L. latine reçue 7.  >
De Thomas Bartholin,
le 17 juillet 1647

[Bartholin a, page 417 | LAT | IMG]

À Guy Patin, à Paris. [a][1][2]

Il faut entièrement attribuer à votre gentillesse ces obligeants remerciements que vous m’avez dernièrement exprimés pour ma Dissertatio[1][3] Mes travaux bâclés ne méritent pas la moindre minute de votre loisir, sans parler de vos applaudissements. Je constate pourtant que vous accueillez mes rejetons avec votre bon esprit coutumier, en rappel de votre sincère amitié. Je suis surtout peiné de n’avoir pas eu l’occasion de vous envoyer le reste de mes ouvrages. La grande distance qui nous sépare et le prix excessif que les messagers réclament pour leurs services m’en ont empêché. [Bartholin a, page 418 | LAT | IMG] Je ne doute pas que mes livres de Luce animalium vous seront expédiés de Hollande, et désire votre jugement à leur sujet. [2] Depuis que je vis en ma patrie, je me suis distrait des soucis de ma pratique en enfantant deux livres : le premier présente le Synopsis antiquitatum veteris puerperii et le second est consacré aux Armillæ veterum præsertim Danorum[3] Dès que je pourrai, je vous les enverrai. J’ai confié à l’imprimeur une Apologia de Cruce, contre les attaques de Barthold Nihusius, qui m’a provoqué publiquement par un écrit. [4][4] Pendant ce temps-là, tandis que d’autres m’occupent, Hofmann dort tranquille et mon Itinerarium n’a pas vu le jour. [5][5] Je vous félicite d’avoir remporté la victoire en terrassant les seplasiarios avec belle éloquence. [6][6][7] S’ils m’avaient demandé conseil, je les aurais persuadés de composer amicalement avec M. Patin, plutôt que de lui intenter un procès. L’infortuné combat de Marsyas avec Apollon sera désormais connu de ces gens-là. [7][8][9][10] Je ne sais pourquoi presque partout la peau des gens les démange si fort qu’ils ne peuvent s’en tenir à leur devoir. La plupart du temps, en effet, de fourbes bateleurs se mêlent d’exercer la médecine en cachette ; et quand ils devraient seulement se racler moins fort la gorge chez les malades, ils osent médire bien haut. Sur la moisson des médecins ils lancent une faux grossière et ayant abandonné leur fonction d’esclave, ils compromettent la réputation et les intérêts de leurs maîtres, [Bartholin a, page 419 | LAT | IMG] qui sont les médecins. Chez vous la Médecine charitable de Guybert leur a fait souffrir un grand désastre : [8][11] elle permet à chacun de préparer lavements, décoctions, sirops, etc. chez lui, pour son usage domestique, au point que le besoin de recourir à d’insolents pharmaciens s’en trouve fort diminué. [12] Si les autres nations suivaient aussi cette façon de faire, les tarifs des parfumeurs baisseraient et cristas demittent[9][13] Pour vous, vainqueur et destructeur des monstres, continuez, en attendant, à leur faire sentir la vertu de votre grand renom et de votre grande érudition. Votre thèse [6] n’a pas besoin de notre jugement. Il suffit que ce soit la thèse de Patin. [10] Notre grand Wormius et moi vous en remercions tous deux et pour vous rendre la pareille, il m’a remis ses Institutiones medicæ avec d’autres Exercitationes medicæ qui ont été publiés ici ; [11][14] je vous les enverrai dès que possible si, comme j’ai ouï dire, l’ambassadeur de votre roi très-chrétien rentre en France au début de l’automne, et il ne vous est pas inconnu à cause de son père. [12] Il vous portera aussi, s’il veut bien, la Physica du mien, [13][15] et d’autres livres que nos imprimeurs ont mis au jour. Vale, éminent Monsieur, tout comme le très distingué M. Moreau ; [16] et je vous prie, vous qui êtes si assidu, de ne pas me regarder de travers si je prends rarement la plume, étant accaparé par mes Observationes medicæ qui paraîtront bientôt. [14] Le très distingué Wormius, mes frères [Bartholin a, page 420 | LAT | IMG] et mes cousins Fuiren vous saluent obligeamment. [15][17][18][19]

De Copenhague, le 17 juillet 1647.

Tout à vous, [16]

Thomas Bartholin.


a.

Lettre de Thomas Bartholin à Guy Patin, imprimée dans Bartholin a, Centuria ii, Epistola i, De Pharmacopæis [Des Pharmaciens] (pages 417‑420).

