état de chancelier,
Dont toutefois plusieurs grands personnages
Fins et accorts au milieu de leurs âges
Sont trébuchés, et réduits bien souvent
En pire état qu’ils n’étaient par avant.
Que si les vieux nous semblent être fables,
Nous en avons deux exemples notables
De notre temps, que nous-mêmes avons vus,
Deux hommes grands, du même honneur pourvus,
De leur bonnet deux insignes lumières,
Qui l’ont perdu par diverses manières,
Et en leur chute ont eu diverses fins :
L’un, pour avoir, contre les lois trop fin,
Sali ses mains de larcin et d’ordure,
Fut condamné par justice un peu dure ;
L’autre tomba, sous les subtils efforts
D’une grande dame, à l’aide des plus forts,
Mais il reprit neuf ans après sa place. {c}
À l’un, de rien ne profita la grâce
De bien parler, ni le miel savoureux
Que produisait son esprit vigoureux.
À l’autre aussi, sa vertu florissante
Pour le sauver ne fut assez puissante.
Tant la faveur des rois et des seigneurs
Est incertaine, et le lieu des honneurs
Toujours glissant : si bien que par ruine
Le plus souvent la faveur se termine. » {d}
- Paris, 1610, v. note [37] du Patiniana I‑3.
- « J’ai l’habitude de paraître rude et rustre à bien des gens », dans une traduction plus littérale du premier vers, que le Borboniana a abrégé en « Je semble rude et rustre », Durus et agrestis videor.
- En se référant à cette épître de Michel de L’Hospital, Guy Patin a désigné ces deux chanceliers dans sa lettre du 14 janvier 1659 à Charles Spon (v. sa note [7]).
- Guillaume Poyet (1473-1548), nommé chancelier en 1538, promulgua l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 (qui reçut alors le surnom de Guillemine). Il fut emprisonné pour malversations en 1542. En 1545, son procès le destitua définitivement de ses fonctions et le condamna à une lourde amende.
- François Olivier (v. première notule {a}, note [28] du Borboniana 10 manuscrit), nommé chancelier en 1545, perdit les sceaux en 1551, en raison d’inimitiés courtisanes, et les recouvra en 1559.
- Pour sa propre part, Michel de L’Hospital (mort en 1573, moins d’un an après la Saint-Barthélemy), nommé chancelier en 1560, avait rendu les sceaux à Catherine de Médicis et au roi Charles ix en 1568, « voyant que son influence était désormais impuissante pour préserver la France d’une nouvelle guerre civile », et constatant, « avec un extrême chagrin, que Catherine, pour dominer plus facilement le jeune roi, favorisait ses débauches précoces, et corrompait son cœur et ses sens par les fêtes voluptueuses qu’elle donnait à Fontainebleau » (Alphonse-Honoré Taillandier, chapitre xiv, pages 198‑199, de la biographie citée dans la note [22] supra). Dans la suite de son épître, L’Hospital justifie avec beaucoup de noblesse sa démission, en concluant sur ces vers (page 397) :
Cum genere hoc hominum contendimus, anne ferarum ?
Non ratione, vel iis sapiens quibus assolet armis :
Sed quibus inter se tigres torvæque leænæ.
Nec statione tamen nostra decedimus unquam,
Tantum animi nobis cælo datur ; at tibi virtus
Ista quid attulerit patriæ, nisi prosit et urbi ?
Quin tu, quando illi monitis parere recusant,
Perpetuas leges, et formidabile nomen
Imperii, cippos, et tetri carceris umbram
Horridus intentas ? pœnamque a gente reposcis
Immani et scelerum plena ? mihi deesse monenti
Verba putas, animumque, ita si feret usus, agendi
Legibus : at per se ipsarum vis irrita legum :
Nil opis, auxilii nil suppetit, a quibus esse
Debeat, aut metuunt, aut non aliena dolentes
Aspiciunt : et quæ poterant succurrere tantis
Sola malis, ea muta iacent oppressa timore
Iudicia ✱Traduction de Rapin (pages 150‑151) :
« Avec ces gens sont toutes mes querelles :
Gens qu’on devrait nommer bêtes cruelles,
Qui n’ont rien d’homme, et envers qui n’a lieu
Ni la raison, ni la crainte de Dieu.
Tous leurs combats sont aux armes félonnes,
Comme sont ceux des tigres et lionnes ;
Et toutefois je ne laisse au danger
De conserver ma place sans bouger ;
Je ne fuis point par faute de courage,
Et me tiens ferme au plus fort de l’orage.
Penserait-on que la voix me défaille ?
Je crie assez, et s’il advient qu’il faille
Punir le crime et user de rigueur,
Je montre assez de zèle et de vigueur.
Mais quoi ? la main de la justice est morte,
Chacun regarde et nul ne la conforte.
Ceux qui devraient y apporter secours
Tremblent de peur, et n’ont autre recours
Qu’à déplorer, sans passion aucune,
La mort d’autrui comme à eux non commune.
Les parlements, qui seuls avaient resté
pour maintenir du roi la majesté,
et seuls pouvaient y donner le remède,
N’osent parler : la peur qui les possède
Les rend muets.[✱] La fin est à dire. »
François i Harlay de Champvallon (Paris 1585-Gaillon, Normandie 1653) était le frère puîné d’Achille, marquis de Bréval. {a} Nommé archevêque de Rouen en 1615, François i démissionna en 1651, en faveur de son neveu, François ii (v. note [25], lettre 420). Licencié de Sorbonne et fervent défenseur de la Contre-réforme, François i a publié plusieurs ouvrages d’instruction et de polémique religieuse, tant latins que français. Tallemant des Réaux s’en est moqué dans l’hilarante historiette qu’il lui consacrée (Le feu archevêque de Rouen, tome ii, pages 39‑42) :
« Pour M. de Rouen, il n’y eut jamais un plus grand galimatias. On écrivit sur un de ses livres : Fiat lux, et lux facta non est. {b} Il avait envoyé un des ses livres manuscrits à quelqu’un pour lui en dire son avis. Cet homme avait mis en un endroit à la marge : “ Je n’entends point ceci. ” M. de Rouen ne se souvint pas d’effacer l’observation, et l’imprimeur l’imprima. Cela faisait rire les gens de voir qu’à la marge d’un livre il y eût “ Je n’entends point ceci ”, car il semblait que ce fût l’auteur lui-même qui le dît.Un jour qu’il avait promis d’expliquer la Trinité le plus clairement du monde en un sermon, il dit du grec, puis ajouta : “ Voilà pour vous, femmes. ”
C’est le plus prolixe prédicateur, harangueur et compositeur de livres qu’on ait jamais vu. À Gaillon, {c} qu’il appelle notre palais royal et archiépiscopal de Gaillon, il a une imprimerie qu’il appelle aussi notre imprimerie archiépiscopale. […]
Il disait que de prononcer du grec à la garde-robe, {d} cela le lâchait, mais que le latin le constipait. […] Mme des Loges {e} disait de l’archévêque de Rouen que c’était une bibliothèque renversée […].
Il y avait pourtant du bon dans ce mirifique prélat : il était bon homme, franc et sincère ; mais jamais il n’eut un grain de cervelle. Une fois qu’il fit quelque entrée à Dieppe, le ministre du lieu le harangua et lui plut extrêmement. {f} Quand cet homme eut achevé : “ Voilà ”, dit-il, en se tournant vers les ecclésiastiques qui le suivaient, “ Voilà haranguer, cela ! ” Et se mit à leur remarquer toutes les parties de l’oraison : “ Voilà haranguer cela, et non pas vous autres qui manquez en ceci, en cela, et qui ne pensez qu’à la bonne chère. ” Il ne la faisait pourtant pas mauvaise, la chère, à Gaillon. Il avait toutes ses heures réglées pour ses occupations sérieuses et pour ses divertissements. Il recevait des nouvelles de tous les endroits de l’Europe. Il avait musique et n’était jamais sans quelques gens de lettres.
Sur la fin, il se laissait si fort gouverner à je ne sais quelle femme, qui était sa ménagère, qu’il commençait à s’incommoder, et elle, à s’accommoder très fort. {g} Enfin, on le fit résoudre à donner son archevêché à son neveu, Champvallon, qui était déjà son coadjuteur ; il le fit et mourut bientôt après. »
- V. note [2], lettre 504.
- « Que la lumière soit, mais la lumière ne fut point. »
- V. note [6], lettre 292.
- À la selle.
- Marie Bruneau de Rechignevoisin, v. note [57], lettre Patiniana I‑3.
- Cet éloquent ministre était un pasteur calviniste de Dieppe (v. note [9], lettre 216).
- « Il avait écrit sur la porte de Gaillon : Legem non observabo sed adimplebo [Je ne me contenterai pas d’observer la loi, je l’accomplirai]. On ajouta Couillardin : il concubinait alors avec Mlle Couillardin » (note de Tallemant).
Johannes Demisianus (ou Demiscianus) est le nom latin de Ioannês Dêmêsianos ou Giovanni Demisiani, natif de l’île de Zante (en mer Ionienne) vers 1575, théologien, philosophe, philologue, mathématicien et astronome, qui fut lié à Galilée (v. note [19], lettre 226) et à Giulio Cesare La Galla (v. notule {a}, note [6], lettre latine 194). Membre, en 1611, de l’Académie romaine savante des Lynx (v. seconde notule {a}, note [35] du Naudæana 2), il est réputé avoir inventé le mot « télescope » et être mort en 1614. On apprend ici qu’il était prêtre orthodoxe et de moralité douteuse.
V. note [16], lettre 463, pour Jérémie Ferrier, sa conversion du calvinisme au catholicisme (1613) et son scepticisme religieux fort subversif, ici attesté par sa comparaison du Christ en croix avec Jupiter, le souverain dieu vénéré par le paganisme polythéiste ; avec cette nuance, toutefois, que les calvinistes tiennent pour idolâtrie l’adoration des saintes images.
La première messe « est celle qu’on dit dès le point du jour ; on appelle aussi première messe, celle qui se dit par un prêtre la première fois qu’il chante messe » (Trévoux).
V. notes [3], lettre 42, pour le médecin botaniste (ici qualifié d’empirique) Pierre Pena, et [15] des Actes de la Faculté en 1650-1651, dans les Commentaires de Guy Patin, pour son neveu Lazare Pena, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris.
Sa déclaration que « Nul homme sur terre aujourd’hui n’a été tout entier homme » est une probable erreur de transcription, car elle est vide de sens, sauf si, eu égard au contexte, on y remplace le second homo par Romæ [à l’Église de Rome] ; ce qui aboutit à l’inversion de la règle scolastique médiévale selon laquelle Omnis homo qui est fuit Romæ, et omnis homo qui fuit fuit Romæ [Tout homme qui vit sur terre a appartenu à Rome, et tout homme qui a existé a appartenu à Rome].
Il est question du même Nicolas trois articles plus bas dans le Borboniana (v. infra note [33] et [34]).
La prosopographie de Popoff abonde en renseignements sur les familles parlementaires des Fortia (no 97) et des Forget (no 1228), en confirmant le déplorable mépris des juifs qui était alors de règle chez les chrétiens.
Son frère puîné, Pierre, conseiller secrétaire des commandements du roi, mourut lui aussi sans descendance, et avec lui s’éteignit la branche mâle des Fresnes-Forget. C’est probablement l’impie dont parlait le Borboniana, et le secrétaire d’État qui figure dans la notice biographique de Jean Patin, grand-oncle de Guy (v. notule {b}, note [12], lettre 106).
« Aristote dit (Politique, livre ii, chapitre 70) : “ Théodore, l’acteur tragique, n’avait peut-être pas tort de toujours refuser qu’un comédien, même fort médiocre, parût en scène avant lui, parce que ce qu’ils entendent en premier capte l’attention des spectateurs. Il en va de même dans les relations entre les hommes et ce qui les entoure : la nouveauté est toujours ce qui charme le plus. ” {a} Voyez la Paraphrase de Daniel Heinsius sur cette citation, page 907, {b} et le Commentaire de Michael Piccartus, page 1137. » {c}
- La citation est fidèle, mais sa référence est inexacte : les deux gloses qui suivent sur la Politique d’Aristote (notules {b} et {c} infra) la placent (comme la plupart des autres éditions, mais non toutes) dans le chapitre xvii du livre vii.
- Αριστοτελουσ Πολιτικων βιβ. θ. Aristotelis Politicorum Libri viii. Cum perpetua Danielis Heinsii in omnes libros Paraphrasi. Accedit accuratus rerum Index.
[Les huit livres des Politiques d’Aristote. Avec la Paraphrase continue de Daniel Heinsius. {i} Un soigneux index des matières y a été ajouté]. {ii}
Cette paraphrase (explication) de Heinsius prolonge et développe la citation d’Aristote (pages 907‑908) :
Quippe quæ audimus primo, commovere animos ac occupare solent. Ideo fortasse haud male Theodorus olim celeberrimus tragœdiarum, iudicabat histrio, qui nolebat quemquam histrionum, sive excelleret in arte sua, sive rudis et e plebe esset, ante se in scenam prodire. Quia occupare ac quasi vindicare sibi auditores solent, qui ab iis primi audiuntur. Et revera, idem in societate hominum ac consuetudine, idem in omni prope actione usu venit. Ut, nimirum, prima totos sibi quasi vindicent. Prima enim, quia magis animum afficiunt, propterea et firmius inhærent. Ideoque omnia quæ prava, procul removenda sunt a pueris : inprimis, quæ scelesta sunt aut execranda. Annis autem quinque jam confectis, integrum biennium, ad septimum, videlicet, utilissime eas disciplinas spectare incipient vel artes, quibus mox sunt imbuendi. Qualis, nempe, bellica, et similes. Nam ut contemplatio plerumque efficit, ut, quæ perniciosa sunt amare incipiant : ita quæ præclara, si in oculos incurrant, hac ætate, ab iis facile ad animum hic amor transfertur. Duæ autem sunt præcipuæ, quæ disciplinam poscere videntur, ætates, et pro quibus ipsæ, distinguendæ videantur necessario ac dividendæ : ea quæ septennium, nimirum, sequitur, ad pubertatem usque ; et quæ, item pubertatem usque, ad uneum et vigesimum ætatis. Nam qui universam per septennia ætatem partiuntur, mihi quidem maxima ex parte falli videntur.[Ce que nous entendons en premier est assurément ce qui d’ordinaire nous remue et saisit l’esprit. L’acteur Theodorus, jadis le plus célèbre des tragédiens, n’a donc peut-être pas manqué de jugement en ne voulant pas qu’un autre comédien, qu’il excellât en son art, ou qu’il fut grossier et issu de la plèbe, apparût avant lui sur la scène. La raison en était que les spectateurs ont coutume d’être attentifs au premier qu’ils entendent, et de se l’approprier. Il en va de même, à vrai dire, dans la société et l’habitude des hommes, et de même aussi dans presque toutes les actions qu’ils accomplissent : comme si leur esprit s’appropriait presque tout ce qu’il perçoit en premier, car les premières perceptions sont celles qui s’y impriment le plus profondément et, à cause de cela, s’y attachent le plus fermement. Voilà pourquoi tout ce qui est mauvais doit être tenu loin des enfants, surtout ce qui est impie et exécrable. Passé l’âge de cinq ans et pendant deux années, jusqu’à sept ans, ils commenceront avec grand profit à porter leur attention sur les disciplines ou les arts, dont ils devront s’imprégner rapidement. Tels sont le maniement des armes et autres enseignements semblables : puisque l’étude attentive exerce de multiples effets, les enfants entreprendront d’aimer ce que cela a de pernicieux ; mais si, à cet âge, ils ont sous les yeux ce qu’il y a de plus noble, alors l’amour qu’ils en éprouveront se transmettra à leur esprit. Deux âges principaux semblent propices à l’instruction, et paraissent devoir être distingués en deux périodes : celle qui va de la septième année à la puberté, puis celle qui va de la puberté à la vingt et unième année. Il me semble que ceux qui divisent l’ensemble de l’existence en périodes de sept ans sont en très grande partie dans l’erreur].
