L. française reçue 10.  >
De Charles Challine,
le 7 mars 1656

Monsieur, [a][1][2]

Je ne sais avec quels termes je vous pourrai remercier de la lettre que m’avez fait l’honneur de m’écrire. Elle est si obligeante et si remplie de toute sorte de rares nouvelles qu’elle a donné à tous ceux qui l’ont vue une extraordinaire satisfaction. Il est vrai que la manière dont on agit contre M. Arnauld [3] m’a été extrêmement sensible et ce qui m’afflige le plus en cela, c’est que tout le monde reconnaît que M. l’évêque de Chartres, [4] que j’honore, s’est mêlé de très grands sujets ; car connaissant son humeur si modérée et si retenue, il ne peut y avoir rien que de bien considérable qui le puisse porter à une si grande violence. Le temps nous éclairera de tout et nous fera connaître ceux qui ont le plus de raison ; pour quoi, je vous avoue que je n’en vois point du tout dans la censure. Et parce que je ne suis pas versé dans la théologie scolastique, je ne puis comprendre pourquoi une proposition conforme en tout à la doctrine des Pères, et qui par conséquent, paraît très catholique peut être jugée blasphématoire, hérétique. [1][5] Mon intelligence ne va pas jusque là. J’avais cru que le Sr de Pascual était un nom inventé : voilà pourquoi je suis bien aise de le connaître, son histoire m’ayant semblé fort agréable. [2][6] Mon frère, l’avocat, s’en retourne à Paris avec Mademoiselle sa maîtresse. [3][7] Il ne vous reportera pas encore votre livre parce, que m’étant engagé à en faire comme une essai de traduction, les affaires de ma charge, et les divertissements du carnaval [8] et de quelques mariages qui se sont faits en sagesse, causent qu’il me reste encore environ la quatrième partie à achever ; de sorte que ce sera moi-même, s’il plaît à Dieu, qui vous portera<i> votre livre, vous assurant qu’il vous sera conféré avec toute sorte de fidélité. [4] Je crois que mon frère voudra bien être ma caution de ce que je vous dis, comme je vous puis assurer moi-même que je serai toute ma vie,

Monsieur,

votre très humble et très obéissant serviteur,

Challine.

À Chartres, le 7e mars 1656.

Je vous remercie des vers que vous m’avez envoyés contre les poètes de l’antimoine. [9] Le moine Carneau est de notre pays, [5][10] il est parent de M. Nicolle, [11] que vous avez vu chez vous, [6] et fils d’un avocat de notre ville qui avait beaucoup d’esprit, et que les muses chartraines ont autrefois regretté pour un livre publié. [7][12]


a.

Lettre autographe de Charles Challine « À Monsieur/ Monsieur Patin docteur et professeur/ du roi en la Faculté de médecine en/ la place du Chevalier du Guet/ À Paris » : ms BIU Santé no 2007, fo 364 ro‑365 vo.

1.

V. notes [43], lettre 433, pour la censure d’Antoine ii Arnauld en Sorbonne (février 1656) et [6], lettre 19, pour Jacques Lescot, évêque de Chartres et docteur en théologie.

2.

Blaise Pascal, dont les Provinciales (v. note [23], lettre 446) connaissaient alors un vif succès partout en France.

3.

V. note [28], lettre 324, pour Denis Challine, frère cadet de Charles ; je n’ai pas identifié Mademoiselle sa maîtresse.

4.

La correspondance (française ou latine) de Guy Patin ne fournit aucun indice sur ce livre dont il avait demandé la traduction à Charles Challine. Ce n’était pas du latin (que Patin maîtrisait parfaitement et dont il a souvent dit qu’il jugeait inutile, voire inepte de le traduire), mais d’une autre langue, morte ou vivante ; quoi qu’il en fût, elle devait être rare pour qu’il ne fît pas appel à ses autres connaissances que Challine (qu’il n’a jamais mentionné dans ses autres lettres) pour obtenir une version française de ce livre.

5.

Étienne Carneau (Chartres 1610-Paris 1671) avait fait profession dans l’Ordre des célestins (v. note [46] du Naudæana 3) en 1630. Il consacra le reste de ses jours aux devoirs monastiques et à l’étude des belles-lettres, principalement la poésie latine et française. Il possédait de plus le grec, l’italien et l’espagnol.