1.

V. note [5], lettre de Samuel Sorbière, datée du 15 octobre 1646, pour la « Dissertation » de Thomas Bartholin sur la crucifixion du Christ.

2.

Thomæ Bartholini Casp. Filii de Luce Animalium Libri iii. Admirandis historiis rationibusque novis referti [Trois livres de Thomas Bartholin, fils de Caspar i, sur la Lueur émise par les créatures vivantes, remplis d’observations admirables et de nouveaux arguments] (Leyde, Franciscus Hackius, 1647, in‑8o). Ces trois livres sont intitulés : iDe Luce hominum [Lueur émise par les êtres humains] ; iiDe Luce brutorum [Lueur émise par les bêtes] ; iiiDe Causis lucis animantium [Raisons de la lueur émise par les créatures vivantes].

A.‑J.‑L. Jourdan (in Panckoucke) a résumé le contenu de cet ouvrage peu commun :

« Bartholin a rassemblé dans ce traité curieux un assez grand nombre de faits prouvant que diverses parties du corps de l’homme et des animaux peuvent en certaines circonstances présenter le phénomène singulier de la phosphorescence. Il eut occasion d’observer cette lucidité à Montpellier sur de la viande de boucherie et il assura qu’elle occupait de préférence la graisse, ainsi que les parties aponévrotiques et membraneuses. La lueur, dit-il, ressemblait à celle des étoiles, dont elle imitait assez bien la coruscation. {a} Il parle aussi d’une femme dont tout le corps laissait échapper, au moindre attouchement, une multitude d’étincelles électriques qui produisaient une crépitation bien manifeste. » {b}


  1. Vif éclat lumineux, scintillement.

  2. Commentaire de Bartholin sur l’observation rapporté par Ezechiel de Castro (Ignis lambens… [Le Feu effleurant…], Venise, 1642, v. note [11], lettre latine 82), dans son livre i, chapitre xix (page 121), De Artuum Luce manifesta [La lumière qui se manifeste aux membres], phénomène d’électricité statique qui émerveillait alors les naturalistes (v. note [24], lettre 386).

3.

Depuis son installation à Copenhague en 1645 (v. note [3], lettre latine 11) Thomas Bartholin avait aussi trouvé le temps de publier :

4.

Bartholdi Nihusii de Cruce Epistola ad Thomam Bartholinum. Est Anticritici, anno m dc xliv vulgati, prosequutio.

[Lettre de Bartholdus Nihusius {a} sur la Croix, contre Thomas Bartholin, qui est une suite de l’Anticriticus {b} publié en 1644]. {c}


  1. Barthold Nihusius ou Neuhaus (1589-1657), théologien catholique, fut évêque auxiliaire d’Erfurt.

  2. Bartoldi Nihusii Anticriticus, de Fabrica crucis dominicæ incertam Georgii Calixti, Critici Helmestensis, opinionem esse, indicans.

    [Anticritique de Bartoldus Nihisius montrant que l’opinion de Georgius Calixtus, {i} critique de Helmstedt, sur la structure de la Croix est douteuse]. {ii}

    1. V. note [11], lettre latine 35.

    2. Cologne, Iohannes Linckius, 1644, in‑8o.

  3. Cologne, Jodocus Kalcovius, 1647, in‑8o.

Thomas Bartholin répondit à Nihusius et à d’autres détracteurs par ses :

De Cruce Christi Hypomnemata iv. i. De Sedili Medio. ii. De Vino Myrrahto. iii. De Corona spinea. iv. De Sudore sanguineo.

[Quatre commentaires sur la Croix du Christ. i. Du Siège placé à mi-hauteur. ii. Du Vin mélangé de myrrhe. {a} iii. De la Couronne d’épines. iv. De la Sueur sanglante]. {b}


  1. V. note [3], lettre 534, pour les exégèses de six théologiens sur le vin de myrrhe qu’on donna à boire au Christ en croix.

  2. Copenhague, Melchior Martzan, 1651, in‑8o ; je n’ai pas trouvé d’« Apologie sur la Croix » que Bartholin a publiée sur ce sujet avant celle-là.

5.

V. notes [4], lettre latine 11, pour les « Revendications anatomiques » que Thomas Bartholin préparait contre Caspar Hofmann, et [3], pour son « Voyage » d’Europe qui n’a jamais vu le jour.

6.