Voici ce que dit exactement cette suite du texte d’Aristote :
« La nouveauté est toujours ce qui nous charme le plus. Ainsi, qu’on rende étranger à l’enfance tout ce qui porte une mauvaise empreinte ; et surtout, qu’on en écarte tout ce qui sent le vice ou la malveillance. De cinq à sept ans, il faut que les enfants assistent pendant deux années aux leçons qui, plus tard, seront faites pour eux. D’ailleurs, l’éducation comprendra nécessairement deux époques distinctes, depuis sept ans jusqu’à la puberté, et depuis la puberté jusqu’à vingt et un ans. On se trompe souvent quand on ne veut compter la vie que par périodes de sept ans. »- Michaelis Piccarti Franci Professoris Norici in Politicos libros Aristotelis Commentarius.
[Commentaire du Français Michael Piccartus, {i} professeur en Bavière, sur les livres Politiques d’Aristote]. {ii}
La page 1137 (livre vii, chapitre xvii) explique qui pouvait être ce Θεοδωρος Τραγωδος {iii} pris en exemple par Aristote :
Cui rei documentum Theodorus præbuit Tragœdus antiquiss. quem inter xx. Theodoros ultimum commemorat Diog. Laërt. in Theodoro Atheo et laudat inter nobiliores histriones Plutarch. lib. de glor. Atheniens. Cujus forte an fuit liber inscriptus Φωναστιον sive de voce exercenda, quem librum ad Theodorum quoque quemdam auctorem refert idem Laërtius.[Le très antique tragédien Théodore en a fourni l’illustration : c’est celui que, dans son chapitre sur Théodore l’Athée, Diogène Laërce cite en dernier parmi ses 20 Théodore, {iv} et celui que, dans son livre sur la Gloire des Athéniens, Plutarque loue parmi les plus célèbres acteurs. {v} Peut-être est-ce celui à qui appartient l’ouvrage intitulé Phônastion, ou « la manière d’exercer sa voix », que ledit Laërce attribue à un auteur qui est aussi dénommé Théodore]. {vi}
- Michel Piccart (1574-1620) enseignait le français à l’Université d’Altdorf.
- Leipzig, Laurentius Cober, 1615, in‑8o en deux parties de 1 140 pages (sur les 7 premiers livres) et 58 pages (sur le livre viii).
- Théodôros Tragôdos (Theodorus Tragœdius, Théodore le Tragédien.
- Diogène Laërce, Vies des philosophes illustres (v. note [3], lettre 147), livre ii, § 103‑104, Homonymes, à la fin de la section consacrée à Théodore de Cyrénaïque (ive‑iiie s. av. J.‑C.), dit l’Athée, « qui rejetait complètement les croyances en des dieux » :
« Il y a eu vingt Théodore : […] le vingtième, un poète auteur de tragédies. »- Plutarque (v. note [9], lettre 101), Œuvres morales, Si les Athéniens se sont plus illustrés à la guerre que dans les lettres, chapitre 6 :
« Quel est donc l’avantage qu’Athènes a retiré de ces belles tragédies ? […] Qu’ils y joignent leurs acteurs, les Tragus, les Nicostrate, les Callipidas, les Meniscus, les Théodore et les Polus, comme des décorateurs de la tragédie, qu’ils parent à la manière des femmes somptueuses, ou plutôt comme des ouvriers qui incrustent, qui dorent et colorent les statues. »- Diogène Laërce (ibid. § 103), dans l’énumération des 20 Théodore : « Le quatrième est celui dont on cite un très beau livre sur l’art d’exercer sa voix. »
Ayant allègrement sauté, grâce à Aristote (v. supra note [29]), de la première imprégnation religieuse des esprits à l’attention des spectateurs au théâtre, le Borboniana en venait à évoquer Pierre Corneille, son Cid (v. note [2], lettre 33) et la fameuse querelle que cette « tragi-comédie » engendrait alors (1637) : sans se tromper, Nicolas Bourbon se rangeait à l’avis du public, qui avait réservé un accueil émerveillé à la pièce, et laissait les critiques à leurs grognements.
V. notes :
En 1558, à la mort de Jean Fernel, le très opulent premier médecin du roi Henri ii, le marc d’or (8 onces ou 227 grammes) valait 172 livres tournois (℔) ; en 1636 (au moment où le Borboniana a été recueilli), il était coté à 384 ℔ (Mémoire sur la variation de la livre tournois depuis le règne de saint Louis jusqu’à l’établissement de la monnaie décimale, par M. Natlys de Wailly, Paris, Imprimerie impériale, 1857, in‑4o, pages 78‑80) : soit une dévaluation de 55 pour cent de la ℔.
Un écu (égal à 3 ℔) de 1558 équivalait à 2,23 écus de 1636, et ce quel que fût le nombre de sols (50 ou 60) qui le composait. En supposant que la valeur marchande de l’once d’or n’avait pas changé, les 25 000 demi-écus (37 500 ℔) de Fernel valaient donc 55 813 demi-écus (83 721 ℔) du Borboniana ; et ce qu’on y lit ici était donc une complète bévue monétaire.V. note [29] du Faux Patiniana II‑3, pour une surenchère de Pierre Bayle (30 000 écus) sur la somme qu’on trouva dans le cabinet de Fernel après sa mort.
Étant donné que la charge de secrétaire du roi était fort galvaudée (v. ce mot dans notre glossaire) et que le patronyme Nicolas est des plus communs, je ne suis pas parvenu à identifier celui dont parlait ici le Borboniana, même en sachant qu’il était natif de Dijon, ligueur et impie.
La seconde période de la Ligue (v. note [20], lettre 15), mouvement politique opposé aux protestants et au pouvoir absolu du roi, soutenu par l’Espagne et par Rome, et mené par le duc Henri de Guise, le Balafré, avait provoqué l’insurrection de Paris (journée des barricades du 12 mai 1588, v. note [2], lettre 81), suivie par la sécession de la capitale, après l’assassinat de Guise, le 23 décembre suivant (v. note [1], lettre 463), puis par celui du roi Henri iii, le 2 août 1589. La ville résista jusqu’à la conversion (« Paris vaut bien une messe ») et au couronnement du roi Henri iv en 1594.
Au sieur Nicolas, qui lui faisait des grâces, sans doute pour conserver son office, le feu roi (Henri iv) reprochait d’avoir pris le parti adverse pendant les cinq plus chaudes années de la Ligue. L’esquive de Nicolas recourait à la régale, c’est-à-dire droit, dit régalien, qu’avait le roi de percevoir la rente d’un bénéfice ecclésiastique pendant la durée de sa vacance : Nicolas voulait dire que son esprit était resté fidèle au pouvoir royal durant l’insurrection, tout en ne quittant pas Paris, comme avaient fait les véritables « bons Français ».
V. note [25], lettre 293, pour l’église et la cure de Saint-Germain-le-Vieux, sur l’île de la Cité. Cent pistoles équivalaient à 1 100 livres tournois.
La référence, ajoutée dans la marge, renvoyait à La Doctrine curieuse du R.P. François Garasse, {a} livre vii (pages 906‑907), combattant la maxime vii, Posé le cas qu’il y ait un Dieu, comme il est bienséant de l’avouer, pour n’être en continuelles prises avec les superstitieux, il ne s’ensuit pas qu’il y ait de créatures qui soient purement intellectuelles et séparées de la matière. Tout ce qui est dans la nature est composé ; et partant, il n’y a ni anges ni diables au monde, et n’est pas assuré que l’âme de l’homme soit immortelle, etc., 17e section, L’impiété des épicuriens et leur créance touchant la mortalité de leur âme s’étend [sic] jusques au delà de leur mort, et paraît [sic] en leurs épitaphes profanes :
« La troisième espèce d’épitaphes impies et profanes est celle qui porte les impiétés gravées dans le marbre ; et de celle-ci, j’en fournis deux ou trois exemples […].Le second est de ce rieur profane, duquel j’ai parlé dans l’exposition de cette maxime, lequel, étant sur le point de rendre l’âme, dressa son épitaphe, qui dit en peu de mots : {b} […]
Quoique ces paroles puissent être appliquées à la gêne pour en tirer, à force de cordillons, quelque exposition aucunement passable, {c} je dis néanmoins que son auteur était un impie qui montrait bien la créance qu’il avait du paradis et de l’enfer […]. »
- Paris, 1624, v. note [1], lettre 58.
- Suit le quatrain cité dans le Borboniana, avec des variantes dans les deux derniers vers :
« Pour le lieu où je vais, c’est un trop grand secret,
Je le laisse à vider à Messieurs de Sorbonne. »Ces mêmes vers, où figure la Sorbonne (c’est-à-dire les docteurs et professeurs de la très rigoriste Faculté parisienne de théologie catholique), sont aussi cités dans l’Exposition et preuve de cette maxime [septième] (page 796), suivis de ce commentaire ironique sur l’athée Vanini (brûlé sur le bûcher à Toulouse en 1619, v. note [21], lettre 97) :
« Ou bien il vaut mieux dire, comme faisait Lucilio Vanino, très brave et subtil philosophe, quoiqu’on en dît dans Toulouse, Missa faciamus ista et doctis Sorbonæ senibus relinquamus [Prenons ces libertés et abandonnons notre sort aux doctes vieillards de la Sorbonne]. »- Pour dire : « Quoique ces paroles puissent être torturées pour en tirer une justification, après maints arguments tortueux, mais elle demeure tout à fait inacceptable. »
Ces commentaires scandalisés du R.P. Garasse n’aident malheureusement pas à mieux identifier l’impie Nicolas dont parlait le Borboniana.
V. note [10] du Patiniana I‑1 pour Pierre Matthieu et son Histoire de France sous le règne de Henri iv (Paris, 1605).
Le livre que le Borboniana sous-titrait curieusement Henriade {a} est la :
Guisiade, tragédie nouvelle. En laquelle, au vrai et sans passion, est représenté le massacre du duc de Guise. Revue, augmentée et dédiée au très catholique et très généreux prince Charles de Lorraine. Par Pierre Matthieu, docteur en droits et avocat à Lyon. {b}
Le duc dédicataire était le ligueur Charles iii (1543-1608), duc de Lorraine dès la mort de son père (1545), époux (en 1559) de Claude de France, dernière fille de Henri ii et de Catherine de Médicis, et grand-père de Charles iv. {c}
Le propos cité par le Borboniana se trouve dans le premier chœur de l’acte i, qui suit un long monologue du duc de Guise, mais qui fait curieusement défaut dans la reproduction mise en ligne par Gallica. En voici les cinq premières strophes (vers 129‑148), tirées du Journal de Henri iii de Pierre de L’Estoile (La Haye, Pierre Gosse, 1744, in‑12, tome iii, pages 535‑536) :
« Quelle étrange nation
A reçu plus de souffrance,
Plus de tribulation,
Que la misérable France ?Le sac, le fer, les horreurs,
Les cruautés les plus fières,
De la guerre les fureurs
Nous sont toutes familières.Depuis le triste tournoi,
Depuis les joutes cruelles,
Qui meurtrirent notre roi
Henri second aux Tournelles, {d}Nos rois jeunes, orphelins,
Plus prompts aux larmes qu’aux armes, {e}
Des hérétiques malins
Entendirent les alarmes.Dès lors, le ciel courroucé,
Pour nous combler de misères,
Vengeur des maux, n’a cessé
Vomir sur nous ses colères. »
- Car il n’est en rien à la gloire du roi Henri iii de France ou du roi Henri iii de Navarre, futur Henri Le Grand, comme fit Voltaire, sous ce titre, en 1723.
- Lyon, Jacques Roussin, 1589, in‑8o de 89 pages, 3e édition.
- V. note [37], lettre 6.
- Blessure du roi Henri ii lors d’un tournoi, aux Tournelles (actuelle rue Saint-Antoine à Paris), le 30 juin 1559, suivie de sa mort le 10 juillet (v. note [26], lettre 86).
- Mise en exergue du vers cité par le Borboniana.
Les trois fils de Henri ii et de Catherine de Médicis qui se sont succédé sur le trône de France sont François ii (1559-1560), Charles ix (1560-1574) et Henri iii (174-1589) ; leurs règnes ont coïncidé avec les huit guerres de Religion (1562-1598).
La Pompe funèbre des pénitents de Lyon, en déploration du massacre fait à Blois sur les personnes de Louis et Henri de Lorraine. Avec l’oraison sur le même sujet, prononcée par M. Pierre Matthieu, avocat à Lyon (Lyon, Jacques Roussin 1589, in‑4o de 24 pages) ne correspondait pas exactement à la mention du Borboniana car elle est rédigée en français.
V. note [3], lettre 19, pour le marquis de Saint-Chamond, qu’on appelait aussi Saint-Chaumont, ambassadeur qui jouissait alors toute la confiance du cardinal de Richelieu.
La date de cet article du Borboniana (1637) est écrite dans la marge.
