L. française reçue 9.  >
De Alcide Musnier,
le 9 février 1656

Monsieur, [a][1][2]

J’ai reçu la semaine passée votre très chère lettre de cinq pages, du dernier jour de décembre, jour de saint Sylvestre, et jour en effet bien notable, pour avoir été honoré d’un si beau distique, en mémoire du pape Jules iii[1][3] La dernière que je vous ai écrite a été du 12e de janvier par notre voie ordinaire de M. Jansson. [4] J’ai aussitôt envoyé votre lettre à M. Érasme Bartholin, [5] qui est parti à Padoue et y sera encore jusqu’au mois de mai prochain, pour s’en aller delà en France, et puis après en Danemark.

Dans ma lettre du 27e d’octobre 1655, vous trouverez (si l’avez conservée et prenez la peine de la revoir) ce que je vous y écrivis touchant le Scribonius Largus de M. Rhodius, [2][6][7] qui est que 3 copies de ce livre ayant été portées dès ce temps-là, et consignées à M. Liceti pour me les transmettre par la voie de Venise ; [8] à savoir une copie pour vous, une autre pour moi, et la 3e pour un gentilhomme d’ici. La seule indisposition de M. Liceti en a fait retarder jusqu’à présent la venue ; mais maintenant que ce Monsieur est échappé quasi miraculeusement, après avoir eu nouvelle de sa mort, il ne manquera de nous les envoyer aussitôt, avec un ou deux des siens nouvellement achevés d’imprimer, qui sont Hydrologia Peripatetica, et de 8o quæsitis ; et pour ainsi, il sera encore à propos de remander (s’il vous plaît) à ce Monsieur son manuscrit de Lacu asphaltite, avec la dédicatoire, pour le faire incontinent mettre sous la presse, en suite de l’Hydrologia[3]

Voici enfin M. Martin qui est arrivé, et qui m’a rendu et porté tout aussitôt en ma maison votre portrait, [9] avec le dernier livre de M. Riolan contra Pecquetum et Pecquetianos[4][10][11] Je vous rends de tous les deux un million de grâces ; mais du premier je ne me puis assez soûler de vous en remercier, pour avoir un objet auprès de moi qui m’est véritablement le plus cher et le plus agréable qui soit au monde : je l’ai fait mettre incontinent, et attacher au plus beau lieu de mon étude, et où je le pourrai continuellement avoir devant les yeux et contempler à mon aise. Enfin, je ferai de ce cher tableau comme Démétrios de celui de Protogène : Citius patrum imagines, quam eam picturam aboleri permittam[5][12][13]

Pour le livre de M. Riolan, que j’ai lu quasi tout entier dès le premier soir, il me semble qu’il n’est guère moins piquant que les autres précédents. Je ne voudrais pour mille écus être en la chemise de ces Messieurs les pecquétiens, pour avoir à souffrir d’un si grand homme, comme est M. Riolan, des mortifications si cuisantes.

Le Speculum Medenti Sebastiani Nasij, est ici un livre assez commun et de fort peu d’estime. [6][14] Cet auteur, étant venu à Gênes il y a environ 20 ans pour y pratiquer la médecine, fut contraint d’en déloger honteusement 10 mois après. Toutefois, je ne laisserai de mettre ce livre, tel qu’il est, avec les autres qui sont déjà ici dans une balle.

La mort du Prince Thomas [7][15] afflige grandement les Espagnols, et dit-on même qu’elle ne sera pas peu favorable aux entreprises que la France fera désormais au duché de Milan ; mais la paix, qu’on nous prêche incessamment sans fruit, me serait bien plus agréable que tout cela ; et s’il est vrai qu’on ait déjà nommé les plénipotentiaires pour cet effet, je vous prie me donner à connaître à leur médecins ou autres, qui viendront avec eux en Italie. La reine de Suède [16] est toujours à Rome, où elle commence à donner un peu d’ennui au pape [17] et aux Espagnols, queis aurum ægre decoquitur[8] Le Datum Romæ est maintenant bien difficile, [9] et le Thesaurizare in terris est un cas bien réservé au pape. [10][18] À ce propos, souvenez-vous (s’il vous plaît) que vous m’avez renvoyé trop d’argent et que je vous suis maintenant débiteur d’une demi-pistole, si tant est que M. Papelard [19] ne vous la rende. En tout cas, je trouverai bien moyen de l’employer comme il faut.