V. notes [6], lettre 143, pour le procès des pharmaciens de Paris contre la thèse de Guy Patin sur la Sobriété, et [24], lettre 186, pour le titre du Manuale medicum [Manuel médical] dont Guy Patin n’a jamais eu que le projet (dont il s’est ouvert à Charles Spon dans sa lettre du 13 juillet 1649) et qui contenait le mot seplasiarius (boutiquier, droguiste, parfumeur) pour dénigrer les pharmaciens. Il l’a employé neuf fois dans la suite de sa correspondance latine. Il n’est pas inconcevable que ce soit Thomas Bartholin qui le lui ait soufflé.

7.

Ovide (Métamorphoses, épître vi, vers 383‑400) a chanté la terrible infortune de Marsyas, Satyre de Phrygie :

Sic ubi nescio quis Lycia de gente virorum
rettulit exitium, satyri reminiscitur alter,
quem Tritoniaca Latous harundine victum
adfecit pœna, “ quid me mihi detrahis ? ” inquit ;
“ah ! piget, ah ! non est ” clamabat “ tibia tanti ”.
Clamanti cutis est summos direpta per artus,
nec quicquam nisi vulnus erat ; cruor undique manat,
detecti que patent nervi, trepidæque sine ulla
pelle micant venæ ; salienta viscera possis
et perlucentes numerare in pectore fibras.
Illum ruricolæ, silvarum numina, fauni
et satyri fratres et tunc quoque carus Olympus
et nymphæ flerunt, et quisquis montibus illis
lanigerosque greges armentaque bucera pavit.
fertilis immaduit malefacta terra caducas
concepit lacrimas ac venis perbibit imis ;
qua subi fecit aquam, vacuas emisit in auras.
Inde petens rapidus ripis declivibus æquor
Marsya nome habet, Phrygiæ liquidissimus amnis
.

[Après qu’on eut raconté la triste aventure des pâtres de Lycie, on se rappela celle du Satyre si cruellement puni par le fils de Léto, {a} vainqueur au combat de la flûte inventée par Minerve : « Pourquoi me déchires-tu ? dit-il. Ah ! je me repens de mon audace. Fallait-il qu’une flûte me coûtât si cher ! », criait-il. Alors, tous ses membres sont dépouillés de la peau qui les couvre. Son corps n’est qu’une plaie. Son sang coule de toutes parts. Ses tendons sont mis à nu. On voit le mouvement de ses veines; on voit ses entrailles palpitantes, et l’œil peut compter ses fibres transparentes. Les dieux des forêts, les faunes champêtres, les Satyres ses frères, Olympus, son célèbre disciple, les Nymphes, et tous les bergers de ces contrées, versent des pleurs sur son malheureux sort. La terre s’abreuve de quantité de larmes ; elle les rassemble et les faisant couler sur son sein, elle en forme un nouveau fleuve qui, sous le nom de Marsyas, roule les eaux les plus limpides de la Phrygie, et va, par une pente rapide, se perdre dans la mer]. {b}


  1. Apollon (v. note [8], lettre 997).

  2. Cette rivière, affluent du Méandre (v. première notule {a}, note [18], lettre 192), porte aujourd’hui le nom turc de Çine Çayi.

8.

V. note [25], lettre 6, pour le Médecin charitable de Philibert Guybert.

9.

« leurs crêtes s’affaisseraient. »

Tollere cristas [Dresser les crêtes] (ici inversé en demittere cristas) est un adage latin qu’Érasme a commenté (no 769) :

Translatum ab avibus cristatis, in quibus cristæ erectories alacritatis atque animorum indicia sunt.

[Cela vient des oiseaux à crête, dont l’érection est une marque d’excitation et de pugnacité].

10.

Preuve que les thèses écrites par Guy Patin, tout comme sa participation au Médecin charitable (où figure son Traité de la Conservation de santé), ont contribué à son rayonnement européen.

11.

Avec sa lettre du 20 juin précédent, Guy Patin avait envoyé à Thomas Bartholin deux exemplaires de sa thèse sur la Sobriété : un pour lui et l’autre pour Olaüs Wormius. V. note [6], lettre latine 11, pour les « Institutions médicales » de Wormius (qui n’a pas publié d’« Essais médicaux » séparés).

12.

Il ne s’agissait pas de Jacques-Auguste ii de Thou (fils de l’historien, Jacques-Auguste i) car il venait d’être nommé président au Parlement de Paris et ne fut ambassadeur que plus tard. Je n’ai pas su identifier celui dont Thomas Bartholin parlait ici.

13.

V. note [5], lettre latine 11, pour la « Physique » de Caspar i Bartholin.

14.