Discours des choses mémorables faites à l’entrée du roi de France et de Pologne en la ville de Venise, {a} remarquées par Claude Dorron, Parisien. {b} Envoyé à la reine, {c} mère du roi et régente de France en son absence. {d}
- Récit détaillé des fastes immenses qui ponctuèrent quotidiennement le séjour de Henri iii à Venise, depuis son entrée (« telle que jamais ne s’est faite une semblable », page 6), le samedi 17, jusqu’au mardi 27 juillet 1574.
- Claude Dorron (ou Doron), mort vers 1600, a aussi publié les Dévotes méditations chrétiennes, sur la mort et passion de notre Seigneur Jésus-Christ, extraites de l’Écriture Sainte par Monsieur Dorron, maître des requêtes du roi. Et depuis mises en vers français, avec plusieurs prières et oraisons, par Baptiste Badère, Parisien, avocat au Parlement de Paris (sans lieu, Guyon Giffart, 1588, in‑12).
La suite du Borboniana et de Thou (v. infra notes [38] et [39]) en disent plus sur Dorron que ce qu’on peut en lire ailleurs.
- L’épître dédicatoire de deux pages est adressée à Catherine de Médicis et datée « de Padoue, ce 8e août ». C’est un éloge appuyé des vertus du roi Henri iii.
- Lyon, Benoît Rigaud, 1574, in‑4o de 36 pages.
Mon attention s’est surtout portée sur ce passage (pages 6‑7) à propos de Pibrac, qui avait eu bien du mal à sortir de Pologne :
« Et afin que, si ce discours apporte quelque contentement, on en sache gré à celui à qui il appartiendra : j’ai bien voulu vous avertir, en passant, que, si ainsi est qu’il soit {a} délectable, la grâce de ce contentement doit être rendue à Monsieur de Pibrac, homme qu’on peut dire être comme une des plus claires lumières de notre France, pour avoir non seulement fait sentir et connaître aux siens combien étaient grands et forts les rayons de sa vertu et incomparable éloquence, mais aussi contraint l’étranger de juger qu’il était digne d’être réputé entre les hommes comme un Soleil entre les astres. Lui seul m’a induit à dresser ces mémoires, et puis fait commander de mettre en lumière ce discours, auquel je n’ai couché chose que je n’aie vue, pour avoir toujours eu entrée partout, tant en la faveur du dit sieur de Pibrac que de deux autres seigneurs vénitiens, qui me faisaient cette faveur de me conduire où il se faisait chose remarquable. » {b}
- Bien qu’il soit.
- Ce vibrant hommage laisse penser que Dorron était attaché de près à la personne de Pibrac (peut-être son secrétaire).
Le Borboniana se référait à un autre texte du même auteur sur le même sujet, mais qui n’est pas une traduction latine mots pour mot de son Discours : {a}
Narratio rerum memorabilium, quæ propter adventum Christianissimi Invictissimique Henrici iii Franciæ et Poloniæ Regis, a totius orbis florentissima Venetorum Republica factæ sunt. Per Claudium Dorronium Parisinum U.I.D. {b}[Récit des choses mémorables que la République de Venise, la plus florissante qui soit monde, a accomplies pour célébrer l’entrée du très-chrétien et invincible Henri iii, roi de France et de Pologne. Par Claude Dorron, Parisien, docteur en l’un et l’autre droit]. {c}
- Cela tend à confirmer que Nicolas Bourbon ne lisait pas les livres écrits en français (v. note [43] du Borboniana 3 manuscrit).
- Utroque Iure Doctorem : docteur en l’un et l’autre droit (civil et canonique).
- Venise, sans nom [avec vignette des Alde], 1574, in‑4o de 4 feuilles.
La plus notable différence entre cet opuscule latin et son édition française est que Dorron ne s’y adresse plus à la reine mère de France, mais Benevolo Lectori [au bienveillant lecteur], dans une épître qui permet de mieux comprendre la relation du Borboniana, mais sans l’éclaircir tout à fait :
Quum ego Ventiis essem eo tempore quo Henricus iii. Franciæ et Poloniæ Rex Christianissimus atque invictissimus, ab amplissimo florentissimoque Venetorum Senatu exceptus est, videremque propter tanti principis adventum eas res fieri, quarum similes, nec in historiis maiorum legimus, nec a parentibus accepimus, nec ætate nostra vidimus : non dubitavi omnia scribere, eaque ad nostros mittere : existimans eos quibus hæc videre non contigerat, ex hac narratione aliquam percepturos delectationem. Sed cum vir magnæ prudentiæ et authoritatis, eximiæ doctrinæ, et singularis eloquentiæ, Dominus Pibracus (quem boni doctique omnes tanti faciunt, quanti paucos mortalium) non ad solos Francos tam novæ, et inauditæ rei lætitiam pertinere iudicaret, verumetiam communem Polonis in Henrico rege gloriam esse putaret : suavit, ut quæ Gallice scripseram, Latina faceem, ut Poloni Latinæ linguæ non ignari, rem totam intelligere possent, et amplissimo Venetorum Senatui florentissimæque Reipub. ob tam singularem in Henricum regem benevolentiam, ob tam propensam in eum voluntatem, ob tantos tamque eximios honores delatos, gratias haberent, atque cum Francis beneficium agnoscentes, referre cogitarent : Dedi igitur operam, ut clarissimi viri suasioni, et quorundam expectationi satisfacerem : atque hæc quæ ab hinc triginta diebus in lucem emittere conabar, ubi primum edere concessum fuit, tibi, si quando otio abundares, legenda proposui. Quæ si grata esse intellexero, ad maiora nostra industria excitabitur : Vive, Vale.
Venetiis Calendis Septembris 1574.
In labore gloria.[Étant présent à Venise quand le très florissant et éminent Sénat vénitien a reçu le très-chrétien et invincible Henri iii, roi de France et de Pologne, et ayant observé que les fastes célébrés pour l’entrée d’un si grand prince ont surpassé tout ce nous pouvons avoir lu dans les histoires de nos aïeux, entendu raconter par nos parents, ou nous-mêmes vu de notre vivant, je n’ai pas douté que je devais en faire le récit complet et l’envoyer à nos concitoyens, estimant que ceux qui n’ont pas eu la chance d’assister à tout cela en tireront quelque délectation. Monsieur de Pibrac, homme de grande sagesse et autorité, de remarquable science et de singulière éloquence (dont tous les gens honnêtes et savants font plus de cas que de la plupart des mortels), ayant jugé que la joie d’un événement si nouveau et inouï n’était pas réservée aux seuls Français, mais qu’ils la partageaient avec les Polonais, pour la gloire du roi Henri, ma persuadé de traduire en latin, langue que ce peuple n’est pas sans connaître, ce que j’avais écrit en français, de manière que les Polonais rendent grâces au très ample Sénat de la très florissante République de Venise pour sa si singulière bienveillance et ses sentiments si profonds envers ce souverain, et pour les honneurs si nombreux et remarquables qu’il lui a rendus, et soient bien convaincus qu’ils les partagent avec les Français. {a} Je me suis donc mis au travail pour satisfaire la requête du très brillant M. de Pibrac et les attentes de certains autres, et me suis proposé de te donner à lire, quand tu en auras le loisir, ce que j’ai entrepris d’écrire dans les trente jours qui en ont suivi la commande. Si j’apprends que cela t’a plu, je serai incité à en faire plus et mieux. Vive et Vale.
À Venise, le 1er septembre 1574. {b}
La gloire est dans le labeur.
- Pibrac entendait clairement ménager les Polonais, mais c’était beaucoup leur demander après la peu glorieuse désertion du roi français qu’ils s’étaient choisi.
- Soit trois semaines après la dédicace du Discours à Catherine de Médicis ; nulle part dans ces deux éditions, Dorron ne dit avoir adressé au roi une harangue « au nom des Français qui se trouvèrent là ».
Pia Exercitia ex Sacra Scriptura, Patribus et Liturgiis deprompta. Seu Considerationes quædam quæ mentem occupare possint, circa præcipua Religionis Christianæ documenta et mysteria. In duos libros distributa. Per R.P. Carolum Dorron, Congregationis Oratorii Iesu Christi Domini nostri Presbyterum.[Pieux Exercices tirés de la Sainte Écriture, des Pères et des liturgies, ou quelques Considérations capables de concentrer l’esprit sur les principaux enseignements et mystères de la religion chrétienne. Distribués en deux livres, par le R.P. Charles Dorron, prêtre de la Congrégation de l’Oratoire {a} de Jésus-Christ notre Seigneur]. {b}
- V. note [1], lettre 29.
- Paris, Michael Soly, 1650, in‑12 de 395 pages.
La dédicace à Omer ii Talon (v. note [55], lettre 101) exprime la reconnassance de Dorron envers l’avocat général au Parlement de Paris, mais n’y parle pas de son père et n’y dévoile rien sur sa propre biographie.
Note ajoutée dans la marge renvoyant aux Lettres d’Étienne Pasquier, {a} lettre non datée à Antoine i Loisel, {b} passage intitulé Henri iii s’amuse à la grammaire au plus fort de ses affaires, chapitre iv, Il y peut avoir de l’athéisme aux épitaphes des hommes, comme il se prouve par trois exemples excellents (tome second, pages 482‑484) :
« Le roi Henri iii étant rentré de Pologne, dès sa première entrée en la France, {c} trompa grandement l’espérance que chacun avait conçue de lui, épousant des basses opinions, qu’il changeait de six en six mois, dont je ne vous veux pas faire un recueil, comme choses qui déplaisaient fort à son peuple, et singulièrement à ceux qui avaient quelque nez, ou qui étaient les mieux nés entre ses sujets. Il fut, sur son avènement, salué d’une guerre civile sous le nom des catholiques malcontents, conduits par le duc d’Alençon, son frère, et des huguenots pour la Religion, sous la bannière du roi de Navarre : deux princes, l’un frère, l’autre beau-frère, qui, en cette querelle, s’étaient unis ensemblement. {d} Si jamais prince eût sujet de crainte, ce fut lors. Toutefois, ce nouveau roi, comme s’il eût été exposé en la tranquillité d’une profonde paix, au lieu d’endosser le harnais, se faisait enseigner, d’un côté, la grammaire et la langue latine par Dorron {c} (qu’il fit depuis conseiller au Grand Conseil), et d’un autre côté, exerçait une forme de concert et académie avec les sieurs de Pibrac, Ronsard et autres beaux esprits, {e} à certains jours, auxquels chacun discourait sur telle matière qu’ils s’étaient auparavant désignée. Noble et digne exercice vraiment, mais non convenable aux affaires que lors ce prince avait sur les bras. Ces nouvelles leçons de grammaire me donnèrent sujet d’éclater par une colère ces six vers latins :Gallia dum passim civilibus occidit armis,
Et cinere obruitur semisepulta suo.
Grammaticam exercet media Rex noster in aula,
Dicere iamque potest vir generosus, Amo.
Declinare cupit, vere declinat et ille,
Rex bis qui fuerat, fit modo Grammaticus. {f}Je le donnai à Monsieur Pithou, {g} et crois que, à vous-même, j’en fis présent ; toutefois, je ne le vous ose assurer. Bien sais-je que depuis, passant d’une main à autre, il se donna voie par les bouches des beaux esprits, et à leur contentement. Hormis à feu Monsieur de Pibrac, {e} avec lequel étant tombé en propos sur icelui, il me dit avoir entendu que Marillac {h} (jeune avocat de grande promesse, qui se tenait avec moi) en était l’auteur ; et que, s’il en était assuré, il lui ferait réparer sa faute. À quoi je repartis que je répondrais en tous lieux de ses actions, et que je savais pour certain que cet épigramme n’était de sa forge ; au demeurant, que je le priais de me dire ce qui lui semblait de cette invention. “ Elle est très belle (me dit-il), mais il n’appartient < pas > à un sujet de se jouer de cette façon sur les mœurs et déportements de son prince. ” “ Cela serait bon (lui repartis-je) en la bouche d’un autre que de vous, qui devez penser que si un roi, qui est exposé à la vue de tous ses sujets, ne met quelque bride à ses actions, il est fort malaisé qu’il puisse commander aux mécontentements de ceux qui plus le respectent ; et que telle manière de vers venait non d’une main ennemie de Sa Majesté, ains {i} qui en était idolâtre, mais fâchée de la voir tomber par ce moyen au mépris de tout son peuple ; voire que nous devions tous souhaiter, au cas qui lors se présentait, que cet épigramme tombât aux mains de notre roi, pour lui être une leçon, non de grammaire latine, mais de ce qu’il avait de faire. Vous savez (ajoutai-je) l’histoire de cet empereur qui allait de nuit déguisé aux maisons publiques pour entendre ce que l’on disait de lui, pour, sur le rapport qui lui serait fait, donner ordre de se réformer. ” Ainsi se termina et la colère du sieur de Pibrac, et notre propos. »
- Paris, 1619, v. note [6], lettre 906.
- V. note [3], lettre 91.
- V. supra note [37].
- Archaïsme pour « ensemble ». Cinquième guerre de Religion (1574-1576), provoquée par la mort, sans enfant, de Charles ix et la régence de sa mère, Catherine de Médicis. V. notes [13] du Borboniana 3 manuscrit pour François, duc d’Alençon, frère cadet de Henri iii, et [18] supra pour Henri iii de Bourbon, roi de Navarre (futur Henri iv de France, époux de Marguerite, sœur de Henri et François.
- V. notes [21] (notule {e}) supra pour le président poète Guy du Faur de Pibrac (mort en 1586), et [19], lettre 455, pour le poète courtisan Pierre de Ronsard.
- « Tandis que la France succombe aux guerres civiles, à moitié enfouie sous sa propre cendre, voici que notre roi, au beau milieu de sa cour, apprend la grammaire, et ce noble seigneur est déjà capable de dire Amo. {i} Il est impatient de décliner, mais il décline en vérité : {ii} et se contente de devenir grammairien celui qui fut deux fois roi ! »
- « J’aime » : première personne de l’infinitif présent du verbe latin amare, le premier que les écoliers apprennent à conjuguer.
- Mise en exergue du vers cité par le Borboniana, qui joue sur le double sens de declinare « décliner » : « pencher vers sa fin », et « connaître les désinences des mots » latins (cas, nombre, genre).
- François Pithou, avocat au Parlement de Paris (v. note [2], lettre 50), plus probablement que son frère Pierre i (v. note [4], lettre 45), alors avocat général du parlement de Bordeaux.
- Michel i de Marillac, v. note [45], lettre 216.
- Mais.
V. note [9], lettre 122, pour ce que signifiait « suer la vérole ».
Pendant la Ligue, Henri ier d’Orléans, duc de Longueville (1568-1595), père de Henri ii d’Orléans, {a} était resté fidèle à la Couronne. Il dirigea l’armée royale qui vainquit les ligueurs à Senlis en 1589. {b}
Pour compléter la biographie de Claude Dorron, l’Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou a parlé, comme agent du roi Henri iii, en deux endroits.