Voici le frontispice d’un livre de M. Nardi, [20] médecin de Florence, dont je me souviens que vous m’avez autrefois fait instance ; aussitôt qu’il sera parachevé d’imprimer à Bologne, je vous en mettrai une copie dans une balle. [11]

On a fait imprimer à Paris depuis peu un certain petit livre in‑4o en langue italienne, intitulé Celeste ancile, o’ sia scudo di Verità contrà i dardi d’ella Bugia, esposto dal Padre Gio. Battista Noceto Genovese della Compagnia di Giesu in Pariggi 1655 in‑4o opresso Tomaso La Carriera, sutto l’archi della ripa de Grève[12][21] Je crois que l’imprimeur est logé auprès de la Grève, où, s’il est moyen d’en avoir une ou deux copies, je vous en supplie de tout mon cœur.

J’ai eu de Rome ces jours passés, par le moyen de nos jésuites d’ici, le petit livre intitulé Antimus Conygius, qu’on y a fait imprimer contre M. Chifflet, pour défense de la Chyna-Chyna[13][22][23][24] Ce livret n’est en effet que bien peu de chose et ne mérite quasi pas d’être lu. Toutefois, je souhaite grandement de voir ce que M. Chifflet y a répondu en 13 petites pages in‑8o sous le nom de Melippus Protimus Belga[14][25] dont vous pourrez facilement me favoriser en quelqu’une de vos lettres, par la voie de M. Spon de Lyon ; [26] et vous m’obligerez toujours de plus en plus, qui suis déjà sanè multis nominibus[15]

Monsieur,

votre très humble et très obéissant serviteur et très obligé à jamais.

Alcide Musnier.

De Gênes, ce mercredi 9e février 1656.

Je viens de recevoir par l’ordinaire de Lyon une lettre de M. Gaffarel, [27] qui est à Marseille et me promet d’être ici de retour au commencement de ce carême.


a.

Lettre autographe d’Alcide Musnier à Guy Patin (avec traces de pliage, mais sans adresse ni résidu de sceau) : ms BIU Santé no 2007, fo 347 ro‑348 ro.

1.

V. note [12], lettre latine 151, pour ce distique impie et licencieux que Guy Patin a cité pour accompagner ses vœux de bonne année 1661 à Johannes Antonides Vander Linden.

Il ne nous est resté que cette lettre de toute la correspondance entre Alcide Musnier et Guy Patin.

2.

V. note [1], lettre 205

.
3.

V. notes [38], lettre 372, pour l’Hydrologie péripatétique et le Lac asphaltite de Fortunio Liceti (publiés ensemble en 1655 à Udine), et [9], lettre 276, pour son énigmatique Réponse à la 8e série de questions

.
4.

V. note [1], lettre 414, pour la diatribe de Jean ii Riolan « contre Pecquet et les pecquétiens ».

En 1656, le portrait que Guy Patin pouvait envoyer facilement à ses correspondants restait un retirage :

5.

« Plutôt brûler les portraits des pères, que permettre que cette peinture soit détruite » ; passage sur Démétrius (Démétrios ier Poliorcète, roi de Macédoine au iveiiie s. av. J.‑C.), au siège de Rhodes (en 305), dans les Vies des hommes illustres de Plutarque (Vie de Démétrius, chapitre xxvii ; traduction de Jacques Amyot, Pléiade, tome ii, page 822) :

« car d’aventure en ce temps-là Protogène, excellent peintre natif de la ville de Caunus, leur peignait le portrait de Lalysus ; {a} Démétrius en trouva le tableau dans un logis qui était hors de la ville en l’un des faubourgs, étant presque tout achevé ; et comme les Rhodiens lui eussent envoyé un héraut pour le supplier de pardonner à un si bel ouvrage et ne souffrir point qu’il fût gâté, il leur fit réponse qu’il souffrirait plutôt qu’on brûlât les images de son père qu’un si excellent chef-d’œuvre et de si grand labeur. »


  1. Protogène, peintre grec natif de Caunos en Carie (Asie Mineure), contemporain de Démétrius, célèbre pour son talent sa minutie (v. note [10], lettre 93), aurait mis sept ou onze ans (selon les sources) pour peindre ce tableau du héros rhodien Lalysus (v. note [55] du Faux Patiniana II‑7).