Annonce fort anticipée des deux premières centuries des Historiarum et anatomicarum et medicarum rariorum [Observations anatomiques et médicales plus que rares] (Copenhague et La Haye, 1654, v. note [18], lettre 352).

15.

Par leurs mères, Thomas Bartholin et Henrik Fuiren (v. note [4], lettre 616), ainsi que tous leurs frères, étaient cousins germains (v. note [1] de la lettre de Thomas Bartholin datée d’avril 1660).

16.

T.T. : Totus Tuus.

s.

Bartholin a, page 417.

Epistola i.

De Pharmacopæis.

Guidoni Patino
Parisios.

Quod prolixas pro Dissertatione no-
stra nuper egeris gratias, id totum
humanitati tuæ adscribendum. Non
merentur enim Schediasmata no-
stra vel tantillum pretiosi otii tui, ne applau-
sum dicam. Video autem te fœtus nostros eo
excipere animo, quo me solebas, et ex iis re-
dire in sinceræ amicitiæ memoriam. Displi-
cet inprimis, quod ad Te reliqua nostra mit-
tendi non detur occasio. Locorum impedit
distantia, et conducti internuncii dona hæc
pretio nimio vendunt. Non dubito quin ex
Bel-

t.

Bartholin a, page 418.

gio ad vos delati sint libri mei de Luce
Animalium, de quibus judicium tuum deside-
ro. Dum in patria versor curas practicas dis-
punxi editione duorum librorum, quorum
alter Synopsin exhibet Antiquitatum Veteris
Puerperii, alter Armillas Veterum præsertim
Danorum, persequitur. Quamprimum licu-
erit, ad vos eos mittam. Ad prælum tradidi
Apologiam de Cruce, oppositam impugna-
tionibus
B. Nihusii, qui me publico scripto la-
cessivit.
Hofmannus interea, dum aliis occu-
por, quiescit, nec Itenerarium meum publi-
cam lucem aspexit. Gratulor Tibi de parta
victoria, quod disetissimo ore profligaveris
Seplasiarios. Si me in consilium vocassent,
suasissem ut amice potius cum Patino transi-
gerent, quam intentata lite. Nota jam et huic
hominum nationi erit infelix Marsyæ cum A-
polline pugna. Nescio cur illis adeo ubique fe-
re gentium pruriat cutis, ut intra officium se
nequeant continere. Plerumque enim vani o-
stentatores ad exercendam medicinam furtim
se ingerunt, quumque apud ægros inferius tan-
tum guttur eluere deberent, superius audent
inquinare, sicque in Medicorum messem immit-
tunt rudem falcem, et relicto ministerio ser-
vili, cui dicati sunt, Dominorum suorum, seu
Medi-

u.

Bartholin a, page 419.

corum, famæ et fortunis struunt insidias.
Magnam cladem apud vos passi sunt a
Guiberti
vestri Medicina Charitativa, ex qua quisque do-
mi suæ præparare discit, enemata, decocta,
syrupos etc. pro usu domestico, ut exigua a-
pud vos amplius Pharmacopæorum superbo-
rum sit necessitas. Id si sequantur aliæ quoque
nationes, jam vilescet Spelasiariorum preti-
um et cristas demittent. Tu interim victor et
profligator monstrorum, perge ut magni
nominis magnæque eruditionis Tuæ persenti-
ant virtutem. Thesis ipsa tu nostro non in-
diget encomio. Sufficit, Patini esse thesin.
Gratias tamen tibi utriusque nomine ago, et ut
parem rependat vicem Magnus
Wormius no-
ster, Institutiones suas Medicas cum aliis Exer-
citationibus Medicis hic editis mihi consigna-
vit, quamprimum ad Te mittendas, si, ut ac-
cepi, vergente autumno ad vos rediturus est
Legatus Regis Vestri Christianissimi, Tibi ob
patrem haud ignotus. Qui, si volet, deferet
quoque Physicam
Parentis, et alia quæ Typo-
thetæ nostri parturiunt. Vale, Vir summe,
cum Cl. 
Moræo, et si quæ Tibi exercitatissimo
rara in calamum venerint, Observationibus
nostris Medicis brevi prodituris, quæso ne in-
videas. Clarissimus Wormius, et
fratres,

v.

Bartholin a, page 420.

et Consobrini Fuirenii officiose te salutant. Haf-
niæ 17. Jul. 1647.

T.T.

Thomas Bartholinus.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Thomas Bartholin, le 17 juillet 1647

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=9063

(Consulté le 25/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.