« Pour lui inspirer une idée plus terrible des mauvais traitements auxquels les catholiques étaient exposés en Angleterre, ils imaginèrent qu’il fallait lui en donner, en quelque sorte, le spectacle. Dans cette vue, ils firent graver des planches où tout ce que l’on en racontait était représenté sous des figures effrayantes. On exposa ensuite ces estampes en public ; et tandis que le simple peuple s’amusait à considérer ces gravures avec une espèce d’étonnement, il se trouvait des gens apostés qui, une baguette à la main, expliquaient toute la figure ; après quoi, ils ajoutaient à l’oreille d’un chacun que c’était là ce qui arriverait aux Français si le roi de Navarre {a} montait sur le trône ; ce qui se disait même hautement dans la suite. La témérité de cette entreprise, qui ne tendait à rien moins qu’à une révolte ouverte, lassa enfin la patience de Henri. {b} Il donna ordre au lieutenant civil d’empêcher que dorénavant on exposât ces estampes en public. En même temps, il chargea Claude Dorron, maître des requêtes qui était de sa Maison, de faire la recherche de ces planches et de les supprimer. On les trouva enfin à l’hôtel de Guise pendant l’absence du duc, et elles furent portées au roi. Mais ces précautions furent assez inutiles : le parti ne trouvant pas que ces estampes fissent encore assez d’impression sur les esprits, fit peindre sur bois le même sujet en grand, et donna en spectacle au public ces figures représentées avec les couleurs les plus vives. J’ai vu moi-même longtemps après ce tableau exposé dans le cimetière de Saint-Séverin. {c} Le mépris où l’autorité royale était tombée autorisait cette licence des factieux. L’ambassadeur d’Angleterre eut beau se plaindre, ce ne fut qu’à force de crier qu’il engagea enfin le roi à le faire ôter ; et ce prince eut encore bien de la peine à l’obtenir des marguilliers {d} séditieux de cette paroisse. »
- Henri iii de Navarre, Henri iv roi de France en 1589.
- Henri iii roi de France (1574-1589).
- V. note [11], lettre 96.
- V. note [58], lettre 229.
Craignant la peste qui infestait alors Paris, Henri iii s’était retiré à Saint-Germain-en-Laye en octobre 1583 et y avait assemblé les notables pour promulguer une déclaration visant à réformer le royaume, en vue d’en rétablir les finances et l’autorité (Aline Vallée-Karcher, L’assemblée des notables de Saint-Germain-en-Laye (1583), Bibliothèque de l’École des chartes, 1956, tome 114, pages 115‑162). Ce ne fut que le plus mémorable de ses nombreux séjours dans cette résidence royale, et le second passage de de Thou montre que le roi confiait encore des missions à Dorron en 1585.
Cet article répète et prolonge le curieux adage énoncé dans le Borboniana 2 manuscrit sur les dénommés Nicolas et Barthélemy (v. sa note [18]).
Pour les Hannequin (qu’on peut tenir pour une variante de Hennequin ou Hellequin), Tallemant des Réaux a cité le même proverbe au début de son historiette sur Dreux Hennequin, abbé de Bernay, conseiller à la Grand’Chambre du Parlement de Paris (né en 1574), réputé pour son amour de la bonne chère et du jeu (tome 2, page 252, v. note [7], lettre 258) :
« M. de Bernay était des Hennequin, {a} bonne famille de Paris, et dont on dit : Hennequin, plus de fous que de coquins. » {b}
- « Les Hennequin se vantaient d’être issus d’une ancienne famille noble de Flandre (plus exactement de Picardie) qui avait passé à Troyes en Champagne au cours du xive s. » (note d’A. Adam). Plusieurs conseillers et présidents du Parlement de Paris en furent issus (Popoff, no 108).
V. note [17] des Affaires de l’Université en 1650-1651 dans les Commentaires de la Faculté de médecine de Paris pour Jacques Hennequin, doyen de la Faculté de théologie.
- « Boinville, qui fut trouvé caché sous le lit de la reine mère, qui alla à Saint-Gervais avec un habit et un chapeau blanc, et qui ensuite fut enfermé par ses parents, était Hennequin » (note de Tallemant). A. Adam a identifié cet extravagant comme étant Oudard Hennequin, sieur de Boinville, maître des requêtes en 1613 ; la reine mère était Marie de Médicis.
Gilles Ménage, Les Origines de la langue française (1650), au mot Arlequin (Harlequin, page 377) :
« Nom de bateleur. Sous le règne de Henri iii, il vint à Paris une troupe de comédiens italiens, parmi lesquels il y avait un jeune homme fort dispos, qui hantait souvent chez M. de Harlay de Champvallon ; {a} d’où il fut appelé par ses compagnons Harlequino, comme qui dirait Petit-Harlay. Ce nom, qui lui demeura toujours du depuis, a été pris ensuite par d’autres bateleurs ; si bien qu’à présent, ce mot passe parmi nous pour celui de bateleur. J’ai appris cette origine de M. Guyet, {b} qui m’a dit l’avoir apprise de Harlequin même au second voyage qu’il fit en France, au commencement du règne de Louis xiii ; et elle m’a été confirmée par M. Forget, grand maître des eaux et forêts d’Orléans, qui m’a dit avoir ouï Harlequin sur le théâtre appeler M. de Champvallon, son parrain. » {c}
- François de Champvallon (mort en 1630), père d’Achille (v. note [2], lettre 504).
- François Guyet, v. note [3], lettre 997.
- Additions de Ménage (page 801) :
« D’autres disent que ce nom prit son origine sous François ier, en dérision de Charles Quint : de même que les Anglais appellent harlot une garce, quelle qu’elle soit, à cause d’une Charlotte qui était garce de Guillaume le Conquérant. »Le très savant (mais aussi très britannique) Oxford English Dictionary donne à harlot divers sens péjoratifs, dont celui de dévergondé des deux sexes (sans relation avec une quelconque Charlotte) ; il établit un lien entre harlequin et Hellequin, « nom d’un démon dans la légende médiévale », mais sans parler des Harlay. L’étymologie est une science inexacte.
Dans sa lettre à Charles Spon du 16 novembre 1645 (v. sa note [7]), Guy Patin a fait une longue digression sur Louis Dorléans et cité son commentaire latin sur les Annales de Tacite (Paris, 1623), mais il est plus connu pour ses pamphlets ligueurs.
V. note [11], lettre latine 75, pour les états généraux réunis à Blois par Henri iii, d’octobre 1588 à janvier 1589, marqués, en décembre, par le double assassinat du duc, puis de son frère, le cardinal de Guise.
Dans les Mélanges des Annales de Bourgogne, H. Drouot a publié un article fort bien documenté, intitulé Un sujet : la carrière d’Étienne Bernard (1934, tome vi, fascicule iv, pages 366‑371). J’y ai puisé ces renseignements sur ce Dijonnais injustement oublié et sur son fils Jean.
« avocat au parlement de Dijon, échevin et maire de cette ville, député du tiers état du bailliage de Dijon aux états généraux de 1588 et de 1593, conseiller et garde des sceaux au parlement en 1593-1595, négociateur < du duc > de Mayenne en 1593, en 1594, en 1595, sur les libelles et le procès qu’ils lui valurent après la soumission de Dijon à Henri iv, sur sa mission de Marseille en 1596, sur sa lieutenance générale du bailliage de Chalon-sur-Saône de 1596 à 1609, – et l’on voit cependant, à travers cette simple énumération de titres et de charges, se profiler une figure –, on n’a quasi rien écrit encore. »
Les procès en béatification de Claude Bernard ont jusqu’ici échoué. Le commandeur Joseph-Jean de Broqua, « camérier secret de cape et d’épée de S.S. Pie x, membre et lauréat de plusieurs sociétés savantes, postulateur de la cause de Claude Bernard » a publié une vie du postulant, intitulée Claude Bernard dit le Pauvre Prêtre, {d} ornée du portrait de son héros.
Le débat sur le bénéfice abbatial de Soissons y est relaté dans le chapitre vi (pages 142‑148) : insistance de Richelieu et d’Anne d’Autriche, et lettre de refus définitif du prêtre, datée du 25 juillet 1637, au profond mécontentement de son frère Jean Bernard. L’abbaye bénédictine Saint-Crépin-le-Grand située dans les murs de la ville, aujourd’hui devenue le lycée Saint-Vincent-de-Paul, n’y est toutefois pas citée : « C’était probablement l’abbaye de Longpont, {e} de l’Ordre de Citeaux ». La lettre de renoncement du pieux homme figurait déjà dans La Vie de Claude Bernard, dit le Pauvre Prêtre. Faite et composée par son successeur Thomas Le Gauffre, prêtre, conseiller du roi et maître ordinaire en sa Chambre des comptes à Paris, {f} chapitre xxiii, Du mépris qu’il a fait des richesses et des honneurs, pages 223‑232, avec cette interrogation :
« Quelle apparence donc y aurait-il que je dépouillasse les uns pour revêtir les autres, et ôtasse le pain le pain de la bouche des pauvres de Soissons pour le donner à ceux de Paris ? »
- V. note [27], lettre 402.
- V. note [9], lettre 72.
- Paris, Gervais Alliot, 1641, in‑8o de 694 pages distribuées en 6 parties.
- Paris, P. Lethielleux, 1914, in‑8o de 270 pages.
- Située à 20 kilomètres au sud-ouest de Soissons (v. note [8], lettre 253).
- Paris, Claude Sonnius et Denis Béchet, 1642, in‑8o de 567 pages.
Tallemant des Réaux s’est fait l’avocat du diable dans sa courte historiette intitulée Le Père Bernard (tome ii, pages 68‑69) :
« Ce Père Bernard avait été autrefois fort débauché ; puis il s’était jeté dans la dévotion, faute de bien ; et son zèle et son emportement l’avaient canonisé parmi le peuple avant sa mort. Il prêchait dans les salles et sur l’escalier de la Charité ; {a} et une fois, il dit : “ Il faut finir car voilà l’heure qu’on va pendre un pauvre passement d’argént ”, et se mit à crier un demi-quart d’heure Passement d’argént. {b} À sa mort, on vendit trois ou quatre guenilles qu’il avait, au poids de l’or. Il avait laissé ses souliers à un pauvre homme ; les dames les lui mirent en pièces pour en avoir chacune un morceau, et lui donnèrent de quoi avoir des souliers tout le reste de sa vie. Pour faire le conte bon, on disait qu’une d’elles avait acheté son prépuce tout ce qu’on avait voulu. Quelque temps durant, on disait qu’il se faisait des miracles à son tombeau ; enfin cela se dissipa peu à peu. » {c}
- Hôpital parisien du faubourg Saint-Germain (v. note [4], lettre latine 71).
- « Il faut l’e ouvert » (note de Tallemant). Un passement est une dentelle (ici brodée en fil d’argent), qui a laissé A. Adam perplexe : « Les commentateurs avouent leur embarras et ne réussissent pas à comprendre comment on va pendre un pauvre passement d’argent, de quelque manière qu’on prononce le mot. »
Il est vrai que le changement de prononciation, d’argeint (è fermé ou bref) en argeant (é ou ê ouvert ou long) ne provoque aucun effet comique aujourd’hui perceptible, mais pousse simplement à croire que le prêcheur réclamait l’aumône à hauts cris. Littré (DLF) ne m’a guère secouru avec le proverbe qu’il explique : « “ C’est un pauvre prêtre, s’il n’a point d’argent caché ”, se dit d’un homme de peu d’industrie, de peu de capacité. »
La Curne de Sainte Palaye a donné à passement le sens oublié de « contrats ou actes passés par les notaires », mais cela n’explique guère mieux la raillerie de Tallemant des Réaux.
- Difficile de plaider la béatification du Pauvre Prêtre après un tel réquisitoire.
« Blois ne va jamais taire les furies valoisiennes. »
Henri iii a été le dernier roi de la dynastie des Valois (Valesiacorum).
V. notes [2], lettre 13 pour les conférences de Suresnes (mai 1593), et [46] du Borboniana 5 manuscrit, pour Renaud de Beaune, archevêque de Bourges de 1581 à 1602.
Une traduction française de cet acide échange en latin est :
« – Toi aussi, dernier reliquat des Grecs ! {a}
– Celui-là ne m’a pas fait changer d’avis. {b} »
- Double référence antique du député du clergé :
- à l’exclamation de Jules César quand Brutus lui planta son couteau dans la poitrine, Tu quoque fili ! [Toi aussi, mon fils !] (avec variantes, v. note [3], lettre 540) ;
- et au cheval de Troie, sans l’Énéide de Virgile, Timeo Danaos et dona ferentis [je crains les Grecs, même quand ils portent des cadeaux] (v. note [183], lettre 166).
- Réponse du toujours vindicatif Étienne Bernard, député ligueur du tiers état, où ille [celui-là] désigne le roi de France, Henri iv, successeur de Henri iii.
V. notule {a‑2}, note [18] du Borboniana 5 manuscrit, pour l’avis de Catulle sur la sotte et irritante coutume de rire sans propos.
Cet article, inhabituellement long, du Borboniana, est entièrement à la louange de Claude Mareschal, « conseiller au Grand Conseil, puis reçu conseiller clerc [ecclésiastique] au Parlement le 26 septembre 1587, et [qui] mourut le 4 janvier 1624 » (Popoff, no 1670), après être monté à la Grand’Chambre.
Il apparaît deux fois sous le nom de Claude Le Mareschal dans l’Histoire du Parlement de Paris de l’avènement des rois Valois à la mort d’Henri iv par Édouard Maugis (Paris, Auguste Picard, 1916, in‑8o, tome iii) :
Parmi les quelques ouvrages juridiques publiés par Jacques Gouthière (ou Gouthières), natif de Chaumont-en-Bassigny (Vexin français), mort en 1638, {a} figurent les :
Jacobi Gutherii J.C. Civis Nobilis et Patricii Romani de Jure Manium, seu de Ritu, more et legibus prisci funeris, Libri iii. Ad Amplissimum atque Illustrissimum Nicolaum Verdunum Equitem, Sacri Consistorii Comitem, in suprema Parisiorum Curia Præsidem Maximum.[Trois livres de Jacques Gouthière, jurisconsulte, gentilhomme et patricien romain, sur le Droit des mânes, ou du Rite, de la coutume et des lois des anciennes funérailles. Dédié au très éminent et illustre Nicolas de Verdun, {b} chevalier et comte du saint Consistoire, {c} premier président du Parlement de Paris]. {d}
- Michaud, 1847, volume 17, page 263.
