L. française reçue 27.  >
De Claude II Belin,
le 4 mars 1657

Monsieur, [a][1][2]

J’ai acheté du libraire les thèses dont je vous ai envoyé le catalogue. Je vous aurais envoyé les dix que vous désirez par le coche qui partit hier de ce pays si j’y eusse trouvé quelqu’un de ma connaissance ; ce sera sans remise par le premier qui partira ; et s’il y en a quelque autre qui vous plaise, maintenant qu’elles sont en mon pouvoir, elles sont à vous. Si c’est pour de l’argent que les jésuites ont obtenu leur rétablissement dedans Venise, [3] ils en pourront bien faire un jour autant en ce pays, quoique tous les honnêtes gens nigrum hoc agmen imprimis oderint[1][4] mais que faire à ce malheur que de s’écrier O tempora, o mores ! [2] Plût à Dieu que je tinsse la langue du dernier, le monde serait bientôt délivré des persécutions qu’il souffre par ces gens-là. J’ai été bien aise de lire les Lettres de Casaubon [5] que j’ai reçu depuis peu d’Allemagne : [3] ils sont là accommodés comme ils le méritent ; mais je me trompe, un collier de pantagruélion [6][7] ferait justement leur affaire. [4] La médecine ne fait pas une petite perte en la mort de M. Riolan [8] et je ne doute pas que beaucoup de personnes ne regrettent un si grand homme aussi bien que je fais. La perfection où il a porté l’anatomie fera que l’on se souviendra de lui dum iuga montis aper, fluvios dum piscis amabit, etc., [5][9] ou plutôt tant qu’il y aura des hommes savants dans le monde. Je vous prie, s’il y a quelque chose sur sa mort, de m’en faire participant, aussi bien que sur celle de M. Moreau. [10] L’on nous apprend que Mme de Mercœur [11] pari fato periit [6] que la duchesse de Lorraine, [12] ex stibio scilicet[7][13] Je me souviens de deux bonnes pièces qu’a promises feu M. Moreau : les Commentaires sur les problèmes d’Alexandre < d’>Aphrodisée et un traité de Placentis ; [8] qu’en sera-t-il, ces œuvres se sont-elles trouvées achevées, son fils les mettra-t-il en lumière ? [14] La version de l’Histoire de M. de Thou n’est-elle pas de M. Du Ryer ? [15][16] Il y a des pages entières dans le latin qui sont tournées à la lettre de l’Histoire de La Popelinière. [9][17] L’on dit ici qu’il y a auprès de Paris une fille simple qui < reste > des 30 et 40 jours sans boire ni manger, qu’elle a un stigmate au côté qui ressemble à une croix, par où elle rend du sang. On ajoute que le théologal de Notre-Dame de Paris [18] la retient chez lui pour en découvrir la vérité. En savez-vous quelque chose ? [10] Mon fils vous baise très humblement les mains, comme moi, qui suis de toute mon âme, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Belin.

De Troyes, ce 4e de mars 1657.

Vous nous permettrez de saluer Messieurs vos fils.


a.

Lettre de Claude ii Belin « À Monsieur/ Monsieur Patin Professeur du Roy/ en pharmacie et docteur en Médecine/ en la Place du chevailler du Guet/ À Paris » : ms BIU Santé no 2007, fo 369 ro (signature autographe tremblée, manuscrit de belle écriture sous la dictée de Belin) ; Finot no iv, pages 306‑307.

1.

« haïssent par dessus de tout ce noir troupeau » ; Virgile (Énéide, chant iv, vers 404‑405), sur les fourmis :

It nigrum campis agmen, prædamque per herbas
convectant calle angusto
.

[Leur noire colonne sillonne la plaine et transporte son butin dans l’herbe par d’étroits sentiers]. {a}


  1. Guy Patin a aussi donné aux jésuites le nom de « noire cohorte » (nigra cohors) : v. note [6], lettre 852.

2.

« Ô temps ! ô mœurs ! » (Cicéron, v. note [52], lettre 292).

