L. française reçue 16.  >
De Paul Ferry,
le 25 décembre 1656

Monsieur, [a][1][2]

La hardiesse, que je pris et que je donnai ces jours passés à M. Guyot, [1] de vous demander des nouvelles du traité de l’Amour et d’inclination[2][3] n’est pas tant venue de la curiosité de le trouver, que du désir d’en savoir de la vôtre, [3] qui m’importe beaucoup plus, et qui étant votre ouvrage, pourrait confirmer ou corriger tous les livres que l’on saurait faire de ce mouvement inconnu. Car, Monsieur, vous en avez pris pour moi sans me bien connaître, ou, quoi que vous en sussiez assez pour vous en émerveiller vous-même, si votre vertu héroïque ne nous avait accoutumés à des excès de cette nature, dont elle est elle-même la raison, beaucoup plus noble que toutes ces pentes occultes, [4] et que tous les secrets que l’art en a encore découverts. Je n’ai donc garde, Monsieur, d’en demander d’autre, parce qu’il n’y en peut pas avoir de si avantageuse ; de sorte que m’y tenant beaucoup plutôt qu’a toutes celles que les maîtres attribuent au rencontre, au bonheur, ou à la complexion, [5] je ne désespère pas même, puisqu’elle ne s’est pas encore passée et que vous ne la désavouez point, que vous n’ayez encore agréable que je me glorifie d’avoir trouvé ce que les autres cherchent, et de pouvoir servir d’exemple dans les discours de cette matière, que la vertu peut, aussi bien que la Nature, avoir de l’amour d’inclination, et que je suis celle de tous les hommes sages de l’une et de l’autre, en vous honorant souverainement, bien que j’en aie encore de reste, pour être, comme je suis, d’une façon, à mon avis, plus particulière,

Monsieur,

votre très humble et très obéissant serviteur,

Ferry,

à Metz, [4] le 25 décembre 1656.


a.

Lettre autographe de Paul Ferry « À Monsieur/ Monsieur Patin, docteur en médecine/ de la Faculté de Paris » : ms BIU Santé no 2007, fo 333 ro‑334 vo ; Guy Patin a répondu à cette lettre le 12 février 1657.

1.

Guy Patin n’a parlé nulle part de ce nommé Guyot. Il ne s’agissait probablement pas de Jean Guiot de Garambé qui, bien que calviniste, n’avait pas de connexion établie avec Paul Ferry.

2.

V. note [9], lettre 453, pour le Discours de l’amour d’inclination de Marin Cureau de La Chambre publié en 1634.

Cette lettre est assez obscure mais Cureau de La Chambre aide un peu à en comprendre le sens, avec les deux premiers paragraphes de son livre :

« Il y a deux sortes d’amour dont les hommes sont ordinairement touchés, l’un de connaissance, et l’autre d’inclination. Quand le bien et la beauté se font connaître, ils produisent l’amour de connaissance ; mais quand on les aime et qu’ils sont inconnus, c’est l’amour d’inclination. Ce n’est pas pourtant qu’il n’y ait de la connaissance en toute sorte d’amour ; mais d’autant qu’elle est claire et distincte en l’un, et confuse et secrète en l’autre, on peut dire que l’un est un amour de connaissance et que l’autre ne l’est pas.
Car quand les yeux portent la beauté d’un visage dans la volonté, la passion qu’elle en reçoit vient d’une connaissance sensible et bien certaine ; mais quand elle se trouve éprise d’un objet qui n’a aucune recommandation des yeux ni des autres sens, et qu’on ne saurait dire le motif de cette affection, il est vrai qu’il y a quelque connaissance, car la volonté ne s’émeut jamais sans elle, mais elle est si cachée et si secrète qu’on peut dire que ce n’est pas un amour de connaissance puisque le motif et le moyen qui le font naître sont inconnus. Et c’est l’amour d’inclination, qui a donné autant de plaintes à ceux qui l’ont ressenti qu’à ceux qui en ont voulu chercher la nature, et qui doit fournir à ce discours les raisons qui m’ont fait croire en avoir une particulière intelligence. »

Suit une longue dissertation sur les sentiments amoureux, leurs perturbations et leur « transmission » d’un individu à l’autre, pour conclure (page 112) que « cette transmission peut aider à la guérison et à la conservation de la santé, et que l’affection du médecin est utile au malade, non seulement pour sa diligence, mais aussi pour cette secrète influence qu’il lui communique et à laquelle il peut imprimer de puissantes vertus » : comme un petit air de psychanalyse bien avant la lettre…

3.

Votre propre inclination (penchant).

4.

Penchants.

5.

Habitude, disposition naturelle.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Paul Ferry, le 25 décembre 1656

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=9046

(Consulté le 19/04/2024)

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