- V. infra note [48].
- Tribunal pontifical de Rome.
- Paris, Nicolaus Buon, 1615, in‑4o de 546 pages
La seule trace que j’ai trouvée d’un Dom Juliot, chartreux, est infime et improbable : elle se lit dans les Mémoires de M. d’Artagnan (tome second, page 47) de Gatien de Courtilz de Sandras, {a} dans un passage daté de 1651, sur un rendez-vous secret, « aux Chartreux », entre Hugues de Lionne {b} et le coadjuteur {c} « chez un certain Père nommé Dom Julliot ».
- Cologne, 1700, v. note [2] lettre 715.
- V. note [9], lettre 188.
- Jean-François-Paul de Gondi, v. note [18], lettre 186.
Depuis 1614 à 1624 (mort de Claude Mareschal), la reine mère était Marie de Médicis. Je n’ai pas trouvé de source à la fable du voyageur, qui sert à accuser la souveraine de rapacité.
V. notes [6], lettre 133, pour Charles de Neufville, sieur de Villeroy, et [13], lettre 10, pour Charles de L’Aubespine, marquis de Châteauneuf.Le paragraphe précédent a fait s’exprimer Nicolas de Bourbon, le professeur royal qui était l’interlocuteur de Guy Patin dans le Borboniana, à la troisième personne (au lieu de la première). V. note [10], lettre 52, pour l’église parisienne des cordeliers où eut lieu l’échange rapporté entre Claude Mareschal et son voisin de banc à la messe.
Aucun conseiller du Parlement de Paris n’ayant porté ce nom, il faut croire que le dénommé Borace revendit la charge que son maître lui avait donnée en héritage. Sans doute s’agit-il de Jacques Borace, conseiller-secrétaire du roi, Maison, Couronne de France et de ses finances, mort en 1654. La fin de l’article sur Mareschal corrobore cette hypothèse (v. supra note [55]).
V. notule {b}, note [49] du Patiniana I‑2, pour Nicolas de Verdun, premier président du Parlement de 1616 à 1627. Sa seconde épouse, qui indisposait Claude Mareschal, se nommait Charlotte de Fontlebon, veuve de François de Barbezières, seigneur de Chemerault (Popoff, no 49).
La couleur verte du lit sur lequel se prélassait insolemment la présidente de Verdun me semble sans rapport avec la saillie de Mareschal, qui lui disait, comme pour s’excuser de la déranger, être résolu à ne plus désormais venir chez elle (« céans ») sans qu’elle l’y invitât : « en dépit de toi », c’est-à-dire « contre ton gré » (avec tutoiement discourtois de mépris).
En termes de droit successoral, un retrait est le rachat par un légataire de biens qu’avant sa mort son testateur avait vendus à un tiers. Retrait lignager « se dit quand un lignager {a} retire des mains d’un tiers acquéreur un ancien propre de sa famille vendu par son parent. Le retrait lignager a été introduit par la plupart des coutumes de France pour conserver les héritages dans une famille. Les retraits lignagers sont de droit étroit, et sujets à plusieurs formalités qu’il faut rigoureusement observer, comme d’offrir bourse et deniers à découvert, {b} et à parfaire frais et loyaux coûts en tous les appointements de la cause » {c} (Furetière).
- Personne de même lignage, héritier.
- Argent comptant.
- En prenant les frais de justice à sa charge.
En 1619, Nicolas de Verdun avait acheté le château de Conflans à Charenton (v. note [18], lettre 146).
Je n’ai pas identifié le conseiller clerc de la Grand’Chambre, chanoine de la Sainte-Chapelle (v. note [38], lettre 342), que Claude Mareschal pouvait si rudement invectiver et dont le nom commençait par F.
Ce paragraphe dénonce la corruption des magistrats, sous la forme d’épices excessives (pots-de-vin), qui faisaient la fortune de nombre d’entre eux.
Marguerite de Chantecler était fille de Charles, sieur de Vaux, conseiller au Parlement, puis maître des requêtes en 1578, et conseiller d’État ; mort en 1620, « il est auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire » (principalement romaine et byzantine). En 1606, Marguerite avait épousé Thibaut des Portes, sieur de Bévilliers, secrétaire du roi, grand audiencier de France (Popoff, no 879).
Trois testons (v. note [25], lettre Borboniana 2 manuscrit) représentaient une somme fort modique (moins d’une livre tournois).
V. note [12], lettre 76, pour Jean-Louis de Nogaret de La Valette, duc d’Épernon.
Sac, « en termes de Palais, se dit de celui où l’on met les papiers d’un procès : cette partie a chargé un tel avocat de son sac ; ce conseiller aime le sac, il ne songe qu’à vider son sac, c’est-à-dire à gagner beaucoup d’épices [v. supra note [49]] ; ce procès contient tant de sacs enfermés dans un sac commun. […] On dit qu’une affaire est dans le sac pour dire qu’on est assuré qu’elle réussira » (Furetière).
Le passé ligueur de Claude Mareschal expliquait son mépris des pasteurs protestants (surtout luthériens) allemands que Jacques-Auguste i de Thou, favorable à la tolérance religieuse, a volontiers loués dans les Histoires de son temps (v. note [4], lettre 13).
Avec les lieutenants civil et criminel du Châtelet (v. glossaire) et de la maréchaussée (v. note [1], lettre 341), le chevalier du guet, chef du guet royal de Paris (v. note [10], lettre 22), y assurait la police. Son hôtel était voisin de la maison que Guy Patin a occupée à partir de 1651, place du Chevalier du Guet.
Charles d’Albert (v. note [15], lettre 205) avait été le premier favori et le grand fauconnier de Louis xiii. Après avoir fomenté l’assassinat public (24 avril 1617) du tout-puissant favori de Marie de Médicis, Concino Concini, maréchal d’Ancre (v. note [8], lettre 89), d’Albert avait été promu duc de Luynes (1619) et connétable de France (1621, année de sa mort).
V. notes [41], lettre 176, pour Honoré d’Albert, maréchal de France en 1619, duc de Chaulnes en 1621, frère de Charles, et [26] du Naudæana 1 pour le bien plus valeureux François de Bonne, duc de Lesdiguière, maréchal et dernier connétable de France en 1621 (à la suite de Luynes).
Le début du paragraphe répète ce qui a déjà été dit au début de cet article.
V. note [13], lettre 106, pour l’éminent juriste français Jacques Cujas, mort le 4 octobre 1590. Trois jours après les funérailles, Claude Mareschal prononça son éloge funèbre dans la cathédrale Saint-Pierre de Bourges. Je n’en ai pas trouvé le texte imprimé.
V. note [15], lettre 739, pour la loi salique interdisant aux femmes de succéder au trône de France (contrairement à ce qui était permis en Espagne ou en Angleterre). Les ligueurs, appuyés par les Espagnols, voulaient la supprimer en France, après la mort de Henri iii, pour écarter Henri de Navarre du trône et y établir l’infante Isabelle, fille du roi Philippe ii et d’Élisabeth de Valois, elle-même fille de Henri ii, roi de France, et de Catherine de Médicis.
V. note [8], lettre 542, pour Guillaume du Vair, évêque de Marseille puis de Lisieux, et garde des sceaux de 1617 à 1621.
Nicolas Bourbon dressait un bel éloge de Claude Mareschal, sur qui les biographies parlementaires ont été peu disertes, (v. supra note [50]). Néanmoins, le désordre de son article l’a fait revenir sur Marguerite des Portes-Bevilliers (v. supra note [50]) et sur son galant, Jacques Borace (v. supra note [47]).
On apprend ici que ledit Borace avait « bien fessé Mathieu » (ou Matthieu), c’est-à-dire exercé l’usure, ce qui correspondait bien aux pratiques ordinaires d’un secrétaire du roi. « On prétend que cette expression vient de ce que saint Matthieu, avant sa conversion, était publicain, et que les publicains sont ordinairement en horreur au peuple, et passent pour de grands usuriers. Ainsi on a dit : “ fait comme S. Matthieu ”, “ fait S. Matthieu ”, “ fesse-Matthieu ” » (Trévoux).V. note [52], [53] et [54] du Borboniana 3 manuscrit pour le Massacre des Innocents ordonné par le roi Hérode en vue de supprimer Jésus enfant, relaté par Macrobe, et commenté par Joseph Scaliger et plusieurs autres.
V. note [8], lettre 584, pour le Dialogus Ciceronianus [Dialogue cicéronien] d’Érasme, sur la meilleure manière de s’exprimer en latin, dont le Borboniana citait ce passage (mis en exergue) d’un échange entre Bulephorus et Nosoponus (Leyde, 1643, page 148) :
B. A. Gellii candidissimam phrasim mirantur eruditi.
N. Nec argumentum convenit nec phrasis, primum affectata, et verborum copia pene superfluens, rerum supellectile frugalis.
B. En tibi Macrobius.
N. Æsopicam corniculam mihi nominas, ex aliorum pannis suos contexuit centones, itaque sua lingua {a} non loquitur, et si quando loquitur, Græculum Latine balbutire credas.[B. Les lettrés admirent le style extrêmement clair d’Aulu-Gelle. {b}
N. Ni ses arguments ni son style ne conviennent : d’abord, il est affecté ; et puis l’abondance des mots y est presque débordante, tout en étant bien chiche dans les idées qu’il convoie.
B. Que dis-tu de Macrobe ?
N. Tu me parles de la corneille d’Ésope : {c} il a tissé ses centons {d} à partir de ce qu’il a pris dans les casseroles des autres ; aussi ne parle-t-il pas sa propre langue, et s’il lui arrive de la parler, tu croirais entendre un méchant Grec bredouiller en latin].
- Mot omis dans la transcription du Borboniana : je l’y ai rétabli (entre chevrons) pour la rendre intelligible.
- V. note [40], lettre 99.
- « On dit figurément d’un auteur qui a fait quelque ouvrage en ramassant ou en dérobant les pensées des autres, que c’est la corneille d’Ésope, ou la corneille d’Horace : par allusion à la fable qu’ils rapportent de la corneille qui se trouva sans plumes, quand les autres oiseaux eurent repris celles qu’elle leur avait dérobées pour se parer » (Furetière).
La transcription infidèle du Borboniana dit la même chose autrement : Æsopica cornicula, ut pote qui…, « C’est la corneille d’Ésope, étant donné que… ».
- V. ce mot dans le glossaire.
Les cinq empereurs de la dynastie des Antonins (de Nerva à Marc-Aurèle) ont régné de 96 à 192, mais Macrobe a vécu au iiie‑ive s.
« “ Un second lacet a eu du mal à te tuer, Carafa, car un seul n’avait pas suffi à punir tes grands crimes. ”
Cela ne se lit pas dans les Carmina d’Antoine Muret. »
Ce distique, où vix est ordinairement remplacé par non dans le second vers, est ici attribué à Marc-Antoine Muret (v. note [31], lettre 97) ; mais en effet, il ne figure pas dans les éditions de ses Poemata que j’ai consultées.
Carlo Carafa (Naples 1517 ou 1519-Rome 1561) a donné un bel exemple du népotisme pontifical : d’abord condottiere sans scrupule en lutte contre les Espagnols, puis chevalier de Malte, il fut nommé cardinal à l’avènement de son oncle, le pape Paul iv (Gian Pietro Carafa, 1555-1559, v. note [9], lettre 317). Légat à Paris en 1556 (v. note [7], lettre 794), il encouragea Rome à mener une guerre contre les Espagnols qui se conclut par une piteuse défaite (1558). En raison de ces revers politiques et de ses mœurs dissolues, le pape finit par destituer son neveu en 1559.
Pie iv (Giovanni Angelo de Medici, 1559-1565, v. note [5], lettre 965) punit les exactions de Carlo Carafa : il fut condamné à mort avec son frère aîné Giovanni, comte de Montorio puis duc de Palliano, capitaine général de l’Église (qui avait assassiné sa femme en 1559), et leur beau-frère ; la sentence fut exécutée au château Saint-Ange, dans la nuit du 4 au 5 mars 1561. Dix ans plus tard, la mémoire de Carlo fut réhabilitée sous le pape suivant (Pie v, 1566-1572, v. note [3], lettre 61).« Sur la strangulation de ce cardinal et l’homme qu’il fut, voyez : la Prosopographie de Du Verdier, tome 3e, page 2250 ; {a} de de Thou, sous Charles ix, page 36, {b} et sous Henri ii, page 321 ; Pierre Matthieu sous Henri ii, page 145 ; {c} et D. Lambin dans sa préface à la 2e partie de ses Commentaires sur Horace. » {d}
- Antoine Du Verdier, sieur de Vauprivas (1544-1600), « gentilhomme du Forez et ordinaire de la Maison du roi », est un prolifique historien et bibliographe, notamment auteur des Bibliothèques françaises, écrites avec La Croix du Maine. {i} Il s’agissait ici de sa :
Prosopographie ou description des personnes illustres, tant chrétiennes que profanes. Où se continuant, l’histoire et chronologie, depuis l’an dcc. li, premier du règne de Pépin, roi de France, est contenu tout ce qui a succédé de remarquable en tout le monde, même en France, l’avènement à la Couronne de Hugues Capet, chef de la troisième race, et de ses successeurs, jusques à présent que règne notre très grand et très victorieux roi Henri iiii. Enrichie de figures et médailles pour l’embellissement de l’œuvre. Avec un indice très ample de toutes les matières principales. Tome troisième. {ii}L’exécution de Carafa est relatée dans le chapitre sur Pierre de La Ramée, Vermandois {iii} du livre huitième (page 2520) :
« Le pape {iv} donne sentence de mort contre le cardinal Carafe, le duc de Pallian, le comte d’Alisse, leur beau-frère, et Léonard Cardini, leur cousin, laquelle est exécutée à cinq heures de nuit. Le duc de Pallian et les deux autres furent avertis au château Saint-Ange qu’on les voulait ôter de là pour les mener à Ostie ou à la tour de Nonne, {v} ou ailleurs peut-être, pour exécuter quelque sentence sur eux, < mais > que le pape n’avait pas découvert sa volonté. Quoi ouï, le duc connut bien qu’il fallait mourir, remercia celui qui lui avait porté cette nouvelle, au refus du châtelain qui ne le voulut faire, et le remercia du bon avis qu’il lui donnait de penser à ses affaires ; et se résolvant à la mort avec beaucoup de constance, écrivit une lettre à son fils, pleine de bons documents {vi} et de consolations, et en même temps, comme César soulait {vii} faire, en dicta une autre à sa sœur, ne voulant écrire à sa fille pour ne la point affliger ; au pied d’icelles lettres, y avait le dernier jour de mars 1561. Ce fait, furent menés à la tour de Nonne où, le duc voyant les préparatifs de leur mort qu’on y avait faits, se retournant à ses compagnons, leur dit d’une façon comme joyeuse : “ Voici qui châtiera les grandes fautes que nous avons commises. ” Et ce fait, on leur trancha la tête. De là, ils allèrent au cardinal et le trouvèrent en son lit qui reposait bien à son aise. Étant levé et averti de l’occasion de leur venue, il se voulut habiller des habits de cardinal, ce qui lui fut refusé, et demanda qu’on lui laissât au moins prendre son bonnet. Étant confessé, il requit temps pour dire l’office de Notre-Dame, qu’on lui accorda ; et icelui fini, il leur dit qu’ils fissent ce pourquoi ils étaient venus. Le fil d’airain avec lequel on l’étranglait rompant, encore qu’il eût des menottes, il se leva et dit : “ Ha, traitres ! vous me faites languir. ” Il fut mis dans un linceul et porté sur le pont comme les autres, puis fut enterré. »
- François Grudé, sieur de La Croix du Maine (v. note [20] du Naudæana 3) ; notre édition a plusieurs fois recouru à leurs Bibliothèques (réédition de Paris, 1772-1773, 6 tomes in‑4o).