6.

Sebastiani Nasii, Cisalpini, Speculum Methodi medendi, seu de omnium morborum cognitione. In quo omnia, quæ tum ad Theoricam, tum ad Medicinæ praxin spectant peregrino ordine disposita continentur [Le Miroir de la méthode pour remédier, de Sebastiano Nasio, ou la connaissance de toutes les maladies. Où sont contenues, rangées suivant un ordre nouveau, toutes les choses qui concernent tant la théorie que la pratique de la médecine] (Brescia, Giovanni Batista Bozzola, 1633, in‑fo).

Sebastiano Nasio était un médecin originaire de Lomardie, Cisalpinus ; je n’ai pas trouvé sur lui de données biographiques autres que celles fournies ici par Alcide Musnier.

7.

Survenue le 22 janvier 1656.

8.

« dont on fricasse difficilement l’or » ; « fricasser signifie figurément consommer son bien en débauche et en bonne chère, ou même en mauvais ménage ; cette succession opulente a été bientôt fricassée par les héritiers » (Furetière).

9.

« Ce que donne Rome » est bien difficle à obtenir.

10.

« Amasser des trésors sur la terre » : Nolite thesaurizare vobis thesauros in Terra ubi erugo et tinea demolitur ubi fures effodiunt et furantur [Ne vous amassez point de trésors sur la terre, où la mite et le ver consument, où les voleurs perforent et cambriolent] (Matthieu, 6:19).

11.

Le frontispice d’un livre est « la première page où est le titre gravé dans quelque image qui représente le frontispice d’un bâtiment » (Furetière).

Alcide Musnier envoyait à Guy Patin celui des Noctes geniales… [Nuits fécondes…] de Giovanni Nardi (Bologne, 1656, v. note [13], lettre 516). Cette première page n’a de remarquable que le blason qui la décore : sous la devise hinc mel hinc venenum [elle donne le miel et elle donne le poison], il représente une abeille et une araignée burinant une fleur.

12.

« Le Céleste ancile [bouclier sacré que les Romains croyaient tombé du ciel], ou le bouclier de la Vérité contre les traits du Mensonge, exposé du P. Gio. Battista Noceto de la Compagnie de Jésus, natif de Gênes [théologien de la sérénissime République de Gênes] ; imprimé à Paris, 1655, in‑4o, chez Tomaso La Carriera, sous l’arche du quai de Grève [sic pour Gesvre, Gevre, sur la rive sud de l’île de la Cité, tandis que la place de Grève s’étendait devant l’Hôtel de Ville] ». Alcide Musnier a complété ce titre dans la marge, il n’y manque que la dédicace finale : Dedicato illustrissimo Signor marchese Giannettino Giustiniani [à l’illustrissime marquis Giannettino Giustiniani].

Giovan Battista Noceto (Gênes 1585-ibid. 1682), enseignant et prédicateur jésuite, a été un ennemi acharné de l’astrologie judiciaire ; il a publié son Celeste ancile sans l’approbation du Saint-Office, ce qui lui a valu bien des déboires.

13.

V. note [10], lettre 399, pour ce livre (publié à Rome en 1655) où, sous le nom d’Antimus Conygius, le P. Honoré Fabri, jésuite, défendait la poudre du Pérou (le quinquina) contre les critiques de Jean-Jacques Chifflet.

14.

Antimus Conygius Peruviani pulveris febrifugi defensor repulsus a Melippo Protimo Belga [Antimus Conygius, défenseur de la poudre fébrifuge, réfuté par le Belge Melippus Protimus] (sans lieu ni nom, 1655, in‑4o, 12 pages). Melippus Protimus est en fait le pseudonyme (et l’anagramme partiel) de Vopiscus Fortunatus Plempius.

15.

« à bien plus d’un titre ».


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Alcide Musnier, le 9 février 1656

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(Consulté le 20/04/2024)

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