De Lyon, ce 15e de mai 1657.
Je profite de l’occasion qui se présente pour vous aller rendre mes hommages en la personne de M. Brusius, [3] docteur médecin de Valence, [4] Écossais de nation, personnage que j’honore pour ses rares qualités, et surtout pour son savoir exquis qu’il fait paraître aux thèses qu’il a fait imprimer en cette ville avant que d’aller à Valence, dans lesquelles il soutient entre autres que remedia antimonialia sunt διαβολων χειρες. [1] Il sera bien aise de vous rendre ses respects comme à l’un des premiers hommes du siècle, vous suppliant de le voir de bon œil et de l’avoir pour recommandé. Il appartient à un des principaux médecins de Londres nommé M. Wedderburn, [5] lequel vous sera obligé des faveurs que vous lui rendrez. Je vous envoie par lui un paquet duquel il a bien voulu se charger, contenant un Gabriel Fontanus de Medicina antihermetica, [6] duquel M. Fourmy [7] le libraire vous fait présent, n’en ayant point voulu d’argent de moi ; item, vous y trouverez une feuille du Varandæus, [8] qui s’imprime ici chez ledit Fourmy afin que par cet échantillon, vous puissiez juger du reste de l’impression, laquelle pourra être achevée dans deux mois. [2] Outre cela, vous trouverez dans ce paquet un petit livre in‑8o relié, lequel M. l’avocat Huguetan [9] vous envoie. J’y ai aussi mis les Observations de Johan. Daniel Horstius, [3][10] comme aussi le manuscrit de Caspar Hofmannus, [11] de Calido innato et Spiritibus, me réservant de vous envoyer la copie que j’en ai faite et les deux autres traités, de Humoribus et de Partibus similaribus, par quelque autre occasion, craignant que le paquet ne fût trop embarrassant si j’eusse voulu les y ajouter. J’espère de vous les faire tenir par le coche, avec le Sennertus [12] que j’ai encore céans pour vous, [4] si je ne trouve le moyen de les mettre dans quelque balle de marchandise, comme vous le trouvez bon par votre dernière du 8e de ce mois que je reçus hier, dont je vous remercie et à laquelle aussi je ferai réponse à part, aussi bien qu’à une autre précédente du 24e avril. Le prince de Conti [13] est ici depuis cinq ou six jours. L’on m’a dit que le sieur Le Gagneur, [14] son Esculape, [15] y est aussi, mais je ne l’ai point vu et peut-être ne le verrai-je point, neque enim tamtum est ab re mea otii mihi. [5] L’impression des œuvres de M. Gassendi [16] continue toujours, à quoi M. de La Poterie [17] travaille rigoureusement. Je le vis hier, qui m’a chargé de vous faire ses très humbles baisemains ; comme je fais aussi en particulier avec toute la passion que je dois, comme étant, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Spon
Lettre autographe de Charles Spon « À Monsieur/ Monsieur Patin, Coner/ Médecin, et lecteur ordine/ du Roy, dans la place du/ Chevalier du guet./ À Paris » : ms BIU Santé no 2007, fos 283 ro‑284 ro ; Pic no 7 (pages 226‑227).
« les remèdes antimoniaux sont les mains des diables. »
Dans cinq autres lettres qu’ils ont échangées en 1657, Guy Patin et Charles Spon ont reparlé du porteur de la présente, le jeune médecin écossais dénommé Brusius, tout récemment gradué de la Faculté de médecine de Valence en Dauphiné, mais sans me permettre de dénicher ses thèses imprimées à Lyon.
Son patron Wedderburn, mentionné un peu plus bas, était peut-être Ioannes Wodderbornius, médecin écossais étudiant à Padoue qui, dans sa jeunesse, avait défendu Galilée {a} contre ses détracteurs dans un opuscule intitulé :
Quatuor Problematum quæ Martinus Horky contra Nuntium Sidereum de quatuor planetis novis disputanda proposuit. Confutatio per Ioannem Vvodderbornium Scotobritannum.[Quatre des questions que Martinus Horky a soumises à la discussion sur les quatre nouvelles planètes, contre le Sidereus Nuncius. {b} Réfutation par Ioannes Wodderbornius, Écossais]. {c}
- V. note [19], lettre 226.
- En 1610, Galilée avait publié le Sidereus Nuncius [Nonce sidéral ou Message céleste] un traité d’astronomie relatant ses premières observations télescopiques, avec notamment sa démonstration des quatre satellites qui orbitent autour de Jupiter (qu’il a appelées « nouvelles étoiles Médicées » pour honores les Médicis).
Gagné par les professeurs de Bologne, Martin Horky, originaire de Lochovic en Bohème, élève peu clairvoyant de Johann Kepler (v. notule {e}, note [28], lettre 211), avait qualifié de rêveries les observations de Galilée dans un ouvrage intitulé Brevissima Peregrinatio contra Nuncium Sidereum… [Très brève Pérégrination contre le Nuncius Sidereus…] (Modène, Julianus Cassianus, 1610, in‑4o).
Kepler a mentionné Wedderburn dans l’épître de son traité de géométrie intitulé Nova Stereometria… [Nouvelle Stéréométrie…] (Linz, Joannes Plancus, 1615, in‑4o), adressée à Maximilien de Liechtenstein :
Mihi prædicavit Medicus tuus D. Ioannes VVodderbornius Scotus, vir Mathematicis artibus exercatissimus, eoque mhi amicissimus, qui commodum interveniens, tui memoriam mihi præsentia sua renovavit.[Votre médecin, l’Écossais Ioannes Wodderbornius, qui est un homme très rompu aux mathématiques, ce qui en fait mon très grand ami, a prôné [vos mérites] et son intervention m’a opportunément rappelé le bon souvenir que j’ai de vous].
- Padoue, Petrus Marinellus, 1610, in‑4o de 33 pages.
Si cela était vrai (mais je n’oserais le garantir formellement), les disputes sur l’antimoine mèneraient à de surprenantes connexions…
V. notes [9], lettre 467, pour la Médecine antihermétique de Gabriel Fontaine, médecin d’Aix-en-Provence (Lyon, 1657), et [10], lettre 485, pour les Opera omnia [Œuvres complètes] de Jean Varanda en cours d’impression chez le libraire Christophe Fourmy.
V. note [16], lettre de Charles Spon, datée du 6 avril 1657.
V. notes :
« et je n’ai en effet pas tant de loisir que je puisse me distraire de mes affaires. »
V. note [5], lettre 551, pour Esculape, dieu de la médecine et nom qu’on donnait quelquefois (et souvent par ironie) à un médecin en renom.