- Lyon, Paul Frelon, 1604, in‑fo.
- Pierre Ramus, assassiné à Paris en 1572, lors du massacre de la Saint-Barthélemy : v. note [7], lettre 264.
- Pie iv.
- La Torre di Nona ou dell’Annona était une autre prison pontificale de Rome.
- Enseignements : latinisme (documenta).
- Avait coutume : au rapport de Pline l’Ancien (Histoire naturelle, livre vii, chapitre xxv, Littré Pli, volume 1, page 294), Jules César « était dans l’habitude de lire ou d’écrire, et en même temps de dicter et d’écouter. Il dictait à la fois à ses secrétaires quatre lettres, et des lettres si importantes ! ou même, s’il ne faisait rien autre chose, il en dictait sept. »
- Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou, livre xxviii, année 1561 (Thou fr, volume 4, pages 118‑119) :
« Procès fait aux Carafe. Le pape qui, dès l’année précédente, avait fait emprisonner les Carafe, leurs parents et presque tous ceux qui étaient attachés à cette Maison, voulut cette année qu’on fît leur procès : il nomma pour faire les informations Jérôme Frédéric, évêque de Sagone, gouverneur de Rome, et Alexandre Palenteri, procureur fiscal. Ensuite, pour paraître agit en cette cause selon toutes les formes judiciaires, il choisit dans le sacré Collège huit cardinaux des plus distingués, pour veiller sur la conduite et la procédure du gouverneur et du fiscal. Enfin, après une instruction de neuf mois, les accusés ayant subi les interrogatoires, les pièces produites contre le cardinal Carafe étant examinées et les objets discutés, le procès fut rapporté devant le pontife, qui voulut discuter lui-même et juger chaque chef d’accusation en particulier. Afin que tous les cardinaux eussent une parfaite connaissance de toutes les suites de cette grande affaire, le gouverneur fut un jour entier à leur en faire le rapport en plein consistoire, mais ils n’opinèrent pas. {i} Charles Carafe, cardinal déclaré criminel d’État par le pape et dégradé, fut livré au bras séculier pour être puni selon les lois. Alors, le juge criminel eut ordre de lui faire son procès dans les formes : ce qu’il fit et, en exécution de sa sentence, Carafe fut étranglé dans le château Saint-Ange la nuit entre le 6e et le 7e de mars. Il demanda le temps de réciter les sept psaumes de la pénitence, et fit paraître en ces derniers moments un plus grand soin de son salut qu’il n’en avait eu, à ce que l’on croit, pendant toute sa vie.Le cardinal Carafe, son frère et ses parents sont condamnés à mort et exécutés. Jean, son frère, comte de Montorio et depuis duc de Palliano, le comte d’Alisse, son beau-frère, et Léonard de Cardini furent aussi condamnés à mort et exécutés dans la prison de la Tour neuve. Leurs cadavres, exposés sur le pont Saint-Ange à toutes les insultes du peuple, donnèrent un triste et mémorable exemple de l’inconstance de la Fortune, et une leçon importante, qui apprend à ceux qui, par leur élévation, semblent être à l’abri de ses coups, à user avec modération de ses faveurs. Après avoir vu le duc de Palliano marcher dans Rome avec un équipage de roi et avec toutes les marques de la souveraine puissance, pouvait-on voir son cadavre sans tête exposé sur un pont sans penser à l’instabilité des choses humaines, qui est telle que la plus grande élévation peut en un instant être suivie de la chute la plus humiliante et la plus terrible ? »
- Ils ne votèrent pas.
- V. note [7], lettre 794, pour la bénédiction impie prononcée par Carlo Carafa à Paris en 1556, sous le règne de Henri ii, relatée par de Thou.
Pierre Matthieu {i} a parlé de cette légation de Carafa, dans son :
Histoire de France sous les règnes de François ier, Henri ii, François ii, Charles ix, Henri iii, Henri iv, Louis xiii, et des choses plus mémorables advenues aux autres états de la chrétienté depuis cent ans. {ii}Il y a réfuté de Thou dans le volume 1, page 145 :
« Le roi {iii} le fit recevoir en grande pompe et magnificence à Paris ; mais je m’étonne que le président de Thou représente ce cardinal d’un esprit impie et libertin, quoiqu’il fût plus propre à manier l’épée que le bréviaire ; aussi avait-il fait toute sa vie profession des armes en Allemagne et Italie, et avait été grand ami du maréchal Strozzi. {iv} Il dit donc qu’en cette entrée à Paris, passant par les rues, le peuple, qui est bon et dévot, se présentait à genoux pour avoir sa bénédiction, et que ce cardinal disait entre ses dents, au lieu des paroles saintes, celles-ci : Puisque ce peuple veut être trompé, trompé soit-il. Mais quelle apparence, quelle candeur, quelle sincérité en ce discours ? Car si ces mots demeuraient dans le murmure et le bourdonnement de ses lèvres, qui les a ouïs ? De qui ont-ils été entendus ? Qui les a rapportés ? Est-il croyable qu’il s’en soit vanté, et que son hypocrisie ait été si peu fine que de commettre quelque chose contre la religion, le seul respect de laquelle le faisait presque adorer ? »
- V. note [10] du Patiniana I‑1.
- Paris, veuve de Nicolas Buon, 1631, 2 volumes in‑4o.
- Henri ii.
- Pierre Strozzi (1510-1558), condottiere florentin, nommé maréchal de France en 1554.
- Denis Lambin {i} a publié deux commentaires sur Horace. {ii} La première partie, portant sur les quatre livres Odes et sur les Épodes, dédiée au roi Charles ix, a paru à Lyon en 1561 (rééditée à Florence en 1575). La seconde partie, dont il est ici question, est intitulée :
Q. Horatii Flacci Sermonum libri quattuor, seu, Satyrarum libri duo, Epistolarum libri duo. A Dionysio Lambino Monstroliensi ex fide decem librorum manuscriptorum emendati : ab eodemque Commentariis copiosiss. illustrati.[Les quatre livres des Discours d’Horace, soit ses deux livres des Satires et ses deux livres d’Épîtres. Denis Lambin, natif de Montreuil, les a corrigés sur la foi de dix livres manuscrits, et les a enrichis de très copieux commentaires]. {iii}
L’épître dédicatoire, datée de Lyon le 13 avril 1556, est adressée Francisco Turnonio, sapientiss. et clariss. viro, amplissimique cardinalium collegii primario [au très sage et brillant cardinal François de Tournon, {iv} président du très éminent Collège des cardinaux]. Le cardinal Carafa est nommé dans un passage parlant des partisans de la paix entre les peuples et les religions, à la 2e de ses 5 pages :
Meminerant, te cum semper alias pacis suasorem, auctoremque fuissse, neque unquam, nisi necessario tua sententia bellum comprobasse : tum anno m dlvi. et Errico Regi, datis ad eum Roma litteris, inducias cum Philippo Hispaniarum Rege factas gratulatum esse, et Pontifici Max. Paullo iiii. coram dissuasisse, ne bellum pactis inter Erricum, et Philippum induciis repressum, ac sopitum excitaret, aut redintegraret. Memoria tenebant, te eundem, cum Pontificem Max. in belli studium incumbere videres, instigante præsertim fratris eius filio cardinali Carraffa, cui Deus immortalis dignum flagitiosa vita, sceleratisque factis exitum dedit, Regi per litteras suasisse, ut in sententia maneret, pactaque et sibi honestissima, et populo suo utilissima sanctissime, religiosissimeque observaret.[Ils se souvenaient que par le passé vous avez toujours été le promoteur et le garant de la paix, et que vos jugements n’ont jamais approuvé la guerre, si elle était évitable ; et que maintenant, en l’an 1556, par une lettre que vous lui avez écrite de Rome, vous avez congratulé le roi Henri pour la trêve qu’il a conclue avec Philippe, roi d’Espagne, {v} et que vous avez directement parlé au souverain pontife Paul iv pour le dissuader de laisser une guerre rompre les accords passés entre Henri et Philippe, qui attiserait et rallumerait le feu assoupi. Ils n’ont pas non plus oublié que, quand vous avez vu le souverain pontife s’appliquer à envisager la guerre, principalement sur l’instigation de son neveu, le cardinal Carafa, {vi} à qui Dieu immortel a accordé sa noble absolution pour les crimes qu’il a commis et pour la vie dissolue qu’il a menée, alors, vous avez encore écrit une lettre au roi pour le persuader de ne pas changer d’avis, et d’observer, très scrupuleusement et religieusement, les pactes qui sont les plus honnêtes pour lui et les plus bénéfiques pour son peuple].
- V. note [13], lettre 407.
- V. note [3], lettre 22.
- Venise, Paul Manuce, fils d’Alde, 1566, in‑8o de 419 pages.
- V. seconde notule {a‑iii}, note [4] du Patiniana 4.
- Les rois Henri ii de France et Philippe ii d’Espagne.
- Comme on a vu (v. supra note [58]), le belliqueux cardinal Carafa parvint à convaincre Paul iv d’entrer en guerre contre l’Espagne en 1557 ; mais ce fut un lamentable échec, qui provoqua la disgrâce et la condamnation à mort du cardinal-neveu et de son frère en 1559.
V. note [9], lettre 37, pour la fulgurante ascension sociale d’Arnaud d’Ossat : né en 1536 près d’Auch, évêché de Gascogne (dans l’actuel département du Gers), il était fils d’un maréchal-ferrant ; nommé cardinal en 1599, il mourut à Rome en 1604.
Les jésuites semblaient vouloir outrageusement avilir d’Ossat en le disant bâtard d’un charlatan qui vendait du mithridate (v. note [9], lettre 5) ; ce que Scipion Dupleix a confirmé à la page 251 de son Histoire de Henri iv (Paris, 1635, v. note [9], lettre 12) :
« Le trépas du cardinal d’Ossat fut une surcharge de fâcherie en l’esprit du roi, qui chérissait grandement ce sage prélat pour les bons services qu’il lui avait rendus en la Cour romaine, où il lui était encore d’autant plus utile qu’il s’y trouvait et puissant et en très bonne estime. Son père était homme de basse condition, natif de La Roque de Magnoac, qui est un bourg à deux lieues de Notre-Dame de Guérison, près des Pyrénées, au diocèse d’Aux ; et ayant de l’esprit, quoique sans lettres, faisait la profession d’opérateur et, en cette qualité, roula et mourut en Espagne. {a} Sa mère était de Cassaignebère, qui est une terre au même pays, appartenant aux seigneurs de Ramefort ; et plusieurs ont cru qu’il était fils naturel du seigneur du même lieu. {b} Il avait un neveu, fils d’un sien cousin germain, nommé aussi d’Ossat, lequel, étudiant à Condom, reçut commandement de son oncle (après qu’il fut fait évêque de Bayeux) de se retirer à Toulouse pour y continuer ses études, et lui fit changer de surnom, {c} de peur que par ce neveu on reconnût la condition de l’oncle : ce qui me fait croire que dès lors, il ambitionnait le chapeau rouge par la faveur du roi. Ce sien neveu vit encore, et est à présent curé de Mesnil-Aubery près d’Écouen, entre Paris et Senlis. » {d}
- Pour Dupleix, ce « bateleur qui vendait du mithridate », autrement qualifié d’opérateur itinérant (« roulant »), c’est-à-dire de charlatan empirique, était le père du cardinal, que le Borboniana (et d’autres sources) tenaient pour un maréchal-ferrant.
Aux est l’ancienne orthographe d’Auch (actuelle préfecture du Gers), en lien avec la manière dont on prononçait alors le nom de cette ville. La Roque-Magnoac est l’ancien nom de la commune de Larroque, dans le département des Hautes-Pyrénées. Le sanctuaire marial de Notre-Dame-de-Garaison se situe non loin de là sur la commune de Monléon-Magnoac ; il avait été édifié en 1540 pour y célébrer la Vierge qui était apparue en 1515 à une bergère du pays.
- Cassagnebère-Tournas est aujourd’hui une commune du département de Haute-Garonne, dans l’arrondissement de Saint-Gaudens. Les seigneurs de la châtellenie de Cassagnebère étaient marquis d’Espagne et barons de Ramefort. Cela suggère (faussement, comme on va voir plus bas) que d’Ossat, honteux de ses origines plébéiennes, se plaisait à se donner une aussi noble ascendance, fût-elle bâtarde.
- Nom de famille : d’Ossat.
- Le chapeau (ou bonnet) rouge marquait la dignité cardinalice.