Les jésuites avaient été expulsés de Troyes en 1638 (v. note [1], lettre 41), Claude ii Belin frémissait à l’idée de leur réinstallation.

3.

Isaaci Casauboni Epistolæ, Editio secunda lxxxii. epistolis auctior, et iuxta seriem temporum digesta. Curante Iohanne Georgio Grævio.

[Épîtres d’Isaac Casaubon, seconde édition {a} augmentée de 82 lettres, rangées par ordre chronologique. Par les soins de Iohannes Georgius Grævius]. {b}


  1. V. note [7], lettre 36, pour la première édition (La Haye, 1638).

  2. Brunswick, Andreas Dunckerus, 1656, in‑4o de 1 058 pages, recueil 833 lettres édité par le philologue allemand Johann Georg Grævius (1632-1703), professeur d’histoire à Utrecht.

4.

Pantagruélion (Littré DLF) :

« nom plaisant donné par Rabelais au chanvre, {a} parce que Pantagruel représentant un roi de France, probablement Henri ii, {b} et la corde de chanvre {c} servant à pendre, le pantagruélion figurait un droit régalien. »


  1. V. note [9], lettre 353.

  2. Qui a régéné de 1547 à 1559, v. note [26], lettre 86.

  3. Un « collier de pantagruélion » pour Claude ii Belin.

Les quatre derniers chapitres du Tiers Livre sont consacrés au pantagruélion :

V. note [19] du Borboniana 1 manuscrit pour l’animosité d’Isaac Casaubon contre les jésuites et pour quelques extraits montrant la manière dont il l’a exprimée dans ses lettres.

5.

« tant que le sanglier aimera le sommet des montagnes, les poissons l’eau des fleuves, etc. » (Virgile, Bucoliques, églogue v, vers 76).

6.

« a péri de la même mort ».

7.

« savoir de l’antimoine. »

8.

Problematum medicorum et naturalium libri duo [Deux livres de Problèmes médicaux et physiques] est un ouvrage qu’on a attribué à Alexandre d’Aphrodisée (v. note [3] du Traité de la Conservation de santé, chapitre ii), mais qui serait plutôt d’Alexandre de Tralles (v. notule {d}, note [1], lettre 449). Les commentaires qu’en fit René Moreau n’ont jamais été publiés, non plus que son traité « des Placentas ».

9.

V. note [9], lettre 441, pour la traduction de l’Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou par Pierre Du Ryer.

Henri Lancelot du Voisin de La Popelinière, homme de guerre et historien calviniste né dans le bas Poitou (vers 1540-Paris 1608), joua un rôle éminent durant les guerres de Religion. Il eut notamment, en 1575, le commandement de l’expédition contre l’île de Ré et y écrasa les catholiques. Gravement blessé, il cessa de combattre et se consacra à l’écriture. Il publia entre autres l’histoire des guerres civiles, et sa modération l’y a fait accuser d’avoir abjuré la Réforme et vendu sa plume aux catholiques. « Le président de Thou faisait beaucoup de cas de l’Histoire de La Popelinière et il avoue qu’il s’en est beaucoup servi » (Michaud). Elle avait paru pour la première fois sous le titre de :

La vraie et entière Histoire de ces derniers troubles : advenus tant en France qu’en Flandres, et pays circonvoisins. Comprise en dix livres. Dédiée à la Noblesse de France. {a}

Elle a été reprise et augmentée :

L’Histoire de France enrichie des plus notables occurrences survenues aux Provinces de l’Europe et pays voisins, soit en Paix, soit en Guerre : tant pour le fait Séculier qu’Ecclésiastique : depuis l’an 1550 jusques à ces temps. {b}


  1. Cologne, Arnould Birckman, 1571, in‑8o de 656 pages, couvrant la période 1568-1570.

  2. De L’imprimerie (La Rochelle), par Abraham H. (Haultin), 1581, in‑fo :


10.

V. note [8], lettre 470, pour la jeûneuse (anorexique) de Gisors.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Claude II Belin, le 4 mars 1657

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(Consulté le 19/04/2024)

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