Son ouvrage le plus fameux, qui dut fort chauffer la bile de Guy Patin (un moine vantant l’antimoine !), est La Stimmimachie, ou le grand combat des médecins modernes touchant l’usage de l’antimoine. Poème historicomique, dédié à Messieurs les médecins de la Faculté de Paris. Par le sieur C.C. (Paris, Jean Paslé, 1656, in‑8o ; v. alinéa 7 de la note [10], lettre 342.

L’épître dédicatoire en est adressée À la plus grande et plus sainte partie des médecins orthodoxes de la Faculté de Paris, approbateurs de l’usage de l’antimoine. Elle est suivie d’une Approbation des docteurs en médecine, signée Cortaud et Foucques (qui n’étaient ni l’un ni l’autre docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris) :

« Ce poème sur l’antimoine est trop agréable et trop utile au public pour ne pas presser son auteur de le mettre sous la presse. Nous l’en conjurons de tout notre cœur et l’assurerons qu’il ne peut être que parfaitement bien reçu, pour être rempli d’autant d’instructions en ce qui concerne la véritable médecine, que de galanteries et de gaieté en ses belles et naïves descriptions. C’est le sincère jugement que nous en faisons. À Paris, ce 12 octobre 1655. »

Suit l’Approbation authentique de la plus grande et plus saine partie des médecins de la Faculté de Paris touchant l’antimoine, datée du 26 mars 1652, avec les noms des 61 docteurs régents « signeurs de l’antimoine » (v. note [3], lettre 333).

Vient après un Sonnet de Paul Scarron, « À Monsieur C.C. contre quelques vieux médecins ses ennemis, aussi bien que de l’antimoine » :

« Donne, Brave Carneau, donne à coups de sonnets
Sur les Anti-Guénaus {a} qui blâment l’antimoine,
Et qui sans respecter ton minois de chanoine,
Épuisent contre toi leur veine, et leurs cornets. {b}

Ils sont, pour la plupart, esprits de sansonnets
En des corps de chevaux, à qui manque l’avoine,
Dont toute l’ellébore, et toute la bétoine {c}
Jamais ne guériront le moule des bonnets.

Ne fais point de quartier à cette gent barbue,
Qui se fait bien payer des hommes qu’elle tue ;
Fais-les mourir d’ennui par l’effort de tes vers.

Si tu les signalais par de tels homicides ;
Si de tels assassins ils purgeaient l’Univers,
On pourrait dire d’eux qu’ils sont autant d’Alcides. » {d}


  1. Ennemis de François Guénault, meneur du parti antimonial, à la Faculté comme à la cour (v. note [21], lettre 80).

  2. Leur inspiration et leurs encriers.

  3. V. note [15] de la Consultation 20.

  4. Alcide est un autre nom d’Hercule (v. note [3], lettre de Reiner von Neuhaus, datée du 21 octobre 1663).

Ce recueil de pièces en vers, mordantes et spirituelles, est sûrement à ranger parmi les importantes pièces de la bibliographie antimoniale.

6.

Les Nicole (ou Nicolle) étaient une famille attachée au barreau de Chartres. On ne peut s’empêcher de penser ici au célèbre théologien janséniste Pierre Nicole (Chartres 1625-Paris 1695), fils d’un avocat de Chartres et neveu de Claude Nicole (v. note [3], lettre 511) ; Pierre était alors secrétaire et collaborateur d’Antoine ii Arnauld.

7.

Nicolas Proust (ou Prou) des Carneaux, dit Carneau, mort à Paris en 1640 âgé de 70 ans, fut avocat au Parlement de Paris, puis au bailliage de Chartres, avant de devenir historiographe du roi. Il a écrit plusieurs ouvrages d’histoire en latin, dont le plus important est : De obsidione urbis Rupellæ libri quatuor… [Quatre livres sur le siège de la ville de La Rochelle…] (Paris, aux frais de l’auteur, 1631, in‑8o).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Charles Challine, le 7 mars 1656

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=9044

(Consulté le 19/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.