V. infra note [63] pour ce « curé de Mesnil-Aubery », douteux neveu du cardinal d’Ossat.
Bayle a entièrement tiré son article sur Arnaud d’Ossat d’un Mémoire communiqué par l’illustre Monsieur [Étienne] Baluze » (historiographe et bibliothécaire français, 1630-1718). Il y parle ainsi de la jeunesse du cardinal :
« Se trouva sans père, sans mère et sans bien à l’âge de neuf ans. Il fut mis quelques années après au service d’un seigneur de Castelnau de Magnoac, au diocèse d’Auch, qui était aussi orphelin, et il fit ses études avec lui ; mais il le surpassa bientôt. Après qu’ils eurent achevé leurs études, le tuteur de ce jeune seigneur {a} voulut l’envoyer à Paris, et il estima ne pouvoir mieux faire que de le confier à la conduite de Mr. Arnaud d’Ossat, son précepteur et pédagogue, ainsi qu’il est porté par le compte que ce tuteur rendit à son neveu. Par ce moyen, il devint maître de son maître. Ce fut l’année 1559 qu’ils arrivèrent à Paris, le vendredi cinquième jour de mai. On lui envoya ensuite deux autres enfants, cousins germains de ce jeune seigneur. Ils demeurèrent à Paris sous la conduite de M. d’Ossat jusques au mois de mai 1562 ; et pour lors, M. d’Ossat, les envoyant en Gascogne, en écrivit à leur oncle en des termes qui méritent d’être sus. » {b}
- Le jeune seigneur était Jean de Marca, qui changea plus tard son nom en de la Marque. Son oncle et tuteur était Thomas de Marca, seigneur de Castelnau-Magnoac. Je ne leur ai pas trouvé de parenté avec le prélat Pierre de Marca.
- « Au reste, Monsieur, quant à ce que vous me remerciez de la peine que j’ai prise pour vos neveux, je reconnais en cela votre honnêteté accoutumée ; laquelle fait que je tiens pour bien employé tout le travail et la peine que j’ai eue à l’entretènement d’iceux ; vous assurant, Monsieur, que la conscience ne me remordra jamais à faute d’y avoir fait tout ce que j’ai su et pu. »
V. note [51], lettre 97, pour l’effroyable querelle académique qui opposa Jacques Charpentier à Pierre Ramus (v. note [7], lettre 264).
Aux sources de cette dispute, l’Expositio Arnaldi Ossati in Disputationem Jacobi Carpentarii de Methodo [Exposé d’Arnauld d’Ossat sur la disputation de Jacques Charpentier à propos de la Méthode] {a} avait défendu l’opinion soutenue dans le livre intitulé :
Quod sit unica doctrinæ instituendæ Methodus ex Aristotelis sententia, contra Aristotelis interpretes, et præcipue Galenum, locus e ix. Animadversionum P. Rami, Regii eloquentiæ et philosophiæ professoris, ad Carolum Lotharingum cardinalem.[De ce qu’il existe une seule Méthode pour établir la doctrine, au jugement d’Aristote, contre les interprètes d’Aristote, et principalement contre Galien : passage tiré de la ixe des animadversions de Pierre Ramus, professeur royal d’éloquence et de philosophie. Dédié au cardinal Charles de Lorraine]. {b}
- Paris, Andreas Wechelus, 1564, in‑8o de 38 pages.
- ibid. et id. 1557, in‑8o de 43 pages.
« Voyez de Thou, à cette année, dans Henri iii, première partie, page 715. »
Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou, année 1584, livre lxxx (Thou fr, volume 9, pages 255‑256) :
« Cette année fut funeste à plusieurs grands hommes. Je mets à la tête Paul de Foix, fils de Jean, comte de Carmain, archevêque de Toulouse, dont j’ai fait plusieurs fois une mention honorable dans cette Histoire. Il fut d’abord conseiller au Parlement de Paris, ensuite ambassadeur en Angleterre, à Venise et en d’autres endroits ; et partout il a laissé une grande idée de sa prudence. Sur la fin du règne de Henri ii, il se trouva enveloppé dans la disgrâce de beaucoup de personnes innocentes ; {a} enfin, on rendit justice à son mérite et il fut rétabli dans ses dignités, comme je l’ai dit en son lieu ; mais il fut toujours suspect au pape, et il eut beaucoup de peine à regagner son estime par une infinité de preuves qu’il lui donna de son attachement et de son respect. Ce grand homme était ambassadeur à Rome lorsque, pendant la messe, il se sentit tout d’un coup frappé de la maladie dont il mourut sur la fin de mai, dans la cinquante-sixième année de son âge, après avoir bien servi le roi et sa patrie. Il fut enterré avec une grande pompe le vingt-neuvième de mai dans l’église française de Saint-Louis. Marc-Antoine Muret, une des grandes lumières de notre France et de Rome même, et qui avait toujours fort honoré ce seigneur pendant sa vie, y prononça son oraison funèbre. » {b}
- Les conséquences de la Mercuriale du Parlement, le 10 juin 1559, prônant la clémence envers les protestants, sont expliquées dans la note [31] du Borboniana 3 manuscrit, concernant Paul de Foix.
- M. Antonii Mureti Orationum Volumina duo [Deux volumes des Discours de Marc-Antoine Muret] (Lyon, 1613, v. note [6], lettre 851), In funere Pauli Foxii Archiepiscopi Tolosani… Oratio xxvi. Habita Romæ, in Æde sancti Ludovici, iv. Kalend. Iunii Anno m. d. xxciv. [Discours xxvi sur les funérailles de Paul de Goix, archevêque de Toulouse… Prononcé à Rome en l’église Saint-Louis , le 29 mai 1584] (volume 1, pages 326‑341) : relation de la mort de Foix, mais sans détail qui autorise à hasarder un diagnostic médical moderne.
Située au centre de Rome, l’église Saint-Louis-des-Français, bâtie au xvie s., est la paroisse des Français dans la cité pontificale.
Le Borboniana a inversé l’ordre des évêchés dont Arnaud d’Ossat fut titulaire : d’abord Rennes (1596-1600), puis Bayeux (1600-1604). « Prince de l’Église » était un des titres honorifiques conférés aux cardinaux.
Gabriel de L’Aubespine (Gabriel Albaspinus ou Albaspinæus, 1579-1630) était le fils aîné de Guillaume de L’Aubespine (1547-1629), baron de Châteauneuf, conseiller d’État, ambassadeur et chancelier des Ordres du roi (1606-1611). Gradué de théologie en Sorbonne, Gabriel avait été nommé évêque d’Orléans en 1604. Prélat lettré, qui a laissé quelques ouvrages d’érudition religieuse, il était frère de Charles, le garde des sceaux, {a} et de François, marquis de Hauterive. {b}
Le village du Mesnil-Aubry, sur la route de Paris à Chantilly, à 4 kilomètres au nord d’Écouen, {c} abrite la belle église de la Nativité-de-la-Vierge, qui avait été rebâtie au xvie s.
La Vie du cardinal d’Ossat {d} (tome second, pages 630‑632) a commenté les déclarations de Scipion Dupleix sur d’Ossat : {e}
« Le manque d’exactitude dans les faits rapportés par Dupleix et la contrariété même qui s’y trouve doivent révoquer en doute. En effet, il dit, d’une part, en parlant de la naissance de ce cardinal, qu’on le croyait bâtard du seigneur de Ramefort, et d’un autre côté, il lui a donné un neveu : ce qui implique contradiction. D’ailleurs, il rapporte, comme on vient de le voir, qu’il ordonna à son neveu, dès qu’il fut nommé à l’évêché de Bayeux, etc. Cependant, on a vu qu’il ne fut nommé à cet évêché que plus d’un an après qu’il fut fait cardinal ; par conséquent, ce fait est évidemment faux, à moins qu’il ne se soit trompé sur l’évêché, et qu’il n’ait confondu celui de Bayeux avec celui de Rennes, que le roi lui donna en effet avant qu’il fût élevé cardinal ; mais en supposant même que ce ne fût, de la part de Dupleix, qu’une erreur de nom, il n’est pas probable qu’un homme aussi modeste que le cardinal d’Ossat, qui semble même rappeler, avec une sorte de complaisance, la bassesse de son extraction toutes les fois qu’il avait sujet de remercier le roi de ses bienfaits, rougît de sa famille. On peut encore ajouter à cette preuve morale l’envoi qu’il fit de son portrait à ses élèves de Gascogne lorsqu’il fut décoré de la pourpre, pour leur donner un témoignage d’amitié et de reconnaissance. Ce fait seul suffirait à montrer qu’il n’était pas honteux de sa naissance, ni de l’état de précepteur qu’il avait été obligé d’embrasser pour subsister. En effet, les vertus et les talents de ce grand homme étaient trop supérieurs aux dignités mêmes où ils l’avaient fait monter pour qu’il fût susceptible de cette vanité puérile, dont les gens médiocres couvrent leur insuffisance, et souvent même les vices de leur cœur.Il n’est pas plus vraisemblable que le cardinal d’Ossat, plein de charité et de bienfaisance, tel que ses lettres nous le dépeignent, eût abandonné son neveu, s’il eût existé, et qu’il l’eût connu, ayant surtout autant de facilité pour le placer, puisqu’il était dans l’état ecclésiastique ; qu’il ne l’eût pas attiré auprès de lui, et qu’il eût fini par le déshériter. Il est donc évident que Dupleix s’est trompé sur tout ce qu’il avance relativement au prétendu neveu du cardinal d’Ossat, et qu’on ne doit pas y ajouter foi.
On en peut dire à peu près autant de l’erreur où Mézeray est probablement tombé par rapport à ce cardinal : il rapporte, en faisant l’éloge des cardinaux Duperron et d’Ossat, qu’il a connu un fils naturel de ce dernier, qui est mort curé du Mesnil-Aubry, à quatre lieues de Paris. Voyez l’Abrégé chronologique de Mézeray, tome 3, in‑4o, Paris, Billaine, 1667, pages 1485 et 1486. {f} Quoique la conformité du témoignage de Dupleix et de Mézeray, relativement à ce curé, soit une forte présomption que c’est le même homme qu’ils ont voulu désigner tous deux, l’on ne peut pas cependant la regarder comme une démonstration, et il restera toujours un nuage sur ce fait. D’ailleurs, la connaissance que l’on a du caractère de Mézeray, de son peu de fidélité sur les faits qu’il rapporte, surtout lorsqu’il peut y donner une mauvaise interprétation ou y mêler quelque trait de satire, doit les rendre très suspects. S’il fallait donc adopter un sentiment sur cet objet, je serais tenté<e> de croire que le curé du Mesnil-Aubry était en effet parent du cardinal d’Ossat, mais à un degré très éloigné, que ce cardinal ne l’a point connu, et que le curé du Mesnil-Aubry n’a même découvert sa liaison de parenté avec le cardinal d’Ossat que longtemps après la mort de ce dernier. »
- V. note [13], lettre 10.
- V. note [3], lettre 453.
- V. note [3], lettre 606.
- Paris, Herissant le fils, 1771, 2 volumes in‑8o de 418 et 654 pages, par Marie-Geneviève-Charlotte d’Arlus Thiroux d’Arconville (1720-1805).
- V. supra note [60].
- V. notes [11], lettre 776, pour François-Eudes de Mézeray et son Abrégé, et [20], lettre 146, pour le cardinal Jacques Davy Duperron.
Le curé du Mesnil-Aubry, que Dupleix disait neveu d’Arnaud d’Ossat, devenait son fils naturel sous la plume de Mézeray (Abrégé, Paris, 1667, pages 1485‑1486) :
« Mais ce ne fut ni le sang ni la haute faveur qui revêtirent d’Ossat et Jacques Davy Duperron de la pourpre sacrée, elle fut la récompense de leurs services, de leur grande capacité et de leur rare érudition. d’Ossat n’était que le fils d’un paysan du diocèse d’Auch ; et Duperron, d’un ministre huguenot de Basse-Normandie, mais gentilhomme. Nous avons connu un fils naturel du premier, qui est mort curé du Mesnil-Aubry, à quatre lieues de Paris. »
Je n’ai pas trouvé la thèse (ou tentative) de théologie, soutenue en Sorbonne, où Gabriel de L’Aubespine (fils de Monsieur de Châteauneuf) a conféré à d’Ossat le titre de « prince de l’Église » (v. supra note [63]). Le cardinal en a en effet parlé dans sa lettre à Nicolas i de Neufville, {a} seigneur de Villeroy, secrétaire d’État à la Guerre, datée de Rome, le 16 août 1603 (lettre cccxlvi, page 861‑863) :
« Monsieur, Par la lettre qu’il vous a plu m’écrire le vingt-huitième juillet, qui me fut rendue le douzième de ce mois, […]. J’ai été bien aise d’entendre par votre dite lettre que Monsieur le cardinal de Joyeuse {b} devait partir dedans peu de jours, et prie Dieu qu’il lui donne bon et heureux voyage, et qu’il apporte des moyens pour acquérir des serviteurs au roi, comme l’on s’y attend. {c} L’occasion d’envoyer par deçà avec lui le fils de Monsieur de Châteauneuf, nommé à l’évêché d’Orléans, a été très bien prise ; et je servirai ledit sieur nommé de tout mon pouvoir, comme j’y suis très étroitement obligé, quand ce ne serait que pour votre respect, à qui je me dois moi-même. Il m’a fait beaucoup d’honneur en me dédiant ses thèses et en les défendant si bien, comme je suis averti qu’il a fait. Aussi lui montrerai-je par effet que je n’estime rien tant comme la vertu et les fruits d’un tel esprit, industrieux, et rempli de la connaissance des bonnes lettres et sciences. »
- V. note [5] du Borboniana 8 manuscrit.
- V. note [17], lettre 88, pour le cardinal-duc François de Joyeuse, archevêque de Toulouse et protecteur de France à la Cour de Rome.
- Bonne démonstration, s’il en fallait une, du rôle politique et diplomatique joué par les cardinaux (de France et des autres nations catholiques) auprès du Saint-Siège.
Le Quart livre des faits et dits héroïques du bon Pantagruel. Composé par M. François Rabelais docteur en médecine, {a} dans sa première édition complète, {b} était dédié « À très illustre Prince {c} et révérendissime Monseigneur Odet cardinal de Châtillon ». {d} L’épître de Rabelais {e} (v. note [9], lettre 17) commence par cette phrase (dont mon respect pour l’auteur justifie une transcription littérale) :
« Vous estez deuement adverty, Prince tresillustre, de quants grands personaiges i’ay esté, et suis iournellement stipulé, requis, et importuné pour la continuation des mythologies {f} Pantagruelicques : alleguans que plusieurs gens languoureux, malades, ou autrement faschez et desolez auoient a la lecture d’icelles trompé leurs ennuictz, temps ioyeusement passé, et repceu alaigresse et consolation nouuelle. » {g}
- Paris, Michel Fezandat, 1552, in‑8o de 288 pages ; le sous-titre de Panurge, donné par le Borboniana est à tenir pour un lapsus.
- La précédente édition (Lyon, 1548) était partielle et ne possédait par d’épître dédicatoire.
- « Les cardinaux ont rang de prince » (note de M. Huchon). Le roi de France les appelait « mon cousin ».
- V. note [9], lettre 17, pour François Rabelais et la place qu’il occupait dans le panthéon littéraire de Guy Patin.
- Odet de Coligny (1517-1571), dit le cardinal de Châtillon (nommé en 1533, à 16 ans, sans avoir été ordonné prêtre), était le frère aîné de Gaspard ii (l’amiral de Coligny, v. note [156], lettre 166). Il appartenait depuis 1547 au Conseil privé, en charge des affaires de librairie. Après avoir été brièvement archevêque de Toulouse (nommé en 1534, mais jamais sacré), puis évêque de Beauvais (1535), il se convertit au calvinisme en 1564, fut excommunié et se maria. Poursuivi pour rébellion et crime de lèse-majesté, il fuit en Angleterre en 1568 et mourut à Southampton.
- Fabuleuses narrations (M. Huchon).
- En français moderne :
« Vous êtes dûment averti, Prince très illustre, de la quantité de grands personnages par qui j’ai été, et suis journellement sollicité, requis, et importuné pour la continuation des mythologies Pantagruéliques, alléguant que plusieurs gens langoureux, malades ou autrement fâchés et désolés avaient, à leur lecture, trompé leurs ennuis, passé joyeusement leur temps, et reçu allégresse et consolation nouvelle. »
V. note [29], lettre 449, pour le Collège de Beauvais (Presles-Beauvais) à Paris, où enseignait Arnaud d’Ossat longtemps avant que « son bonnet » n’eût « rougi », c’est-à-dire qu’il ne fût revêtu de la pourpre cardinalice.
Pour l’anecdote sur le titre de Monseigneur, on en lit une semblable dans l’historiette de Tallemant des Réaux (tome i, page 40) intitulée M. Des Portes, {a} mais avec une chute latine :
« Ce fut lui qui fit la fortune du cardinal Duperron, {b} qui était sa créature. Quand il le vit cardinal, il fut bien empêché comment lui écrire, car il ne se pouvait résoudre à traiter de Monseigneur un homme qu’il avait nourri si longtemps. Il trouva un milieu, et lui écrivait Domine. » {c}
- L’abbé de Tiron, v. note [14], lettre 748.
- Jacques Davy Duperron, v. note [20], lettre 146.
- « Monseigneur » en latin (vocatif de Dominus).
Celle de Jean de L’Isle (ou Jacques des Isles), ancien procureur à Senlis, est comptée comme la 16e tentative d’assassinat sur la personne du roi Henri iv, la pénultième avant le coup fatal de François Ravaillac en 1610 (v. note [90], lettre 166).
L’Histoire universelle de Jacques-Auguste i la rapporte juste après sa relation de la destruction, en mai 1605, de la pyramide expiatoire qui dénonçait la précédente tentative de régicide perpétrée par Jean Chastel, {a} qui marquait le rétablissement des jésuites en France (livre cxxxiv, Thou fr, volume 14, pages 432‑434) :
« Il parut encore des épigrammes, dans l’une desquelles on disait au roi que, pour abolir la mémoire du crime commis par Chastel, il fallait que Sa Majesté fît rétablir la dent que le coup de couteau lui avait cassée. On tira même de mauvais présages de cette action, et l’on assura que chaque degré de faveur que les jésuites acquéraient était autant de pas qu’ils faisaient pour anéantir la sûreté et la tranquillité publique.En effet, sur la fin de cette année, un homme appelé Jean de L’Isle, natif de Senlis, arrêta le roi qui passait sur le Pont-Neuf, au retour de la chasse. Il le tira par son manteau et le fit tomber sur la croupe de son cheval. La plupart de ceux de sa suite s’étaient retirés à cause de la nuit. Les valets de pied accoururent et saisirent cet homme, et l’auraient tué à coups de poing si le roi ne l’eût empêché. {b} Ce misérable fut mis en prison et, quoiqu’on lui eût trouvé un couteau dans ses poches, cependant il passa pour fou, et on se contenta de le condamner à une prison perpétuelle, où il mourut au bout de quelque temps. »
- Auteur de l’attentat du 27 décembre 1594 (v. note [13] du Grotiana 1)V. supra notes [2]‑[4]).
- La veille des Rois (Épiphanie, v. note [10], lettre 513) indiquée par le Borboniana, soit le 5 janvier 1605, ne correspond pas à la date du 19 décembre 1605, que toutes les chroniques ont retenue pour cet attentat.
« Tirer un poignard sur quelqu’un » n’est pas une locution conventionnelle, mais on en comprend facilement le sens, en remplaçant « tirer » par « diriger ».
Dans ses Singularités historiques, contenant ce que l’histoire de Paris et de ses environs offre de plus piquant et de plus extraordinaire (Paris, Baudouin frères, 1825, in‑8o), l’historien et archiviste Jacques-Antoine Dulaure (1755-1835) en a fourni une relation détaillée (pages 304‑307), conforme à celle de de Thou. Il y ajoute qu’un Te Deum fu chanté le 20 décembre et cite l’ode, « Que direz-vous, races futures… », que François Malherbe (v. note [7], lettre 834) composa pour célébrer la gloire du roi et inciter à la haine contre son agresseur :
« La main de cet esprit farouche {a}
Qui, sorti des ombres d’enfer,
D’un coup sanglant frappa sa bouche,
À peine avait laissé le fer ; {b}
Et voici qu’un autre perfide,
Où la même audace réside,
Comme si détruire l’État
Tenait lieu de juste conquête,
De pareilles armes s’apprête
À faire un pareil attentat. »
- Jean Chastel.
- « À peine avait lâché son poignard » : la licence poétique faisait peu de cas des onze années écoulées entre les deux attaques régicides.
L’Assemblée du Clergé (v. note [22], lettre 214) convoquée à Paris en juillet 1605 s’acheva en décembre 1606. V. note [19], lettre 469, pour le premier président Achille i de Harlay (1585-1616).
Sic pour « au cardinal de Lorraine et au duc de Guise », meneurs de la Ligue qui furent tous deux assassinés à Blois en décembre 1588, sur l’ordre du roi Henri iii (v. supra note [42]) ; v. supra notes [58] et [59] pour l’exécution du cardinal Carafa à Rome en 1561, sur la sentence du pape Pie iv.
« Brasser » est ici pris au sens figuré de « faire quelque conspiration ou machine pour trahir ou perdre quelqu’un : il y a longtemps que ces conjurés brassaient cette trahison » (Furetière).
« … … fut toujours d’une douteuse vertu durant les règnes de Henri iii et d’autres rois. »
Quelque chose « dont il s’excusa » est à prendre au sens de quelque service « qu’il refusa de rendre ».
Les anecdotes scandaleuses du Borboniana sont difficiles à démêler sans quelques renseignements tirés d’autres sources.
L’abbaye de Saint-Acheul-les-Amiens avait été fondée au xie s., hors les murs d’Amiens, pour les chanoines réguliers de Saint-Augustin. Unie en 1634 à la congrégation de Sainte-Geneviève (augustins génovéfains, v. note [42], lettre 324), elle a été dissoute à la Révolution.
La parenthèse désignant « l’abbé [ou plutôt le chanoine] de Saint-Acheul » est une addition marginale : il s’agit probablement de Louis Gouffier (mort en 1650), celui des deux fils du comte de Caravas {a} dont l’Histoire généalogique et chronologique de la Maison royale de France… {b} dit qu’il fut d’abord ecclésiastique, avant de devenir comte, à la suite de son frère Charles, et de se marier deux fois (1631 et 1635), pour devenir père de sept enfants (tome cinquième, page 613).
- V. supra note [67].
- Paris, 1730, troisième édition, v. notule {a}, note [9], lettre de N. Le Clerc, datée du 11 mars 1657.
Sainte-Catherine-du-Val-des-Écoliers était un couvent et une église de Paris (autrement nommée Sainte-Catherine-de-la-Couture, v. note [14], lettre 527) situés dans le Marais. Fondé au xiiie s., le couvent fut d’abord une dépendance de l’Université (ce qui explique son appellation originelle), puis fut lui aussi rattaché à Sainte-Geneviève en 1629. Le Borboniana laisse chacun imaginer ce que la comtesse de Canavas y faisait avec l’Italien Bandini, qui ne renvoie à personne que j’aie su identifier (peut-être imaginaire car son nom prête à sourire dans la circonstance).
Pétrarque a conté la même histoire dans un dialogue de ses Remèdes aux deux fortunes consacré aux bâtards. Guy Patin l’a citée dans un billet orphelin non daté, parlant du « petit garçon à qui la mère mourante donna un bon père » : v. notule {c}, note [2], lettre latine 437.
« elle ne refusait jamais ses faveurs à quiconque lui donnait de l’argent, ou était pourvu d’un membre propice aux ébats lubriques. »
En 1572, François i d’Escoubleau de Sourdis, marquis d’Alluye (mort en 1602), que, dans des vers particulièrement salés, Dominique Baudius qualifiait de pullipremus satrapes [satrape amateur de chérubins], c’est-à-dire, en langue moderne, de « despote pédophile » (v. notule {a}, note [37] du Patiniana I‑3), avait épousé Isabeau (Isabelle) Babou de la Bourdaisière (vers 1551-1625). Par sa sœur Françoise, elle était tante de Gabrielle d’Estrées (v. note [7], lettre 957), maîtresse de Henri iv et duchesse de Beaufort. Les mœurs lestes d’Isabeau sont détaillées dans la note [71] infra.
Le feu roi Henri iv appelait « ma cousine » et débitait sa gaillardise sur le petit Henri d’Escoubleau de Sourdis (né en 1593), futur archevêque de Bordeaux, {a} à Diane de France (1538-1619), duchesse de Châtellerault, d’Étampes et d’Angoulême. Elle était bâtarde légitimée du dauphin Henri de Valois, futur roi Henri ii, et d’une dame piémontaise dénommée Filippa Duci. Veuve d’Horace de Farnèse en 1553, Diane s’était remariée avec François de Montmorency (mort en 1579), fils aîné du connétable Anne de Montmorency. {b} Elle mourut sans descendance et le duché de Montmorency fut attribué à un autre bâtard royal, Charles de Valois. {c}
Tallemant des Réaux a parlé d’Isabelle d’Escoubleau de Soudis au début de son historiette intitulée L’archevêque de Bordeaux (tome i, page 376) :
« Madame de Sourdis, sa mère, lui dit, à l’article de la mort, qu’il était fils du Chancelier de Chiverny, {d} qu’elle lui avait fait donner l’évêché de Maillezais {e} et plusieurs autres bénéfices, et qu’elle le priait de se contenter d’un diamant, sans rien demander du bien de feu son mari. Il lui répliqua : “ Ma mère, je n’avais jamais voulu croire que vous ne valiez rien, mais je vois bien qu’il est vrai. ” Il ne laissa pas d’avoir ses cinquante mille écus de légitime comme les autres, car il gagna son procès. » {f}
- V. notes [5], lettre 29, et [19] supra.
- V. note [7], lettre 522.
- V. note [5], lettre 101.
- Philippe Hurault, comte de Chiverny (1528-1599, v. supra note [21]).
- De 1623 à 1629, avant de devenir archevêque de Bordeaux, Henri avait été évêque de Maillezais, dans le Poitou (v. note [23] du Borboniana 2 manuscrit), où deux autres Escoubleau de Sourdis l’avaient précédé.
- Isabelle avait eu deux autres fils : l’aîné, François ii (le cardinal de Sourdis, né en 1574, v. supra note [19]) ; et le puîné, Charles (le marquis de Sourdis, né en 1588, v. note [11], lettre 61).
V. supra note [70], pour la parenté entre Isabelle d’Escoubleau de Sourdis et « Madame Gabrielle » (d’Estrées), maîtresse du roi Henri iv, dont la bienveillance avait permis, en 1599, la nomination du cardinal de Sourdis (v. supra note [71]), fils aîné d’Isabelle. Le « P.P.P.P. » du pasquil (v. supra note [10]) s’en moquait férocement :
« J’ai été fait cardinal en récompense d’une chasteté qui a rendu les armes. »
En disant à son mari « qu’il y en avait encore plus qu’il ne lui en fallait », la comtesse voulait lui faire entendre soit que ses débauches profitaient plus à son mari qu’elles ne le déshonoraient, soit (plus probablement, v. note [37] du Patiniana I‑3) qu’il était mal placé pour les lui reprocher car les siennes étaient bien plus ignominieuses encore.
Jean ii du Fos, seigneur de Méry et de La Taule, avait été reçu conseiller en la quatrième Chambre des enquêtes du Parlement de Paris en 1619 (v. note [13], lettre 53) ; il monta à la Grand’Chambre en 1646 et mourut en 1652 (Popoff, no 1229). Il était fils de Jean i, avocat (ou secrétaire) du roi, ici accusé de complicité dans les fraudes de Mme de Sourdis.
Jean ii avait épousé Luce de La Nauve, fille de Samuel, reçu conseiller dans le même Parlement en 1594, mort en 1645 (Popoff, no 1843). V. note [144], lettre 166, pour le magistrat Charles-Anne de La Nauve, frère de Luce.Quant à lui, le Chancelier Pomponne i de Bellièvre (v. note [32], lettre 236) avait épousé « Marie Prunier, fille cadette de Messire Jean Prunier, seigneur de Grigny et de Cossieu, et de Jeanne Renouard, dame de Vernay. De ce mariage sont issus trois fils et huit filles » (Popoff, no 58).
Le jésuite Pierre Cotton (v. note [9], lettre 128) était né en 1564 à Néronde, petite cité fortifiée du Forez, région et ancien comté, traversé par la Loire, qui occupe le versant oriental du Massif central.
Son livre, que dénigrait le cardinal Jacques Davy Duperron (mort en 1618, v. note [20], lettre 146), était l’Institution catholique… (Paris, 1610, v. note [46] du Naudæana 4), dirigée contre l’Institution de Jean Clavin.
Je n’ai pas su identifier la « belle Garetière ». Garetière ou garretière était une ancienne orthographe de jarretière, mot qui dérive de jarret, pour désigner la veine (aujourd’hui dite poplitée) qui passe derrière le genou, ou le cordon qui tient le bas au-dessous ou au-dessus du jarret. Dans ce second sens, doté de galantes allusions, ce pouvait être le sobriquet d’une prostituée ; mais sans pouvoir écarter l’éventualité qu’il s’agît de son véritable nom, car il existait à cette époque des sieurs et dames de La Jarretière. V. notule {d}, note [86] du Faux Patiniana II‑7 pour l’Ordre de chevalerie anglais qui porte ce nom.
Quoi qu’il en soit, c’est sur cette leçon de morale que Nicolas Bourbon achevait sa complaisante description des turpitudes de son temps.